Surprise: Poutine n’est pas beau joueur…

Quand on a osé toucher le cul du tigre, ce n’est plus le moment de s’indigner de ses rugissements. Les Européens ont commencé hier à en faire l’expérience. Il est trop tard pour appeler Poutine à la raison, pour exiger le respect des frontières ukrainiennes, pour pester ou menacer. Les soldats russes sont déjà à l’aéroport de Simferopol, comme ils sont chez eux en Abkhazie et en Ossetie du Sud, territoires géorgiens repassés sous le contrôle de Moscou en 2008. L’issue pourrait être la même: une Crimée qui se déclare indépendante, et Moscou qui garantit cette “indépendance”. Ce n’est hélas pas une surprise. Et John Kerry peut continuer à répéter sur tous les tons que son homologue russe lui a promis de respecter l’intégrité territoriale ukrainienne… Il devait savoir à quoi s’attendre.

En choisissant de défier la Russie par un soutien inconditionnel aux révoltés de la place Maidan, les occidentaux ont aidé les Ukrainiens pro-européens à se débarrasser d’un dirigeant détesté, et à prendre leur distance avec l’ogre voisin. Le déroulement des évènements ayant prouvé que Ianoukovitch était capable de faire tirer sur la foule, ils ont aussi participé à destitution d’un tyran. C’est bien! Mais il faut en payer le prix, en assumer les conséquences. Qui pouvait imaginer que Moscou accepterait  gentiment que sa base militaire de Sébastopol soit placée de fait sous tutelle occidentale? Que Poutine serait beau joueur face à cette “revanche” des occidentaux après le camouflet qu’il leur avait infligé en Syrie? Sans doute personne parmi les diplomates européens ou américains, qui se succédaient à Kiev, en sachant pertinemment qu’aucun d’entre eux ne mourrait jamais pour la Crimée. Les déclarations répétées sur l’unité de l’Ukraine n’étaient donc que pétitions de principe. Chacun devait savoir depuis le début de la crise que le processus en cours permettrait au mieux à une partie de l’Ukraine de rallier l’Europe.

Maintenant, il s’agit d’éteindre au plus tôt l’incendie. Pour éviter qu’il ne dégénère en de nouveaux affrontements entre Ukrainiens. Pour empêcher Poutine d’aller trop loin, et éviter que la tension actuelle ne débouche sur une crise internationale. Tous aux extincteurs!

 

Comptes de campagne et grosses ficelles

Qui a télécommandé la bombinette? C’est la question que tout le monde se pose à propos de la révélation par le journal Le Point des petits arrangements de Jean-François Copé qui auraient permis à quelques un de ses amis de se goinfrer pendant la campagne présidentielle de 2012, avec de l’argent dont on sait depuis qu’il n’était pas celui des contribuables -puisque les comptes de Nicolas Sarkozy ont été invalidés- mais celui des militants de l’UMP qui ont accepté de se saigner pour payer les dettes de campagne de leur leader défait. Sans intention désobligeante, on doit constater que Le Point ne nous avait pas habitué à la dénonciation en exclusivité de scandales ayant impliqué la droite. Du coup, c’est plutôt vers la droite qu’on a envie de tourner la tête quand on cherche à qui profite l’affaire, même si quelques proches du président de l’UMP font mine de dénoncer une calomnie venue de la gauche qui chercherait par tous moyens à masquer son bilan, et à déstabiliser l’opposition à un mois des municipales. Possible! Mais pas le plus probable, à cause du média dont vient la révélation.

Alors qui? François Fillon, pour se venger une bonne fois pour toute de son ennemi Copé qui l’a empêché de prendre la tête de l’UMP? Il n’est pas certain à cette heure que l’affaire lui profite vraiment. D’autant que Copé semblait il y a encore quelques semaines très ferme dans sa volonté d’organiser les primaires que souhaite Fillon en 2016, face aux pressions des proches de Sarkozy qui défendent l’idée d’un effacement de tous les prétendants devant le candidat “naturel”, la “référence” et même “l’espérance” selon Brice Hortefeux, Nicolas Sarkozy bien sûr. Mais si ce n’était pas Fillon, qui aurait donc intérêt à ce que des documents compromettant le président de l’UMP tombent entre les mains de journalistes? Là encore se poser cette question n’est pas non plus faire injure au professionnalisme des journalistes en question: si personne ne donnait de documents confidentiels aux journalistes, il y aurait beaucoup moins de scoops…

Qui donc était assez au cœur de la campagne 2012 du candidat UMP pour en connaître les tenants, les aboutissants, voire les turpitudes?

Non, pas lui!!! On a peine à imaginer qu'”il” soit prêt à faire tomber son fidèle Copé, voire à dynamiter l’UMP à un mois des municipales… Juste pour décrédibiliser l’hypothèse d’une primaire à droite. Simplement pour pouvoir justifier son refus d’y participer, sans se mettre à dos les millions de Français qui en font leur champion dans les sondages. Pour s’assurer d’apparaître comme l’homme providentiel face à une gauche impuissante, et une droite en décomposition… Un homme providentiel trahi par ses proches, par celui qui aurait dû être le plus proche… son Judas à lui, qui aurait, comme le titre Le Point, “volé Sarkozy”!

La ficelle serait vraiment trop grosse…

Alerte générale!

Marine le Pen est en train de gagner son pari. Son mouvement est bel et bien dédiabolisé. 34% des français adhèreraient aujourd’hui aux idées du Front National, selon un sondage publié par Le Monde. Ce n’est qu’un sondage. Mais une autre publié il y a quelques jours, donnait le parti de Marine Le Pen en tête aux Européennes avec 24% des voix. Le pire est donc peut-être à venir. Si aux élections municipales, c’est surtout par sa capacité de nuisance que le FN devrait briller, le scrutin des européennes pourrait se solder par une douche froide avec une victoire de l’extrême-droite sans précédent dans notre pays. Imagine-t-on un parti d’extrême droite, nationaliste, protectionniste, populiste, anti-européen… l’emporter au pays de Schuman et Monnet? Ce serait une véritable déflagration. Et il reste peu de temps à ceux qui croient encore en l’Europe pour inverser cette tendance.

Mais le veulent-ils? On peut penser que la progression du Front National n’est pas due uniquement au talent de Marine Le Pen, ou à une soudaine aversion des citoyens français pour les valeurs de la République. Les causes sont évidemment multiples. On pourra commencer par la crise, pour ne fâcher personne. Quand tout va mal, quand l’horizon s’obscurcit, que l’on en vient à penser que nos enfants seront plus malheureux que nous, la tentation du repli, du rejet de “l’autre”, dont on finit toujours par craindre qu’il profite de notre malheur, peut sinon se justifier, du moins se comprendre. Mais la crise seule n’a pas alimenté les réservoirs de voix du Front National.

Les partis dits “républicains”, n’y sont pas pour rien non plus. Et cela ne date pas d’hier. Depuis plusieurs années, sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, une partie de la droite a choisi de banaliser les idées défendues par le Front National, au nom d’un devoir de vérité. “Ils posent de bonnes questions mais proposent de mauvaises solutions…” disait-on. Par glissements successifs, certains leaders de l’UMP en sont venus ainsi à reprendre l’ensemble des thématiques du parti populiste. Désignation de l’immigré comme premier responsable de nos problèmes économiques – on n’a pas oublié le panneau de douane écrit en arabe dans le clip de campagne présidentiel de Nicolas Sarkozy- critique permanente des corps intermédiaires dont les intérêts iraient à l’encontre de ceux du peuple, dénonciation des élites coupables d’imposer une forme de “pensée unique”…

Un stade suivant fut celui de la convergence, dans la rue, entre UMP et extrême droite se retrouvant autour du refus des réformes de société voulues par la gauche et validées par les Français lors du scrutin présidentiel. Enfin, on peut dire que l’histoire s’accélère ces derniers jours, avec la tentation de l’autodafé -“je comprends que l’on veuille contrôler les livres mis à disposition dans les bibliothèques publiques” nous dit Nadine Morano-  ou la remise en question, à l’occasion d’une votation suisse, de la libre circulation des européens dans l’Union.

Mais tout cela ne fait évidemment pas de l’UMP le seul coupable de la montée du Front National. De longue date, c’est à dire depuis François Mitterrand, le Parti Socialiste a compris le parti qu’il pouvait tirer de la montée de l’extrême-droite. Pour ces municipales encore, les bons scores des émules de Marine Le Pen devraient ici où là , interdire à la droite de conquérir, ou reconquérir, certaines mairies. La tentation est donc forte d’agiter quelques chiffons rouges au bon moment, de nature à radicaliser un peu l’opposition au détriment de son expression la plus républicaine.

D’autant que plus à gauche, les alliés du PS poussent le gouvernement à en rajouter, à aller plus loin dans la rupture, et à jeter encore quelques jerricans d’huile sur le feu, pour prouver qu’il ne se dégonfle pas, qu’il n’a pas trahi la classe ouvrière et ses convictions, qu’il est prêt à bouffer du patron à tous les repas, bref qu’il en a… Et il faudrait tout de suite imposer la PMA, et la GPA, et le vote des immigrés, et sortir de l’euro -comme le réclament par ailleurs les populistes- et punir les patrons, et Angela Merkel et Obama et… tous ceux qui ne sont pas prêts à sortir un drapeau rouge de leur poche.

Les uns comme les autres jouent avec le feu. Le 25 mai prochain, nous aurons tous la gueule de bois, si nous donnons à l’Europe et au Monde le spectacle affligeant d’une nation, ayant guidé les autres vers la République et les droits de l’homme, et devenue majoritairement, au 21ème siècle, populiste, xénophobe, et anti-européenne. On pourra se remettre de beaucoup de choix plus ou moins contestables, de non-choix ou de renoncements provisoires ou définitifs, de déceptions et de frustrations, mais pas de ce résultat là!

Populisme: la course à l’échalote

Mais jusqu’où les mènera la course à l’échalote? Les leaders de l’UMP, et en particulier les deux premiers d’entre eux, Jean-François Copé et François Fillon, sont apparemment prêts à toutes les surenchères démagogiques, pour s’attirer les bonnes grâces des sondages, dans la perspective de la présidentielle. La première salve est venue du président officiel de l’UMP tentant il y a quelques jours de façon un peu pathétique, et ridicule il faut le dire, de ranimer la flamme de la défense de la famille, supposée menacée par le gouvernement socialiste. La cible de son attaque: “tous à poil” un livre pour enfants, diffusé depuis 2011, et qui a obtenu un prix du meilleur album pour la jeunesse à une époque où son mouvement était aux affaires et aurait pu sans nul doute faire cesser le scandale, s’il y avait eu. Il n’y en a évidemment pas, d’autant que contrairement à ce qu’il affirme, “tous à poil” ne figure pas parmi les ouvrages recommandés par le ministère aux enseignants du primaire… Simplement, à l’heure où la défense d’une certaine idée, archaïque, de la famille, mobilise les foules, il y a peut-être là quelques points à grappiller dans les sondages…

On peut supposer que la motivation de son compère et néanmoins ennemi François Fillon était du même acabit, lorsqu’il s’est félicité du résultat de la votation suisse qui met fin à la libre circulation des travailleurs européens dans la confédération. Comme Marine Le Pen, et la plupart des leaders populistes d’Europe. Mieux, si l’on écoute Fillon, la France devrait suivre cet “exemple” et mettre en œuvre des quotas d’entrée sur le territoire. Cela repose la question récurrente sur la stratégie de l’ancien premier ministre de Nicolas Sarkozy. Lui qui avait construit une image de crédibilité sur sa modération, son rejet des discours simplistes des lepénistes, du temps où il était à Matignon, comment a-t-il pu changer à ce point de trajectoire, dénonçant un jour la libre circulation qui est la règle en Europe, se disant prêt un autre à soutenir des candidats du FN, “moins sectaires” que ceux du PS, avant de regretter ses propos, il faut le préciser? Pense-t-il vraiment qu’il puisse un jour l’emporter sur ses rivaux, et en particulier Sarkozy, en se positionnant en champion de la droite de la droite? Sans doute.

En attendant, la surenchère démagogique de ses leaders pourrait finir par lasser une partie de l’électorat de l’UMP, et plus encore ses alliés centristes. On imagine le malaise de Bayrou, europhile convaincu, qui doit se sentir, comme à son habitude, le cul entre deux chaises. La ville de Pau lui est certes chère, mais elle ne vaut peut-être pas tous les renoncements.

 

 

Et si l’on calmait un peu le jeu…

On se sent un peu désarmé! Que plusieurs dizaines, voire centaines, de milliers de personnes puissent descendre dans la rue pour protester contre une loi qui a déjà été votée, et mise en œuvre; deux supposées réformes dont il n’est pas question pour l’instant; et contre une soi-disant « théorie du genre » que personne ne revendique; a de quoi surprendre. Et si cette manifestation est une opportunité pour certains mouvements d’extrême-droite de faire semblant de coaguler les mécontentements autour de leurs thèses, cela ne suffit pas à la disqualifier.

Certes, les catholiques intégristes sont là, et les nationalistes les plus extrêmes, et le Front National, et quelques élus égarés de l’UMP… mais traiter tout le monde de réactionnaire, voire de fasciste, ne fera pas avancer dans la compréhension. Quand un mouvement sans justification apparente prend cette ampleur, c’est qu’il se passe quelque chose. Et il ne suffira pas de jeter l’anathème sur les intéressés, pour tourner la page. Le fait que coagulent ainsi les mécontentements divers, autour du thème de la « familiphobie », comme ils disent, est en soi un phénomène digne d’intérêt. Et le gouvernement, au lieu d’insulter tout le monde, serait bien inspiré d’y réfléchir.

Ce n’est pas le fascisme qui est en marche dans nos rues. C’est la peur! Ou plutôt les peurs. Absurdes, irraisonnées, égoïstes? Sans doute. Mais réelles. Au lieu de tempêter contre une tentative de déstabilisation de la République, de dénoncer une manipulation, les gouvernants devraient donc s’interroger sur la déstabilisation générale que traduit l’ampleur de ce mouvement. Et la constatant, prendre quelques égards.

Lorsque les députés, décident d’inclure dans une loi sur l’égalité homme-femme un article dictant aux écoles supérieures -de journalisme en l’occurrence- ce qu’elles doivent enseigner à leurs étudiants, au nom de l’égalité entre les sexes, c’est une injure à la démocratie. Les élus ne sont pas nos directeurs de conscience. Il appartient à la société civile de prendre ses responsabilités, en matière d’éducation comme dans les autres domaines. En voulant réglementer l’expression publique -on l’a vu dans l’affaire Dieudonné- ou dicter à la société, à travers l’école, des règles morales, fut-ce au nom du combat contre l’antisémitisme ou pour l’égalité, le pouvoir se fourvoie. Déstabilise tout le monde et alimente le malaise ambiant, et le sentiment d’insécurité.

Incapable, pour l’instant, à cause de l’ampleur de la crise, d’apporter la sécurité économique à laquelle chacun aspire, ayant engagé des réformes sociétales d’envergure qui figuraient à son programme, mais ont évidemment ébranlé la société, le gouvernement donne le sentiment de vouloir imprimer sa marque sur tous les sujets qui passent à sa portée. Comme si l’impuissance que les citoyens lui reprochent dans le domaine économique, pouvait être conjurée par un activisme débridé dans le champ sociétal. Mais c’est tout le contraire. Hollande avait promis pendant sa campagne de panser les plaies ouvertes par son prédécesseur. Là où ce dernier avait clivé, déchiré, opposé, il voulait réconcilier et apaiser. On est bien loin du compte.

Il est sans doute temps de se concentrer sur l’essentiel, le redressement du pays, et d’oublier pour un moment les querelles idéologiques, et combats de principe sur des sujets périphériques, ou non immédiatement essentiels. Qui peut penser qu’il est absolument urgent aujourd’hui de « déconstruire les stéréotypes du genre » pour transmettre une culture de l’égalité des sexes dès la maternelle, comme le prévoit l’expérimentation en cours dans dix académies? Peut-être pourrait-on remettre à plus tard le traitement de cette question et de quelques autres, qui fournissent aux cortèges inquiets, ou frustrés, prétexte à prétendre que la Nation et ses traditions sont en danger!