Pas touche à la constitution!

Arguties juridiques“… Nicolas Sarkozy n’a pas perdu le sens de la formule. On se souvient d’une précédente formule à propos de “la pensée unique” principal obstacle selon lui au progrès. Il s’agissait alors de dénoncer la “bien pensance”, c’est à dire la faculté de certains, à gauche en général, à placer quelques principes éthiques au dessus de toutes contingences. A poser quelques valeurs en obstacles à la réalisation des aspirations sécuritaires et identitaires supposées du peuple de France. L’exercice démagogique n’avait pas suffi à lui éviter la défaite. Porté aujourd’hui par le contexte terroriste il remet le couvert.

Mais la nouvelle formule va beaucoup plus loin dans la dérive morale et politique. En dénonçant les “arguties juridiques” il ne s’attaque plus à une forme de pensée, à une posture de défense intransigeante de valeurs, mais à l’inscription même de ces valeurs dans notre consensus national, à travers notre loi fondamentale qu’est la constitution. Et un de ses hommes lige, Laurent Wauquiez précise qu’après tout, il suffit de modifier la constitution. Evidemment! Dès lors que l’on veut s’attaquer aux droits et libertés que garantit la constitution, il suffit de modifer cette dernière pour élargir le champ des possibles en matière de répression.

De quoi s’agit-il exactement? Où sont les “arguties”? L’objectif est clair, simple comme une discussion de bistrot: mettre en détention administrative des gens dangereux sur la base d’un simple soupçon, avant qu’ils soient passés à l’action, donc a fortiori avant tout jugement, en se passant même de préférence de l’avis d’un juge. Pour celà il suffit de démonter deux “arguties” juridiques: l’une s’appelle présomption d’innocence et fonde notre droit, l’autre séparation des pouvoirs, et c’est un pilier de notre démocratie. Il suffit donc de faire dire à la constitition que l’exécutif a tout pouvoir d’interner qui il souhaite au nom de la présomption de dangerosité.

Ce serait évidemment un attentat contre la République. Mais aussi la mise en place par anticipation d’un prérequis dont un éventuel pouvoir totalitaire ne manquerait pas d’user et sans doute d’abuser… Aucune menace terroriste ne peut le justifier. Le gouvernement à donc raison de s’y opposer.

Mais la gauche serait mieux placée pour y faire obstacle si Hollande lui même ne s’était égaré il y a quelques mois dans un projet, aussi inutile que stupide et dangereux, de réforme de la constitution pour déchoir des terroristes de la nationalité… que leur garantit la constitution.

De la polémique à la sédition…

D’accord, c’est lamentable, mais il parait que c’est la vie politique! Il serait de bonne guerre, sinon de bon goût, d’attaquer systématiquement l’adversaire, y compris de mauvaise foi, même après un drame national tel que celui que nous avons vécu à Nice. Il serait logique à quelques mois de la primaire que les candidats au leadership de la droite tentent de se démarquer les uns des autres par la surenchère sécuritaire, et la critique à boulets rouges de l’action du gouvernement et de sa police. Il serait compréhensible qu’on tente d’exploiter l’assassinat sauvage de 84 personnes pour tenter d’en tirer un bénéfice politique… Chacun jugera!

Mais avec l’affaire des destructions de vidéos, Christian Estrosi vient de franchir un rubicon qui aurait dû demeurer infranchissable. En refusant de se plier à une demande de la justice formulée dans l’intérêt des victimes et de leurs proches, il démontre certes le peu de cas qu’il fait de la souffrance des intéressés, mais aussi affiche une position de rébellion et de défiance inédite. Si l’on comprend bien, il soupçonne la justice, qui dispose de l’intégralité des vidéos en question, de vouloir faire détruire des preuves par la mairie afin de pouvoir ensuite falsifier la réalité. Il se pose en rempart face aux juges qui seraient, doit-on en conclure, à la solde du pouvoir socialiste, prêts à trahir la vérité, le droit et la justice, au seul bénéfice du gouvernement. C’est évidemment gravissime. C’est tout simplement une posture de sédition, peu compatible avec l’exercice de responsabilités au sein de la République. La même posture de rupture que celle du maire de Chalon sur Saône qui refuse d’accueillir la ministre de la Culture dans sa ville…

Il y a quelques mois lorsque tout le monde faisait mine de découvrir la menace du Front National au lendemain des élections régionales, que le parti socialiste appelait à voter Estrosi en PACA pour lui faire obstacle, chacun promettait que l’on ne ferait plus jamais de la politique comme avant. C’est exact, ce n’est pas comme avant, c’est bien pire!

Quand on songe que la bataille électorale, pour la primaire, puis pour la présidentielle, ne fait que commencer, et durera près d’un an, on peut légitimement s’inquiéter du devenir d’un consensus républicain déjà réduit au plus petit dénominateur commun.

La fascination du néant

Assommés! Comme au lendemain du 13 novembre. Comme chaque fois que la terreur s’invite dans nos vies. Blessés, révoltés, incrédules… Comment un être humain peut-il basculer ainsi de l’autre côté du miroir, là où il n’existe plus d’humanité, là où la vie n’a plus de sens, ni la sienne ni celle des autres? Là où l’on peut massacrer indifféremment hommes, femmes, enfants pour la seule raison qu’on croise leur chemin? Là où plus rien n’a d’importance, où il n’est même plus besoin de revendiquer son acte au nom d’un dieu ou d’un gourou, où l’acte se suffit en lui-même, où l’anéantissement tient lieu de message. On conduit un camion à travers la foule un soir de 14 juillet comme on brûle vifs des enfants à Kirkouk. Pour l’exemple, pour faire parler, pour terroriser… ou simplement pour rien.

Et nous sommes désemparés. Lorsque nous ne parvenons pas à comprendre, lorsque la terreur n’obéit plus à aucune logique intelligible, lorsque la barbarie semble prendre ses racines dans la seule fascination du néant, nous sommes désarmés. On pourra bien sûr polémiquer sur le sens de la prolongation d’un état d’urgence qui a prouvé hier ses limites, se gausser de l’escalade du plan vigipirate qui n’en finit plus de se renforcer… mais que faire? Comment répondre à un danger qui semble maintenant inexorable, et tellement insaisissable?

Les terroristes ont de toutes façons déjà atteint leur but. Notre état de droit a reculé sous la pression de la peur. Les portes de l’Europe se sont refermées. Les engagements européens en matière d’accueil de réfugiés sont bafoués. L’intolérance progresse partout, les populistes font dans toute l’Europe des scores record, les discours identitaires ont le vent en poupe, chacun se barricade dans son pré carré.

Il nous reste les mots. “On ne cèdera pas à la peur”, répète-t-on à l’envi, alors que la peur est partout palpable. “Nous préserverons nos valeurs et notre mode de vie contre les attaques terroristes”, affirme-t-on d’un bout à l’autre de l’échiquier politique. Mais personne de parle des mêmes valeurs ni ne se réfère au même mode de vie. Pour les uns il s’agit de maintenir une étape du tour de France en plein deuil national, pour montrer qu’on ne cède pas à la peur. Pour d’autres de lutter partout contre le “communautarisme”, ce concept commode qui permet de justifier tous les rejets de l’autre, au nom d’une pseudo identité nationale. Pour d’autres encore, souvent d’ailleurs les mêmes, de transformer notre démocratie déjà malmenée en véritable état policier, au nom de nos valeurs de liberté.

L’escalade sécuritaire parait pourtant bien vaine. Il y a bien sûr un Guaino pour prétendre qu’un soldat avec un bazooka à l’entrée de la promenade des Anglais aurait empêché l’attentat, d’autres pour réclamer une multiplication des perquisitions administratives, ou l’incarcération de toutes les personnes soupçonnées de pouvoir devenir des suspects potentiels. Surtout lorsqu’ils sont musulmans… Mais au fond tout le monde est conscient qu’aucun dispositif ne pourra jamais réduire à zéro le risque d’attentat. Nous devrons longtemps vivre avec, et nous devons nous attendre à de nouvelles surprises quant à l’imagination opératoire des terroristes, qui hélas risquent d’avoir toujours un coup d’avance.

Tant que s’exercera sur quelques esprits fragiles cette fascination du néant, alors nous seront tous en danger. C’est donc sur le néant qu’il faut agir. Sur ce néant qui a envahi la vie de certains de nos concitoyens, qui ne deviennent pas des terroristes pour autant, mais ont perdu leurs repères. A force d’être au chômage, à vivre dans des zones à l’écart de la République, à avoir le sentiment de subir toujours plus la loi des possédants, à se sentir toujours laissés pour compte, à contempler l’impuissance des politiques, leurs lâchetés, leurs sales petites combines pour certains tout au moins, leurs résignations devant la toute puissance de l’argent… à vivre sans plus aucun espoir de lendemains qui chantent -ou au moins font entendre la petite musique du progrès- sans autre soutien que celui de leur religion. C’est là qu’on peut agir. Pas en se battant contre une religion, mais en redonnant du sens, de l’espoir… En revivifiant notre démocratie, en défendant les libertés de chacun, en respectant les identités diverses qui composent le patchwork français, en s’attachant à offrir à tous les mêmes chances, en faisant reculer l’intolérance, l’exclusion, les inégalités qui ne font que s’aggraver, en réinventant un grand dessein européen au lieu d’une Union punitive qui s’acharne sur les plus faibles…

Ca n’empêchera évidemment pas les attentats demain ou même après-demain, mais au moins cela nous donnera le sentiment que nous allons quelque part… et donc que nous ne sommes pas condamnés à rester indéfiniment dans cette impasse meurtrière qui ne mène qu’au néant.