Preuve par l’absurde

Faute d’en savoir beaucoup plus sur lui, on doit bien admettre qu’Edward Snowden est un jeune-homme sincère. Un honnête homme. Que c’est effectivement parce qu’il ne supportait plus de participer au travail liberticide qui lui était demandé par les services secrets pour lesquels il travaillait, qu’il a décidé de manger le morceau. De fournir à la presse les preuves de la violation continuelle de la vie privée à laquelle se livrait la NSA, agence nationale de renseignement américaine, aux Etats-Unis, et même en Europe voire en Chine. Mais s’il a agi par idéalisme, dans quel bourbier s’est il plongé! Recherché par les services secrets américains qu’il a ridiculisés, menacé de trente ans de prison dans son pays, il est pour l’instant sous la protection de… Poutine, qui le laisse vivre sa vie dans la zone de transit de l’aéroport de Moscou. On peut évidemment rêver mieux comme situation. Et la seule issue qui semble se présenter à lui pour l’instant est d’obtenir l’asile politique en Equateur, à l’instar d’un autre “donneur d’alerte”, Julian Assange, le fondateur de Wikileaks, coupable d’avoir divulgué des centaines de milliers de messages confidentiels de l’administration américaine, et qui se trouve à Londres depuis un an, sous protection de Quito dans l’ambassade équatorienne. Et dans le cas où cette filière équatorienne ne fonctionnerait pas, il ne lui resterait sans doute plus qu’à se rabattre sur le Vénézuela, ou à offrir ses services au régime russe. En matière de respect scrupuleux des libertés, on fait mieux. Evidemment, on a la tentation de railler le jeune-homme, qui se pose en parangon de la défense des libertés individuelles, qui s’enfuit des Etats-Unis, grâce à la complicité de la Chine et de la Russie, et court se réfugier dans les bras d’un Etat, l’Equateur, qui est en train de museler sa presse d’opposition. L’administration américaine ne se prive évidemment pas d’invoquer ces soutiens pour tenter de le discréditer, et d’en faire un simple espion à la solde des ennemis de l’Amérique. Mais le choix impossible qui est aujourd’hui celui de Snowden -la prison ou la protection d’un régime autoritaire- ne doit pas disqualifier son action, ni les informations qu’il a dévoilées. Les dirigeants de pays, qui ne lui accorderont pour autant jamais leur protection, ne s’y sont d’ailleurs pas trompés. Le gouvernement allemand ou le ministre de l’intérieur Manuel Valls, ont demandé des explications aux Etats-unis sur l’espionnage des communications internationales. Et si la Grande-Bretagne n’a pas moufté, c’est parce que, nous explique Snowden, ses services sont encore pires que ceux des USA. Il y a donc bien un vrai problème de mondialisation de la surveillance, dont on ne soupçonnait pas l’ampleur. Au nom de la lutte contre le terrorisme international, les Etats-Unis d’Obama et la Grande Bretagne de Cameron sont en train de légitimer la violation internationale de la vie privée. On imagine la franche rigolade dans les bureaux des services en question lorsqu’ils ont appris le renvoi devant les tribunaux français de notre patron du renseignement, poursuivi pour avoir consulté les factures de téléphone de deux journalistes français. On est, là aussi, dans le domaine de “l’exception culturelle”. Et c’est tant mieux! Certes le terrorisme est une grande menace pour l’avenir. Mais ce n’est pas en renversant nos propres valeurs démocratiques que nous construirons un monde meilleur pour nos enfants. Que les “lanceurs d’alerte” comme Snowden, chiens de garde de notre démocratie, ne puissent trouver refuge que chez… ceux qui ne respectent pas ces valeurs, en est la preuve par l’absurde.

Un mur infranchissable

Les hasards de l’actualité sont parfois éloquents. Hier, se télescopaient trois événements sans lien entre eux mais qui éclairent d’une lumière bien noire notre vie politique. A l’Assemblée Jérome Cahuzac était auditionné par la commission chargée de tirer tous les enseignements de son “affaire”. On en attendait qu’il révèle qui, dans l’appareil d’Etat, aurait pu se rendre complice de son mensonge fiscal. Au même moment ou presque Bernard Tapie, mis en garde à vue, devait tenter d’expliquer les conditions dans lesquelles il put soutirer 403 millions d’euros à un Etat tout à fait consentant. Et c’est encore hier que l’on a appris que Ziad Takieddine, intermédiaire de contrats d’armements pour le compte de la France, avait finalement avoué à un juge d’instruction avoir utilisé une partie des commissions qui lui étaient versées au titre de ces contrats pour financer la campagne électorale de Balladur, alors premier ministre, à la demande du directeur de cabinet de ce dernier. Ces trois nouvelles n’ont rien à voir entre elles bien sûr. Elles se rapportent toutes trois à des faits anciens. Jérôme Cahuzac parle d’une erreur du passé. La candidature présidentielle de Balladur date du siècle dernier. Tout comme d’ailleurs l’affaire Adidas qui conduisit le pouvoir, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, à accepter sans rechigner d’être dépouillé au profit d’un homme d’affaire déjà condamné par les tribunaux pour corruption et fraude fiscale. Elles ont toutes un dénominateur commun: l’arrogance et le sentiment d’impunité qui va avec. Comment un homme brillant comme Jérôme Cahuzac a-t-il pu se faire publiquement le champion de la lutte contre la fraude fiscale, en tant que ministre du budget, alors qu’il disposait d’un compte clandestin en Suisse? Fallait-il que ses fonctions lui soient montées à la tête, pour qu’il s’imagine pouvoir faire ainsi acte du plus total et immoral cynisme, sans risquer d’être rattrapé par la République! Ce même sentiment d’impunité que devaient avoir Balladur et ses proches, si les faits qui leurs sont reprochés sont vérifiés. Cette arrogance que partageaient forcément ceux qui se seraient mis d’accord, à la façon d’une bande organisée d’escrocs nous disent les juges, pour spolier l’Etat au profit de Tapie. Il y a quelques années, à la fin des années 80, on inventa des lois sur le financement des partis politiques pour en finir avec les scandales. Depuis, la justice n’a cessé d’égrèner le chapelet des affaires. Comme s’il y avait une fatalité à ce que les hommes politiques perdent au fil de leur ascension toute conscience des réalités, et des valeurs qu’ils sont supposés défendre en notre nom. A chaque fois qu’un de ces élus en qui nous avons confiance tombe dans les filets d’un juge, on s’empresse de lui trouver des excuses: il n’y a pas eu d’enrichissement personnel… ou encore les classique “tout le monde le fait”. Comme si utiliser son pouvoir, et l’argent de la collectivité, pour assurer sa propre carrière, ou la victoire de son parti n’était pas vraiment condamnable. Et l’on parle des rémunérations des élus qui seraient trop faibles, ou encore des règles de financement des partis, qui sont bien mieux adaptées à la réalité dans d’autres pays… Peut -être, mais pendant ce temps, un candidat du Front National est à deux doigts de battre en duel son adversaire de l’UMP dans une législative partielle. Il est urgent d’en sortir. D’oublier toute complaisance. D’élever un mur infranchissable entre la vie politique et l’affairisme. D’interdire définitivement l’accès à toute fonction élective à tous ceux qui fautent, gravement comme légèrement. De supprimer les immunités diverses, et protections, qui permettent à un ancien président d’être intouchable ou aux Guerini et consorts de continuer à prétendre représenter l’intérêt général. D’imposer une transparence totale. De donner tous les pouvoirs de contrôle aux juges. Le projet de loi sur la transparence, qui est adopté en ce moment au parlement, est un premier pas, et on ne peut que s’en réjouir. Mais il faudra aller encore plus loin, et vite. Au risque de jeter la suspicion sur l’ensemble de la classe politique? C’est déjà fait! De faire du voyeurisme comme on l’a tant entendu à propos du projet de loi sur le sujet. Ce n’est pas grave! D’alimenter ainsi les votes extrêmes. Tant pis! Au stade ou nous en sommes, ce qui nourrit de façon certaine le vote extrême, c’est la confusion des genres, les petits arrangements entre amis, et la complaisance coupable. Si notre République ne parvient pas à y mettre fin, et à réaffirmer de façon incontestable la nature sacrée des valeurs qui la fondent, alors oui, elle sera en grave danger.

Front renversé

Ce n’est pas une surprise. Le candidat UMP, Jean-Louis Costes, a emporté la législative partielle de Villeneuve sur Lot. Avec une mobilisation un peu plus forte qu’au premier tour, sans qu’on puisse parler de grand élan populaire et républicain. A l’examen des résultats, nul doute que chaque camp y trouvera matière à satisfaction. C’est un principe assez général et partagé par toutes les formations politiques. Dans un scrutin, on est toujours gagnant quelque part. Il suffit de bien chercher. Evidemment, le plus heureux est Jean-Louis Costes, qui, de façon tout à fait inespérée, se retrouve à l’Assemblée Nationale à la place de Jérôme Cahuzac, qu’il n’aurait sans doute jamais pu battre dans un face à face. On pourra toujours lui reprocher d’avoir simplement ramassé le fruit tombé de l’arbre, mais encore fallait-il le faire. Même si sa victoire n’est pas si large. Et c’est sans doute un motif de satisfaction pour le clan lepéniste. Avec près de 47%, Etienne Bousquet-Cassagne n’est pas passé si loin du but. Et cela malgré la constitution d’un “front républicain” contre lui. Un “Front Républicain” dont Harlem Désir le premier secrétaire du parti socialiste pourra nous expliquer qu’il a permis de faire échec au candidat du Front National, et que… c’est en quelque sorte un succès pour lui. Trêve de plaisanterie, le premier enseignement de cette primaire, c’est que le PS a été balayé. Bien sûr on pourra toujours arguer qu’à travers le candidat socialiste du premier tour, les électeurs ont voulu sanctionner Jérôme Cahuzac, sa cupidité, sa fausseté et son mensonge. Cela a dû jouer. Mais cela ne suffit en tout cas pas à expliquer l’échec des socialistes dans toutes les partielles qu’ils ont eu à disputer depuis l’élection de Hollande. La défaite socialiste de de Villeneuve sur Lot, comme les précédentes, est d’abord la sanction d’une politique que  la plupart des électeurs considèrent aujourd’hui comme un échec. Bien sûr ce quinquennat n’a qu’un an et il reste du temps au Président pour démontrer qu’il a raison. Que sa politique peut conduire au redressement. Mais pour l’instant on est bien loin du compte. Le deuxième enseignement, c’est que le front républicain a fait pschitt, il y a évidemment plus de 53% de bons républicains à Villeneuve sur Lot, mais qui n’ont pas voulu se fondre dans le front proclamé par Harlem Désir. Cela avait marché lorsqu’il s’agissait de renvoyer Chirac à l’Elysée, en barrant la route à Jean-Marie Le Pen. Cela ne marche plus dans une législative, où l’on vote précisément parce qu’un éminent représentant du camp républicain, ministre de surcroit, s’est cru autorisé à piétiner allègrement les valeurs de la République en question. Cela ne marche plus non plus parce que la frontière entre les deux mondes paraît de plus en plus floue, et se déplace au gré des circonstances. Du fait du travail de Marine Le Pen et ses émules qui s’emploient à dédiaboliser leur camp. Mais aussi parce que la frange la plus à droite de l’UMP, vendange ouvertement sur les terres les plus extrêmes, encouragée en cela par la récente campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy. Du coup on peut même se demander s’il ne devient pas carrément contreproductif d’utiliser cette ficelle. Affirmer que PS et UMP sont les deux faces de la même médaille, fut-elle républicaine, est pain béni pour les lepénistes, qui ne cherchent rien tant que de le démontrer. C’est en substance le raisonnement que tenait hier Alain Juppé, que l’on ne peut suspecter de complaisance envers le Front National. Le score d’Etienne Bousquet Cassagne lui donne raison. Pour enrayer la progression du parti de Marine Le Pen il va falloir inventer autre chose.

La méthode et ses risques

Conférence sociale, chapitre 2. Après l’enthousiasme de la première conférence de juillet 2012 —on parlait alors de la “Grande” conférence sociale— les partenaires sociaux se retrouvent autour d’une table, avec le gouvernement, pour l’édition 2013. Mais l’enthousiasme est retombé. L’an dernier, il s’agissait de porter sur les fonds baptismaux une nouvelle méthode réformatrice. En rupture avec l’autoritarisme sarkozien. Aussi bien les syndicats que le patronat étaient demandeurs. Et de fait, chacun joua le jeu, puisqu’on déboucha sur un accord qu’on qualifia tout de suite —de façon sans doute excessive—d'”historique”, et qui devint la “loi de sécurisation de l’emploi”. Le succès était réel. Même si deux syndicats, et non des moindres, la CGT et FO, avaient refusé de signer l’accord. Un premier pas était fait sur un chemin que l’on pourrait qualifier de voie réformatrice à l’allemande, ou plus précisément à la Shröeder. Du  nom du prédécesseur d’Angela Merkel, qui sut faire adopter en Allemagne des réformes sociales permettant de doper la compétitivité industrielle, au prix d’un accroissement des inégalités. Il va falloir maintenant écrire le chapitre 2. Et cela risque d’être moins simple. D’abord parce que l’aura du président, s’il y en eut, a bien perdu de son éclat depuis un an. Il est au plus bas dans les sondages, critiqué, à droite, c’est normal, mais aussi à gauche et au centre, c’est à dire, par à peu près tout le monde. Et perd toutes les élections partielles les unes après les autres. Ensuite parce que les négociateurs ne sont plus tout à fait les mêmes. La CGT et la CFDT ont changé de dirigeants, qui seront enclins à démontrer d’entrée leur combativité. Laurence Parisot n’est plus que la patronne intérimaire des patrons, en attendant le nouveau président du Medef, Pierre Gattaz, qui prendra ses fonctions le mois prochain et n’est pas fanatique, dit-on, des accords nationaux. Mais surtout, tous semblent cette année venir à la table à reculons. A cause de la crise qui pousse chacun dans ses derniers retranchements idéologiques: quand tout va de plus en plus mal, personne ne veut rien céder. Le mécontentement général ne pousse pas aux concessions. A cause aussi du rapport Moreau, qui était sensé défricher le terrain et servira de cadre au débat sur les retraites. En évoquant les différentes pistes possibles pour sauver la retraite à la française, le rapport a allumé tous les feux: CGT et FO ne veulent pas entendre parler d’allongement de la durée de cotisation ou de remise en cause des régimes spéciaux, encore moins de baisse du niveau des pensions, et le patronat se prépare à claquer la porte si l’on parle d’augmentation des cotisations. Certes Hollande pourra se rassurer en se disant que l’an dernier, le consensus n’était pas non plus gagné d’avance. Mais l’obstacle 2013 semble assez infranchissable. Tout le monde en est conscient, Il n’y a pas grand chose à attendre de la conférence. Du moins sur le gros morceau, celui des retraites. Dans le meilleur des cas Hollande devrait se satisfaire d’un accord sur quelques points périphériques, quoique essentiels, comme la formation professionnelle. D’autant que la CFDT, centrale traditionnellement plus réformatrice que ses consœurs, arrive à la table elle aussi en colère, parce que le gouvernement, crise oblige, vient d’annoncer une quatrième année de gel des indices des fonctionnaires. Malgré tous ces handicaps, à la fin, il faudra décider, réformer pour maintenir la crédibilité de la France, et les chances d’une relance économique que seul François Hollande semble pour l’instant voir venir. Réformer probablement sans le confort d’un accord des partenaires sociaux. Et donc avec un risque de conflit social élevé. Un risque de discrédit accentué également. Car c’est le danger de la méthode: à vouloir asseoir des réformes indispensables, mais douloureuses, sur un minimum de consensus, Hollande s’expose à en faire toujours trop et trop peu à la fois. Quel que soit le contenu de la réforme des retraites finalement retenu par le président, quel que soit le dosage choisi entre allongement de la durée de cotisation, prélèvements supplémentaires, et baisse des pensions, le cocktail sera forcément inacceptable pour tous. Mélenchon, et avec lui l’aile gauche du PS, dénonceront une loi injuste dictée par les technocrates de Bruxelles… Les syndicats n’auront qu’à ressortir les banderoles de 2010… La droite dénoncera une réforme insuffisante et bâclée, qui ne résout rien, et augmente encore le poids des prélèvements… En oubliant qu’il y a trois ans, son champion Nicolas Sarkozy avait promis que sa réforme allait “sauver le système de retraite par répartition”. Il reste à souhaiter que la prochaine réforme des retraites fasse illusion un peu plus longtemps!

Le G8 dans l’impasse syrienne

Devinette du jour. Qui a dit: “nos opinions divergent, mais nous avons tous l’intention de mettre fin à la guerre en Syrie…” ? Indice: c’était au sommet du G8, lundi en Irlande du Nord. Il fallait répondre: Vladimir Poutine. Tout ceux qui ont répondu Barack Obama, ou François Hollande ont perdu. Et pourtant, aucun des deux autres n’aurait renié cette formule. Car tous les dirigeants du monde sont d’accord sur ce point: il faudra bien hisser un jour ou l’autre un drapeau blanc sur le charnier syrien. Quand et comment? “Euh… on va faire une conférence internationale pour en parler. En attendant, selon l’ONU, on approche les 100 000 morts en Syrie depuis le début de la révolte contre Bachar al-Assad. Le fils a largement battu le record du père, Hafez, et ses 10 000 à 40 000 morts du massacre de Hama lors de la révolte des frères musulmans en 1982. A l’époque, la communauté internationale avait choisi de regarder ailleurs le temps du drame. C’est évidemment plus difficile aujourd’hui à l’heure de l’internet. Personne ne peut plus faire semblant d’ignorer. Alors chacun s’agite, un peu, modérément… pour montrer qu’il a un cœur, des principes… et des alliés. Pour Poutine l’affaire est simple. Il est l’allié d’Assad, parce qu’avec Téhéran, Damas est un rempart contre l’hégémonisme américain dans la région. Que la Syrie tombe dans le camp sunnite, et l’Iran sera à son tour menacé. Et de fait sans le soutien des monarchies sunnites du golfe, alliés traditionnels de Washington, les rebelles n’auraient probablement pas tenu aussi longtemps. Poutine, veut donc garder Assad et continue à le fournir en armes dernier cri. Pendant ce temps, que fait l’Amérique d’Obama? Elle cause. Jusqu’à s’en ridiculiser. La semaine dernière, un porte parole de la Maison Blanche annonçait que Washington avait la preuve, après Paris et Londres, que la “ligne rouge” avait été franchie par le régime syrien. A savoir, l’utilisation d’armes chimiques contre la population, dont Obama avait toujours dit qu’elle serait un point de rupture. “L’équation du président Obama est changée…”, menaçait le porte-parole. Diable! Et après? Les Etats Unis vont établir une zone d’exclusion aérienne pour empêcher les avions d’Assad de bombarder son peuple? Pas si simple, on n’en est pas là. Livrer des missiles sol-air aux rebelles pour qu’ils puissent abattre les avions? Dangereux, les missiles pourraient tomber en de mauvaises mains, car là où il y a des combattants sunnites, il y a forcément des émules d’Al Qaeda. Dans l’immédiat, on accroîtra donc l’aide humanitaire aux victimes de la guerre, et l’on fournira probablement aux opposants au régime, par des voies détournées, quelques armes mineures, ne risquant en rien de modifier l’équilibre militaire sur le terrain. On peut comprendre évidemment qu’Obama, qui tente d’échapper au piège afghan après s’être retiré du bourbier irakien, n’ait pas envie d’une nouvelle aventure militaire. Il a raison. Rien ne serait sans doute pire qu’une internationalisation du conflit syrien. On peut aussi comprendre que la France, forte de son intervention au Mali, estime que ce n’est pas à elle de se mouiller plus en Syrie. Mais si personne ne peut rien faire, pour autant de bonnes raisons, qu’on arrête de faire semblant! Qu’on cesse d’accorder aux uns et aux autres suffisamment d’aide pour qu’ils puissent continuer à s’entretuer, mais pas assez pour qu’une des deux parties l’emporte. Cela rappelle l’attitude de la communauté internationale pendant la guerre Iran-Irak dans les années 80 où tous les pays ou presque fournirent à un moment ou l’autre, par des voies directes ou détournées, pour des raisons plus ou moins revendicables, des armes aux deux belligérants, qui purent se massacrer pendant huit ans sans aucun résultat militaire ou presque. On l’a compris, tout le monde a peur de l’issue de cette guerre, plus encore sans doute que de la guerre elle-même. Les équilibres régionaux en seront forcément modifiés, les antagonismes religieux, en particulier le rapport de forces entre chiites et sunnites, encore exacerbés, le fragile équilibre libanais pourrait en être rompu, la situation d’Israël fragilisée, les djihadistes islamistes pourraient en sortir renforcés… On fera donc sans doute une conférence internationale à l’automne, ou plus tard, puisque tout le monde pensera que c’est la seule façon de se donner collectivement bonne conscience, et de continuer à faire semblant de croire que le G8 sert à quelque chose. Qu’attendre d’une telle conférence? Qu’au moins elle serve à interdire enfin toutes les livraisons d’armes aux protagonistes. Pour garder une chance que le conflit, quel qu’en soit le vainqueur, s’achève avant qu’il ne reste plus un civil syrien debout.

Intouchable

Stéphane Richard restera donc le patron d’Orange. C’est ce que voulaient les syndicats. Ce que réclamait la droite, solidaire de l’ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde.  Le gouvernement a décidé de le maintenir à son poste. C’est sans doute le meilleur choix pour l’entreprise de télécoms. L’homme passe apparemment bien auprès des salariés, son arrivée, consécutive à la crise liée à une série de suicides de salariés, a permis d’assainir le climat social. Il aurait été absurde de tout remettre à zéro, en le remplaçant. Il reste que le patron de la première entreprise de télécoms française, dans laquelle l’Etat est l’actionnaire de référence, est soupçonné par la justice d’avoir escroqué… l’Etat, et ce n’est pas banal. Il faut dire que le chef d’inculpation retenu par les juges à l’encontre des protagonistes de l’affaire Tapie qui passent entre leurs mains est particulièrement violent: “escroquerie en bande organisée”. Cela fleure le grand banditisme. Et du coup on a pu se demander s’il n’y avait pas un peu d’exagération. Une “volonté d’abattre Tapie”estime Xavier Bertrand qui monte au créneau pour soutenir l’homme d’affaire et mettre en cause le gouvernement, dont les juges ne seraient que le bras armé. Air connu. Dès que la justice touche à un dossier politique, le camp mis en cause s’empresse de soupçonner la manipulation par les adversaires. Et il est vrai que ce dossier de l’arbitrage ayant conduit l’Etat à verser 403 millions d’euros à Bernard Tapie, dont 45 millions d’euros en dédommagement du préjudice moral (!) subi par lui et son épouse, est extrêmement politique et particulièrement explosif. Car qui dit “bande organisée” suppose la présence d’un organisateur. Et personne ne croira que l’un des trois mis en examens à date -le supposé “arbitre” Pierre Estoup, le directeur de cabinet de Christine Lagarde lorsqu’elle était ministre, ou encore Jean-François Rocchi le patron de l’organisme ayant hérité du différend financier entre Bernard Tapie et le Crédit Lyonnais- soit l’organisateur en question. S’il y a eu escroquerie, l’organisateur de la “bande” est évidemment à chercher plus haut. “Au sommet de l’Etat” ne cesse de répéter François Bayrou qui dénonce le scandale depuis les premiers jours. Mais le sommet de l’Etat en question est à l’abri. Protégé par l’immunité présidentielle qui met l’ancien président de la République à l’abri de toute poursuite pour des faits s’étant déroulés pendant son mandat. On peut s’attendre à ce que les juges resserrent leur étreinte autour de l’Elysée d’alors en s’intéressant probablement à Claude Guéant, à l’époque secrétaire général du palais présidentiel, ou encore à François Pérol conseiller aux affaires économiques de l’ex-président. Les magistrats semblent décidés à faire toute la lumière sur les conditions dans lesquelles il fut décidé de mettre en place la procédure d’arbitrage qui allait conduire au versement par l’Etat de plus de 400 millions d’euros à l’homme d’affaires. Et s’ils vont jusqu’au bout, ils pourraient bien mettre au jour un véritable scandale d’Etat. Si l’on en croit les déclarations des différents protagonistes on serait en présence d’une véritable machination. Un coup tordu, destiné à offrir le Jackpot à Bernard Tapie, mis au point dans le bureau même du secrétaire général de l’Elysée, en présence de l’homme d’affaires lui-même, qui avait été reçu le matin même par le président, en quelque sorte pour une réunion préparatoire. Si tout cela est avéré, si l’on s’est ainsi préparé consciencieusement, dans le saint des saints de la République, à dépouiller l’Etat de 400 millions d’euros au profit d’un homme d’affaires déjà condamné par les tribunaux pour corruption et fraude fiscale… on comprend le coup de sang des juges. Et leur frustration de se trouver face à un présumé “organisateur” intouchable.

La démocratie en danger?

C’est bien sûr un drame terrible. Qu’en 2013, à Paris, un jeune étudiant puisse perdre la vie pour des idées est insoutenable. Car nous ne sommes pas en guerre civile, et la crise multiforme qui traverse la société française, aussi grave soit-elle, ne justifie pas que nous nous y retrouvions. L’émotion considérable suscitée par la mort de Clément Méric est donc logique, légitime, et pourrait-on dire salutaire. Faut-il pour autant se précipiter vers le placard aux idées reçues pour emboucher son mégaphone et hurler au retour des spectres qui ont hanté l’Europe au siècle dernier? Faut-il dénoncer la menace de la “peste brune”? La résurgence de la “haine fasciste”? Faut-il à tout prix faire de cet évènement un marqueur de notre vie politique? Pointer du doigt Frigide Barjot et son activisme? Dénoncer la violence de la droite sur  le mariage pour tous? Ou à l’inverse pointer que le gouvernement a lui-même semé la haine en prétendant offrir aux homosexuels le droit d’être des couples comme les autres. La stupeur passée, l’instinct politicien a repris le dessus. Et Désir attaque la droite, et Mélenchon vomit le parti socialiste, et Copé désigne Taubira… Il n’y a qu’un point sur lequel tout le monde soit d’accord, il faut d’urgence dissoudre les mouvements extrémistes, de “droite” disent certains, de “tous bords” disent les autres. Il serait amusant de demander à chacun de positionner précisément la limite à partir de laquelle on commence à être extrémiste. Faut-il considérer que le dénommé Serge Ayoub, leader nationaliste skinhead dont tout le monde ou à peu près ignorait l’existence jusqu’ici, est plus dangereux pour la démocratie, à la tête de sa bande, que la famille Le Pen avec ses 20% d’intentions de vote dans les sondages? Qui peut penser une seconde que la violence extrémiste est soluble dans un décret. Que les abrutis qui ont tué Clément Méric redeviendront civilisés si le mouvement auquel ils appartiennent est rendu illégal. Avant les Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires, il y a eu d’autres mouvements d’obédience fascisante et raciste en France. Régulièrement ces mouvements sont dissous, et renaissent aussitôt sous d’autres appellations. “Occident” qui faisait le coup de poing dans les années 60 contre tout ce qui lui semblait de gauche, a disparu laissant place à Ordre Nouveau qui ne rêvait que de “casser” du “gaucho” ou de l’immigré. Lui-même dissout par la suite. Non les amis skins de Serge Ayoub ne disparaîtront pas de la planète, ni ne se convertiront à la démocratie, parce qu’on aura interdit leur mouvement. Le seul intérêt de la dissolution sera de permettre à la justice de les poursuivre pour reconstitution de ligue dissoute, même s’ils n’ont commis aucun autre délit, donc en raison de leurs opinions pitoyables. Et de les empêcher de se rassembler une fois par an sous la statue de Jeanne d’Arc. Les “bastons” entre extrémistes ne datent pas d’hier, il y en aura d’autres, et pas toujours à l’initiative du même camp. Heureusement, elles débouchent rarement sur le décès des protagonistes. Alors indignons-nous, il y a de quoi, conduisons les coupables devant les tribunaux, mais ne transformons pas ce drame de la bêtise en fait politique majeur. La patrie n’est pas en danger. Notre démocratie est assez forte pour résister à une poignée de dangereux crétins.

La Chine voit rouge, et après…

Le débat sur le protectionnisme n’en finit pas de rebondir en Europe. Dernier évènement en date, la taxe que Bruxelles veut appliquer aux panneaux solaires venus de Chine. Une décision prise par la Commission malgré l’opposition de l’Allemagne, et de quelques autres européens, qui estiment que pour eux, le jeu n’en vaut pas la chandelle. Et il est vrai que le protectionnisme a toujours un coût, d’autant plus élevé que le marché concerné est stratégique, et le partenaire-victime puissant. S’agissant du solaire et de la Chine, les deux conditions sont remplies pour que le diable sorte violemment de sa boite. Il y aura des représailles. Si l’on en croit les autorités chinoises, c’est le vin, et donc la France, qui trinqueront les premiers. On imagine déjà les cris de protestations montant des vignobles du Bordelais ou d’ailleurs, contre l’inconscience des bureaucrates bruxellois qui prennent en otage notre patrimoine national, mettant en péril une tradition séculaire et des centaines d’emplois liés de près ou de loin à l’exploitation des vignes. La Commission n’en sera pas à son premier procès en incompétence et technocratisme stupide. Pourtant, il y aurait sans doute un grand danger à ne pas voir plus loin que le fond de notre verre. Car au delà des capteurs solaires, et des châteaux bordelais, dont une part d’ailleurs appartiennent déjà aux Chinois, ce qui se joue dans cette affaire, c’est un peu de notre devenir. C’est le modèle de développement que nous voulons pour notre pays et au delà pour l’Europe. Si nous acceptons, au prétexte de défendre les parts de marché de nos vins ou de nos fromages, de laisser les industriels chinois conquérir tous les créneaux d’avenir en les inondant de produits vendus à perte, ou simplement grâce à un traitement domestique indigne des questions sociales et environnementales, si nous les laissons devenir les champions des nouvelles énergies comme ils sont ceux des téléphones portables, du textile, et d’à peu près tout ce que nous consommons quotidiennement, alors nous aurons choisi un modèle pour notre avenir dont nos enfants auront toutes raisons de s’inquiéter. Quand viendra leur tour, il leur restera le tourisme, si les nouveaux riches ont toujours le goût de nous visiter, le vin bien sûr, du moins les châteaux que les excédents chinois n’auront pas encore achetés… Et le nucléaire dont personne ne voudra peut-être plus. Le plus paradoxal de l’affaire est sans doute de voir l’Allemagne opposée à une mesure dont le but est de préserver la compétitivité industrielle européenne dans un domaine tout à fait stratégique. Mais il est vrai que les termes de l’échange ne sont pas les mêmes pour elle. Pendant que nous écoulons notre vin, ils vendent sur le plus grand marché du monde leurs machines-outils et leurs voitures. Le péril n’est pas tout à fait le même.

Transmédia 

Je suis en quelque sorte un transfuge. Editorialiste d’un quotidien régional pendant cinq ans, j’ai commenté l’actualité nationale et internationale quotidiennement pour les lecteurs de mon journal. Chaque jour je me lisais, ainsi que d’autres, je l’espère, sur le papier. Tous les soirs, je vivais le stress de la recherche du sujet, puis de la mise en  forme d’une ou deux idées, qui finissaient figées sur la plaque de la rotative, tous les jours à la même heure. Bien sûr l’éditorial était repris sur le site internet. Mais le rythme de l’écriture, et donc de la pensée, étaient donnés par le papier, par cette énorme machine à produire des journaux quotidiens. Aujourd’hui la machine a changé de propriétaire, et a renoncé à l’exercice du commentaire de l’actualité. Dommage pour les lecteurs, mais c’est ainsi. Pour ma part, il me restait à accélérer la mutation de mon modèle personnel. C’est fait avec ce blog, où je tenterai de reprendre l’exercice, pour moi, sans la contrainte de la publication papier, sans ses lecteurs non plus, à l’intention de quelques amis, et de tous ceux qui en passant par là y trouveront quelque intérêt.