Quand Obama lâche les Kurdes

En diplomatie il faut avoir la mémoire courte, et sélective. Il y’a quelques mois à peine le monde entier célébrait les militants kurdes, qui avaient délogé les armes à la main les islamistes de Daesch de la ville de Kobané. Toutes les télévisions du monde diffusaient les portraits de ces femmes kurdes héroïques qui s’étaient battues, en première ligne, face à Daesh. Les dirigeants du “Parti de l’Union Démocratique”, PYD, principal parti Kurde de Syrie, affilié au PKK turc honni d’Ankara, étaient reçus par François Hollande à l’Elysée. Et à l’inverse, chacun dans la coalition y allait de sa condamnation plus ou moins franche de la passivité des autorités turques à l’égard de Daesh. La semaine dernière encore un conseiller d’Obama se félicitait du travail effectué sur le terrain par les Kurdes en Irak et Syrie.

Mais la roue a tourné. Pour gagner le droit de faire décoller ses F16 et ses drones de la base turque de Incirlik, et obtenir le soutien de l’aviation turque dans les bombardements contre Daesh, Obama a lâché les Kurdes. Il a donné un feu vert au bombardement des positions du PKK en Irak. Et accepté la condition d’Ankara pour son engagement aux côtés de la coalition anti-Daesh: la création au nord de la Syrie, le long de la frontière turque, d’une zone tampon, sous la protection aérienne des Turcs et des Américains, pour accueillir les réfugiés Syriens qui affluent en Turquie. Une zone tampon dont ne veulent pas les combattants kurdes de Syrie, qui rêvent d’y créer une zone autonome, en lien avec le Kurdistan autonome d’Irak, pour préparer un futur état du Kurdistan à cheval sur les trois pays, et dont à vrai dire personne ne veut, à part eux.

En relançant la guerre avec les Kurdes, le président turc espère se refaire sur le plan intérieur. Lors des dernières élections législatives, le mois dernier, le parti au pouvoir a perdu la majorité absolue au parlement. A l’inverse, le parti pro-kurde HDP a obtenu 80 sièges, avec 13% des voix, en plaidant pour un accord politique, à la faveur d’une trêve décrétée par les militants kurdes du PKK. Si la trêve est rompue et que la guerre repart entre le pouvoir turc et le PKK, comme c’est le cas depuis quelques jours, il n’y aura plus de place pour l’opposition pro-kurde modérée, et Erdogan doit espérer retrouver assez vite la majorité absolue dont ils bénéficiait jusqu’ici.

Si l’on voit bien l’intérêt du président turc, comment comprendre ces décisions de Barack Obama? D’abord, de façon immédiate, sans doute par la volonté de sortir du bourbier irako-syrien. Après des mois de combats, la coalition semble en panne de stratégie. Les milliers de frappes aériennes effectuées par les alliés en Irak comme en Syrie, ne sont pas venues à bout des islamistes de Daesh. Mais si l’aide de la Turquie annonce une intensification des bombardements… on ne voit pas pour autant de changement de stratégie! Visiblement, Obama mise toujours, contre toute évidence, sur la guerre aérienne pour venir à bout des organisations terroristes en Syrie ou Irak, comme au Pakistan, au Yemen ou en Somalie. Pire, en sacrifiant les Kurdes, il compromet l’action de la seule force de terrain qui a effectivement obtenu des succès significatifs contre l’organisation Etat-Islamique.

La décision d’accepter les conditions turques est sans doute aussi une forme de compensation. Erdogan a dénoncé autant qu’il l’a pu l’accord conclu par les occidentaux à propos du nucléaire iranien. Il considère l’Iran chiite comme son premier ennemi, juste derrière les kurdes, et lui reproche de vouloir dominer la région.

En aidant le régime islamique sunnite turc, le président américain cherche peut-être ainsi à recréer un équilibre dans un Moyen-Orient dévasté par les conséquences de la guerre en Irak. Face à un Iran chiite renforcé, politiquement par l’accord sur le nucléaire, et financièrement par la levée des sanctions, une Turquie demeurant au sein de l’OTAN et donc sous un contrôle relatif des Etats-Unis, pourrait avec ses près de 80 millions d’habitants, jouer un rôle de stabilisateur de la région en contre-poids de l’Iran… Obama ne sera plus président lorsqu’on pourra le vérifier, mais il fait ce qu’il peut, avant de partir, pour refermer la boite de Pandore ouverte par son prédécesseur.

Europe: après le désastre!

Au lendemain de l’accord de Bruxelles sur la Grèce, l’Europe s’est réveillée groggy. Sonnée par les derniers jours d’affrontements entre représentants des états membres. Abimée par les propos définitifs des uns et des autres. Meurtrie par le sort qui est fait à la Grèce. C’est l’apothéose de l’Europe punitive. Mais c’est aussi forcément le début de son déclin.

La Grèce ne s’en sortira probablement pas. Les mêmes médecines que celles qui ont été prodiguées par la troïka depuis 2010, ne pourront avoir que les mêmes effets dans les années à venir. L’austérité outrancière continuera à dégrader les capacités de rebond économique du pays qui pourra d’autant moins rembourser ses dettes. Il y aura donc d’autres crises, d’autres occasions pour les dirigeants de la droite allemande de démontrer qu’ils ne supportent que ceux qui leur ressemblent… D’imposer leur volonté à ces pays du “Club-Med” qui ne veulent décidément pas suivre leur exemple.

Mais quel exemple? Monsieur Schaüble lorsqu’il toise du haut de son mépris la Grèce l’Italie ou la France, oublie une partie de l’histoire. Il ne semble pas se souvenir que l’Allemagne dût elle-aussi bénéficier d’une annulation de dette il n’y a pas si longtemps. Que sans ce coup d’éponge elle n’aurait pas pu rebondir, et l’Europe n’aurait pu se construire. Il oublie aussi que son pays a été de fait le grand gagnant de la création de la zone euro. La monnaie unique européenne  lui a permis de développer ses exportations sur le continent vers des pays moins compétitifs qui ne disposaient plus de l’arme monétaire pour défendre leurs économies. Il oublie aussi qu’il n’y a pas si longtemps l’Europe obligeait la Grèce à réduire salaire et pensions tout en l’encourageant à poursuivre ses achats d’armes inconsidérés auprès de l’Allemagne ou de la France. Il ne sait apparemment pas non plus que la Grèce est un creuset de notre culture, que celle-ci s’enracine dans son histoire.

Il oublie surtout que le fondement de l’Europe, et son ciment, c’est la solidarité, pas l’imposition à tous de la volonté du plus puissant.

En quelques jours, l’Europe a montré le pire d’elle-même. On a vu la confrontation des égoïsmes, l’indifférence des chefs d’Etat déléguant le traitement de la plus grande crise qu’ait connu l’Union, à leurs trésoriers! La volonté de punir des plus puissants, réclamant toujours plus d’humiliations pour les plus faibles.

L’Union s’en est sortie tant bien que mal. On a signé un pacte, qui ne sera sans doute pas appliqué tant il est léonin, qui ne résoudra probablement rien, mais on a sauvé l’essentiel: on a évité de chasser de la famille le fils prodigue. Sans accord, si le ministre Schaüble avait obtenu le “grexit” dont il révait, l’Europe aurait sans doute enlevé la première pierre de sa déconstruction.

François Hollande a donc eu raison de vouloir sauver l’unité de la zone euro, à tout prix. Mais ce sauvetage ne suffira pas à occulter le désastre. Le ciment de l’Union se délite sous l’assaut des égoïsmes, sous les coups de boutoir des populistes, la zone euro se désagrège dans la confusion généralisée d’un exercice du pouvoir concentré entre les mains de chefs d’Etat, voire de leurs ministres, qui n’ont pas de vision commune, sinon l’obsession de leurs intérêts propres.

L’Europe est-elle morte dimanche matin, pour reprendre les mots du blog “sauvons l’Europe”?  Pour ce qui concerne l’Union Européenne dans ses formes actuelles, la réponse est sans doute oui. Le moteur franco-allemand qui devait assurer son rythme de croisière est cassé. Au delà des artifices, le couple n’est plus capable de porter un projet politique européen. Le Conseil des chefs d’Etat a montré qu’il n’était plus qu’une fédération des égoïsmes. La logique financière qui s’est progressivement substituée à l’ambition européenne a montré qu’elle ne pouvait plus accoucher que de chimères: on a même parlé de confier les actifs de la Grèce à une société logée dans un paradis fiscal pour en garantir la privatisation ! La logique sécuritaire qui s’empare peu à peu de chacun sur le continent, pourrait dans les mois qui viennent achever de détruire l’édifice.

Il y a donc urgence, si l’on veut sauver l’Europe! Urgence à repenser son contenu démocratique, à redéfinir ses ambitions, à la doter d’un projet politique commun. Urgence à rendre le pouvoir aux peuples, à remettre les marchands à leur place. Tout est à inventer, réinventer! Pour oublier très vite le désastre d’un dimanche 12 juillet à Bruxelles.

 

Grèce: Hollande en session de rattrapage

L’histoire repêche Hollande ! Après six mois d’échec patent à donner un nouveau souffle à l’Europe en trouvant une issue convenable à la crise grecque, il bénéficie d’une seconde chance. Avec le non au référendum grec, il se retrouve propulsé en première ligne d’une crise qui semble de plus en plus insoluble.

Dès l’annonce des premières estimations, l’Elysée à informé qu’Angela Merkel viendrait dîner à l’Elysée ce lundi soir. Il était temps ! Non pas que la chancelière vienne à Paris, mais que le couple franco-allemand fasse mine de reprendre en main le dossier.

Depuis le début de la crise, dont le règlement a été délibérément et obstinément confié aux techniciens de la finance, ils ont été aux abonnés absents. Et c’est évidemment la première raison de l’échec, jusqu’ici, des négociations. Refuser aux grecs un traitement politique du dossier, après l’élection de Syriza à la tête du pays, était au moins maladroit, sinon humiliant. Comment imaginer qu’un premier ministre aussi politique que Tsipras allait accepter de laisser traiter son pays comme un simple débiteur par des techniciens de la finance ? Fallait-il ne pas avoir écouté ses discours de campagne, ne pas avoir lu son programme électoral, pour imaginer qu’il allait avaler sans broncher un énième plan d’austérité concocté par Madame Lagarde et les techniciens du FMI et de la Commission.

Mais pouvaient-ils faire autrement? Pour la première fois, pendant cette crise, Angela Merkel a semblé ne pas avoir la main chez elle. Pas du tout certaine de pouvoir imposer au Bundestag, et à son électorat, un nouveau plan d’aide à la Grèce, elle misait sur un accord technique, gagé sur une nouvelle chape d’austérité, qui aurait mis en quelque sorte les Allemands devant le fait accompli. Elle aurait ainsi évité à la fois de paraître laxiste chez elle en aidant encore les Grecs, et le risque de devenir celle qui initie la déconstruction de cette Union Européenne que ses prédécesseurs ont patiemment édifiée. Du coup, Hollande, privé du soutien de son alliée, n’avait plus qu’une alternative : partir seul au combat pour défendre un compromis avec la Grèce contre l’intransigeance allemande, au risque d’être le dynamiteur de l’axe franco-allemand, où partir à la pêche, en laissant les rênes du dossier à… Lagarde et Moscovici. Il a choisi la seconde solution.

Au lendemain du 5 juillet, tout est changé. Tsipras a gagné son pari, il est plus soutenu que jamais par son électorat. Pour éviter tout malentendu sur ses intentions, et ne pas paraître arrogant, il a décidé, sitôt l’annonce de sa victoire, de faire partir le ministre des finances qui était présenté par les créanciers de la Grèce comme une obstacle aux discussions. Il n’y a donc aucune ambiguité, et c’est ce qu’il a dû confirmer à Hollande qu’il a aussitôt appelé au téléphone: il est prêt à reprendre les négociations sur la dette grecque pour que son pays reste dans la zone euro.

Pour l’instant le message semble avoir été entendu. Le couple franco-allemand, qui se retrouve ce lundi soir à Paris, a d’ores et déjà convoqué un sommet des pays de la zone euro. La suite du processus sera donc décidée, côté européen, par les chefs d’Etat, pas par les ministres des finances ni a fortiori les techniciens du FMI ou de la BCE. C’est un premier succès pour Tsipras : le dossier de la dette grecque est redevenu politique. Mais ce n’est qu’un premier pas. Et la suite s’annonce bien difficile.

A ne pas vouloir assumer leurs responsabilités plus tôt, Hollande et Merkel reprennent en main un dossier devenu quasi-inextricable. Les crises européennes, comme les rages de dents, s’accommodent mal d’un traitement par le mépris. Tout est encore plus compliqué qu’il y a six mois, lorsqu’ils ont décidé de ne pas s’en occuper. S’ils veulent éviter le Grexit, la sortie de l’euro pour la Grèce, et donc le rôle de fossoyeur, sans provoquer d’explosion d’une zone euro qui a  souvent l’allure d’une union des égoïsmes… il vont devoir faire preuve d’imagination.

Pour faire positif, on dira que c’est une chance. Une occasion de sortir par le haut en débouchant sur une union plus étroite. Qui devra se faire plus démocratique, c’est à dire offrir d’autres solutions de prise en compte des aspirations des peuples que le référendum-plébiscite. Sur une gouvernance économique commune, une gestion à long terme de la dette des uns et des autres, une convergence des fiscalités, une ambition partagée de relance économique à l’échelle de l’Europe. Une union où rigueur financière ne rime pas avec paupérisation des plus fragiles…

Beau défi pour une session de rattrapage !

La grande peur de l’Europe

C’est un déferlement! Il y a urgence absolue. Comment influencer le vote grec avant dimanche? Comment foutre une trouille bleue aux Grecs pour qu’ils votent correctement?Les chiffres pleuvent. La Grèce serait encore plus malade que ce qu’on vous a toujours dit. La dette est encore plus importante. La croissance encore plus faible. Et tout cela par la faute de son gouvernement actuel. C’est parce que Tsipras refuse depuis six mois de plier devant les créanciers que la situation s’est autant dégradée. Pour tout dire, avec lui la Grèce est foutue!

A part ça, comme on est démocrate, on reconnait qu’il est naturel que le peuple grec ait son mot à dire. Même Angela Merkel l’a dit!

Personne au fond ne veut que la Grèce sorte de la zone euro, car cela constituerait un recul historique et sans doute irrémédiable dans la construction de l’Europe. Donc, si le “non” l’emporte dimanche, les européens seront bien obligés de céder à Tsipras et de lui accorder la restructuration immédiate de la dette qu’il réclame. Parce qu’aucun chef d’Etat européen n’est vraiment prêt à assumer le rôle de démolisseur de l’Union… Mais au risque que Tsipras fasse des émules!

Bien sûr, en y pensant plus tôt, on aurait pu s’éviter d’en arriver là. On aurait pu rechercher vraiment un accord. La France aurait pu y mettre tout son poids pour faire pression sur l’Allemagne et le gouvernement grec, mais Hollande était apparemment pris ailleurs… On aurait pu tout simplement tenir compte de ce que la plupart des économistes rabâchent, jusqu’à DSK: cette dette ne sera jamais payée, autant donc la restructurer et cesser de prétendre ponctionner des intérêts sur une économie exsangue. Mais maintenant il est trop tard. Il n’y a plus qu’une issue qui préserve l’ordre bruxellois: le oui au référendum, et le départ du gouvernement de Tsipras, que quelques technocrates éclairés pourront avantageusement remplacer …

Alors on sort la grosse Bertha. Et tout le monde tire à vue: les ministres des finances européens, les fonctionnaires bruxellois, les socialistes, les libéraux, les journalistes… tout le monde y va de son projectile. On noie sous les bombes la simple éventualité d’un vote de révolte des grecs. La Grèce doit se soumettre, au nom de l’intérêt supérieur des dirigeants européens et du FMI, et se débarrasser de son propre gouvernement.

Evidemment tout cela n’est pas crédible. Ce n’est pas Tsipras qui a mis la Grèce dans la situation dramatique où elle est. Ce n’est pas Siryza qui a inventé la dette grecque ou l’impunité fiscale des plus riches. Pas le gouvernement actuel non plus qui a choisi, avec la bénédiction de ses créanciers, de continuer à acheter des armes à l’Allemagne quand la raison aurait voulu que les coupes budgétaires commencent par là. On peut contester les choix économiques de Tsipras, on peut discuter sa façon de négocier, estimer qu’il s’y est mal pris, voire qu’il a braqué ses partenaires, il reste le président légitime que la Grèce s’est choisi pour la tirer du gouffre, et pas le dépositaire des errements du passé.

Dans leurs affolement, les dirigeants européens sont en train de commettre une grave erreur. S’ils parviennent à leur fin, si les grecs submergés par tant de pression finissent par dire oui au nouveau plan de Bruxelles, s’ils chassent le gouvernement qu’ils ont choisi il y a six mois, parce que la menace européenne est trop forte, alors l’irréparable aura été commis. Les dirigeants européens actuels auront beau tenter de raccommoder ce qui peut l’être -quitte à accorder aux successeurs de Tsipras ce qu’ils avaient refusé à celui-ci- le mal sera fait.

On ne construira pas l’avenir de l’Europe sur la peur! Sur un déni de démocratie. La coupure entre les dirigeants et les peuples, déjà profonde, ne s’en creusera que d’avantage, sapant un peu plus la confiance dans l’Europe, l’envie même d’Europe, consacrant les égoïsmes nationaux, et ouvrant ainsi plus que jamais le passage aux courants populistes qui menacent le continent.