Ukraine: sur la corde raide

Au moins les choses sont claires, si certains avaient encore douté. Dans son discours Poutine a confirmé tout ce que l’on avait deviné. Sa haine viscérale de l’occident, son opposition aux valeurs qui cimentent tant bien que mal l’Europe, son mépris pour le peuple ukrainien, sa volonté de réviser l’Histoire, sa paranoïa aiguë, jusqu’à son homophobie…

L’Europe se retrouve donc dans une situation comparable à ce qu’elle a connu au lendemain de l’annexion des Sudètes par Hitler. Il s’agissait pour le tyran de l’époque de “libérer” les germanophones de l’oppression Tchécoslovaque. Comme aujourd’hui on prétend “libérer” les russophones de l’oppression ukrainienne. Dans les deux cas, c’est un soi-disant respect de l’autodétermination des peuples qui justifiait l’annexion d’une partie d’un état souverain. Dans les deux cas, le tyran s’appuyait sur des extrémistes locaux nourrissant son dessein, et misait sur la faiblesse des dirigeants des autres puissances. Les dirigeants européens actuels n’ont qu’un avantage par rapport à leurs prédécesseurs, c’est qu’ils connaissent la suite de l’histoire. Edouard Daladier et Néville Chamberlain pouvaient au moins faire mine d’ignorer les intentions réelles de Hitler, donner l’impression de croire en ses promesses de ne plus toucher aux frontières… Emmanuel Macron, Olaf Sholtz ou Liz Truss, la nouvelle première ministre anglaise, ne peuvent faire semblant d’ignorer la suite de l’histoire. Leur choix est simple: signer des accords de Munich version 2022, c’est à dire accepter l’annexion d’une partie du territoire ukrainien par la Russie, en sachant que Vladimir Poutine ne s’arrêtera pas là et que cela pourrait nous mener de toutes façons à une extension de la guerre en Europe, ou tout faire pour obliger le tyran à retirer ses troupes d’Ukraine, sans savoir vraiment où cela nous mènera.

Apparemment ils ont choisi. Les pays du G7 ont officiellement annoncé qu’il ne reconnaîtraient jamais l’annexion. C’était le seul choix possible au regard de l’Histoire. Mais c’est aussi le saut dans l’inconnu. Jusqu’à présent, les pays occidentaux ont dansé sur une corde raide: sanctionner la Russie en continuant à acheter (moins) son pétrole et son gaz, fournir des armements aux Ukrainiens sans pour autant entrer en guerre avec la Russie. Une stratégie qui a porté quelques fruits, si l’on en croit les victoires que l’armée ukrainienne semble remporter sur le terrain. Mais qui a ses limites. La guerre n’est pas finie, et dès lors qu’on refuse l’annexion des zones occupées, il faut maintenant aller jusqu’au bout et chasser l’occupant russe d’Ukraine. Et ce ne sont pas les sanctions supplémentaires, annoncées à Bruxelles, aussi légitimes soient-elles, qui changeront le destin des ukrainiens.

Dans son discours, c’est une véritable guerre des civilisations que nous a annoncé Poutine. C’est une croisade contre les pays occidentaux que prétend mener le maître du Kremlin. Combien de temps pourrons nous subir cette guerre sans nous y impliquer vraiment? Pouvons-nous espérer faire reculer le tyran en nous contentant de laisser les Ukrainiens se battre pour nous? Nos livraisons d’armes même augmentées seront-elles suffisantes pour que l’Ukraine défasse l’armée russe? Peut-on imaginer que Poutine aille jusqu’à la capitulation sans utiliser l’arme nucléaire dont il dispose?

Personne aujourd’hui n’a de réponse à ces questions. Les précédentes crises de l’après-guerre, au cœur de la guerre froide, avaient pu être résolues parce qu’aucun des protagonistes n’avait franchi le point de non-retour. Aujourd’hui on peut se demander si avec l’annexion des territoires ukrainiens, Poutine n’a pas franchi ce point de non-retour. Comme Hitler avec l’annexion des Sudètes.

Qui pourra le faire reculer? Sans doute pas l’OTAN, que l’Ukraine voudrait intégrer au plus tôt. Un choc OTAN-Russie déboucherait sur un cataclysme assuré. Peut-être l’armée russe elle-même, qui pourrait se lasser de l’humiliation qu’elle subit sur le terrain, et se retournerait contre le maitre du Kremlin? Mais on hésite à parier le moindre kopeck sur cette hypothèse. Reste à miser sur la communauté internationale. Sur ces grands muets que sont la Chine et l’Inde. On les a vu s’abstenir sur une résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU condamnant l’annexion russe. Pourrait-on les convaincre de sortir de leur neutralité et de s’engager réellement pour faire reculer le maître du Kremlin? On peut imaginer qu’une pression conjuguée de ces deux géants jusqu’ici “neutres” puisse avoir un impact réel. Mais encore faut-il les convaincre de s’investir dans le sauvetage d’un équilibre international dont ils jugent qu’il ne leur fait pas une place suffisante. C’est sans doute l’urgence qui s’impose aux pays occidentaux. Convaincre la Chine de peser de tout son poids dans la balance de l’équilibre planétaire et de la paix. Mais cela passe par la remise à plat de cet équilibre, et la redéfinition des relations internationales en respectant la place de chacun, en tournant définitivement la page précédente, celle d’un monde bipolaire où l’Amérique exerçait sa suprématie, et dont la crise actuelle est un des derniers avatars.

1 réflexion sur « Ukraine: sur la corde raide »

  1. Bonsoir Michel,
    Je suis très heureux de te lire à nouveau.
    Il est vrai que nous avons du mal à voir la façon dont ce conflit pourrait arriver à
    son terme. Je pense, hélas, que ce n’est ni pour demain, ni pour après-demain.
    J’ai du mal à imaginer que le maître du Kremlin puisse utiliser l’arme nucléaire,
    même de “faible” puissance (plusieurs fois Hiroshima cependant), car les trou-
    pes russes et ukrainiennes sont vraiment proches sur le terrain.
    De plus, la Chine n’est pas si muette que cela. Elle fragilise son économie en “se tirant une balle dans le pied” avec sa stupide politique zéro covid et elle risquerait bien pire si, d’une façon ou d’une autre, elle ne pesait pas de tout son énorme poids pour éviter cette effrayante nucléarisation qui serait forcément mauvaise
    pour l’économie mondiale.
    Enfin, gardons l’espoir. Le pire n’est jamais sûr !

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