Pas de lois contre les mots!

Et voilà! Ce que l’on pouvait craindre est en train d’arriver. Malgré les pirouettes lexicales du gouvernement certifiant qu’une “loi exceptionnelle” n’est pas forcément une “loi d’exception”, en dépit des engagements solennels du Président de la République, jurant que “la liberté d’expression ne se négocie pas” nous sommes en train de glisser dans le piège que nous avaient tendu, sans doute à leur insu, les terroristes du 7 janvier. Une société où l’on peut s’inquiéter de “l’apologie du terrorisme” d’un enfant de 8 ans, et le conduire pour cela dans un poste de police, est une société malade. Malade de peur, mais aussi de mauvaise conscience.

Les deux sont indissociables. La première c’est celle de tout un chacun. Qui croise un groupe de jeunes dans la rue et change de trottoir… Qui dit ne plus se sentir chez lui à Barbes… Qui finit par appréhender la réaction de ses élèves au moment de la minute de silence ordonnée par le ministère. Et réclame toujours plus de moyens pour lutter contre sa peur, invisible, impalpable, souvent irrationnelle, mais réelle.

La seconde maladie, c’est le pendant de la première. La mauvaise conscience, à cause précisément de cette peur. A cause de ce malaise à Barbes, à cause de notre incapacité à vivre ensemble, en harmonie, de cet “apartheid” que désigne Manuel Valls, à cause aussi de cette difficulté qu’on a à démêler les fils de cette histoire terrifiante. On nous a dit “pas d’amalgames”, alors on essaye de ne pas emmêler la pelote, le terrorisme n’a rien à voir avec la religion des musulmans, mais quand même, quand on remonte le fil de la terreur on arrive à l’islam… Alors on cherche à exorciser, à chasser cette mauvaise conscience, en dénonçant encore plus fort l’intolérance, et l’extrémisme, et le racisme, et l’antisémitisme, et toutes ces menaces qui nous ont fait descendre dans la rue avec un panneau “je suis Charlie”.

On était 4 millions, donc on avait raison. Et les autres, tous ceux qui ne sont pas Charlie, ils avaient tort. Et notre intolérance pour eux va grandissant. C’est comme cela qu’un prof en arrive à dénoncer son élève qui n’aime pas chanter la Marseillaise. Et qu’il obtient les félicitations de sa ministre! C’est aussi comme cela, au nom des principes fondateurs de notre République, qu’on se prépare à criminaliser la parole, et l’écrit, et la pensée… de tous ceux qui ne sont pas dans le moule. Qui transforment leur peur en haine. Qui affirment haut et fort leur rejet de l’autre. Qui crachent leur venin raciste ou antisémite sur Twitter ou Facebook, pour les plus communs, sur la scène d’un théâtre ou d’une émission de télévision pour les plus huppés.

Bien sûr c’est dégueulasse de faire payer à tous les français que l’on suppose de religion musulmane les exactions de quelques tarés terroristes, et les mots peuvent faire très mal. Naturellement c’est odieux de tenir des propos antisémites au moment même où l’on célèbre les 70 ans de la libération d’Auschwitz. Mais bon sang, on à tous crié dans la rue que la liberté d’expression n’était pas négociable! Fallait-il comprendre “sauf pour, machin et truc, et bidule…”? Quand on parle des principes fondateurs de notre République; c’est pas à Saint-Just, et son “pas de liberté pour les ennemis de la liberté“, qu’on pense! C’est plutôt à Voltaire et cette citation qu’on lui prête volontiers: “je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire“.

Alors de grâce ne touchons pas aux lois. Celles que nous avons déjà suffisent à punir les incitations à la violence et les menaces. Ne cherchons pas une protection illusoire dans la mise à l’index des mots qui nous choquent. N’édifions pas des lignes Maginot judiciaires qui ne nous protègeront jamais de l’intolérance et du racisme, qui ne nous dispenseront pas de nous battre sans répit, avec nos propres mots, contre les mots de la haine, mais qui nous feront perdre peu à peu notre identité. Déjà la récente loi antiterroriste nous a conduit au bout de l’absurdité avec des centaines d’interpellations, et plusieurs condamnations à la prison en comparution immédiate, pour “apologie du terrorisme”… Restons en là! La volonté de criminaliser la parole, fut-elle haineuse, raciste ou antisémite, conduit notre démocratie dans une impasse.

 

 

Europe: le virage Syriza

C’est entendu, tout le monde aime Syriza. Du moins en France. Même Marine Le Pen, que l’étiquette “d’extrême-gauche radicale” généralement attribuée au mouvement grec, n’effraye pas. Et ce n’est pas illogique que chacun s’y retrouve un peu, puisque Alexis Tsipras lui-même n’a pas attendu pour aller chercher à droite, chez les souverainistes, son allié de gouvernement.

Faut-il s’offusquer de ce rapprochement, qui doit être bien difficile à digérer pour ceux qui à l’extrême-gauche de l’arc politique français, s’étaient faits les hérauts de la montée en puissance de Syriza? Pas forcément. Pour l’heure, la priorité d’Alexis Tsipras est de résister à la pression de Bruxelles, et il a besoin d’un allié déterminé dans son combat. Il l’a sans doute trouvé là. L’urgence n’est pas pour lui à mener une politique d’extrême gauche, dont probablement les Grecs eux-mêmes ne veulent pas, mais bien à restaurer la dignité de la Grèce. L’application aveugle d’une médecine ultra-libérale au pays, la baisse généralisée des revenus, la désagrégation des services publics, la dilapidation du patrimoine national, au nom de la nécessité pour chacun de payer ses dettes, a rendu la Grèce exsangue, l’a humiliée… Sans résultat probant! Le montant de la dette est supérieur à celui de 2012, à 175% du PIB contre 120% du PIB en 2010. Entre-temps, des millions de grecs ont tout perdu ou presque.

La victoire de Syriza c’est d’abord cela: la sanction de l’échec de la politique imposée par la Troïka (FMI, BCE, Union Européenne). La médecine de cheval n’a pas guéri la Grèce et a bien failli tuer le malade. C’est le résultat de la mise en œuvre de façon dogmatique, d’une politique économique déconnectée des réalités. De l’application sans nuances d’un catéchisme ultra-libéral, qui avait déjà montré ses limites lorsqu’il était imposé par le FMI, dans plus d’un pays du tiers-monde. Les électeurs grecs viennent de hurler: “STOP”. C’est le mandat de Syriza: trouver avec l’Europe une solution qui fasse moins mal et permette enfin au pays de se redresser.

Effet domino?

Est-ce pour autant la première étape d’un changement complet de paradigme économique et politique en Europe, le début de “l’effet domino” que Mélenchon appelle de ses vœux ? Pas sûr!

Certes en Espagne on peut entrevoir les prémices d’un mouvement comparable. Le parti Podemos, issu des “indignés” de la Puerta del Sol, fait la course en tête dans les sondages à un an des législatives, sur un programme anti-austérité. Mais la situation économique n’est pas celle de la Grèce. Malgré les ravages réels de la politique d’austérité menée par le gouvernement de Mariano Rajoy, un taux de chomage voisin de 25%, l’Espagne pourrait retrouver un taux de croissance de 2% en 2015, et donc un peu de grain à moudre, ce qui pourrait faire évoluer la donne électorale. De même le Portugal qui a eu aussi maille à partir avec la Troïka, semble maintenant sortir de la pire crise qu’ait connu le pays. La droite au pouvoir y est fortement décrédibilisée, mais on n’observe pas le même rejet des partis traditionnels qu’en Grèce, et les socialistes pourraient y retrouver le pouvoir dans quelques mois.

Quant à la France, où Jean-Luc Mélenchon rêve d’assister, à son propre profit, au même ras de marée qu’hier en Grèce, elle n’a pas pour l’instant connu le dixième de la politique d’austérité qui a provoqué l’engouement pour Syriza. Malgré les dénonciations répétées de la politique de rigueur du tandem Hollande-Valls, la “coalition” de gauche populaire que le leader du Parti de Gauche voudrait voir émerger entre Front de Gauche, Ecologiste, et gauche du PS, tous unis contre l’Europe des élites politiques, reste pour l’instant un pur fantasme. Jusqu’ici, c’est bien Marine Le Pen qui s’est montrée la plus capable d’incarner en France l’euro-scepticisme, et le rejet des élites.

Plus de démocratie

Reste que la victoire de Syriza pèsera sur le devenir de l’Europe tout entière. Parce que, quel que soit le compromis auquel parviendront, vraisemblablement, la Grèce et ses créanciers, la victoire du rassemblement anti-austérité, intervient à un moment où la foi ultra-libérale des européens vacille. Angela Merkel doit composer avec un allié social-démocrate qui l’a déjà obligée à mettre en place un salaire minimum. S’il n’a pas réussi à changer le cours de la politique européenne, comme il en avait rêvé, Hollande a tout de même pu pousser quelques idées qui trouvent sans doute pour partie un débouché dans les décisions récentes de la Banque Centrale de soutenir l’économie. En Italie, Matteo Renzi bouscule lui aussi les recommandations de la commission européenne. Le FMI lui-même finit par reconnaître la nécessité d’une politique de relance en Europe.

La victoire de Syriza accentue donc une évolution du rapport des forces en Europe, et le moment semble donc venu pour une réorientation des politiques européennes. Cela ne passera pas pour autant, quoi qu’en pensent Jean-Luc Mélenchon et Cécile Duflot, par un ras de marée d’extrême-gauche dans les différents pays. Pas non plus par un renoncement aux politiques de rigueur et une fuite en avant. Mais l’Europe à venir va devoir forcément mieux prendre en compte les aspirations des peuples, en renonçant à sanctionner les erreurs de leurs dirigeants par des punitions collectives. L’Allemagne va devoir admettre qu’elle ne peut pas gagner sur tous les tableaux, quelles que soient ses vertus de rigueur. Que pour continuer à profiter de la famille, il faut aussi payer de temps en temps pour son unité. Bref, il va falloir démontrer que l’Europe peut redevenir enthousiasmante. Et cela passe par plus de démocratie.

Article également publié sur le site “Sauvons l’Europe”

 

 

Aller au delà des caricatures

Dix jours plus tard, on meurt toujours pour l’image de Mahomet. Hier à Niamey, Niger, quatre personnes ont été retrouvées mortes brûlées dans leur église incendiée par des manifestants musulmans déchaînés. C’est encore une fois l’intolérance, le fanatisme et la barbarie qui ont tué. Pas la religion! Sur la corde raide où nous tentons de tenir en équilibre depuis le 7 décembre, le moindre faux pas serait fatal. Il faut donc s’empresser de rappeler nos certitudes. Ce qu’a fait François Hollande hier encore à Tulle. Nous ne combattons pas une religion, nous défendons un principe sacré: la liberté d’expression, et donc celle de la presse. C’est pour elle que des millions de Français sont descendus dans la rue dimanche dernier. C’est pour elle que l’on se rue sur les kiosques depuis 48 heures, plus encore que pour le contenu du numéro collector de Charlie Hebdo.

Fallait-il remettre à la Une le “prophète” de l’Islam dans ce numéro des survivants, au risque de ne pas être compris, et de provoquer une nouvelle flambée de violence? Oui, certainement! Ne pas le faire aurait été céder face aux assassins. Reculer face à la barbarie. Il fallait dire haut et fort que la liberté ne cède pas devant les armes, qu’elle n’est pas négociable. Mais peut-on pour autant ne pas voir les manifestations violentes au Pakistan, en Algérie ou au Niger? Peut-on cacher les morts de Niamey sous notre bonne conscience de défenseurs de la civilisation contre la barbarie, et de la laïcité contre l’intégrisme religieux?

Il est en tout cas difficile d’éviter de se poser quelques questions. La première est celle du champ de notre liberté d’expression. Qui ne supporte aucune restriction, on l’aura compris, sauf que les tribunaux depuis la semaine dernière poursuivent à tour de bras pour apologie du terrorisme, des gens dont le seul délit est de n’avoir pas été à l’unisson de la communauté nationale face au massacre des journalistes de Charlie Hebdo. Un des derniers en dates, un adolescent de 16 ans a été placé en garde à vue à Nantes pour un dessin sur son compte Facebook ironisant sur l’attaque de Charlie Hebdo. Et même si les provocations font partie de ses outils de promotion, on peut se demander s’il est vraiment nécessaire de traduire devant un tribunal le sinistre Dieudonné pour avoir dit qu’il se sentait “plutôt Charlie Coulibaly”.

C’est la loi! C’est vrai. Plus particulièrement c’est la loi anti-terroriste adoptée l’an dernier qui permet de traiter en comparution immédiate ce type de délit qui ressortait précédemment du droit de la presse. Plusieurs condamnations à de la prison ferme ont déjà été prononcées depuis le 7 janvier. Mais au moment où nous nous posons devant le monde entier en rempart intransigeant de la liberté d’expression, notre volonté de faire taire les voix discordantes fait un peu tache. Et risque d’être mal comprise. Il est certes nécessaire de traquer les djihadistes qui tentent de recruter des apprentis terroristes sur Internet, mais un minimum de discernement devrait nous permettre de ne pas prendre les foucades d’un adolescent provocateur, ou le besoin d’un humoriste de faire parler de lui, pour des actes de terrorisme. On devrait pouvoir répondre aux mots et aux idées, avec des mots et des idées, à l’ignorance par l’éducation, plutôt qu’avec des tribunaux.

Deuxième question, difficile à éviter, celle des limites du combat pour la laïcité, c’est à dire celle du fond. Lorsqu’une journaliste, tente de glisser par surprise une caricature de Mahomet devant l’objectif de la caméra d’une télévision anglaise qui l’interviewe, et lui a annoncé préalablement qu’elle ne souhaitait pas diffuser ces dessins par souci de respecter son public, est-ce un acte de défense de la laïcité? Une affirmation de la liberté d’expression? Ou encore, est-ce que la laïcité de la République est menacée par une adolescente qui porte un foulard sur la tête, ou un gamin qui porte une kipa? Est-ce que la base de la laïcité n’est pas le respect des religions, plus que la punition de l’expression publique de leurs particularismes culturels?

La réponse à ces questions n’est pas simple, demande qu’on y réfléchisse à nouveau froidement, et ne peut en rester en tout cas au stade de la caricature. L’enjeu principal, c’est notre capacité à rassembler autour d’une même ambition démocratique, autour des mêmes valeurs républicaines, les flux si divers qui constituent la mosaïque nationale. Or sur ce plan nous sommes aujourd’hui en échec. Réussir passera par l’éducation bien sûr, et donc d’abord par l’écoute et la compréhension mutuelle. Ce combat pour les valeurs, qui a jeté la France dans la rue dimanche dernier, ne sera gagné qu’à condition qu’il soit d’abord compris par tous.

 

Misère du journalisme

Quel spectacle affligeant! En deux jours de crise nationale, les journalistes français ont montré sur toutes les chaînes et toutes les antennes, le pire d’eux-mêmes. Images insignifiantes passées en boucle pendant des heures. Interview de “témoins” reconnaissant eux-mêmes qu’ils ne sont pas sur les lieux, qu’ils ne savent rien n’ont rien vu rien entendu. Ce n’est plus l’information qui fait le témoin, mais le choix de la chaîne qui vous transforme en témoin: vous ne savez rien, mais vous devez bien en penser quelque chose… Quand le journalisme soi-disant interactif revient à se contempler le nombril.

“Nous sommes en direct depuis plus de 4 heures” se vante Elise Lucet, qu’on avait vu plus inspirée, et moins excitée. C’est sur la durée que se joue cette compétition interchaînes. A qui tiendra le plus longtemps sans avoir rien à dire. Alors on dérape, on n’en finit plus de déraper. On annonce deux morts ici, un autre là, avant de les démentir du boût des lèvres entre deux interviews de prétendus “experts” qui parlent comme s’ils dirigeaient eux-mêmes l’assaut et prédisent doctement le dénouement de la situation sur le terrain.

Et il y a pire que les faux morts, il y a les faux coupables. Ce jeune-homme de 18 ans présenté nommément pendant plusieurs heures sur plusieurs médias, comme le 3eme homme du massacre de Charlie Hebdo, alors qu’il était au lycée à l’heure des faits, et qui, avant qu’on fasse état de son innocence, aura été cent fois agoni d’injures et menacé de mort sur Internet. Mais on dira que les journalistes avaient pris leurs précautions: il n’était publiquement dénoncé qu’au conditionnel, et avec la précision rituelle: “une information qui reste à vérifier”. C’est devenu la formule clef du journalisme moderne. Mais bon sang, si une information reste à vérifier, elle ne peut, ni ne devrait être diffusée…

Et puis il y a cette incroyable légèreté avec laquelle on filme les forces de police, on les décompte, on précise leur position, on évalue la distance à laquelle ils se trouvent, on compte leurs armes… Et l’on diffuse le tout, en vrac, sans aucune retenue, sans se soucier une seconde du fait que ces informations intéressent au premier chef les criminels qui menacent la vie de leurs otages et des policiers qui les traquent. Quelle irresponsabilité! Et quelle impudeur lorsque l’on diffuse en même temps que les images en question, un appel du ministre de l’intérieur à la retenue des médias. Et que le caméraman dont Elise Lucet cite le nom, pour valoriser son exploit journalistique, filme et filme encore les policiers prenant position, qui lui hurlent de se reculer pour les laisser faire leur travail.

Au terme de ces quarante-huit heures désastreuses, où nous avons connu la pire attaque contre la liberté de la presse, on a comme un sentiment de gêne à répéter une fois encore, parce qu’il faut le répéter, que les journalistes doivent être défendus en toutes circonstances, car le métier qu’ils font en toute liberté est un fondement et une exigence de la démocratie.

 

Un appel à la résistance

Tristesse, colère, horreur, inquiétude… Les sentiments se bousculent, jaillissent, se télescopent mais les mots manquent. Pour dire cet effroyable sentiment d’être entré dans un genre de triangle des Bermudes. L’impression que plus rien ni personne ne pourra arrêter les vents contraires, tourbillonnants, de la haine, qui menacent de nous engloutir. C’est notre jeunesse que l’on vient d’assassiner. C’est avec les dessins de Cabu que, nombreux, nous avions appris à imager notre révolte. A la tourner en dérision aussi. Et puis en grandissant nous avons appris à devenir plus raisonnable, à domestiquer, et rationaliser nos colères. Charlie, non! Alors on s’était un peu éloignés. Eux, continuaient à se marrer de tout, à tourner tout en dérision, et cela ne nous faisait plus toujours rire… Leur anticléricalisme radical, laissait peu de place à la distance et à la modération. Ils bouffaient de l’imam comme du curé. Mais ni nous, ni sans doute eux, n’imaginions ce retour de flamme. Ne pensions qu’on pouvait répondre, ici, dans notre République, à des dessins avec des armes de guerre. Que la folie religieuse pouvait conduire des individus égarés vers de tels rivages. Que la haine aveugle, stupide, irrationnelle, pouvait les amener à massacrer des humains en imaginant ainsi restaurer l’image de leur dieu moqué par des humoristes. A croire, par les armes, pouvoir faire taire les critiques. Cette découverte est terrifiante. Car au delà de l’incompréhension et de la douleur des proches des victimes, qui est aussi la nôtre, nous voyons déjà se mettre en route l’engrenage de la haine. La promotion est assurée pour les Zemmour ou Houellebecq qui font commerce du rejet de l’autre. Pour la famille Le Pen qui fait son miel de la peur de l’étranger. Nous entrons dans une terrible zone de tempêtes. Pour que notre pays en sorte indemne, il faudra plus fort encore qu’hier crier nos valeurs républicaines, notre foi dans la démocratie, notre exigence de laïcité, c’est à dire de respect de toutes les religions, qui ne peut aller qu’avec la liberté totale d’informer et de critiquer. Il faudra mettre en avant notre tradition d’accueil, déjà parfois mise à mal… Pour couper la route à tous les prophètes de l’apocalypse qui nous appelleront à boucler nos frontières, à fermer nos portes, à faire rimer étranger avec danger, à nous barricader dans nos maisons, nous enfermer dans notre supposée identité nationale… Cette attaque barbare que nous venons tous de subir avec les journalistes de Charlie que nous pleurons, doit sonner comme un appel à la résistance.

Israël: le risque de l’isolement

L’escalade continue. Après l’annonce de la construction de nouveaux logements à Jérusalem-est, 380 fin décembre, venant s’ajouter au milliers de constructions en territoire palestinien ces derniers mois, le gouvernement israélien a décidé de “geler” 106 millions d’euros de taxes collectées par lui pour le compte de l’autorité palestinienne. Sans retenir l’expression de “crime de guerre” employée par les Palestiniens pour qualifier cette décision, il s’agit d’une spoliation pure et simple, puisque ces sommes sont dues aux Palestiniens conformément aux accords signés par les deux parties à Oslo en 1993. Et Benjamin Netanyahu, le premier ministre israélien promet d’ores et déjà d’autre sanctions.

Les sanctions sont selon lui une réponse à la demande d’adhésion de la Palestine à la Cour Pénale Internationale chargée de juger les crimes de guerre. La crainte d’Israël est de voir la CPI se pencher sur l’offensive israélienne à Gaza, l’été dernier, qui s’était soldée par 2200 morts côté palestinien en majorité des civils, et 70 morts côté israélien, en majorité des soldats. La dissymétrie des pertes humaines, et la manifeste disproportion de la riposte israélienne aux tirs de roquettes des mouvements extrémistes palestiniens, ne suffisent pas à définir un crime de guerre, ni non plus à exonérer le Hamas de ses responsabilités. Mais une mise en accusation devant la cour pénale de responsables militaires israéliens, pourrait nuire encore beaucoup à l’image du gouvernement de Jérusalem-Ouest. Et la campagne de communication internationale qu’il tente de lancer sur le thème: “Etat Islamique égale Hamas, égale donc Fatah puisque les deux mouvements palestiniens ont décidé de créer un gouvernement commun”, ne sera pas un contre-feu suffisant.

En bloquant le processus de négociation par la poursuite, au grand dam des américains, de la colonisation des territoires voués à devenir l’Etat de Palestine, Benjamin Netanyahu entraîne son pays et donc son peuple sur une pente dangereuse. Il a poussé dans ses derniers retranchements Mahmoud Abbas, qui était pourtant son meilleur allié dans la recherche de la paix et de la sécurité pour ses concitoyens. Discrédité par l’intransigeance de son interlocuteur, le président palestinien se lance maintenant dans une surenchère diplomatique, qui évidemment ne favorise pas l’avènement d’un processus de paix auquel personne ne croit plus, mais va marginaliser un peu plus Israël.

Le vote de plusieurs parlements européens se prononçant pour la reconnaissance de l’Etat de Palestine, est un premier signal d’alerte pour Israël. La valeur de ces votes n’est pas que symbolique. Ils disent la lassitude des démocraties occidentales face à l’incapacité du gouvernement de Netanyahu à jouer réellement le jeu du processus de paix, à respecter les résolutions internationales. Lassitude qui s’est exprimée au conseil de sécurité de l’ONU, lorsque la France s’est désolidarisée des Etats-Unis en soutenant la motion palestinienne exigeant le retrait d’Israël des territoires occupés dans les deux ans. Netanyahu a beau pester, il doit comprendre que le risque d’isolement international de son pays augmente dangereusement.

Il y a un précédent d’isolement international, c’est celui de l’Afrique du Sud, pays de l’apartheid, auquel d’ailleurs Israël apportait en d’autres temps son soutien. Bien sûr, Israël est un état démocratique, dans lequel les citoyens arabes ont en principe les mêmes droits que tous les autres israéliens. Mais la situation faite aux Palestiniens des territoires occupés, l’humiliation quotidienne qui leur est infligée au nom de la sécurité, ont peu à voir avec la démocratie. Le discours de l’actuel ministre des affaires étrangères, Avigdor Liberman, suggérant en avril 2013 que les arabes d’Israël seraient mieux à leur place dans les territoires occupés, ranime également le spectre de l’apartheid, au moment ou Benjamin Netanyahu semble décider à miser un peu plus sur l’extrême droite pour se maintenir au pouvoir. Et  en proposant une loi constitutionnelle destinée à transformer Israël, jusqu’ici “Etat juif et démocratique”, en “Etat national du peuple juif”, le premier ministre israélien s’est lui-même vu reprocher dans son pays de vouloir institutionnaliser une discrimination envers les arabes israéliens, qui représentent aujourd’hui 20% de la population d’israël.

Au total, la situation en Israël n’est pas comparable loin s’en faut, à celle qui prévalait dans l’Afrique du Sud de l’Apartheid, mais le risque d’isolement international est de plus en plus grand en raison de la politique d’escalade et de fuite en avant choisie par le gouvernement de Benjamin Netanyahu. Au détriment de la population israélienne elle-même, qui aspire majoritairement, n’en doutons pas, à la paix, seule véritable garantie de sécurité, et qui paierait au prix fort une mise au ban de la communauté internationale.