L’escalade ou le chaos?

Donc l’Allemagne, après avoir longuement tergiversé, livrera à l’Ukraine ses chars lourds Léopard et autorisera ses clients, principalement la Pologne, à en faire autant. Les Etats-Unis devraient annoncer cette semaine, selon le Wall Street Journal, l’envoi de chars Abrams. Le président Macron n’a pas exclu de livrer de son côté des chars Leclerc. Rien ne prouve que la présence de ces chars lourds sera décisive dans le conflit. C’est en tout cas un virage important. Ces chars sont des armes offensives, et leur livraison à l’Ukraine correspond évidemment à un engagement supplémentaire des occidentaux dans le conflit. Ce que tous les porte-parole officiels et officieux de Vladimir Poutine se sont empressés de souligner. Marine Le Pen, par exemple y est formellement opposée, mais elle n’est pas la seule à craindre une escalade que nous ne maitriserions pas.

C’est une évidence, le risque d’escalade existe. Avec l’appui des chars lourds qu’on lui promet maintenant, Volodymyr Zelensky pourrait se retrouver en capacité de gagner la guerre, et donc Vladimir Poutine plus que jamais en position de la perdre. Peut-on imaginer que les Russes perdent la guerre, et se retirent du territoire ukrainien, sans que Vladimir Poutine dans sa folie criminelle ne déclenche un conflit planétaire?

Depuis le début du conflit la question est posée aux occidentaux: comment aider l’Ukraine sans déclencher indirectement une troisième guerre mondiale qui serait forcément nucléaire? Leur réponse jusqu’ici est graduée. Avec une ligne intangible: on aide les ukrainiens qui sont victime d’une tentative d’anéantissement par la Russie, sans se mettre en situation de belligérants, c’est à dire sans faire la guerre ouvertement à la Russie. Au début du conflit, les différentes chancelleries semblaient même disposées à rejouer les accords de Munich de 1938, en cédant une partie du territoire ukrainien à la Russie pour éviter que le conflit s’élargisse. Depuis, chacun a vu la résistance ukrainienne à l’œuvre, sa capacité à s’opposer aux visées de Poutine, la volonté du peuple ukrainien à défendre son pays… Et la doctrine a commencé à évoluer.

Aujourd’hui la question n’est plus celle de la recherche d’un compromis susceptible de calmer, au moins temporairement les volontés impérialistes de Poutine, l’enjeu est bel et bien celui de la défaite de la Russie, et du sauvetage de l’ordre mondial.

Imaginons un instant que Poutine l’emporte totalement, ou continue des mois durant à anéantir le peuple ukrainien en bombardant sans cesse les civils, ou simplement obtienne le rattachement d’une partie de l’Ukraine à la Russie… Ce serait la fin de l’ordre mondial hérité de la deuxième guerre mondiale. La communauté internationale en serait réduite à entériner le droit d’un peuple à anéantir et/ou annexer son voisin sous prétexte que certains de ses habitants parlent la même langue (c’était déjà l’argument d’Hitler lorsqu’il s’emparait des Sudètes) pour peu que le bourreau dispose de l’arme atomique. La dissuasion nucléaire, qui devait interdire à chacun de s’écarter des règles internationales par crainte de la capacité de destruction des autres, ne servirait plus qu’à dissuader la communauté internationale de faire respecter l’ordre mondial, par crainte d’un conflit nucléaire. Cette même crainte qui nous amènerait évidemment à abandonner Taiwan si le dictateur de Pékin décidait de s’en emparer ou de le rayer de la carte, et permettrait au tyran de Moscou de poursuivre son entreprise d’anéantissement sur les pays voisins dont il s’estime l’héritier.

La Russie doit donc perdre cette guerre! Cela ne résoudra pas tout, car il faudra ensuite reconstruire un nouvel ordre mondial, une nouvelle légalité internationale, dans laquelle cette même Russie devra évidemment retrouver sa place. On a vu depuis le début du conflit à quel point les alliances militaires et institutions internationales sont caduques. Surtout, sa défaite ne sera pas sans risque. Chaque pas pour renforcer la capacité militaire de l’Ukraine, aussi mesuré soit-il, nous met à la portée d’un coup de folie de plus de Poutine. Chaque char, chaque batterie de missiles, tout en rapprochant une issue du conflit, rendent la situation encore plus incertaine. Mais il n’y a plus de choix! Capituler devant les visées impérialistes de Vladimir Poutine n’en est pas un!

On ne reconstruira pas un ordre mondial en commençant par valider l’anéantissement d’un peuple, la déportation de milliers d’enfants, l’annexion tout ou partie d’un pays libre! Eviter l’humiliation de la Russie, comme l’a souhaité Emmanuel Macron, ne pourra pas passer par la validation par tous d’un crime contre l’humanité! Quel que soit le risque -et il est incommensurable- la communauté internationale doit préserver ce qu’il reste de légalité internationale. C’est une question de civilisation.