Le coût d’un entêtement…

Ca commence à faire très cher! Cette promesse lâchée dans un moment d’émotion sincère, ou de calcul politicien stupide, va coûter très cher à Hollande et son gouvernement. En poursuivant coûte que coûte sur cette voie ultra-sécuritaire dictée par l’offensive terroriste de Daesh, François Hollande et Manuel Valls font le vide autour d’eux. Les écologistes et l’extrême gauche voteront contre, c’est une affaire entendue. Des dizaines de députés socialistes pourraient également refuser la réforme constitutionnelle, et donc voter contre le gouvernement qu’ils sont supposés soutenir… et maintenant Christiane Taubira qui s’en va. Qu’elle ait réellement choisi de démissionner, ou qu’on l’y ait poussée, ne change rien à l’affaire. De toutes façons, il  était difficile d’imaginer que la Garde des Sceaux, qui s’est toujours posée en championne de la rigueur morale dans sa conduite des affaires de justice, conserve son poste en étant opposée à la réforme en cours.

Et tout ça pour quoi? Pour une réforme sans intérêt… mais pas sans danger. Plus qu’une réforme, ou plutôt moins: une posture! Inscrire dans la constitution la déchéance de nationalité ou l’état d’urgence n’apportera rien, ne rendra pas la lutte anti-terroriste plus efficace, ne dissuadera aucun passage à l’acte, et évidemment n’apportera aucune gage supplémentaire de protection des libertés individuelles. Tout au contraire. Les termes dans lesquels sont bornées dans le projet les conditions de mise en œuvre de l’état d’Urgence, laissent planer un réel danger de dérapage, et de restriction chronique des libertés, au nom de tous les dangers. Tout au plus cette réforme constitutionnelle permettra au président de renforcer sa posture de chef de guerre inébranlable… Même quand on est à l’Elysée, on a le droit d’être un peu plus exigeant!

On peut comprendre que le président de la République soit allé plus loin que nécessaire lors de son discours de Versailles après les attentats. On peut aussi admettre qu’il lui soit difficile maintenant de se dédire. Mais lorsqu’on constate l’étendue des dégâts, on est en droit de s’interroger sur le sens de tout cela.

Et si toute cette séquence politique n’était que calcul? Si le seul objectif visé par François Hollande était une fois de plus tout à fait politicien? On pourrait alors imaginer qu’il soit tout simplement en train de préparer un premier tour de la présidentielle, qu’il aurait à livrer, dans ses pronostics, contre Nicolas Sarkozy, et pour lequel seul un soutien d’une partie de l’électorat centriste -quand son rival ne pourrait y compter- pourrait assurer sa présence au second tour. Alors, il pourrait être utile d’avoir un jour fait voter des lois d’exception contre l’avis de son propre camp, mais avec l’appui de l’opposition, utile aussi d’avoir fait partir une ministre de la justice ayant très mauvaise presse à sa droite…

Heureusement, le pire n’est jamais certain!

Sous les fourches caudines de la laïcité…

L’interrogation collective sur la pratique religieuse des uns et des autres, au nom de la sacro-sainte laïcité à la française, n’en finit plus de s’imposer dans le débat, jusqu’à parasiter et paralyser la réflexion. Un débat piégé, pollué par les enjeux politiques, récupéré par l’extrême-droite. Où l’anathème fait souvent figure d’argument massue. Qui conduit à toutes les généralisations. Génère des lignes de fractures infranchissables, des Rubicon de la pensée, qui rendent impossibles toute discussion apaisée. Il ne faut pas avoir peur d’être taxé “d’islamophobie”, dans la défense intransigeante de la laïcité, nous affirme Elizabeth Badinter qui est entrée en guerre contre l’observatoire de la laïcité de Jean-Louis Bianco, dont elle et ses proches dénoncent la proximité avec les Frères musulmans, et réclament la démission.  En réponse, l’entourage de ce dernier ne fait pas non plus dans la dentelle, et reproche à ses détracteurs de faire de la laïcité un instrument de lutte contre une religion, l’islam. Du coup l’observatoire connaît démission sur démission. Et on ne peut pas dire que Manuel Valls apaise les tensions lorsqu’il reproche à Jean-Louis Bianco d’être trop conciliant avec les “dérives communautaristes”

Mais de quoi parle-t-on au juste? C’est quoi une “dérive communautariste”? C’est quand des individus d’origine étrangère aiment à se retrouver entre eux, à habiter les mêmes quartiers, à fréquenter les mêmes lieux, à parler dans leur langue natale, à pratiquer leurs coutumes ancestrales, appliquer leurs préceptes religieux… Toutes les grandes capitales ont leur “chinatown”, sans que cela dérange personne. La nation est en danger du fait du communautarisme nous dit-on. Serait-ce à dire qu’une communauté, au hasard les musulmans, tenterait d’imposer sa ou ses coutumes aux citoyens de ce pays? Tenterait de faire changer de religion ceux qui en ont une, de convertir ceux qui n’en ont pas, d’empêcher que l’on mange du porc dans les cantines, d’imposer le port du voile à toutes les femmes de France? Evidemment non, sauf dans les fantasmes maladifs de Houellebecq. Qu’il y ait des boucheries halal dans certains quartiers et des boucheries cashers dans d’autres, et des menus de substitution dans certaines cantines, n’empêche personne de manger la viande des bouchers de La Villette, chers à Boris Vian.

Le danger pourrait venir de l’université, il y aurait un grave problème de laïcité dans l’enseignement supérieur? Comprendre: certaines étudiantes exigeraient de porter le voile pendant les cours, y compris lorsque les enseignants leur demandent de les retirer au nom de la laïcité. Terrible danger effectivement que de voir des femmes voilées dans les amphithéâtres, dans les crèches privées ou les autobus scolaires. A cet égard, on se souvient de la réponse faite par Obama lorsqu’on lui demandait s’il entendait faire interdire le port du voile intégral aux Etats-Unis: “je ne crois pas que le rôle du président soit de contrôler la façon dont les citoyens s’habillent”, avait-il répondu en substance.

Notre pays a adopté une loi pour interdire les signes religieux distinctifs à l’école publique. Une autre loi pour interdire le port du voile intégral dans l’espace public. Peut-être pourrait-on considérer que c’est suffisant, et laisser les gens s’habiller comme ils l’entendent, même à l’université. Qu’on demande à un enseignant d’adopter une tenue ne permettant pas de deviner sa croyance religieuse, soit! L’inverse pourrait passer pour du prosélytisme, évidemment inconcevable à l’université. Mais qu’une étudiante souhaite garder les cheveux couverts pendant les cours, ou qu’un jeune homme suive son enseignement une kippa sur la tête, ne devrait déranger personne. La laïcité bien comprise c’est d’abord ça: le respect des convictions de chacun.

Surtout, la focalisation sur l’in-essentiel, la polarisation sur la tenue vestimentaire des musulmans, ou les menus de la cantine, ne permet pas d’appréhender les véritables problèmes d’intégration posés à nos sociétés par l’afflux des migrants. L’arrivée massive en Europe de migrants démunis, chassés par la guerre, mais aussi attirés, magnétisés, par ce mode de vie occidental, si longtemps fantasmé, et inaccessible, et soudain à portée de leur main, ne peut se faire sans drames. Le grand écart culturel est la règle, et engendre parfois, comme on l’a vu à Cologne le soir du réveillon de violents dérapages.

Cacher ces problèmes est tout aussi absurde que de vouloir à tout prix les faire entrer dans un cadre religieux. Ce n’est pas la religion qui est en cause lorsque des centaines de personnes agressent sexuellement les jeunes-femmes qui passent à leur portée. C’est bien plutôt la misère économique et culturelle, le déracinement, la frustration née de cette vaine quête d’un Eden improbable -c’est la vie dans des camps qui attend dans un premier temps les migrants- qui explique au moins pour partie le passage collectif à l’acte violent. Mais faut-il rappeler que chaque année des dizaines de milliers de femmes sont agressées sexuellement en France, sans que la religion de leurs agresseurs y soit pour grand chose?

Alors bien sûr il faut défendre la laïcité de notre République. Oui le prosélytisme religieux doit être combattu, comme l’oppression des femmes sous prétexte de religion, mais la laïcité ne doit pas être punitive. La laïcité l’emporte quand les questions religieuses se font oublier, pas quand elles monopolisent tribunes et plateaux. Accueillir dans notre Europe des centaines de milliers de migrants fuyant aujourd’hui la guerre ou la misère, demain les conséquences du dérèglement climatique est un immense défi pour les années qui viennent. Nous ne pourrons le relever qu’en appelant un chat un chat, en traitant les problèmes quand ils se posent, comme il se posent, en faisant respecter scrupuleusement par tous les lois de la République, mais sans chercher à tout prix à faire passer chacun sous les fourches caudines du dogme de la laïcité. Bref, en évitant de faire de chaque question posée par l’actualité un problème de principe, une ligne de partage entre civilisation (la notre) et obscurantisme (toujours celui des autres).

 

Primaire à gauche: pétition pour un jeu de massacre

Une primaire à gauche, soit, mais dans quel but? Trouver le meilleur candidat pour succéder à François Hollande? Pourquoi pas? Après tout le président sortant n’est pas forcément le meilleur candidat potentiel de son camp. Et si la gauche veut gagner, il est légitime qu’elle recherche celui qui a le plus de chances de l’emporter. Ce serait une nouvelle version d’union de la gauche, plus moderne, dans laquelle ce ne serait pas le candidat du PS, majoritaire à gauche, qui imposerait à ses alliés son programme, mais où l’on demanderait au “peuple de gauche” de choisir lui-même.

C’est qui au fait le “peuple de gauche”? Daniel Cohn Bendit? Thomas Piketty?Laurent Joffrin? Ces personnalités sont certes estimables. Dany est souvent clairvoyant, et redoutable débatteur. Thomas Piketty est sans doute un bon économiste, et Laurent Joffrin au fil de ses aller-retour entre le Nouvel Obs et Libé a acquis une incontestable compétence en presse de gauche. Mais ne leur déplaise, le “peuple de gauche” c’est d’abord les millions d’électeurs qui déposent un bulletin d’un parti de gauche, et donc majoritairement du PS, dans l’urne à chaque élection. En râlant plus ou moins, parfois avec un léger mal aux tripes, chacun avec son lot de frustrations, d’inquiétudes, de désaccords, de colères, mais parce que tout de même, si l’on prétend changer les choses, il faut bien commencer par prendre le pouvoir et se colleter avec le réel.

Le propos de la primaire de la gauche proposée par les signataires de la pétition est tout autre. L’idée, n’est pas de se préparer à gérer au mieux les affaires du pays, mais créer une tribune, un grand débat, ou chacun pourra donner sa vision d’une politique de gauche. Une tribune d’abord pour ceux qui ne se reconnaissent pas dans la politique mise en œuvre par le gouvernement. Ceux qui se jugent plus dépositaires de l’orthodoxie de “la Gauche” que les autres. Lorsque Thomas Piketty nous propose un débat permettant de choisir le meilleur candidat de gauche, après avoir écrit sur son blog que ce gouvernement avait réussi à marier, “l’infamie à l’incompétence”… on a envie de rigoler. Tout cela n’est pas très sérieux. La “grande primaire” proposée tournerait évidemment au procès en trahison de François Hollande. Et conduirait vraisemblablement à la disqualification de l’ensemble de la gauche pour l’échéance de 2017.

Il reste que les interrogations sur la politique du gouvernement, le constat de son incapacité à répondre jusqu’ici aux grandes questions que sont le chômage des jeunes, la ghettoïsation des banlieues, la montée de l’intolérance, la croissance des inégalités, sont totalement légitimes, et trouvent d’ailleurs à s’exprimer dans le cadre du débat public. Rarement un président aura subi autant d’attaques de son propre camp, ou supposé tel… jamais la critique, la dénonciation, la condamnation du gouvernement n’auront bénéficié d’une telle chambre d’écho… Et c’est tant mieux! Sous Nicolas Sarkozy le clivage était clair, la gauche l’attaquait sur tout, la droite le soutenait quoi qu’il fasse. C’était le temps des godillots. Aujourd’hui, tout le monde attaque Hollande et son gouvernement… et surtout la gauche.

Les lieux de débat existent. Le procès de la politique du gouvernement est instruit quotidiennement sur les chaines de télévision, les radios, dans les colonnes des journaux de tous bords, au sein même du groupe parlementaire socialiste. Et c’est bien! Cela s’appelle la démocratie. Mais c’est suffisant. Pourquoi imposer en plus au pays une séance de catharsis dans laquelle l’intelligentsia de gauche se flagellerait devant les électeurs, se couvrirait la tête de cendres, s’agonirait d’injures, d’anathèmes et autres excommunications… Avant de proposer aux électeurs éberlués de voter pour un candidat qui sortirait plus ou moins victorieux du jeu de massacre, déjà à moitié mort avant d’avoir affronté le moindre adversaire de l’autre camp.

C’est le rôle des intellectuels, économistes, chroniqueurs d’animer le débat politique, de le faire vivre, et ils le font. Il leur appartient de jouer le rôle de garde-fous de nos libertés, d’analyser, critiquer les choix des politiques, d’expliquer les soubresauts de notre société… Qu’ils continuent! C’est le rôle des partis politiques de proposer des solutions au pays et des hommes pour les mettre en œuvre.

 

 

Avec tout ce qu’on voit à la télé… il faut bien se protéger!

Quel début d’année! Comment conserver dans ce maelström un semblant de sérénité? Comment trouver un peu de distance pour réfléchir, discuter, argumenter sur les défis qui se posent quotidiennement à nous? D’un côté, le syndrome de la commémoration! Bien connu des médias de tout crin qui puissent dans la célébration des anniversaires l’indispensable substitut à la couverture d’une actualité parfois trop morne pour attirer le chaland. Et tout le monde s’y met. Gouvernement, politiciens de tout bord, amuseurs publics des chaines d’info en continu, journaux télévisés des chaînes généralistes, et les “compléments d’enquête”, et “cellule de crise” et “infrarouge”… Un an après le massacre de Charlie Hebdo, il est urgentissime de nous faire revivre les moments d’horreur de l’année 2015, à peine celle-ci enterrée. Et c’est évidemment prétexte à rediffuser en boucle ces images de terreur, usées jusqu’à la corde, mais dont on se doute qu’elles continuent à être considérées par les terroristes et leurs mentors comme autant de trophées de guerre. Certes, quelques enquêtes apportent des éléments nouveaux, mais noyées dans un bain de violence de nature à nous maintenir tous la tête sous l’eau, quand la seule réponse honorable face aux terroristes serait de tourner la page pour continuer à vivre comme avant.

Et pour ceux qui tentent d’entrer dans la nouvelle année en regardant un peu ailleurs, il y a cet épouvantable, invraisemblable et interminable débat sur la déchéance de nationalité. Au départ, il s’agit d’un piège, dans lequel se met le président Hollande en parlant trop vite, peut-être sous le coup d’une émotion mal maîtrisée devant le Congrès. Il promet un truc absurde et inutile: retirer la nationalité française à des gens dont la seule ambition est de participer à la destruction de la France dans l’espoir imbécile et criminel de l’intégrer un jour dans un soi-disant califat, où règne la barbarie d’une poignée d’assassins se faisant passer pour prophètes d’on ne sait qui.

En toute logique, une fois remis de ses émotions le président aurait dû oublier cette promesse et chacun aurait dû convenir que cette partie du discours présidentiel ne méritait pas qu’on s’y attarde. Mais non! C’est devenu l’alpha et l’omega de la survie de notre pays et de sa démocratie. Dans une formidable convergence, toutes les arrières pensées politiciennes ont fusionné pour en faire le débat de l’année. Arrières-pensées du principal intéressé, Hollande, d’abord. Espérant mettre la droite en porte à faux en reprenant une de ses propositions. De la droite bien sûr, qui le met maintenant au défi de faire ce qu’il a dit, en profite pour poser des conditions à son soutien. De l’extrême-droite trop heureuse de voir une idée qu’elle estime être sienne reprise par “l’UMPS”. De l’extrême gauche aussi, qui trouve dans l’affaire la preuve irréfutable que ce gouvernement n’a plus rien à voir avec la gauche et mérite le même opprobre, voire pire en raison de sa trahison, que son prédécesseur, celui de Nicolas Sarkozy. Jusqu’au sein du PS où l’on tente de sortir de l’affaire par la surenchère en parlant de retirer la nationalité d’individus qui ne sont que Français et en deviendraient donc apatrides… Chacun a un avis sur ce sujet essentiel, le médias ratissent très large, on fait parler tous les anciens ministres de la 5eme république encore en vie, ou presque.

Affligeant! Désolant! Désespérant! Et cela quelques semaines à peine après le choc du vote FN aux élections régionales. Quand on pourrait aspirer à la recherche de consensus sur les problèmes importants qui nous sont soumis, à l’élaboration de réponses communes aux inquiétudes multiples. A se mettre au travail ensemble, pour donner une perspective d’avenir à nos millions de chômeurs, pour tenter de réduire les inégalités, pour dé-ghettoïser les banlieues. On invente un débat idéologique et moral autour de la binationalité des terroristes! Et comme on sait si bien le faire ici, on se jette les “principes” à la gueule, on se gargarise de ses “valeurs”, avant d’en matraquer ses adversaires politiques, voire ses alliés de la veille… En faisant mine de ne pas voir qu’au fond, tout le monde se fout de savoir si une poignée de terroristes conserveront ou pas leur double nationalité!

Par contre, dans le même temps on se prépare à adopter par décret, donc sans véritable débat préalable, des mesures visant à renforcer de façon permanente, c’est à dire hors état d’urgence, les pouvoirs de la police. Seuls les magistrats et avocats s’en inquiètent. C’est apparemment beaucoup moins important que la déchéance de nationalité de quelques crétins criminels… Mais il faut bien dire qu’avec tout ce qu’on voit à la télé… Il faut bien se protéger!