Est-il normal que des juges mettent sur écoute un ancien président de la République? C’est en tout cas légal. Dans la mesure où le délit dont il était soupçonné au moment de sa mise sur écoute, en l’occurrence avoir fait financer sa campagne de 2007 pour partie par Kadhafi, lui vaudrait potentiellement plus de deux ans de prison. Nicolas Sarkozy étant redevenu un justiciable comme les autres, il n’y a aucune raison de principe de dénoncer le comportement des juges.
Est-il normal dans une démocratie de violer le secret des conversations entre un justiciable et son avocat? Là encore la réponse légale est oui, mais évidemment, sur le plan des principes la réponse ne va pas de soi. Comment un avocat peut-il assurer la défense de ses clients, s’il ne peut plus avoir d’échanges confidentiels avec eux? En outre, cette mesure extrême, et attentatoire aux libertés, ne devrait-elle pas être réservée aux affaires dans lesquelles la sécurité du public est en question?
Ce n’est évidemment pas le cas dans les affaires concernant Nicolas Sarkozy, saut à considérer que son retour en politique ferait courir un grand danger à la nation… Ce qui ne peut être un point de vue de magistrat. Alors comment comprendre ce recours par les juges à cette mesure extrême? A droite on a vite trouvé la réponse à la question. La même que pour l’affaire des factures de complaisance de Jean-François Copé, et pour toutes les procédures visant des responsables de l’UMP: il s’agirait d’une grossière manipulation politique montée par un pouvoir ayant perdu toute crédibilité. Et Bernard Debré de dénoncer une action relevant “du KGB”!
On doit bien reconnaître que la multiplication des affaires concernant la droite, et surgissant à moins d’un mois d’une échéance électorale, a de quoi rendre parano plus d’un responsable de l’UMP. Pas facile de mener campagne en étant constamment sur la défensive. Mais il n’y a pas de complot pour autant. Car si les juges sont à l’origine d’une partie des affaires en question -c’est bien leur rôle d’enquêter- le climat délétère actuel qui entoure l’UMP, résulte plus de querelles, rivalités et règlements de comptes, internes à l’UMP, que d’interventions extérieures de déstabilisation. On peut parier que ses responsables y mettent plus d’acharnement que ses adversaires à lui nuire. Ce qu’on appelait en d’autres temps la “machine à perdre” de “la droite la plus bête du monde”, pour reprendre la formule inusable de Guy Mollet…
Reste “l’acharnement” des juges contre Nicolas Sarkozy, dénoncé par ses amis, et qui ne date pas du mois dernier: Bettencourt, Karachi, financement libyen, sondages de l’Elysée, comptes de campagne… Il y a comme une compétition entre magistrats, à celui qui parviendra le premier à mettre en examen l’ex-président. Une situation bien connue d’un autre ex: Silvio Berlusconi. Lui aussi se dit victime d’un acharnement judiciaire, lui aussi est la cible des magistrats. Bien sûr la comparaison s’arrête à ce sentiment d’acharnement. Les excès, abus, tricheries, fraudes voire escroqueries, qui sont reprochés au “Cavaliere” italien sont sans commune mesure avec les mises en causes que subit Nicolas Sarkozy. Mais tous deux ont un point en commun: leur combat sans relâche contre la justice. Leur volonté de la mettre au pas du politique.
Tous deux ont la conviction que le pouvoir de ceux qui ont la légitimité du suffrage universel doit s’imposer à celui des juges, qu’une élection vaut un non-lieu. Tous deux ont tenté de réformer le système judiciaire de leur pays pour réduire l’indépendance des juges. Tous deux en ont fait les frais.
On a encore en mémoire les diatribes de Nicolas Sarkozy contre le laxisme des juges, les menaces de sanctions contre eux. Son projet de loi supprimant les juges d’instruction est encore chaud, et pourrait bien réapparaître, en cas de victoire de la droite en 2017. Président, Sarkozy avait mis les juges, qui se sentaient menacés dans leur indépendance, sur le pavé. Aujourd’hui il a perdu la belle et scandaleuse immunité qu’offre la République à ses présidents, et le boomerang en revient vers lui d’autant plus violemment.
C’est peut-être injuste: on le saura à la fin des procédures. Sans doute excessif, et en tout cas destructeur pour la droite. C’est incontestablement du pain béni pour le Front National de Marine Le Pen, et son discours populiste. Mais c’est aussi une raison de plus de croire en la force de notre système démocratique. Lorsque les politiques oublient que la séparation des pouvoirs est l’alpha et l’oméga de la démocratie, et tentent d’inféoder le pouvoir judiciaire, c’est le système immunitaire de notre République qui se met en marche, et la réaction est à la mesure de l’outrage.