La leçon d’un premier camouflet

L’apprentissage risque d’être difficile. Après des décennies -à quelques parenthèses de cohabitation près- de domination sans partage du parti présidentiel à l’Assemblée, on (re)découvre le pouvoir des minorités. Pouvoir de jouer la montre, lorsqu’il s’agit simplement de passer deux jours à discuter une motion de censure qui n’a aucune chance d’aboutir… Pouvoir de contrarier l’action du pouvoir lorsqu’il s’agit de s’unir, toutes oppositions confondues, pour bloquer un projet gouvernemental. Une semaine aura suffi pour en faire l’expérience. Lundi le vote de la motion de censure a renvoyé la Nupes (Nouvelle Union Populaire Ecologiste et Sociale) à ce qu’elle est réellement: une formation politique minoritaire ayant perdu l’élection législative. Le lendemain, c’est le parti du gouvernement qui a été renvoyé à son poids réel: une formation disposant d’une majorité relative qui ne lui permet plus de faire la pluie et le beau-temps législatif sans se préoccuper des autres.

On pourrait donc dire que la leçon est bénéfique pour les uns comme les autres. A force de répéter, sous l’impulsion de son gourou Mélenchon, que la majorité avait perdu les élections législatives, la gauche avait fini apparemment par se convaincre qu’elle les avait gagnées. Quant à la majorité, il importait qu’elle mesure que ce n’est pas en formulant quelques vœux pieux de collaboration avec l’opposition, qu’elle allait retrouver des conditions confortables d’exercice du pouvoir. C’est fait. Les uns et les autres viennent de prendre une leçon de réalisme politique.

Tout au plus peut-on, avant de s’en réjouir, regretter que les protagonistes du premier affrontement politique du nouveau quinquennat aient choisi comme champ de bataille le terrain de la sécurité sanitaire de nos concitoyens. Que la première manifestation d’union de l’arc en ciel d’opposition de l’extrême droite à l’extrême-gauche, porte sur le passe sanitaire, et donc sur la politique de vaccination contre le covid est bien affligeant. On peut même y voir quelque ironie, puisque le Rassemblement national qui plaidait il y a peu, pour un blocage total des frontières pour protéger les Français du Covid, se retrouve aux côtés des socialistes, qui défendaient il y a peu la vaccination obligatoire, pour empêcher le gouvernement de rétablir… un contrôle de la vaccination aux frontières.

En fait il est clair qu’il s’agit d’un prétexte. Le seul but de la démarche commune des oppositions était d’infliger un camouflet au gouvernement, en le mettant ponctuellement en minorité. Et tant pis si c’est à la joie des antivax et antiscience de tout crin.

Il faut dire que la majorité ne l’a pas volé non plus. Car le score atteint par les oppositions sur leurs deux votes gagnants (contre le pass sanitaire pour les mineurs et contre la possibilité du retour d’un contrôle du pass aux frontières) respectivement 196 voix et 219 voix, est inférieur au nombre de députés appartenant à la majorité (245). Au moment du vote certains élus macronistes avaient sans doute affaire ailleurs, et n’ont pas participé au vote. Funeste erreur quand on ne dispose que d’une majorité relative. Et avertissement pour la suite.

En fait la leçon à tirer va bien au delà de la nécessaire assiduité des élus. L’affaire du pass sanitaire démontre qu’il n’est plus possible de faire de la politique comme avant. Elle prouve à la majorité parlementaire qu’au delà des déclarations d’intentions, il va falloir réellement s’atteler à négocier des consensus pour pouvoir faire adopter les textes. Présenter un projet de loi sans s’être assuré qu’il est validé par une partie au moins des députés du camp adverse, c’est prendre le risque d’être battu et donc rendu impuissant. Certes le rejet de la motion de censure a démontré que la Nupes et le Rassemblement National n’étaient pas prêts à faire cause commune pour déclencher une crise dont aucun des protagonistes ne connaissaient l’issue, mais l’union des oppositions jouera chaque fois qu’il sera possible de faire trébucher le gouvernement à moindre frais. Chaque projet ne résultant pas d’un compromis sera voué à l’échec. Bien sûr, pour faire des compromis, il faut des interlocuteurs bienveillants, mais les soutiens d’Emmanuel Macron auraient tort de se retrancher derrière l’intransigeance de leurs oppositions. C’est à eux, à qui les électeurs ont confié la mission de gouverner à deux reprises, à la présidentielle et aux législatives, qu’il appartient de créer les conditions de ces consensus, sur chaque projet, chaque décision, en associant systématiquement à leur travail des députés d’autres partis qui souhaitent faire avancer le pays… Ou alors, il faudra demander au président de dissoudre et choisir l’aventure, voire le saut dans le vide, pour le pays, et nos concitoyens.

2 réflexions sur « La leçon d’un premier camouflet »

  1. Cher Michel,
    Toujours un plaisir de te lire et de reconnaître une fois de plus dans ton analyse l’expression limpide de ce que j’ai parfois du mal à exprimer.
    Bien à toi.
    Jean-Yves

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