La paix maintenant ?

Qui croit encore à un accord de paix israélo-palestinien? Au moment où reprennent les négociations à Washington, après 3 ans d’interruption, chacun se garde bien de faire donner le clairon. Même le secrétaire d’Etat américain John Kerry, et son président Barack Obama, pourtant ravis d’être arrivés à leurs fins, évitent tout triomphalisme. Car chacun sait que si les négociateurs des deux camps se retrouvent aujourd’hui autour d’une table dans la capitale américaine, c’est d’abord pour faire plaisir à leur mentor. Aucun des deux protagonistes ne pouvait continuer à ignorer les appels pressants des Etats-Unis. Mais l’un comme l’autre y vont à reculons, tant cette rencontre semble étrangère à leur agenda immédiat. Côté israélien, la négociatrice Tzipi Livni, sait pertinemment que son gouvernement est plus divisé que jamais sur le sujet. Que certains ministres n’hésitent pas à dire leur opposition de principe à l’existence d’un état palestinien. Que le Premier Ministre s’est dédouané par avance en promettant de soumettre à référendum un éventuel accord de paix. Bref on ne peut pas dire que la dynamique de paix soit très forte côté israélien, et cela se traduit, comme toujours par une fièvre de construction dans les colonies installées en territoire palestinien, qui compromet chaque jour un peu plus l’existence future d’un état. Du côté de l’autorité palestinienne, l’enthousiasme n’est pas non plus au rendez-vous. Pour ne pas fâcher Washington, le président Mahmoud Abbas a dû mettre son mouchoir sur la condition qu’il met depuis des mois à la reprise des négociations: le gel de la colonisation. Pour l’en convaincre John Kerry aurait obtenu sinon un gel du moins un peu plus de discrétion sur la colonisation de la part des Israéliens. De même, la base de négociation pourrait être le tracé des frontières de 1967, selon John Kerry, comme le souhaite Mahmoud Abbas, mais là encore on éviterait de le dire à haute voix pour ne pas gêner le gouvernement de Netanyahu. D’ailleurs on ne devrait rien dire du tout à haute voix. Le contenu des discussions devra rester secret. Dans ce contexte, on peut craindre qu’à la première provocation directe ou indirecte, l’une ou l’autre des parties s’estime quitte vis à vis des américains, et rentre chez elle. Il y a trois ans, c’est un projet israélien de construction à Jérusalem-est, qui avait fait capoter le dialogue au bout de trois semaines. Avec un gouvernement israélien plus indifférent que jamais au processus de paix, un président palestinien qui vient de limoger un premier ministre qui avait longtemps incarné les espoirs d’avenir pour la Palestine, un Hamas de plus en plus isolé dans la bande de Gaza depuis la chute de son allié Mohamed Morsi, et qui pourrait être tenté une fois de plus de choisir la politique du pire pour remobiliser ses militants… les conditions semblent loin d’être réunies pour traiter de sujets aussi épineux que le tracé des frontières d’un futur état, le devenir des colonies, ou le “droit au retour” que réclament les palestiniens pour les réfugiés chassés de leurs maisons en 1948 et dont certaines familles vivent toujours, 65 ans après, dans des camps d’hébergement “d’urgence”… Mais il reste toujours aussi les mêmes raisons d’espérer: pour le peuple palestinien bien sûr, mais aussi pour l’état juif, la seule façon de garantir l’avenir et la sécurité, c’est bien de faire la paix… maintenant!.

Tout (re)commence pour les Maliens

Vote sous tension au Mali. Une tension à la mesure de l’enjeu. D’abord pour les maliens, qui viennent de vivre 18 mois terribles: un coup d’état militaire, l’invasion du nord du pays par les séparatistes touaregs et les djihadistes, l’application de la charria dans la ville mythique de Tombouctou, la destruction du patrimoine, les mutilations, et puis, la guerre. Menée par la France, ancienne puissance coloniale, devenue libératrice. Pour François Hollande, encore auréolé de la victoire de l’armée française sur les forces islamistes qui menaçaient Bamako, cette élection est vitale. Pour que l’opération Serval soit pleinement réussie, et que nos soldats puissent se retirer, mission accomplie, il faut que ces élections se déroulent correctement. Il est impératif que sorte des urnes un président légitime, autour duquel vont progressivement se construire des institutions démocratiques. On peut noter au passage que le seul homme politique de droite à s’être clairement opposé à l’intervention hollandienne au Mali, Nicolas Sarkozy, justifiait sa position par cette absence de pouvoir légitime au Mali. Pour autant, même si le scrutin se déroule correctement en dépit de la menace des djihadistes, le chemin qui s’ouvrira pour le peuple malien restera semé d’embûches. La réconciliation nationale est bien loin d’être acquise. Dans les casernes, les militaires, humiliés tant par l’invasion du nord du pays et leur débâcle face à l’envahisseur, que par l’intervention militaire étrangère sur leur sol, restent sur le qui-vive. La corruption qui gangrenait le pays n’a pas disparu par enchantement, ni les trafics multiples. Et les islamistes sont bien décidés à rendre la vie dure au pouvoir qui sortira des urnes. Le pays, qui figure parmi les trente pays les plus pauvres de la planète, est exsangue. Il va donc falloir l’aider. En ne cédant pas à la tentation de décider pour les maliens, mais en appuyant une reconstruction qui prendra forcément du temps, et exigera des fonds. C’est le devoir de la France, en raison de l’histoire, et de la guerre que nous venons d’y mener. C’et notre intérêt à tous, si nous voulons éviter le risque que représenterait la consolidation dans cette région désertique aux confins de la Libye de l’Algérie du Mali et du Niger, jadis contrôlée par Kadhafi et aujourd’hui livrée aux djihadistes, d’une zone de non droit, déjà baptisée “Sahelistan”.

L’armée et le chaos

C’était hélas attendu. Egale à elle-même, l’armée massacre ceux qui s’opposent à elle dans les rues du Caire. Les islamistes les plus radicaux, ceux qui n’avaient accepté le processus démocratique que comme un mal nécessaire pour consolider la main mise religieuse sur la société égyptienne, n’en demandaient sans doute pas tant. Ils ont leurs martyrs, par dizaines. De quoi donner une nouveau souffle à leur rhétorique morbide dans laquelle la mort appelle la mort. De quoi démontrer aux plus modérés d’entre eux qu’il n’y a pas de voie praticable en terre d’Islam, pour une démocratie pluraliste, respectueuse des différences, y compris religieuses. Que le processus démocratique mène au chaos. Il fallait être fou, ou amnésique, pour imaginer que le renouveau de la toute jeune révolution égyptienne, pouvait passer par un coup d’état militaire. Pour espérer que la société égyptienne, déchirée par une année d’échecs des frères musulmans au pouvoir, allait retrouver le chemin de l’unité et de la liberté dans le sillage des chars. Le printemps arabe tourne au cauchemar au Caire, sans que l’on en voie l’issue. La désillusion est cruelle pour le peuple d’Egypte balloté de Charybde en Scylla. Comme elle est douloureuse pour celui de Tunisie, qui fait lui aussi l’apprentissage du frottement tectonique entre religion et démocratie. Le choc est brutal. Pour garder espoir, il faut se raccrocher à l’Histoire, et se souvenir comme ailleurs l’accouchement des démocraties a été également si long et difficile.

 

Ne pas réveiller les loups

Comment un élu centriste, évidemment républicain, rattaché à un courant humaniste, a-t-il pu en  arriver à prononcer de tels propos? Qui plus est dans le cadre de l’exercice d’une de ses missions? Hitler n’en aurait “pas tué assez”, entend-on Gilles Bourdouleix affirmer sur un enregistrement sonore à propos, peut-on supposer, des Tsiganes. Le dérapage est évidemment inadmissible et suscite l’indignation, c’est bien le moins. Mais il témoigne aussi de la dérive, dramatique, d’une rhétorique à l’œuvre dans la classe politique française depuis plusieurs années. Résumons l’argumentaire en quelques traits grossiers au risque de paraître en réduire la portée théorique. La vie intellectuelle française serait dominée et écrasée par une forme de “pensée unique”, qui imposerait à chacun de ne pas sortir des limites du “politiquement correct”, qui interdirait tout écart conceptuel ou langagier, hors des clous de la “morale bien-pensante de gauche”, dont le “droitdelhommisme”, comprendre la vigilance sur le respect des droits de la personne, serait la quintessence. Une série de tabous auraient ainsi été érigés par les gens de gauche, interdisant à tous le langage de vérité sur des sujets comme l’immigration, l’intégrisme musulman, la violence dans les banlieues, la prison, la délinquance juvénile, et bien sûr le “problème” des gens du voyage. Bref, cette pensée unique interdirait d’appeler un chat un chat, et donc de trouver des solutions aux difficultés, et sa transgression serait un devoir. Le principal héraut de cette rhétorique fut Nicolas Sarkozy, opposant dans ses discours, pendant sa campagne victorieuse de 2007 puis pendant son quinquennat, “la vérité” à la “pensée unique”. Jusqu’à la caricature, et l’excès. Jusqu’à la stigmatisation de certaines minorités, que venait justifier ce rejet de la morale bien pensante. Cet exercice de “nettoyage” du discours politique, s’il peut être bénéfique, puisqu’il permet parfois d’approcher mieux la vérité sans fard, est extrêmement dangereux. Les limites du politiquement correct,  que chacun est bien sûr en droit de contester, et qui méritent d’être parfois bousculées, sont aussi l’expression d’un consensus national hérité de l’histoire. C’est parce que notre pays a aussi produit le régime de Vichy et la collaboration, que certains mots ou expressions sont bannis de la vie publique. C’est parce que le  capitaine Dreyfus était français, que nous nous méfions des amalgames et de la vindicte populaire. En voulant briser les tabous, libérer la parole politique de son carcan moral, on prend le risque de réveiller les loups, de banaliser l’inadmissible. Entre le discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy appelant à régler “les problèmes posés par certains parmi les gens du voyage et les roms”, les propos récents du maire de Nice, Christian Estrosi, proposant un “mode d’emploi” pour “mater” ces mêmes gens du voyage, et ceux de Gilles Bourdouleix regrettant le caractère inachevé du génocide des Tsiganes, il y a un évident dérapage d’une même logique populiste. A enrayer au plus tôt. Avant que la transgression verbale de nos valeurs et principes républicains, ne devienne le nouvel étalon de la modernité en politique.

Amplificateur de contradictions

L’affaire de Trappes ne devrait pas nous surprendre. Elle est une suite logique de la mise en application de la loi sur l’interdiction de porter la burqa ou le niqab dans les lieux publics, en vigueur depuis avril 2011. Et le fait que la droite s’en empare pour dénoncer le laxisme ou l’angélisme de la gauche n’est pas plus surprenant. C’est le jeu normal de la vie politique. Commençons donc par ce point: l’attaque violente lancée par 200 personnes contre le commissariat de Trappes à la suite de l’interpellation d’un homme dans le cadre du contrôle par la police d’une personne portant un voile intégral, est-elle une démonstration, voire une conséquence du laxisme du gouvernement? Non! Assurément pas plus que la canicule ou la déroute de nos cyclistes nationaux dans le tour de France. Elle reste pour autant tout à fait inadmissible. Il n’est pas acceptable qu’un groupe armé de pierres s’en prenne à un commissariat pour empêcher l’application de la loi. C’est clair, et tout le monde devrait pouvoir s’entendre sur ce principe. Il reste à comprendre le lien qui peut exister entre une loi et un accès de violence collectif, à discerner dans les protestations indignées ce qui est du ressort de l’islamophobie, de ce qui tient du simple réflexe républicain. Difficile. La dénonciation de l’islamophobie est évidemment dans bien des cas l’excuse commode des islamistes les plus intolérants et sectaires. Ce n’est évidemment pas faire preuve d’islamophobie que de dénoncer sans relâche une tradition qui condamne les femmes au voile intégral. Pas plus qu’il n’est christianophobe de dénoncer les excès dont se rendirent coupables certains catholiques extrémistes au moment du débat sur le mariage pour tous. Pour autant, on peut constater, autant à la lecture des commentaires politiques, que de ceux du public qui fleurissent sur internet depuis deux jours, que l’affaire est en train d’alimenter les prises de position les plus intolérantes, de nourrir les discours d’exclusion. La dénonciation exaspérée et virulente du “communautarisme” musulman finit par glisser vers un rejet pur et simple de la “communauté musulmane”. La faute à ceux qui ne supportent pas que la loi française leur interdise le voile intégral! Certes, et en premier lieu. C’est d’abord les violences de vendredi soir, et ceux qui s’en sont rendus coupables, qui sont comptables de la montée du rejet de leurs dérives communautaristes. Et donc in fine de l’exacerbation de l’intolérance à leur égard. Mais cela ne nous dispense pas de pousser l’interrogation un peu plus loin. Les quelques dizaines de niqabs ou burqas que l’on pouvait alors croiser dans nos rues, valaient-elles que l’on fasse de cette question un abcès de fixation. Dans lequel se concentrent tout autant le sentiment d’injustice des uns, et donc leur rejet de la culture dominante de ce pays dans une surenchère communautariste provocatrice, que l’incompréhension et donc l’inquiétude irrationnelle des autres, face à une différence qui parait inassimilable, irréductible. La loi contre le voile intégral apparait du coup, dans la pratique, comme un cristalliseur, un amplificateur de contradictions, et donc un puissant obstacle à l’intégration de cultures différentes qui, qu’on le veuille ou non, font d’ores et déjà partie de l’ADN de la Nation. Elle pousse chaque camp à radicaliser ses positions et donc son rejet de l’autre. C’est pour l’éviter que d’autres pays, comme la Grande-Bretagne, les Etats-Unis ou la Suisse par exemple, ont fait un choix différent.

 

Impasse hollandienne

Un quatorze juillet pour rien, ou à peu près. En décidant de revenir, à l’inverse de ce qu’il avait promis pendant sa campagne, à la tradition de l’interview donnée au palais présidentiel, François Hollande tentait de restaurer un peu le prestige d’une fonction qu’il a lui même largement désolennisé depuis son élection. Il s’affichait pendant sa campagne comme un futur “président normal”, car il était persuadé que les Français n’en demandaient pas plus, après les excès sarkoziens. Il avait sans doute raison puisqu’il a été élu. Mais depuis les Français sont en attente. De bonnes nouvelles économiques d’abord. Mais il n’en a pas. D’améliorations de leur situation personnelle, mais c’est impossible, il n’a pas de grain à moudre. Et il s’effondre dans les sondages, tiré vers le fond par l’absence de résultats tangibles de sa politique. On ne peut pas dire qu’il ne fasse pas ce qu’il a promis. Une partie significative de ses engagements de campagne a été respectée. D’autres sont en cours de mise en œuvre. De ce point de vue, le bilan de sa première année, que l’on peut suivre avec précision sur le remarquable site “luipresident(*)”,  n’est sans doute pas plus mauvais que celui d’un autre. Simplement, les Français constatent qu’il échoue de façon réitérée sur le principal engagement de sa campagne: redresser la France. Et cet échec est mis en évidence par chacune de ses interventions. Soucieux de remonter le moral des Français, ingrédient indispensable de la reprise, désireux de les rassurer, il annonce l’embellie, promet l’inversion de la courbe du chômage, entraperçoit le retour de la croissance… Et s’expose aux railleries de tous, en commençant par les experts qui eux ne broient que du noir. Et démontre mois après mois que sa “boîte à outil” de bricoleur “normal”, ne suffira pas à sortir le pays de la crise, ni l’électeur de sa torpeur pessimiste. Evidemment, le lieu de la prise de parole, Elysée comme hier, ou Hôtel de la Marine comme l’an dernier, ne fait rien à l’affaire. Ce qui compte c’est le contenu. Et celui de l’intervention de cette année ne changera pas la donne. François Hollande est coincé, piégé, dans l’impossibilité de “ré-enchanter” sa politique, pour reprendre ses propres mots de campagne. Il est conscient, on l’a bien perçu lors de son intervention, de la nécessité de réformer en profondeur le fonctionnement de l’Etat. Il n’y aura en effet pas de retour du progrès économique et social sans une remise en question de la place de l’Etat, sans une redéfinition de l’utilisation des fonds publics, sans une remise à plat de notre système de solidarité et de redistribution des revenus. Cela suppose deux types de réformes. Les unes réduiront forcément le périmètre de l’Etat providence, en faisant subir une violente cure d’amaigrissement aux dépenses publiques. Les autres se traduiront par une redéfinition de la fiscalité qui pèsera forcément plus sur les plus aisés, au bénéfice des plus modestes, moins sur les revenus du travail que sur ceux du capital. On l’a compris le premier volet de l’action à entreprendre fournira des arguments de tribune aux populistes de tout crin, en commençant par ceux qui se trouvent au sein même de la majorité présidentielle. Le second déchaînera les foudres de l’ancienne majorité et du patronat. Or il faudra faire les deux. Il n’y a pas d’autre voie possible. L’échec de la majorité précédente autant que celui, au moins ponctuel, de la majorité actuelle, prouvent la nécessité de jouer sur les deux registres concomitamment. Continuer à augmenter les impôts sans refonder notre fiscalité est vain. Réduire les dépenses publiques à coups de rabot progressifs, sans s’attaquer à une véritable redéfinition du champ de l’action publique, sans avoir un débat public de fond sur le périmètre de la solidarité, ne conduira qu’à affaiblir les services publics sans dégager les économies nécessaires. Alors comment sortir de l’impasse pour un président, qu’il soit “normal” ou pas. L’échec de Nicolas Sarkozy prouve qu’il ne suffit pas de sur-communiquer et de montrer au public qu’on dirige tout et tout le monde pour convaincre. François Hollande montre que la méthode Coué ne marche pas non plus, mais on s’en doutait. Lancer le programme de refondation ambitieux qui est nécessaire lui est impossible s’il veut conserver une majorité. Il n’y a pas dans la galaxie de la gauche politique de consensus sur la nécessité de réformer. L’immobilisme et le populisme y sont encore valeurs dominantes. Le président ne peut pas compter sur l’ouverture de la droite qui, prise dans ses rivalités de personnes, semble bien incapable de rallier un pacte national réformateur impulsé par l’actuel président. Le seul qui semble y croire, c’est François Bayrou, qui brandit encore et toujours le mythe d’un gouvernement d’union nationale. Pour faire échec aux populismes, et relancer l’idée européenne. Mais il est bien placé pour savoir que nul n’est prophète en son pays.

(*):    http://www.luipresident.fr

Une utopie hors d’atteinte…

Cela n’a pas traîné. Il a suffi de quelques heures aux militaires égyptiens pour prouver à ceux qui en doutaient qu’on peut rarement compter sur l’armée pour conduire la marche vers la démocratie. Après le massacre de lundi, 51 morts au total, tombés pour la plupart sous les balles des militaires et de la police, l’Egypte paraît plus déchirée que jamais, et la paix civile plus éloignée encore qu’avant le putsch. Ce massacre marque même un retournement, dont pourraient profiter in fine les Frères musulmans. Il y a quelques jours à peine, le mouvement islamiste au pouvoir semblait engagé dans une dérive autoritaire, refusant d’entendre les aspirations de la société égyptienne, plus soucieux d’imposer progressivement des préceptes religieux rétrogrades que de préserver les libertés fondamentales. Des millions d’Egyptiens se soulevaient contre lui pour défendre leur révolution, l’armée libératrice était acclamée par la rue. Cinquante morts plus tard, il reste un putsch militaire contre un mouvement porté au pouvoir par les urnes… des manifestants massacrés dans les rues par une armée tyrannique, discréditée dans la nécessaire démarche d’apaisement et  de réunification de la société égyptienne. Il y avait deux camps: celui de l’islam au pouvoir, et celui d’une société civile défendant ses libertés. Désormais s’opposent un pouvoir mis en place par la force des armes, et un mouvement religieux persécuté, qui pourrait retrouver dans cette nouvelle situation une partie de sa légitimité perdue dans l’exercice théocratique du pouvoir. La fragile tentative d’associer certains représentants d’un islam modéré à la reconstruction démocratique a volé en éclats à la suite des incidents. L’annonce d’élections législatives anticipées par le nouveau président, mis en place par les putschistes, a été aussitôt rejetée par les islamistes, bien sûr, qui ne lui reconnaissent aucune légitimité, mais aussi par le mouvement de rébellion Tamarrod à l’origine de la contestation anti-islamiste, qui dénonce une attitude “dictatoriale”. Bref, le processus politique est dans une impasse. La paix civile une utopie hors d’atteinte. Qui va pouvoir sortir l’Egypte de ce mauvais pas, après ce double échec des islamistes et de l’armée?

Vae victis !

Qui veut la peau de Nicolas Sarkozy? Quelles forces obscures sont déchaînées contre lui? Qui tente de réduire au silence le vaincu de 2012, en l’humiliant? Est-il réellement la “cible de tous les pouvoirs” comme l’affirme sans nuance son ami Brice Hortefeux? Face aux plaintes de ses zélotes qui, tel Claude Guéant évoquent un acharnement sans précédent, on a l’embarras du choix. Car il est vrai que ceux qui peuvent penser avoir une raison de lui en vouloir sont cohorte. Il y a d’abord les adversaires politiques directs. Le Front National, qui est persuadé que son heure a sonné. Les Le Pen n’ont pas oublié la façon dont Sarkozy les avait plumés en 2007. Même si Marine Le Pen affirme qu’un retour de Sarkozy ne va pas “modifier son plan de vol”, elle sait que son fol espoir de devenir premier opposant à la gauche pourrait bien se crasher en cas de rebond de l’homme au Karcher. La poursuite de la guerre des chefs en cours à l’UMP lui serait on s’en doute beaucoup plus profitable . Le Parti socialiste et ses alliés de gauche ont eux aussi toutes les raisons de préférer un ex-président à la retraite, qu’un neo-candidat renaissant de ses cendres. La gourmandise avec laquelle Harlem Désir commentait ces derniers jours la décision du Conseil Constitutionnel, se découvrant un sens de l’humour qu’on ne lui connaissait pas, pour fustiger l’ex-président ruinant les comptes de l’UMP après ceux de la France, était d’ailleurs assez indécente. Certes la loi est la loi, et il est normal que toute transgression, fut-elle de 2%, soit sanctionnée. Mais personne ne devrait se réjouir de voir un grand parti comme l’UMP privé des moyens de tenir sa place dans le débat démocratique. Mais, parmi les hommes politiques qui ont des raisons de se réjouir de sa chute, il y a aussi des amis ou alliés d’hier. Et d’abord au sein même de l’UMP. En premier lieu François Fillon, pas loin de figurer au rang d’ennemi numéro 1 de Nicolas Sarkozy, depuis qu’il s’est démarqué au point de se dire prêt à affronter son ancien mentor dans des primaires. Mais pas que lui. Depuis quelques jours, avec la bienveillance des instituts de sondage, Alain Juppé, semblait amorcer un retour au premier plan, comme potentiel candidat de la droite en 2017. On a remarqué depuis deux jours qu’il était le seul leader de l’UMP à ne pas critiquer la décision du Conseil Constitutionnel. Semblant même se ternir à l’écart de la mobilisation de l’UMP autour de son leader historique. Même Jean-François Copé, qui a tout de suite pris la tête de la croisade aux côtés de l’ex-président, ne serait sans doute pas si ravi de voir celui-ci l’obliger à passer son tour une fois de plus. Et ne parlons pas des centristes qui eux-aussi ont subi son outrancière domination durant un quinquennat. Voilà pour l’échiquier politique toujours placé on le voit sous le signe du TSS (Tout sauf Sarkozy). Mais l’ex-président a bien d’autres ennemis. Au terme d’un mandat dominé par une parole présidentielle particulièrement clivante, un certain nombre de catégories de la société française peuvent estimer à tort ou à raison, qu’elles ont été maltraitées par lui. Et au premier rang de celles-ci figurent les magistrats en général, dont l’ex-président ou ses proches dénonçaient régulièrement le laxisme, et les juges d’instruction en particulier dont le logiciel présidentiel avait prévu la disparition. Ils sont toujours là, et instruisent des dossiers, dont certains concernent directement ou indirectement Nicolas Sarkozy. Dans le meilleur des cas, il peut attendre d’eux l’impartialité, en tout cas aucune indulgence. Tout cela crée effectivement un climat qui peut évoquer la chasse au Sarkozy dont se plaignent ses proches. Il parait que l’ancien président n’est jamais si combatif que quand il est acculé… Son retour annoncé dans l’arène promet donc d’être animé.

 

Sous les chenilles d’un char?

On savait bien que la transition de la dictature à la démocratie n’allait en général pas de soi. On devinait, bien que l’histoire ne nous en ait fourni pour l’heure aucun exemple, que cette transition, en pays musulman, serait encore moins évidente, et que nos démocraties occidentales ne pourraient prétendre servir de modèles. Depuis  ce soir, et ce qu’on est bien forcé de qualifier de coup d’état militaire, on mesure en Egypte l’ampleur de la difficulté. Car même si la moitié des Egyptiens ou presque a signé une pétition pour obtenir son départ, même si les manifestants lui demandant ces derniers jours de “dégager” étaient encore plus nombreux que ceux qui avaient obtenu la chute de Moubarak, Mohamed Morsi était un président démocratiquement élu. Personne il y a un an n’a trouvé à critiquer le processus électoral lui-même. Morsi a donc raison de revendiquer une légitimité puisée dans les premières élections libres qu’ait connu l’Egypte, et de tenter de s’opposer à cette reprise en main du pays par l’armée. Il reste qu’en un an il a démontré son incapacité à créer un consensus minimum dans le pays, lui permettant de poursuivre sa marche vers la démocratie. Et c’est cet échec qui le condamne. L’Egypte était ces derniers jours, et reste aujourd’hui, malgré les chars qui ont pris place dans les rues, au bord du chaos. Mohamed Morsi et les frères musulmans ont été incapables d’apaiser la société égyptienne et de lui rendre l’espoir. Promoteurs d’un projet de constitution corseté dans les convictions religieuses, incapables de contenir les islamistes les plus radicaux, rassemblés derrière un président en proie en permanence à la tentation autoritaire, ils ont refusé à la société égyptienne le bol d’air démocratique dont elle avait un besoin vital après la chute de Moubarak. L’Histoire leur avait confié une mission à peu près impossible: oublier leur crédo religieux pour conduire leur pays vers une démocratie pluraliste, tolérante  et laïque. Renoncer à prendre leur revanche en acceptant de respecter la diversité de la société égyptienne. Avoir la victoire électorale modeste, comprendre que la chute du régime de Moubarak n’était pas leur victoire, mais celle de tout le peuple égyptien, et ne laisser aucun de leurs adversaires politiques sur le bord du chemin. A mission impossible, échec programmé. Loin de tout apaisement, ils ont conduit la société égyptienne au déchirement. Du coup, le pays se retrouve dans la situation où il était il y a un an. L’armée contrôle la situation et promet de rendre le pouvoir au peuple. Mais comment, à qui, et quand? L’équation est aussi peu soluble que l’an dernier. Qui conduira le peuple d’Egypte dans la traversée du gué qui le sépare de la démocratie? L’homme providentiel qui pourrait réaliser la synthèse impossible entre les aspirations à la liberté et à la modernité, et la culture islamique qui reste la dominante identitaire, n’est toujours pas là. On reparle de Mohamed El Baradei, ancien patron de l’Agence internationale de l’énergie atomique, ancien prix Nobel de la paix, chef de file de la mouvance laïque… Mais on parlait déjà de lui il y a un an. Pourra-t-il aboutir à sa deuxième chance, et se poser en éclaireur? Mais sur quelle route? Quel est maintenant le bon chemin vers cette nouvelle Egypte dont rêvent les manifestants de la rébellion “Tamarrod”? L’opposition réclame des élections présidentielles anticipées. Mais rien ne garantit que les frères musulmans n’en sortent pas aussi forts qu’il y a un an. Et qu’on ne rejoue pas le même épisode. On avait pensé lors du printemps arabe que la voie turque, islamique, mais démocratique, pouvait présenter un modèle pour les égyptiens ou les tunisiens. Et puis on découvre que la société turque se fissure, que sa jeunesse ne veut plus du régime islamiste modéré, qu’elle réclame elle aussi plus de démocratie, de liberté, qu’elle fait son printemps et crie “dégage” à ses dirigeants… Comme si le modèle turc était déjà obsolète. Comme si tout restait à inventer. Pour les Turcs, les Egyptiens, les Tunisiens, et d’autres demain: une nouvelle voie qui permette à un pays de culture islamique de se développer, de se moderniser, dans le respect des libertés de chacun, de la diversité des convictions, bref dans la démocratie. Hier soir, en apprenant la chute de Morsi, on avait peine à croire que la solution pourrait se trouver sous les chenilles d’un char.