Accord de Nupes ou de dupes?

On a donc retrouvé une union de la Gauche! Comme en 36, comme en 81 ou en 97, nous expliquent les thuriféraires de la “Nupes” (Nouvelle Union Populaire Ecologique et Sociale). Rien ne sera donc plus comme avant. Dès que le peuple aura élu “Mélenchon premier ministre” comme le proclament déjà les affiches de la nouvelle Union en question, tout va changer. Et hop, on change de République! Et bling, on prend l’argent des riches et on le distribue aux pauvres! Et clac, on arrête tous de travailler à 60 ans! Et crac, on désobéit aux traités européens. Et toc, on bloque les prix des denrées de base! Vous n’y croyez pas?… C’est parce que vous n’avez jamais «mis les pieds dans un hypermarché», et donc “vous ne connaissez pas la réalité sociale de la France d’aujourd’hui” nous expliquent en cœur l’écrivaine Annie Ernaux, thuriféraire de premier rang, et Clémence Guetté, la coordinatrice de la rédaction du programme de Jean-Luc Mélenchon, qui apparemment s’y connaissent en réalité sociale, ou en commerce de masse.

Bon! Impossible n’est pas français -comme dirait Eric Zemmour, qui lui a totalement disparu du paysage après son échec du premier tour de la présidentielle- mais on a quand même quelque peine à imaginer les électeurs inverser leur vote du mois d’avril pour porter au pouvoir en juin celui qu’ils avaient classé numéro 3 le mois dernier, afin de voir réaliser le programme dont ils ne voulaient pas au premier tour de la présidentielle. Et il n’est pas certain que l’ultrapersonnalisation de la campagne des législatives voulue par la France Insoumise et son patron soit la meilleure façon de provoquer l’impossible.

Un premier-ministre prédésigné

Dans sa reconstitution d’une Union de la Gauche, Jean-Luc Mélenchon n’a voulu laisser aucune chance à une autre hypothèse que celle de son accession au pouvoir total et absolu. La problématique qu’il a imposé à ses “partenaires” ne laisse aucun espace au doute. La présidentielle aurait selon lui conduit à l’Elysée «un président sans mandat», en quelque sorte virtuel, parce que mal élu, avec ses 28% du premier tour et sa majorité anti-Le Pen du second tour. Un troisième tour s’imposerait donc pour «purger les contradictions» qui ne l’ont pas été par la présidentielle. Et l’homme désigné pour la purge en question, c’est lui-même, car il a « une légitimité populaire suffisante pour pouvoir dignement représenter le pays », fort de ses… 22% de voix au premier tour. D’ailleurs il ne se présentera probablement pas lui-même aux législatives. Inutile! Discours un peu confus et contradictoire, et en tout cas assez peu républicain? Oui, sans doute. Les négociateurs de la Nupes ont bien voulu faire semblant d’y croire au moment de le rejoindre. Mais du coup, le corset dans lequel Mélenchon a voulu enfermer les élections législatives craque aux coutures.

Chez les écologistes, ce sont les fondateurs d’EELV, dont Daniel Cohn Bendit, qui dénoncent «une escroquerie»… reprochant à leurs amis écologistes pas moins que d’avoir «consacré une infamie sans nom, à rebours du seul horizon viable et désirable de l’humanité : la liberté». Pas grave c’est des boomers et des macronistes! Au Parti socialiste, ce sont les cadres historiques qui ruent dans les brancards, par exemple l’ancien premier-ministre Bernard Cazeneuve, qui quitte le parti. On s’en fiche, comme l’explique le député insoumis Alexis Corbière, «son départ aura autant d’effet que la disparition de l’horloge parlante (prévue pour cet été)». Et ce proche de Mélenchon en rajoute dans l’arrogance, en traitant Bernard Cazeneuve “d’ignorant et de tartuffe”. Pas très habile vis à vis d’un homme qui jouit sans doute encore d’une certaine estime dans l’électorat socialiste, et dont personne n’a oublié qu’il dut faire face à des actions terroristes sans précédent.

La part du lion

Car à la fin ce sont les électeurs qui décideront, dans chaque circonscription, en votant pour l’un ou l’autre des candidats. Comme prévu, la France Insoumise s’est taillé la part du lion, imposant ses candidats dans des circonscriptions où le mouvement était parfois inexistant, mais où leurs partenaires socialistes ou communistes bénéficiaient d’une bonne implantation locale. A Vénissieux par exemple, où le Parti communiste est chez lui depuis des décennies, et où Jean-Luc Mélenchon est arrivé premier au premier tour de la présidentielle, l’équipe de la France Insoumise a voulu imposer la candidature de Taha Bouhafs, militant politique faisant du journalisme sur les réseaux sociaux. Evidemment la maire de Vénissieux, Michèle Picard, qui s’imaginait déjà candidate dans son fief, a mal pris la chose. Au point que Fabien Roussel, le patron des communistes a dû réclamer une révision de l’accord qu’il avait signé trois jours plus tôt, en regrettant «que la France Insoumise investisse un candidat condamné pour injure raciale» (Taha Bouhafs a été condamné pour avoir traité une syndicaliste policière, Linda Kebbab «d’arabe de service»)! Même syndrome pour Olivier Faure le premier des socialistes, qui conteste l’investiture à Paris d’une insoumise, Danielle Simonnet, à la place d’une députée du PS Lamia El Aaraje, élue en juin 2021 -face à la même Danielle Simonnet- et soutiendra son éventuelle candidature, en violation de l’accord qu’il a lui-même signé! Il faut dire que dans le partage de l’hypothétique butin législatif, Jean-Luc Mélenchon n’a pas vraiment fait dans la finesse, prenant une part disproportionnée et imposant même dans les candidats éligibles sa compagne et son gendre, au grand dam des élus de terrain.

Qu’importe, l’accord est là! Mélenchon a réussi son passage en force, il a imposé son programme, et ses candidats dans 360 circonscriptions sur 577, laissant à ses “partenaires” la part congrue. Mais pour réaliser l’impossible, c’est à dire obtenir une majorité dans la future Assemblée nationale, il va falloir que la discipline joue pleinement à gauche, et que le réflexe du “Tout Sauf Mélenchon”, déjà brandi par les dépités de l’accord législatif, et en particulier par Jean Christophe Cambadélis, ancien premier secrétaire du PS, qui considère qu’il s’agit d’un accord de dupes, ne perturbe pas trop les plans sur la comète du futur premier ministre auto-proclamé.

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