La mère de toutes les batailles…

Après les raffineries et les transports, c’est maintenant au tour des centrales nucléaires. La CGT poursuit son opération de déstabilisation du pays. Rarement bras de fer aura été si violent et si total. C’est que l’enjeu est considérable pour la centrale syndicale. La loi El Kohmri a voulu s’attaquer en effet à trois des piliers essentiels de la puissance de la CGT.

Le premier c’est la justice prud’homale. Ce système de justice paritaire, c’est à dire de cogestion judiciaire, qui permet de trancher les différents entre salariés et directions des entreprises, par arbitrage, voire marchandage, entre organisations syndicales et patronales. Un système avantageux pour les syndicats : les militants salariés qui y siègent bénéficient d’une décharge professionnelle dans leur entreprise pour exercer leurs activités syndicales, et d’une protection contre le licenciement. En tentant de plafonner, y compris de façon simplement indicative, les indemnités accordées au salarié par les prud’hommes, le gouvernement confirmait sa volonté de réformer cette institution spécifiquement française, pour professionnaliser la justice sociale. La CGT n’en veut pas.

Le deuxième pilier c’est celui de la représentativité dans l’entreprise. En valorisant le référendum d’entreprise, et donc la démocratie au travail, la loi attaque directement le pouvoir de la représentation syndicale. Et donc également sa capacité de faire adhérer les salariés, dans un moment où les effectifs syndicaux rétrécissent. Ouvrir une autre voie, aussi démocratique soit-elle, que celle de l’organisation syndicale majoritaire pour l’établissement du consensus social dans l’entreprise, remet en question le caractère incontournable du syndicat dominant.

Enfin, troisième péché capital de la loi, elle voudrait remettre en cause le primat des accords de branche sur les accords d’entreprise. Toujours présentes au niveau des branches, les grandes organisations syndicales peuvent dicter jusqu’ici de mêmes normes à des entreprises où elles ne sont pas ou peu représentées. C’est certes protecteur pour les salariés des petites entreprises, peu syndiqués, mais permet aussi d’asseoir le pouvoir d’organisations syndicales qui peuvent imposer à des professions entières leurs choix stratégiques nationaux, tenant souvent peu compte des intérêts réels des salariés dans les entreprises. Contester ce principe, c’est là encore attaquer frontalement la CGT.

L’organisation syndicale tire de sa position majoritaire (toute relative), et des facilités que lui offre la loi, un ensemble d’avantages dont les premiers bénéficiaires sont souvent la centrale elle-même et ses propres militants, avant même leurs mandants. C’est cela qui est en jeu aujourd’hui. Il y a bien là de quoi faire une guerre. La CGT ira donc sans doute jusqu’à mettre le pays à genoux pour faire céder le pouvoir. Pour elle le combat contre la loi El Kohmri est la mère de toutes les batailles. Une bataille contre une évolution pourtant inévitable vers un syndicalisme plus responsable, qui reste évidemment indispensable, et une vie sociale plus démocratique.

 

La parenthèse et le chambardement!

Quelle étrange République! Fondée sur l’indépendance des pouvoirs, mais qui ne supporte pas leurs manifestations d’indépendance. Hollande et son gouvernement en font l’amère expérience. Ils ont voulu l’indépendance de la justice? La transparence de la vie politique? Elle se sont retournées contre eux. Et c’est Cahuzac qui se retrouve au tribunal, fort logiquement, quand Balkany peut continuer à se pavaner sur les bancs de l’assemblée, et Nicolas Sarkozy à préparer un retour à l’Elysée.

François Hollande avait promis de ne pas être un chef de parti? De ne pas convoquer les députés pour les réprimander, de respecter les droits du parlement, bref d’en finir avec les “majorités-godillots”? Il le paye au prix fort. Les institutions ne fonctionnent bien que quand la majorité parlementaire obéit au doigt et à l’œil à l’exécutif. L’article 49-3 étant l’indicateur des dysfonctionnements. Evidemment que son usage est une atteinte aux droits du parlement, comme réprimande aujourd’hui Martine Aubry, avec le courage de ceux qui sortent toujours du bois après la bataille! Bien sûr, c’est un aveu de faiblesse d’un exécutif qui n’a pas su convaincre. Et lorsque des députés de son propre parti tentent, en vain, de déposer une motion de censure contre “leur” gouvernement… le Président paraît plus seul que jamais.

Les Français adorent les monarques, mais à condition qu’ils en aient tous les atours. Que “le costume” soit à leur taille, comme on dit. Bref, qu’ils fassent régner l’ordre dans les rangs. Tout le contraire d’Hollande! Il voulait désacraliser la fonction présidentielle, être un président “normal”. Mais les Français veulent un président qui règne. Il voulait réhabiliter la négociation sociale et le dialogue, loin des coups de menton et de l’arrogance de son prédécesseur. Mais quatre ans après c’est la culture de l’affrontement qui l’emporte. Le parti communiste, ou ce qu’il en reste, retrouve ses accents révolutionnaires. Les jeunes, dont Hollande avait fait la priorité de son quinquennat, sont dans la rue, et se soucient peu des mesures, sans précédent, prises en leur faveur… comme ils le scandent dans les cortèges, ils sont là pour se battre contre la police et l’ordre qu’elle représente. Bref, sa majorité est divisée, la droite est contre lui, la gauche de la gauche aussi, les écologistes également, la rue est contre lui, la jeunesse, les syndicats aussi, le patronat, qui n’en a jamais assez également, mais aussi les “intellectuels” et ces faiseurs d’opinion que sont devenus les animateurs-télé…

Le quinquennat ira probablement toutefois à son terme. La loi travail ne sera peut-être jamais appliquée, ou seulement partiellement. Déjà les candidats de droite, certains de la victoire, promettent d’en faire beaucoup plus qu’Hollande pour “sécuriser” les entreprises, et pourchasser les vrais “fraudeurs”… c’est à dire les “assistés” en tout genre! Fin d’un quinquennat parenthèse? Ou porte ouverte sur un grand changement politique? Celui dont Hollande a sans doute pressenti la nécessité, sans avoir le courage ou la détermination pour le mettre en œuvre.

Hollande a joué petit bras. Il prétendait rénover la vie politique, mais n’a pas osé toucher aux institutions. C’est quand il en avait les moyens, c’est à dire au début de son quinquennat qu’il fallait pousser les feux. Aller beaucoup plus loin sur le non-cumul des mandats. Introduire une dose significative de proportionnelle aux législatives. Créer les conditions d’une expression démocratique alternative, et complémentaire, à la seule voix des partis politiques. Aller au bout de la transparence, en interdisant l’accès aux fonctions politiques à toute personne  sous le coup d’une enquête judiciaire. Supprimer l’immunité présidentielle. Donner leur indépendance aux  magistrats du parquet… Il y avait beaucoup mieux à faire que de tenter d’introduire en fin de mandat une réforme du conseil supérieur de la magistrature dans un projet de réforme constitutionnelle stupide, dangereux et inutile, sur la déchéance de nationalité. Il y avait également mieux à faire sur l’indispensable refonte du code du travail qu’une loi mal négociée, mal expliquée, à quelques mois de la fin du quinquennat. Après le catastrophique quinquennat Sarkozy, Hollande aurait pu être le président de la refondation de la vie démocratique, du dialogue social… Il risque de ne laisser à l’histoire que le souvenir d’un président ayant battu tous les records d’impopularité, et envoyé plus de CRS dans les rues que tous ses prédécesseurs depuis 1968.

Maintenant que seule la peur de perdre leur mandat semble retenir les frondeurs de casser définitivement la baraque, sa marge de manœuvre est de plus en plus infime. Il est probablement déjà trop tard. Ce qui n’a pas été fait avant ne le sera probablement pas d’ici un an, et c’est dommage. Le quinquennat de François Hollande aura au moins eu le mérite de démontrer une bonne fois le caractère définitivement obsolète des institutions de la 5ème république, qu’il croyait pouvoir revitaliser. Ce n’est évidemment pas non plus de son éventuel successeur de droite, quel qu’il soit, qu’il faudra attendre le grand chambardement nécessaire.

 

Pendant ce temps là, la droite…

Et pendant ce temps là… Pendant que la gauche se déchire autour de la loi El Kohmri, que les frondeurs du PS mettent toute leur énergie à envoyer leur gouvernement, et eux avec, dans le mur, que les responsables politiques de l’ex-majorité se succèdent aux micros, pour dénoncer qui l’Etat policier, qui la remise en question des fondements de notre République, qui la trahison du président et sa connivence entre la gauche de gouvernement et le grand capital, ou son mépris  pour les plus humbles… Pendant ce temps là, la campagne de la primaire de la droite bat son plein.

On dit toujours qu’une élection en France se gagne au centre. Mais pas une primaire! Pour l’emporter il faudra d’abord convaincre le noyau dur des électeurs de l’ex-UMP. Et on attrape pas les mouches avec du vinaigre. Le programme qui s’esquisse au travers des déclarations des uns et des autres est une espèce de caricature de tous les travers de l’ère sarkozienne. Sarkozy, à tout seigneur tout honneur, promet évidemment de reprendre toutes les marottes de son quinquennat: 300000 fonctionnaires de moins, et rétablissement des peines plancher par exemple… Mais il reste à la traîne derrière Juppé dans les sondages, alors il en rajoute une couche. Dernière “bonne” idée en date: la suppression des contrôles fiscaux inopinés dans les entreprises et la réduction de leur champ de trois années à une année d’arriéré… C’est ce qu’on appelle être en phase avec l’actualité. Au moment où l’ampleur révélée de la fraude fiscale fait frémir, il propose tout simplement de couper les ailes aux contrôleurs… Et idem pour la fraude sociale… Plus de contrôles inopinés… En tout cas dans les entreprises, pour les “assistés”, forcément présumés fraudeurs, c’est une autre paire de manche.

Le plus innovant dans la lutte contre l’assistanat est sans nul doute Bruno Le Maire. Pour faire entendre sa différence dans le concert de la droite, il propose tout simplement de contrôler les comptes bancaires des titulaires du RSA. Evidemment une telle intrusion dans la vie privée des intéressés serait illégale, alors il propose qu’un titulaire du RSA doive fournir volontairement en échange de son revenu mensuel, un relevé de compte bancaire… Sinon, pas d’allocation. Histoire de vérifier qu’il fait bon usage de l’aumône publique. Une idée formidable, non? On arrête de contrôler les entreprises et on remplace par le contrôle des dépenses des plus pauvres! On pourrait suggérer aussi d’étendre cette surveillance bancaire à l’allocation de rentrée dont bénéficient les familles les plus modestes et qu’ils risquent d’utiliser à autre chose que les frais scolaires. Juppé comme Sarkozy proposent en tout cas le retour de la suppression des allocations familiales pour absentéisme scolaire. L’ancien président diminuera les remboursements santé de la sécurité sociale, trop élevés, de trois points, et supprimera l’aide médicale d’Etat qui fait pourtant l’honneur de ce pays. Tous se débarrasseront de l’impôt sur la fortune qui dissuade les riches de gagner plus.

Côté réforme du droit du travail, le sujet qui met la gauche cul par dessus tête, il n’y a évidemment pas de surprises. Tous veulent faire sauter le verrou des 35 heures, et rendre tout le pouvoir aux chefs d’entreprise. La palme à Fillon qui s’il est élu débarrassera carrément les entreprises de la durée légale du travail. Tandis que Juppé qui estime que les Français ne travaillent pas assez se contentera d’un retour aux 39 heures, et supprimera le compte pénibilité qui permet de donner la retraite un peu plus tôt, ou une formation pour changer d’emploi, à ceux qui sont les plus usés par le travail. Tous trouvent bien sûr que la loi El Kohmri ne va pas assez loin. Qu’il faut en faire beaucoup plus dans la remise en cause du pouvoir syndical, pour protéger les entreprises contre… les risques du salariat. D’ailleurs ils voteront tous contre la loi El Kohmri.

Comme une partie de la gauche, bien occupée pour l’instant à s’autodétruire, pour la gloire, et l’histoire!