Au moment ou s’ouvrent les discussions entre Manuel Valls et les syndicats, quelles sont les chances pour l’exécutif de se sortir sans trop de dégâts du piège de la loi El Kohmri? Assez faibles, évidemment! Et d’abord parce qu’Hollande et Valls ont vraiment mal géré leur affaire.
Réformer le code du travail français est une nécessité. Mais aussi une gageure. Pas vraiment parce que ce pays serait impossible à réformer comme on le dit si souvent, les Français ne sont pas plus bornés que les autres. Mais parce qu’il est impossible de réformer le code du travail sans l’aval d’au moins un syndicat, or les premiers bénéficiaires de la protection du code du travail sont… les délégués syndicaux. Dans les règles du licenciement économique, que la loi El Kohmri entend modifier, les salariés ne sont ainsi pas égaux devant la menace. Les délégués syndicaux ne peuvent être licenciés qu’avec l’accord de l’inspecteur du travail, souvent issu du même syndicat, et dont les décisions ne sont contestables… qu’auprès du ministre du travail lui-même. Les “tribunaux” prud’homaux dont la loi voudrait rogner les prérogatives sont eux aussi peuplés de délégués syndicaux qui arbitrent, en partenariat avec des représentants du patronat, les conflits internes aux entreprises. Et obtiennent, en compensation de leurs activités syndicales, des heures de dispense de travail dans leurs entreprises, qui font de certains d’entre eux des privilégiés, intouchables sans l’accord… de l’inspecteur du travail. Au delà du caractère incontournable des syndicats comme défenseurs des salariés, et interlocuteurs du patronat, le syndicalisme en entreprise c’est aussi cela. Et cela ne simplifie pas la modernisation du code du travail. Surtout lorsque la loi prétend, instaurer une forme de démocratie directe, le référendum d’entreprise, en concurrence avec la parole syndicale. Réformer le code du travail, c’est bel et bien s’attaquer frontalement aux prérogatives syndicales.
Pour avoir une chance d’y parvenir, plusieurs pré-requis auraient dû être respectés. D’abord il aurait fallu le faire plus tôt. Ne pas attendre que règne une ambiance délétère de fin de règne, pour tenter le jackpot réformateur. Ensuite, il aurait fallu discuter d’abord, et s’assurer du soutien d’un syndicat -généralement la CFDT est la plus apte à comprendre les nécessités de la modernisation du pays- avant même de présenter le projet. Enfin, on aurait évidemment dû s’abstenir d’agiter la menace du 49-3, c’est à dire de l’adoption du texte sans vote, au bon vouloir du gouvernement, avant même le début des discussions. Peut-être enfin aurait-on pu imaginer que réformer la constitution et le code du travail dans la même séquence, pouvait conduire la majorité parlementaire à l’overdose.
Du coup, c’est avec un pistolet sur la tempe que l’exécutif ouvre les discussions. La CFDT a jugé avant toute discussion, le texte inacceptable. Une pétition contre la loi a recueilli plus d’un million de signatures dont une partie est peut-être bidon, mais dont le poids est certain. La grande manif syndicale est pour après-demain. L’UNEF bat le rappel des jeunes, souvent avec des arguments d’une rare indigence, l’extrême-gauche en a fait la mère de toutes les batailles contre François Hollande et le PS…
On aurait voulu démontrer l’impossibilité de réformer ce pays qu’on ne s’y serait pas pris autrement. Même si on peine à croire que le gouvernement ait cherché de façon délibérée dans cette démonstration une exonération de son impuissance. Ce n’est en effet sans doute pas en échouant sur l’essentiel que Manuel Valls préparerait le mieux son avenir de fringant réformateur. Quant à François Hollande, un échec et un retrait du projet, façon CPE de Chirac, apporterait une conclusion catastrophique à son mandat.
Mais surtout, un échec du gouvernement risquerait de renvoyer aux calendes une possible réforme du code du travail, et confirmerait la préférence française pour l’immobilisme… tout en permettant à chacun de continuer à se lamenter à propos de notre taux de chômage anachronique.