La crise syrienne ressemble de plus en plus à un piège multiple. Un piège qui se referme inexorablement sur ceux qui ont eu le tort, sans doute par excès d’enthousiasme humaniste, de confondre vitesse et précipitation, pétitions de principe et diplomatie. Un piège dont Vladimir Poutine vient d’actionner une nouvelle mâchoire. Avec la proposition russe de mise sous contrôle international de l’arsenal chimique syrien, le maître du Kremlin reprend la main, et envoie Obama dans les cordes, et François Hollande avec. Il faut dire que le timing est parfait. A quelques heures d’un vote au Congrès loin d’être acquis pour le Président américain et son projet d’opération militaire, c’est le coup de boutoir qui rend sa position intenable. En vertu d’un raisonnement simple, un syllogisme imparable: si l’opération militaire était destinée à dissuader Assad d’utiliser l’arme chimique, et s’il est possible de neutraliser l’armement en question par une méthode pacifique, alors il n’y a plus aucune raison de faire la guerre. Du coup, le vote est reporté, peut-être sine die. Et Obama comme Hollande sont obligés de reconnaître que la proposition russe change la donne. Par ce coup d’éclat, et à condition qu’il parvienne à crédibiliser un minimum son idée en démontrant qu’elle est réalisable, Poutine contraint nos deux généraux à rentrer dans leur caserne l’arme en berne. Mais pas qu’eux! C’est l’ensemble de la communauté internationale qui perd la face dans cette affaire. En vertu d’un autre syllogisme que ne manqueront pas d’adopter Assad et Poutine. Si le reproche adressé à Assad était d’utiliser des armes chimiques contre son peuple, et si la question des armes chimiques ne se pose plus, alors Assad est irréprochable… et il peut continuer à massacrer le peuple syrien avec des armements conventionnels et le soutien de la Russie. La principale victime du piège est évidemment le peuple syrien lui-même. Qui certes a évité qu’on ajoute la guerre à la guerre, et les missiles américains aux bombes de Bachar Al-Assad. Mais qui peut craindre maintenant que cette guerre pourra se poursuive à l’infini, entre un régime armé par Moscou et des rebelles armés par d’autres, sans plus aucun espoir d’intervention de la communauté internationale. Bien sûr la proposition russe est tout sauf une garantie. Mais qui pourra démontrer qu’elle n’est pas crédible? Qui osera la rejeter? Il faudra des mois pour rassembler et neutraliser l’arsenal chimique de Damas. On voit déjà le cortège d’experts, qui devront enquêter pour retrouver les stocks en question au milieu d’un pays en proie à la guerre civile… On peut déjà prévoir les manœuvres dilatoires du régime syrien… Les interrogations sur les armes chimiques éventuellement détenus par ses opposants… Pendant ce temps là, la guerre civile pourra se poursuivre, la listes des victimes s’allonger, et la communauté internationale, qui aura obtenu que Bachar Al-Assad renonce, au moins officiellement et pour le moment, à l’arme chimique, n’aura plus grand chose à dire. Amère victoire. Obama pourra toujours penser qu’il a évité un vote négatif du Congrès, et une guerre dont les conséquences étaient imprévisibles. Hollande pourra se satisfaire de s’être sorti sans trop de mal du piège dans lequel il s’était mis lui-même en sortant trop vite son révolver. Mais tous deux pourront méditer sur cet échec dramatique de leur diplomatie. Le vainqueur par KO sera évidemment Vladimir Poutine, qui aura démontré que, comme par le passé, Moscou reste seul à pouvoir s’opposer à Washington. Que l’empire russe a retrouvé sa place à part entière, sur l’échiquier diplomatique mondial.