Comment un élu centriste, évidemment républicain, rattaché à un courant humaniste, a-t-il pu en arriver à prononcer de tels propos? Qui plus est dans le cadre de l’exercice d’une de ses missions? Hitler n’en aurait “pas tué assez”, entend-on Gilles Bourdouleix affirmer sur un enregistrement sonore à propos, peut-on supposer, des Tsiganes. Le dérapage est évidemment inadmissible et suscite l’indignation, c’est bien le moins. Mais il témoigne aussi de la dérive, dramatique, d’une rhétorique à l’œuvre dans la classe politique française depuis plusieurs années. Résumons l’argumentaire en quelques traits grossiers au risque de paraître en réduire la portée théorique. La vie intellectuelle française serait dominée et écrasée par une forme de “pensée unique”, qui imposerait à chacun de ne pas sortir des limites du “politiquement correct”, qui interdirait tout écart conceptuel ou langagier, hors des clous de la “morale bien-pensante de gauche”, dont le “droitdelhommisme”, comprendre la vigilance sur le respect des droits de la personne, serait la quintessence. Une série de tabous auraient ainsi été érigés par les gens de gauche, interdisant à tous le langage de vérité sur des sujets comme l’immigration, l’intégrisme musulman, la violence dans les banlieues, la prison, la délinquance juvénile, et bien sûr le “problème” des gens du voyage. Bref, cette pensée unique interdirait d’appeler un chat un chat, et donc de trouver des solutions aux difficultés, et sa transgression serait un devoir. Le principal héraut de cette rhétorique fut Nicolas Sarkozy, opposant dans ses discours, pendant sa campagne victorieuse de 2007 puis pendant son quinquennat, “la vérité” à la “pensée unique”. Jusqu’à la caricature, et l’excès. Jusqu’à la stigmatisation de certaines minorités, que venait justifier ce rejet de la morale bien pensante. Cet exercice de “nettoyage” du discours politique, s’il peut être bénéfique, puisqu’il permet parfois d’approcher mieux la vérité sans fard, est extrêmement dangereux. Les limites du politiquement correct, que chacun est bien sûr en droit de contester, et qui méritent d’être parfois bousculées, sont aussi l’expression d’un consensus national hérité de l’histoire. C’est parce que notre pays a aussi produit le régime de Vichy et la collaboration, que certains mots ou expressions sont bannis de la vie publique. C’est parce que le capitaine Dreyfus était français, que nous nous méfions des amalgames et de la vindicte populaire. En voulant briser les tabous, libérer la parole politique de son carcan moral, on prend le risque de réveiller les loups, de banaliser l’inadmissible. Entre le discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy appelant à régler “les problèmes posés par certains parmi les gens du voyage et les roms”, les propos récents du maire de Nice, Christian Estrosi, proposant un “mode d’emploi” pour “mater” ces mêmes gens du voyage, et ceux de Gilles Bourdouleix regrettant le caractère inachevé du génocide des Tsiganes, il y a un évident dérapage d’une même logique populiste. A enrayer au plus tôt. Avant que la transgression verbale de nos valeurs et principes républicains, ne devienne le nouvel étalon de la modernité en politique.