L’illusion ou la trahison

Et revoilà Martine Aubry! Il ne manquait qu’elle, et chacun s’attendait à son retour, pour que la cacophonie soit complète. Décidément, le parti socialiste a beaucoup de mal avec l’exercice du pouvoir. Depuis des mois, il ne s’est quasiment pas passé un jour sans que l’un ou l’autre des ténors, auto-proclamés, du PS, ne dénonce Hollande et sa politique. C’est inouï et sans précédent. Certes, la majorité au parlement tient toujours, parce que chacun des députés socialistes, tous courants confondus, tient à son mandat. Mais tout se passe comme si ceux qui pensent avoir un destin politique national voulaient se mettre à couvert avant la défaite annoncée de 2017. Façon: “je vous l’avais bien dit!”.

Car évidemment aucune personne sensée ne peut imaginer que le changement radical de politique prôné par les frondeurs, s’il entrait dans les faits, mènerait ailleurs qu’à un désastre pour une gauche qui aurait en plus de son incompétence démontré sa pusillanimité.

C’est donc la fronde pour la fronde. La colère pour prendre date. Mais pas seulement! C’est aussi la mise en évidence d’une fracture profonde au sein de la mouvance social-démocrate française, qui se trouve face à un dilemme qu’elle ne parvient pas à assumer. Alors même que la mondialisation et l’accroissement du rôle de l’Europe, ont drastiquement réduit la marge de manœuvre des pouvoirs nationaux, le PS cherche toujours ses repères. Doit-il accepter de gérer différemment, de faire du “social-libéralisme” pour atténuer les effets socialement destructeurs de la compétition internationale et de l’accroissement sans précédent des inégalités, ou alors camper sur son Aventin de gauche en dénonçant sur tous les tons les excès du capitalisme financier?

Il n’y a probablement plus d’autre alternative pour la gauche. Le changement, c’était pour hier! Déclarer la guerre à la finance, comme le fit il n’y a pas si longtemps Hollande, et prétendre gouverner la France n’a plus de sens. Promettre une rupture radicale avec la politique de rigueur financière, c’est prendre les électeurs pour des idiots. Annoncer une politique de relance par distribution de pouvoir d’achat, c’est jouer les illusionnistes. Si l’on veut gouverner le pays et le faire progresser, on a besoin de la finance. Et des patrons du Cac 40. Et du Medef! Et de nos partenaires européens! Et donc de la rigueur! Cela borne une voie bien étroite. Mais cela n’interdit pas à l’Etat de jouer son rôle de contrôle, ni de prendre des initiatives en faveur de la croissance, ni de peser sur l’Europe, et d’infléchir la répartition des richesses, de moderniser le pays, de le préparer pour l’avenir en investissant dans la connaissance, en le rendant plus solidaire, plus généreux, plus respectueux de l’environnement. En faisant progresser les libertés et l’équité… Mais il faut faire un choix! Or alors même que les siens sont au pouvoir, le PS continue à tanguer, à se chercher, entre rupture et connivence, opposition et exercice du pouvoir, il se partage, se divise.

Survivra-t-il  à cette déchirure ? Cela n’est pas certain. Au train où vont les choses c’est un véritable effondrement qui le menace. Car les bateleurs qui sont en son sein, et promettent grâce à une “vraie” politique de gauche des lendemains qui chantent, comme aux plus beaux jours du réalisme socialiste, et qui n’ont de cesse de dénoncer la trahison dont se serait rendu coupable le premier des leurs, risquent tout simplement de finir de détourner leurs électeurs des urnes. Si le choix des électeurs socialistes est réduit à l’illusion ou la trahison, ce sera alors de toutes façons dans l’opposition.

Universalité ou équité?

C’est une “trahison” selon certains, un “scandale pour d’autres”, Une remise en question du pacte national sur la politique familiale, qui menace “notre cohésion nationale, selon François Fillon. Sans surprise, Marine Le Pen aurait préféré que l’on supprime les allocations aux étrangers, plutôt que de raboter celles des Français. Plus surprenant, les syndicats, à l’exception de l’Unsa dénoncent également la modulation des allocations familiales. Pourquoi cette levée de boucliers? Parce que la mesure remet en cause le principe d’universalité, principe fondateur de la sécurité sociale. Et alors?

D’abord il n’est pas scandaleux de s’interroger en 2014 sur la validité de dispositifs datant de 1945, même lorsqu’ils concernent la sacro-sainte politique familiale. Et cela même si toute remise en cause de la protection sociale submerge d’angoisses les syndicats. Ensuite, le principe d’universalité n’est pas forcément à placer au dessus du principe d’équité qui est tout aussi fondamental. En période de réduction générale des prestations sociales, et cela ne fait probablement que commencer, c’est évidemment l’équité qui doit prévaloir. Et la modulation de la solidarité nationale en fonction des besoins parait répondre au souci d’équité.

Deuxio l’universalité de la couverture sociale est déjà battue en brèche par la prise en charge croissante des dépenses de santé par les mutuelles, consécutive aux plans de déremboursement successifs des soins. Nous avons déjà, de fait, malgré la création récente de la CMU, une protection sociale à plusieurs vitesses, selon les revenus. Du coup, on a du mal à suivre les responsables de l’UMP qui dénoncent la trahison des principes fondateurs de la sécurité sociale, alors même que Nicolas Sarkozy ou François Fillon n’ont jamais dissimulé leur souhait d’accroître le rôle des assurances privées pour alléger la charge qui pèse sur la sécu. On se souvient d’ailleurs que le projet de loi sur la dépendance préparé par l’UMP et jamais mené à son terme, envisageait la souscription obligatoire pour tous d’une assurance privée couvrant le risque dépendance.

Reste l’argument de fond: le risque de nuire à la formidable vitalité démographique de la France ! Qui peut croire que ce sont les allocations qui font la natalité?

On ne peut donc que se réjouir de cette remise en question des dogmes de 45. D’autant qu’au même moment le Conseil d’Etat recale le stupide décret supprimant les bourses au mérite attribuées, sur critères sociaux, aux bacheliers obtenant la mention très bien, et qui prétendait redistribuer l’argent ainsi économisé à tous les étudiants boursiers de façon égalitaire et… universelle. Les magistrats ont estimé que priver des étudiants dans le besoin de leurs allocations au nom de l’universalité n’était pas non plus très équitable.