Charivari absurde

Et voilà! Haro sur le comique scandaleux, qui ne nous fait plus rire depuis longtemps. Il faut interdire Dieudonné! La quenelle est décidément trop indigeste. Comme s’il n’y avait rien de mieux à se mettre sous la dent, chacun y va de son commentaire définitif sur le sujet, de son anathème, de son appel à l’autodafé. Il faut brûler Dieudonné pour faire un sort à l’antisémitisme. L’indignation est quasi-unanime. Trop unanime même, puisqu’elle offre au Front National une formidable occasion de se démarquer en se posant en dernier rempart de la liberté d’expression face aux censeurs. Et de distribuer des leçons de tolérance à tous ceux qui réclament l’interdiction des spectacles par lesquels le scandale arrive. Tragique! Et dangereux!

D’abord parce que la volonté d’interdire les spectacles en question est sans doute à peu près inapplicable d’un point de vue juridique, et c’est tant mieux. Les juges ne s’y trompent pas qui défendent en général la liberté d’expression contre les ciseaux des censeurs, contre les interdits des auto-déclarés directeurs de conscience, qui veulent décider à la place du public quels spectacles sont convenables et quels ne le sont pas. On peut faire condamner des injures ou des menaces, des appels à la violence, mais pas si facilement des spectacles. Jusqu’ici les tentatives de faire interdire les shows de Dieudonné sont restées vaines.

Tout ce charivari mediatico-politique pourrait donc tourner in fine en eau de quenelle, et offrir une formidable campagne de promotion gratuite à Dieudonné, qui n’en espérait sans doute pas tant, et pourrait ainsi réitérer ses provocations antisémites devant une public toujours plus nombreux, attiré par l’odeur du souffre. Et l’homme pourrait encore prétendre incarner la résistance face à l’intolérance du “système”. L’insoumission face à l’idéologie dominante, et en vivre grassement… Formidablement absurde, et tellement prévisible.

On ne se bat pas contre des idées en posant des muselières ? Cela n’a jamais été vrai, et l’est encore moins depuis que la technologie a offert une champ incontrôlable à la propagation des propagandes en tout genre. Tous les révisionnismes, toutes les infamies, tous les mensonges, ont droit de cité sur internet, et aucune loi pénalisant ou criminalisant les idées n’y pourra rien. Qu’on bâillonne Dieudonné, et internet lui rendra la parole en lui dressant une tribune sans doute bien plus dangereuse que les scènes de ses spectacles. C’est avec des mots qu’on se bat contre les mots.

 

Poutine remporte la campagne d’Ukraine

Poutine-1, Union Européenne-0 ! Ou plutôt Poutine-2, UE-0, devrait-on dire si l’on ajoute au décompte l’affaire géorgienne, soldée il y a cinq ans par une victoire éclair de Moscou, en dépit des coups de clairon victorieux d’un Nicolas Sarkozy qui se rengorgeait d’avoir fait reculer l’envahisseur russe. 20% du territoire Géorgien avait alors été annexé de fait par la Russie. Il le reste. Aujourd’hui c’est en Ukraine que Poutine vient d’enregistrer une seconde victoire -cette fois sans sortir les chars- dont on peut craindre qu’il s’agisse d’un second jalon sur la voie de la reconstitution d’un empire russe. En allant chercher un chèque à Moscou plutôt que de saisir la main que lui tendait l’Europe, Viktor Ianoukovitch le très contesté président Ukrainien, a peut-être scellé, et hypothéqué l’avenir de son pays, tout en renforçant le voisin russe. C’est évidemment très irritant pour son opposition qui penchait à l’ouest, mais aussi pour l’Union Européenne, qui avait manifesté bruyamment son énervement depuis quelques semaines face à l’impossibilité de conclure un accord d’association avec Kiev, et enfin pour les Etats-Unis qui s’étaient permis d’envoyer le meilleur ennemi d’Obama, John Mac Cain, apporter à Kiev le soutien de l’Amérique aux manifestations d’opposants au président Ukrainien !

Mais c’est ainsi. Le président Ukrainien a choisi de regarder à l’Est, et de rechercher une alliance avec la Russie qui était évidemment prête à toutes les générosités, pour récupérer l’Ukraine dans son giron, et l’empêcher de passer définitivement à l’ouest. L’enjeu stratégique est en effet essentiel pour Moscou qui craint plus que tout le scénario catastrophe d’une entrée de l’Ukraine et de la Georgie dans l’Otan -il en fut question il y a quelques années sur l’insistance de George Bush- débouchant sur l’arrivée de missiles américains à ses frontières. Et l’enjeu économique n’est pas moindre, dans la mesure où la Russie a besoin des gazoducs ukrainien pour exporter son gaz en Europe. Poutine a su employer les bons arguments, et Ianoukovitch a signé son acte d’allégeance au grand dam de l’opposition ukrainienne qui réclame son départ.

Mais pour l’instant, c’est lui le président élu. Son élection, en 2010, avait d’ailleurs été jugée conforme aux standards européens par les observateurs internationaux. Certes depuis, les élections législatives ont été beaucoup moins transparentes, Certes, il a jeté au cachot sa principale opposante, Ioulia Tymochenko, mais il reste, en attendant une prochaine élection, le pouvoir ukrainien légitime. Et il a donc raison de condamner, de concert avec Poutine, une ingérence euro-américaine dans les affaires de son pays. L’attitude de l’Union européenne est d’ailleurs surprenante par son outrance. Primo, le refus de s’allier à l’Union Européenne, certes frustrant pour les européens, n’est pas en soi condamnable, pas plus que l’allégeance à Moscou d’un pays qui a un bout d’histoire en commun avec la Russie. Deuxio, rien ne démontre la légitimité des opposants à Ianoukovitch, même s’ils sont nombreux, et si leur colère, vue d’ici, nous semble bien compréhensible. Tertio, on comprend mal l’empressement européen à intégrer, à terme, de nouveaux pays dans l’Union, alors même que la solidité et la solidarité de l’ensemble existant restent à démontrer, et que l’euroscepticisme continue de monter à l’intérieur des frontières actuelles. Sauf à vouloir simplement jouer un mauvais tour à Vladimir Poutine… et dans ce cas, c’est bien raté!

 

 

En Françafrique… plus de droit à l’échec!

Quelle mouche a piqué François Hollande pour qu’il lance une seconde intervention militaire sur la terre d’Afrique, après celle du Mali ? Aurait-il imaginé de marquer ainsi son passage à l’Elysée par un activisme militaire échevelé, une posture de général en campagne…  faute d’atteindre les objectifs économiques et sociaux qu’il s’était fixés ?

Au Mali, la situation était et reste complexe. Un pouvoir central à reconstruire, une minorité touareg rejetée par la majorité noire, un processus démocratique très fragile, une armée toujours à deux doigts du coup d’état, une montagne truffée de planques d’Al Qaeda au Maghreb Islamique… La mission de l’armée Française est encore loin d’être accomplie. Mais ce n’est rien à côté de ce qui l’attend en Centrafrique. Au Mali, l’ennemi est identifié, c’est l’intégrisme islamique qui menace de prendre racine dans cette région qu’on appelle déjà le Sahelistan. En Centrafrique, le danger est partout. Ce sont les milices musulmanes ex-Seleka, proches du président intérimaire Djotodia, qui ont ces dernières semaines massacré leurs opposants chrétiens, et que les Français ont désarmé en priorité. Mais ce sont aussi de façon symétrique les milices d’autodéfense chrétiennes, « anti-balaka » qui profitent du désarmement de leurs ennemis, pour massacrer leurs familles à leur tour. Sans parler de l’ignoble Joseph Kony, poursuivi pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, dont “l’Armée de Résistance du Seigneur” connue en Ouganda pour ses massacres, viols et enlèvements d’enfants transformés en assassins de leurs propres familles, aurait trouvé refuge pour partie dans le nord-est du pays. Et pour diriger le pays, un président intérimaire qui n’est qu’un chef de bande parmi d’autres, et ne jouit plus d’aucun crédit dans un pays, menacé par la crise alimentaire, dont des dizaines de milliers d’habitants vivent dans des camps de déplacés, fuyant cette sale guerre, dans laquelle les milices d’apprentis soldats ne connaissent qu’un ennemi: les civils.

Que viennent faire nos soldats dans cette pétaudière inextricable? Sécuriser le pays, préparer des élections démocratiques, et éviter que la région ne devienne un sanctuaire pour les terroristes de tout crin, nous dit le gouvernement. Mais les risques sont immenses. Celui qui menace nos soldats, on l’a vu dès le premier jour de l’intervention avec deux décès. Celui de d’enlisement dans une interminable mission de police dont l’objectif, la sécurisation du pays, s’éloignerait sans cesse. Le risque politique de se retrouver seul arbitre des rivalités entre clans rivaux incapables d’accepter un minimum de règles démocratiques. Le risque enfin d’être isolé au niveau international dans deux actions militaires solitaires, qui arrangent tout le monde, mais dont tous se lavent les mains. Si ce n’était qu’une foucade de président en difficultés sur le plan intérieur, elle pourrait donc être bien cher payée…

Hier aux Invalides dans, son éloge funèbre de nos deux soldats, Hollande s’est justifié en affirmant que c’était « l’honneur de la France » que de voler au secours de la population de Centrafrique. La Président a la conviction que ce qui est en question, en Centrafrique comme au Mali, c’est notre responsabilité historique. Une responsabilité liée autant à la période coloniale, qu’aux barbouzeries en tout genre perpétrées depuis l’indépendance, au nom de la sainte défense de nos intérêts en Françafrique.

C’est sans doute vrai. Mais justement à cause de l’histoire… si on choisit d’y aller, on n’a plus de droit à l’échec.

 

Perseverare… économicum

En économie, il faut choisir un objectif et s’y tenir. C’est l’enseignement que l’on peut retirer de la énième visite à Athènes de la “troïka”, cet attelage de docteurs Diafoirus de l’économie, venus de la BCE de l’UE et du FMI, qui viennent prescrire une purge de plus à la société grecque. Leur objectif: que la Grèce, à force de réduire ses dépenses publiques, démontre enfin sa capacité à rembourser ses dettes, quel qu’en soit le coût social. Enjeu pour le gouvernement grec: le déblocage d’un nouveau prêt d’un milliard d’euros. Parmi les conditions posées par nos médecins pour l’octroi de ces fonds: la levée d’un moratoire sur les saisies immobilières qui évite encore à quelques dizaines de milliers de personnes surendettées de se retrouver à la rue. De quoi provoquer une “guerre civile” disent certains observateurs. Le moratoire est en effet l’ultime bouclier pour des familles frappées par le chômage, galopant au rythme de la récession, ou des retraités dont les revenus ont déjà fondu de près de moitié sous l’effet des purges d’austérité précédentes.

Pourquoi cet acharnement des représentants des créanciers de la Grèce, qui ne doivent sans doute pas être plus cruels que tout un chacun? Parce que le moratoire protégeant les plus pauvres menacerait le redressement des banques grecques qui ne peuvent recourir à la saisie des biens impayés pour se refinancer, nous expliquent-ils. L’air est connu. Il faut sauver les banques pour redresser l’économie. Comme il fallait impérativement sauver les banques en 2008 pour éviter un krach financier qui aurait menacé l’économie réelle… La situation de l’économie réelle n’a depuis fait que se dégrader, mais les banques affichent à nouveau des profits insolents. Cherchez l’erreur!

Visiblement, les leçons de l’histoire ne valent pas pour le FMI ou la BCE. Il y a quelques mois, leurs propres experts, certains d’entre eux en tout cas, reconnaissaient qu’ils s’étaient trompés dans leurs calculs, et que la purge d’austérité qu’ils avaient imposée à quelques pays comme la Grèce, avait été trop violente. Que le remède avait été pire que le mal, et que la réduction trop brutale des dépenses publiques avait aggravé durablement la récession dans ces pays, en réduisant drastiquement la demande. Cela ne les empêche pas d’en rajouter une couche! Pour eux, la première vertu en économie reste apparemment la persévérance… fût-ce dans l’erreur!