Un (troisième) tour a haut risque

Nous voici dans la phase d’approche finale, avant l’arrimage démocratique. Après deux campagnes présidentielles nourries surtout de polémiques et contestations anticipées de la légitimité du scrutin, et donc du vainqueur, et une campagne législative qu’on a cherché à présenter comme la session de rattrapage de l’élection précédente, le premier coup de gong sonnera à 20 heures dimanche soir. Certes, la messe ne sera pas encore dite, puisque nous ne connaîtrons que le pourcentage de voix obtenus par les différents blocs en compétition, c’est le second tour qui déterminera, avec le nombre de députés élus de chaque camp, la capacité à gouverner des aspirants à l’exercice du pouvoir, en commençant bien sûr par le président élu.
Mais le résultat du 12 juin pèsera lourd, très lourd. Il nous dira si le peuple de France a ou pas changé d’avis en quelques semaines. S’il préfère aujourd’hui voir mettre en œuvre le programme qu’il a rejeté au premier tour de l’élection présidentielle, celui de la France Insoumise. Formulée ainsi, l’hypothèse a quelque chose d’absurde. Mais c’est Jean-Luc Mélenchon et son camp qui l’ont voulu ainsi. En posant dès le lendemain du premier tour de la présidentielle l’équation de l’illégitimité du président («un président sans mandat»), et donc de l’élection elle-même, ils ont installé l’idée que les législatives étaient le véritable aboutissement du processus électoral. Que l’élection d’un président de la République était une formalité institutionnelle sans conséquence réelle, et que le véritable pouvoir de gouverner résultait des alliances constituées entre les partis politiques au moment des législatives. 

Parlementarisation à la hussarde

On pourra rétorquer que c’est devenu la logique des institutions depuis que les échéances présidentielle et législatives ont été confondues, les secondes arrivant dans le calendrier juste après la première. Mais cette modification de calendrier avait pour but d’éviter justement la cohabitation entre un Président d’un bord et une Assemblée nationale opposée à sa politique, situation que l’on avait connue précédemment lorsque les mandats étaient découplés. Les alliances et ralliements étaient dorénavant supposés se faire entre les deux tours de la présidentielle pour amener à l’Elysée le candidat le plus à même de créer un consensus de nature à lui garantir une majorité législative quelques semaines après son élection.

En acceptant, sans discuter ou presque, la logique, mais aussi la tutelle, de la France Insoumise, après la présidentielle perdue, socialistes, écologistes et communistes, ont changé la donne et apporté leur soutien à cette tentative de parlementarisation à la hussarde de la 5eme République. En s’alignant sur le programme de la France Insoumise -qu’ils avaient dénoncé au moins pour partie durant la campagne présidentielle- au point de renoncer le temps des législatives à certains de leurs propres engagements fondamentaux sur l’Europe ou le rapport à l’économie et aux institutions, et en acceptant de se ranger derrière un Mélenchon autoproclamé “premier ministre”, ils ont eux-mêmes créé cette situation de quitte ou double, en faisant un pari fou: préserver à n’importe quel prix quelques sièges de députés au risque de créer une crise institutionnelle aux conséquences imprévisibles.

Ce qui se résout en général dans un régime parlementaire par une recherche de compromis, d’équilibres, entre les différentes forces politiques, dans l’intérêt supérieur de la Nation, dans le cadre d’une cohabitation plus ou moins heureuse, se réglerait ici par la mise du président de la République au musée Grévin un mois après son élection, et la prise de tout le pouvoir par le nouveau chef coopté d’avance par l’ensemble des partis de sa coalition pour mettre en œuvre un programme, déjà rejeté par les électeurs, et que ses alliés n’ont même pas eu le loisir de négocier. Et cela, paradoxe des paradoxes, alors que le chef autoproclamé lui-même, qui vient d’être battu au premier tour de la présidentielle, sur son propre programme, n’a même pas osé se représenter aux électeurs pour ces législatives qui sont supposées “l’élire premier-ministre”!

Si l’on en croit les sondages, les chances de l’alliance mélenchonienne d’obtenir les 289 députés nécessaires pour imposer sa loi au Président de la République sont assez faibles. Et donc l’hypothèse de voir au lendemain du 19 juin tous les pouvoirs aux mains de partis qui au fond sont en désaccord sur l’essentiel -la place de la France dans le monde et l’Europe, mais aussi la gestion de l’économie, le rôle de l’Etat, ou encore le changement de République- reste peu probable. Mais la capacité de nuisance du processus mis en route par la France Insoumise avec la complicité active des dirigeants du PS, du PC et de EELV, reste très élevée. Si dimanche soir, du fait d’une abstention élevée, il se trouve une majorité relative d’électeurs pour soutenir le projet populiste, autoritaire, anti-européen, de Jean-Luc Mélenchon, projet que les autres partis de gauche avaient rejeté avant la présidentielle mais qu’ils font mine de soutenir aujourd’hui, nous entrerons dans une crise de régime. Que les électeurs choisissent majoritairement, fut-ce de quelques voix, la mise en œuvre d’un programme politique diamétralement opposé à celui que porte le président qu’ils ont élu le 24 avril dernier, créerait une situation inédite. Et l’arrivée éventuelle le 19 juin d’une majorité de députés soutenant le président élu, grâce à un mode de scrutin injuste, ne changerait rien au fond de la crise démocratique, mais la cristalliserait.

Conflictualisation à outrance

C’est dans la logique de la conflictualisation à outrance voulue par la France Insoumise et son leader: aboutir à la crise ultime de nature à faire imploser la 5eme République, comme prémisse à l’établissement d’une Nouvelle (?) République qu’ils appellent de leur vœux. Pourquoi pas? On peut toujours en accepter l’augure, en se disant que notre démocratie a bien besoin de retrouver des couleurs, que le caractère quasi-monarchique de l’exercice du pouvoir présidentiel en France est dépassé, que notre système électoral qui conduit à une sous-représentation systématique au Parlement de toutes les minorités, surtout depuis que les échéances présidentielle et législatives ont été confondues, est tout à fait indigne, que la place qui est faite aux corps intermédiaires et à la société civile dans la décision politique est tout à fait insuffisante, et qu’après tout… la crise à venir pourrait jouer le rôle d’accélérateur de changements nécessaires. Certes, mais à quel coût?

Faut-il pour rendre notre République plus juste en passer par l’implosion de notre système démocratique? Pour la rendre plus égalitaire risquer la ruine du pays? Faut-il pour rendre du pouvoir à la société civile commencer par rendre à l’Etat toutes les prérogatives cédées au fil du temps à la société civile en question? Faut-il, pour revenir sur un excès supposé du libéralisme économique, mettre en place la planification de toute l’activité économique par un groupe d’apparatchiks issus du parti dominant? Faut-il décréter une chasse aux riches sans merci, au risque de casser le développement économique du pays qui pourrait pourtant offrir les moyens nécessaires à une politique sociale plus audacieuse? Faut-il pour défendre le droit à l’autonomie de la Nation détruire le projet européen? La conflictualisation maximale de la vie politique est-elle notre seul horizon? Première réponse dimanche!

1 réflexion sur « Un (troisième) tour a haut risque »

  1. Populiste, autoritaire, étatiste à outrance, pseudo-écologiste, communautariste exacerbé (n’oublions pas la manifestation de novembre 2019) et anti-européen, je supporte de moins en moins le comportement de Monsieur Mélenchon prêt à tout pour avoir du pouvoir.
    Beaucoup de membres du PS, d’EELV, du PC ont accepté cette alliance de circonstance au sein de la NUPES, c’est pitoyable car ils ont mis tellement de différences sous le tapis qu’elles ne pourront que réapparaître si, par malheur, toute cette coalition arrivait au pouvoir. Je ne le pense. J’espère avoir raison.
    Merci, Michel, pour ton blog.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *