Les paris risqués d’Obama

Un rejet de l’accord avec les Iraniens par le Congrès serait une “erreur historique”! C’est Obama qui le dit, pour tenter de dissuader les élus américains de faire échouer in fine des mois de négociations avec les Iraniens. Une chose est certaine, un retour en arrière serait catastrophique et probablement générateur des pires dangers. On peut sans peine imaginer qu’en cas d’invalidation de l’accord, le retour de bâton en Iran serait terrible.

D’abord pour les responsables politiques iraniens actuels, qui seraient probablement balayés par le retour de flamme des plus conservateurs, qui n’ont pas dit leur dernier mot. Il s’en suivrait probablement une aggravation de la guerre que se livrent dans la région l’Iran chiite et ses voisins sunnites par milices et terroristes interposés. Et certainement une dégradation des conditions de sécurité en Israël. Bref, personne n’aurait rien à y gagner. Ni ceux qui ont signé l’accord, ni ceux qui s’y sont opposés jusqu’au bout, comme Israël ou l’Arabie Saoudite. C’est pourquoi le président américain a promis d’opposer son droit de veto à une décision défavorable du Congrès. Pour faire capoter l’accord il faudrait donc les 2/3 du Congrès et du Sénat, hypothèse peu vraisemblable.

Pour convaincre les élus américains, Obama leur a rappelé les conséquences catastrophiques de leur vote de 2002 en faveur de la guerre en Irak. Ils pourront lui rétorquer que les conséquences d’un engagement en Irak, que la Maison Blanche de l’époque jurait de très courte durée, était aussi imprévisibles que celles de l’accord qu’Obama leur propose de valider.

Et il est vrai que les répercussions de l’accord sur le nucléaire iranien, qui renforce le pays considérablement d’un point de vue politique et financier (déblocage à terme de 135 milliards d’euros d’avoirs gelés à l’étranger) sont assez imprévisibles. D’abord parce qu’il ne devrait pas empêcher l’Iran d’obtenir un jour la Bombe. Pas plus que ne l’aurait permis l’absence d’accord, ou encore un bombardement des installations iraniennes, que suggérait le premier-ministre israélien Netanyahu. Si l’Iran veut l’arme nucléaire, il finira par s’en doter. Comme l’ont fait avant lui Israël, l’Inde ou le Pakistan.

Le véritable enjeu pour Obama est sans doute ailleurs. D’abord évidemment dans son image personnelle. On voit bien comment il tente de marquer l’histoire en faisant prendre deux virages historiques à son pays: la réconciliation avec Cuba, et avec l’Iran des Mollahs. L’un comme l’autre étaient évidemment nécessaires. Mais si les risques du rapprochement avec Cuba semblent faibles, le pari iranien est beaucoup plus hypothétique.

Pour qu’il soit gagné plusieurs conditions devront être réunies. Primo, les Iraniens ne devront pas tricher trop ouvertement, ni tout de suite, sur leur programme nucléaire. Ce n’est déjà pas gagné. Depuis que l’AIEA tente de contrôler les activités nucléaires, prétendument civiles, des Iraniens, ceux-ci n’ont cessé de tricher, de dissimuler leurs installations sensibles.

Deuxio, le changement politique, qui semble s’esquisser à Téhéran, avec le président Hassan Rohani, devra se confirmer. On est là aussi encore loin du compte. Les conservateurs restent très puissants au parlement, et le guide suprême Ali Khamenei reste le personnage le plus puissant du pays. Si l’on en croit le rapport d’Amnesty International, torture, privation des droits élémentaires, restent le lot quotidien des Iraniens, et les exécutions se poursuivent à une rythme soutenu. Certes l’accord sur le nucléaire, qui prévoit la levée prochaine des sanctions internationales contre le pays, renforce le camp des réformateurs, que soutient une jeunesse avide de libertés, et de modernité. Mais un retour au pouvoir des plus conservateurs reste possible.

Pour que le pari d’Obama soit gagnant, il faudra aussi que l’Iran joue le rôle de stabilisateur, et donc pacificateur de la région, que le président Américain semble lui avoir dévolu. Là encore, ce n’est pas gagné! Pour l’heure, l’Iran est plutôt un puissant déstabilisateur. Avec le Hezbollah, qu’il soutient. Et les milices chiites qui mettent le feu au Yémen. Et le régime d’Assad auquel il apporte son appui politique et financier depuis le début de la crise syrienne. On peut noter que le soutien financier et militaire apporté au Hamas semble faiblir, mais c’est surtout parce que le Hamas, préoccupé par l’influence grandissante des sunnites de Daesh à Gaza, semble maintenant se tourner vers les Saoudiens.

Evidemment, aucun des ennemis traditionnels de l’Iran dans la région, Israël, Arabie Saoudite, états du Golfe, Turquie, ne croit à la rédemption iranienne. Alors Obama fait de la compensation. Pour Israël, en prévision de l’accord avec l’Iran et avant même sa signature, il a été prévu d’augmenter de 20% l’aide militaire américaine, actuellement 3 milliards de dollars par an. Pour la Turquie, on vient de sacrifier les Kurdes en faisant semblant de ne pas voir que pour une bombe lâchée sur les positions de Daesh, les Turcs en lâchaient 10 sur les Kurdes. Quant aux pays du Golfe, John Kerry leur a annoncé lundi que les Etats-Unis allaient accélérer leurs livraisons d’armes, les aider pour l’intégration des systèmes de missiles balistiques de la région, et améliorer les échanges de renseignement avec eux.

Si l’on doit admettre que l’accord avec l’Iran était inévitable à terme, il reste à savoir si l’ensemble des compensations  accordées aux uns et aux autres va dans le sens de la stabilité de la région, et de la paix.

Pour l’instant, on a ranimé avec l’affaire kurde au moins une guerre qui semblait pouvoir s’apaiser depuis que les Kurdes modérés avaient fait une percée remarquée au parlement d’Ankara. Augmenter encore l’aide militaire à Israël n’est évidemment pas le meilleur moyen de faire pression sur Benjamin Netanyahu, pour qu’il cesse sa politique discriminatoire à l’égard des palestiniens, et s’engage dans de véritables négociations de paix. Quant à l’assistance militaire à des régimes pour lesquels la démocratie reste un fantasme d’occidental, et dont on sait qu’ils financent ou ont financé il n’y a pas si longtemps le terrorisme islamiste…

Personne évidemment ne peut prédire ce qui sortira à la fin du “shaker” diplomatique de Barack Obama. Mais en cas d’échec, la potion risque d’être amère pour tous, comme le fut celle de son prédécesseur.

 

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