Anti-terrorisme et politique de comptoir

On pourrait appeler ça la “bushite aiguë”. Un mal venu d’Amérique qui frappe les hommes et femmes politiques de tous pays et de tous bords, ou presque, lorsque retentit du fond de leurs hémicycles l’olifant de la croisade anti-terroriste. Un mal insidieux dont le premier symptôme est une paranoïa incontrôlable, le second une invocation systématique du bon sens commun en guise d’argumentation politico-juridique, et le troisième une amnésie sélective concernant les fondements de la démocratie. Aux Etats Unis cela donna Guantanamo, l’autorisation de la torture lorsque la patrie est en danger, l’exécution de simples suspects dans des pays étrangers à l’aide de drones, la surveillance massive des communications numériques…

Nous sommes en France et l’ennemi est désormais partout, sur nos terres, dans nos villes, dans nos rangs peut-être… On pourrait d’ailleurs suggérer à nos législateurs qui débattent des nouvelles mesures anti-terroristes d’envisager un contrôle de leurs propres déplacements à l’étranger. Le député Lellouche, jamais en retard d’une idée liberticide, ne veut-il pas que l’on exerce une surveillance toute particulière sur toute personne se rendant en Turquie? Cela fait quelques millions de suspects, il va falloir embaucher des fonctionnaires!

Toutes ces dispositions nouvelles reposent sur une idée simple comme une conversation de comptoir, le midi à l’heure du pastis, mais totalement en contradiction avec les fondements de notre droit: faut qu’on empêche les terroristes potentiels de le devenir! Y a qu’a prévenir les actions qui n’ont pas encore été commises, bloquer des comportements potentiellement dangereux, contrôler les déplacements de ceux qui pourraient éventuellement faire partie d’une population à risque… Bref éliminer le risque à la racine, repérer le terroriste avant même qu’il sache lui-même qu’ils est susceptible de le devenir.

Pour y parvenir, on maltraite le droit pénal -qui est sensé sanctionner délits et crimes lorsqu’ils ont été accomplis- l’idée même de justice, et la langue française. Ainsi en va-t-il du délit de participation à une “organisation terroriste individuelle”, qui devrait permettre d’arrêter les “loups solitaires” avant qu’ils aient montré les dents. Comme chacun connaît le rôle joué par internet dans la montée de tous les périls qui nous menacent, la loi doit également permettre à l’administration de bloquer les sites internet jugés dangereux, voire de priver d’internet certains individus jugés trop fragiles pour résister à la propagande djihadiste. Et l’administration pourra aussi retirer les passeports de ceux qui pourraient éventuellement avoir l’intention de rejoindre tel ou tel pays à risque.

Tout cela est très innovant mais pas très moderne, puisque cela revient à ajouter à la liste des délits réprimés par la République le péché d’intention supposée, bien connu des confessionnaux.

Liberticide? Pas du tout, nous explique-t-on. La personne à qui l’administration retirera d’autorité son passeport, et qui sera aussitôt signalée sur la liste rouge des personnes interdites de déplacement en Europe pour cause de terrorisme potentiel, pourra être entendue dans les 15 jours avec un avocat… Et même faire ensuite un recours devant une juge administratif! Quand aux blocages de sites internet, ils seront contrôlés par la commission informatique et liberté. Ouf!

Mais pour se rassurer tout à fait on peut surtout se dire que tout le monde ne sera pas concerné. Il ne viendrait pas à l’idée de la police de retirer son passeport à n’importe qui… Seuls seront soupçonnés a priori, ceux qui sont soupçonnables… Comme me l’expliquait mon voisin de comptoir, “on sait bien que c’est pas les catholiques qui partent faire le djihad…”

Et si la dissolution offrait une nouvelle chance?

Comment tirer la France du gouffre dans lequel elle s’enfonce? La question est aujourd’hui posée à tous. Et en premier lieu aux députés du parti socialiste, qui ont entre les mains le détonateur de la dissolution. C’est à quelques uns d’entre eux qu’il appartiendra de contraindre ou pas Hollande à renvoyer tout le monde devant les électeurs, et donc à mettre fin à sa tentative, infructueuse pour l’instant, de redressement du pays.

Attardons nous une seconde sur cette hypothèse de la dissolution, qui reviendrait bien sûr à un suicide politique des députés de gauche. La moitié d’entre eux, au bas mot, ne retrouveraient probablement pas leur siège. L’UMP n’aurait pas le temps de se remettre dans le sens de la marche, et Sarkozy ou pas, donnerait en spectacle la guerre fratricide de ses leaders auto-proclammés, empêtrés dans le règlement du passif de leur parti. Et qui auraient bien du mal à définir une politique crédible, alternative à celle de François Hollande, qui ne soit pas une simple fuite en avant dans l’austérité, et donc la récession.

Le Front National aurait-il une chance de s’emparer du pouvoir, c’est à dire d’une majorité absolue à l’assemblée nationale? Certainement pas. Le mode de scrutin législatif reste très défavorable au FN, et l’on peut imaginer que l’UMP, face au danger d’être elle-même marginalisée, ne prendrait pas le risque de faire élire les candidats d’extrême-droite. Alain Juppé a déjà annoncé la couleur en promettant de mener le combat contre le FN sur le terrain des idées.

De façon vraisemblable, il pourrait résulter d’une législative anticipée une assemblée morcelée, dominée par trois blocs antagoniques, ingérable. Donc un pays ingouvernable.

Face à une telle situation, François Hollande pourrait ajouter à la confusion en se démettant pour ne pas avoir à incarner un peu plus le déclin de la France et éviter d’être l’artificier de l’explosion de la cinquième république. Mais il pourrait aussi, à condition d’en avoir le courage, rester à son poste pour permettre à la France de poursuivre son redressement, tout en accouchant d’un nouveau régime.

Un régime dans lequel le président tout puissant s’effacerait devant le parlement, à charge pour ce dernier de savoir se recomposer autour d’un projet commun dont on a bien perçu ces derniers mois qu’il n’était plus hors d’atteinte, tant les clivages idéologiques entre blocs principaux semblent évanescents. Un projet forcément libéral, parce que l’économie de marché est une réalité mondiale incontournable pour tous. Mais un projet obligatoirement social parce que la France a un modèle a défendre, parce que le progrès social a toujours été ici indissociable du progrès économique, et parce que le pays ne pourra se relever que si les différentes forces qui propulsent la machine à produire s’unissent pour travailler ensemble.

Le pays a besoin de consensus. Aucun pays ne se se redresse d’une crise pareille à celle que nous traversons sans un consensus autour de sa sauvegarde. Aucune économie ne progresse durablement en se déchirant, en abandonnant les plus faibles au bord du chemin, en écrasant les plus fragiles. Les inégalités ont atteint dans notre pays un tel niveau qu’aucun homme politique, de droite ou de gauche, ne peut imaginer sans risque de les aggraver encore. Mais aucun ne peut non plus rêver d’un Etat surpuissant qui contraindrait les acteurs économiques à mettre en œuvre ses propres choix.

Alors, peut-être les conditions sont réunies pour que s’ébauche une plateforme de progrès économique et social qui rassemble largement une majorité d’élus de la nation. Une majorité qui pourrait choisir en son sein l’homme susceptible d’incarner ce projet, devant lequel le président sans majorité devrait forcément s’effacer. Pas une cohabitation entre un président minoritaire et un parti d’opposition parvenu à la majorité, comme on en a connues, mais une cohabitation de différentes forces politiques autour d’une plateforme de progrès partagée.

Bien sûr, qui dit consensus, dit eau tiède. Fini la douche écossaise de l’alternance qui a certes permis quelques réformes de société importantes, mais s’est surtout traduite par d’incessantes remises en cause! Par une gouvernance en zigzag, dans laquelle chacun défaisait ce que son prédécesseur avait fait la veille, en étant pourtant parfois dans le même camp. C’est probablement une raison importante de la stagnation économique de notre pays: il n’a aucune suite dans les idées! Chaque président étant par définition institutionnelle un homme providentiel, doit imprimer sa marque, marquer l’histoire de son sceau qui ne devra pas à l’heure du jugement dernier se confondre avec celui de ses prédécesseurs ou successeurs. Sa raison d’être c’est le changement! Il suffit pour s’en convaincre d’égrener la litanie des grands projets d’avenir qui n’ont eu pour horizon que celui des mandats en cours, des plans de modernisation industrielle qui ont fait pschitt, des dispositifs de soutien à l’investissement immobilier qui portent chacun le nom d’un des ministres du logement de la 5eme république. Le pays ne retrouvera pas la voie du progrès sans apprendre la continuité, l’obstination dans l’effort, la confiance dans le futur, cela suppose que les hommes s’effacent devant le destin du pays qu’ils ont l’honneur de diriger un temps.

Alors oui, la dissolution pourrait être une solution si elle permettait d’enclencher ainsi un processus vertueux, conduisant en douceur, vers un changement de régime pour adapter nos institutions au temps nouveaux. A la fin des empires. A l’émergence d’un monde multipolaire, d’une société multiculturelle, sans frontières, où l’identité nationale devient le plus grand dénominateur commun des différences, et le consensus social le véritable ciment des sociétés. Où la lutte des classes cède le pas devant la négociation de l’intérêt commun, dans le respect de la justice sociale. Il y a dans notre classe politique des hommes qui ont l’étoffe d’une telle ambition, la liberté de conscience, et la capacité, de conduire ces changements. On en trouve à gauche, au centre, comme à droite…

Alors pourquoi pas une dissolution si elle leur offrait leur chance?

Le bûcher cathartique

Et si nous étions déjà entrés dans le dénouement de la cinquième république. Dont la destruction a démarré avec Nicolas Sarkozy, et son exercice caricatural du pouvoir personnel, et dont Hollande serait finalement le roi malgré lui. La fin du carnaval. Le clou d’une dramaturgie bien française dans laquelle on réinvente sans cesse la monarchie depuis deux siècles et dont le passage à la guillotine d’un roi n’a pas suffi à nous débarrasser. La fin du défilé des présidents de droit divin, régnant sur une cour entièrement soumise à eux, imposant leurs humeurs à des assemblées chambres d’enregistrement, se faisant élire sur des promesses qui ne les engagent pas, bénéficiant d’une impunité totale, jouissant de leur pouvoir sans entrave ou presque.

En narguant la terre entière, du haut de son piédestal élyséen, Sarkozy avait ouvert les vannes de la désacralisation présidentielle. La vie démocratique tournait au one man show assumé, et focalisait sur sa personne toutes les frustrations, les enjeux, les colères,  causant finalement sa perte. En s’auto-décretant “président normal”, Hollande croyait prendre le contre-pied, mais il légitimait en quelque sorte la chasse à courre, sonnait lui-même l’hallali, annonçait la fin du spectacle, puisque le prince était déjà mort.

C’est l’heure du bûcher cathartique. Il faut brûler le roi pour que la fête soit complète, et que l’on puisse passer à autre chose. Et chacun y va de son petit ou gros bois. Les opposants officiels bien sûr, qui restent dans leur rôle jusqu’au final, ont eux-mêmes un roi déchu à venger et ne sont paradoxalement pas les plus violents. Et puis les autres, tous les autres. Tous ceux qui ont une ou des frustrations à purger. Les orphelins de la révolution. Ex-communistes, n’ayant pas pu digérer la chute de leur citadelle idéologique, et qui recherchent un exutoire. Gauchistes d’hier dévorés par la nostalgie d’un “grand soir” qui ne viendra plus. Experts en tout genre, qui tentent de faire oublier leur impuissance à prévoir les évolutions de notre monde, en pérorant doctement sur l’incapacité du pouvoir à les maîtriser. Journalistes malades de décennies de complaisance pour les puissants, et qui ont eux aussi besoin d’une purge libératoire pour réhabiliter leur parole. Jusqu’à l’ex-épouse, ou assimilée, qui pour se reconstruire apporte sa bûche vengeresse au feu purificateur. Haro sur le président normal!

Sur quoi débouchera cette gigantesque séance de catharsis? Sur la destruction d’un homme, on peut l’imaginer, sans s’en émouvoir outre mesure puisqu’il a lui-même choisi le rôle, et l’a conquis de haute lutte. Plus grave sans doute, sur une aggravation des problèmes du pays: pendant l’incendie, alors que chacun jette son huile personnelle sur le feu, la crise continue, et s’aggrave peut-être! Sur un changement de régime? Probablement, à plus ou moins court-terme, la mascarade monarcho-présidentielle a sans doute assez duré. Mais inévitablement aussi sur le renforcement des plus extrémistes, ceux qui depuis des années font leur beurre de la dénonciation du système, et se nourrissent des frustrations de tous pour alimenter leur commerce de la haine.