C’est par où le fond de la piscine?

On croit être au fond de la piscine, on se prépare au rebond, inévitable, et puis non! On peut encore descendre plus profond. On en était resté à 600000 électeurs de gauche mobilisés pour éliminer Sarkozy au premier tour de la primaire. On découvre, si tant est qu’on puisse faire confiance au sondages de sortie des urnes, qu’ils sont autant à avoir voulu départager Fillon et Juppé! 15% du corps électoral de droite, et du centre, se disaient de gauche! Comme on peut supposer qu’ils se sont plutôt portés sur Alain Juppé, on imagine ce qu’aurait pu être le score de ce dernier sans ce renfort improbable.

En tout cas, voilà au moins un point éclairci: le cru 2017 de la droite sera conservateur, rétrograde, tourné vers une image fantasmée de la France d’avant. Dans les années 60, on avait le plein emploi et la croissance économique. On n’avait pas l’avortement libre et gratuit, ni la retraite à 60 ans. L’homosexualité était encore un délit, même si elle n’était pas poursuivie, on ne mariait pas les hommes entre eux, et l’adoption était réservée aux familles comme il faut. On ne mégotait pas sur la durée de la semaine de travail. On pouvait mettre les gosses en apprentissage à 14 ans. A l’école on portait la blouse, et on apprenait à ânonner avec le maître “nos ancêtres les gaulois…” Les musulmans étaient discrets, la France fière d’être “la fille ainée de l’église”… C’était le bon vieux temps!

Une partie de la droite, celle qui n’a pas peur du recul de l’âge de la retraite, souvent parce qu’elle y est déjà, ni de l’allongement de la durée hebdomadaire du travail pour les mêmes raisons, qui se moque du droit à l’avortement, peut-être parce qu’elle sait n’être pas vraiment concernée, qui a battu le pavé contre le mariage pour tous, ou protesté contre l’installation d’un centre d’accueil pour sans abris dans les beaux quartiers de Paris… a choisi son candidat pour la présidentielle. Mais il n’y a pas qu’elle. Il y avait aussi des jeunes, pas mal de jeunes, et de femmes, le soir de la primaire à la permanence de François Fillon… et cela n’est pas le moins inquiétant! Les hommes, plus âgés, plus aisés, plus cathos, ne sont pas les seuls à avoir fait un triomphe à Fillon, même s’ils sont vraisemblablement le cœur de son électorat.

Et pendant ce temps là… Pendant ce temps là, Libération titre “la gauche Titanic”! Pas vraiment à tort. On assiste à une mascarade sans précédent au sommet de l’Etat. Le premier ministre menace le président de se présenter en 2017 contre lui. Puis change apparemment d’avis après un déjeuner de réconciliation. Le Parti Socialiste est cul par dessus tête. Les “frondeurs”, souvent ses ex-ministres, appellent le Président de la République à dégager pour sauver “la Gôche”. Le président de l’Assemblée Nationale, quatrième personnage de l’état, qui veut semble-t-il se venger d’une confidence élyséenne qui lui était défavorable, préfèrerait un pugilat public entre les deux premiers. Tandis que Mélenchon le candidat auto-proclamé de “l’insoumission” de gauche appelle à jeter le parti socialiste aux poubelles de l’histoire, mais rend un hommage appuyé au dictateur Fidel Castro… A croire que tous souhaitent en étalant leurs faiblesses, leurs divergences, leurs enfantillages, crédibiliser l’improbable candidature de François Fillon, qui sait mieux que quiconque la jouer “force sereine” sous ses sourcils broussailleux mais bienveillants.

Le PS est simplement égal à lui-même. Parti d’opposition par son histoire, et ses fondements, haut lieu de la cuisine politicienne, il n’a toujours pas, malgré la parenthèse mitterrandienne, acquis une culture de gouvernement. Jospin autant qu’Hollande se sont cassés les dents sur cet écueil: les apparatchiks du PS -lorsqu’ils n’ont pas droit à un fauteuil de ministre- sont finalement plus à l’aise dans l’opposition, là où aucun compromis n’est nécessaire, ou l’on peut enchaîner les pétitions de principe comme grains de chapelet. Où l’on peut briller d’un bon mot contre son camp, sans que cela prête à conséquences. Où l’on peut faire des leçons de morale à la cantonade. Si la situation du parti semble s’aggraver aujourd’hui, c’est parce qu’il prépare déjà son retour dans l’opposition. Alors chacun se positionne pour l’après, quitte à renier tout ce que ce gouvernement a fait de positif depuis 4 ans. 5% des voix à la primaire de la gauche cela peut mener loin! C’est évidemment le premier échec d’Hollande: il n’a pas su transformer son parti en force de gouvernement, et donc de changement.

Alors, maintenant? On continue à s’enfoncer, et à laisser les Français penser que la politique c’est l’affrontement stérile de professionnels accumulant les dizaines d’années d’activisme, comme d’autres les médailles du travail, pour qui le seul avenir qui vaille est l’échéance électorale suivante? On continue à regarder le spectacle donné par les partis politiques, ces machineries qui, de congrès en primaires, donnent l’impression de ne  tourner que pour se régénérer elles-mêmes en assurant la pérennité d’un système qui, droite ou gauche, échappe aux citoyens? Ou bien alors on trouve autre chose, avant que le retour de manivelle nous renvoie au siècle dernier, dans ce qu’il avait de pire ? La piscine a forcément un fond!

 

 

Une élection à deux balles!

Ce fut une magnifique primaire, tous les observateurs vous le diront. Un grand moment de démocratie! Même les perdants de l’élection y vont de leur satisfecit ébloui. Décidément le peuple de France est formidable. Enfin le peuple de droite et du centre de France… Et de gauche, un peu, il faut le dire!

Résumons nous: un échantillon non représentatif de 4 millions d’électeurs de droite, du centre, et de gauche (ces derniers étaient 10 à 15% parait-il, si l’on choisit de faire encore un peu confiance aux instituts de sondage qui ont interrogé les participants et qui se trompent si souvent), a choisi hier deux candidats dignes de se disputer la représentation de la droite au premier tour de l’élection présidentielle. Au passage, ils ont sauté sur l’occasion pour écarter, définitivement en principe, Nicolas Sarkozy de la vie politique française. Perdant résigné, celui-ci n’a pas tenté de contester cette élimination. Quelques uns de ses soutiens ne s’en sont eux pas privés, soulignant que si effectivement 600000 électeurs de gauche avaient participé à l’élection pour éliminer leur champion, le jeu était complètement faussé.

Ce n’est pas faux. Si l’on prend pour argent comptant cette estimation de 15% d’électeurs de gauche, cela représente 600000 voix. Si l’on suppose qu’elles se sont portées à moitié sur chacun des deux candidats arrivés en tête, et qu’on les neutralise, Fillon reste en tête, mais Sarkozy talonne Juppé à quelques milliers de voix près. Si l’on suppose en revanche que les électeurs de gauche ont tous voté pour Juppé, conformément aux appels lancés sur les réseaux sociaux depuis plusieurs semaines… alors sans eux, il n’y aurait pas eu de second tour, puisque Fillon aurait eu la majorité absolue.

Quoi qu’il en soit, au delà des hypothèses, le résultat est là: il y aura un second tour qui opposera Juppé à Fillon. Et depuis hier matin la question du vote de gauche est reposée sur les réseaux sociaux. Après avoir fait perdre Sarkozy, ne pourrait-on pas aider la droite à choisir son candidat pour le second tour? Le programme de Fillon est tellement à droite… si l’on pouvait donner un coup de pouce à Juppé… Pour 2 euros cela vaut le coup! Oui mais attention, on pourrait aussi à l’inverse favoriser la désignation du très droitier Fillon pour faciliter le travail de la gauche à la présidentielle… Ou encore pour gêner plus Marine Le Pen en cas de présence du candidat de droite au second tour… La tactique politicienne n’est pas une affaire simple à portée de l’électeur lambda!

Au final cela donne quoi?

La primaire ouverte est un grand malentendu démocratique. Un malentendu qui permet de redonner un coup de vernis démocratique à des partis politiques de plus en plus contestés parce qu’ils monopolisent l’exercice démocratique, et le vouent à leur propre perénnisation. Mais qui ne rime à rien!

S’il s’agit de désigner le candidat d’un parti, alors, que les partis l’assument, choisissent eux-mêmes en leur sein, en prenant l’avis de leurs militants, c’est leur droit le plus strict. Mais si les pré-candidatures sont soumises à l’ensemble des électeurs, lors de primaires ouvertes, alors c’est une perversion du système électoral, qui revient à organiser un tour préliminaire de l’élection présidentielle. C’est au premier tour de l’élection présidentielle que les électeurs doivent départager les candidats!  Les primaires ouvertes faussent le jeu démocratique, dans l’intérêt des appareils de partis, largement démonétisés, qui prolongent ainsi leur main-mise sur l’exercice démocratique en reconduisant les mêmes. Renvoyant les candidats qui refusent de s’y soumettre à la marginalité, prémâchant le choix des électeurs. Elles conduisent à cette situation absurde ou l’électeur peut être conduit régulièrement à voter pour un candidat dont il ne partage pas les idées, pour éviter qu’un autre ait la possibilité de se présenter à une véritable élection démocratique…

Bref, la primaire ouverte, c’est vraiment une élection à 2 balles!

L’Amérique n’est pas si loin…

Le cauchemar s’est donc réalisé. Après avoir à deux reprises élu un Barack Obama, l’Amérique a choisi le candidat de la xénophobie, du sexisme, du rejet des autres, que soutenaient Poutine et le Ku-Klux Klan! On pourra évidemment gloser sans fin sur les raisons de ce choix inattendu. On peut tout de même retenir quelques éléments qui doivent nous conduire à réfléchir à la situation dans notre propre pays.

Trump s’est positionné dans cette campagne comme un ennemi du “système”, des élites politiques de son pays. Lui, le candidat jamais élu, le milliardaire mal dégrossi déboulant dans la politique avec quelques convictions à l’emporte-pièce, pouvait prétendre incarner le vrai changement. Celui qui allait donner le coup de pied décisif dans la fourmilière Washingtonienne. Renvoyer dans leurs foyers ceux qui “se gavent” sur le dos du peuple… Message populiste parfaitement reçu par le public. D’autant qu’en face, les démocrates avaient choisi une candidate qui incarnait mieux que quiconque cet “establishment”. Ex-première dame, déjà candidate aux primaires contre Obama, ancienne secrétaire d’Etat… Pour les électeurs, le renouvellement était forcément forcément dans le camp républicain. Or c’est vrai aux Etats-Unis comme ailleurs, les impacts négatifs de la mondialisation sur les couches les plus modestes de la population, se traduisent par une soif éperdue de changement. Dans un sens ou l’autre, il faut que cela bouge parce qu’on en peut plus… Or Hillary Clinton incarnait la continuité.

Trump avait fini aussi par convaincre l’électorat qu’Hillary Clinton était malhonnête. Les révélations sur le financement de sa fondation, l’affaire des e-mails, avaient fini par donner l’impression que l’ex secrétaire d’Etat sortait régulièrement des clous de la légalité. Le “tous pourris!” qu’on entend dans la bouche de tous les populistes, qui évitent toujours soigneusement de balayer devant leur porte, trouvait tout son sens dans les “affaires” plus ou moins bidon dans lesquelles la candidate semblait impliquée. Hillary Clinton confortait ainsi le réflexe primaire anti-système des électeurs américains. Et Trump, malgré sa personnalité excessive, ses dérapages sexistes, incarnait le justicier -“je vous enverrai en prison” disait-il à Hillary Clinton.

Evidemment, il est trop tôt pour savoir ce que le milliardaire fera de se victoire. Probablement mettra-t-il un peu d’eau dans son vin car il ne pourra gouverner contre tout le monde.

Reste que ce coup de théâtre outre-atlantique, conduit inévitablement à s’interroger: est-ce que ce scénario du pire peut se produire en France? Marine Le Pen évidemment en rêve déjà, et a été la première à féliciter le nouveau président américain. Sauf à se boucher yeux et oreilles, personne ne peut exclure une réplique du séisme en France en 2017. Le vote britannique pour le brexit, comme l’élection américaine, démontrent que tout est possible. “L’isoloir est l’un des derniers endroits dépourvus de caméras de sécurité, de micros, d’enfants, d’épouse, de patron et de policiers… des millions de gens en colère peuvent être tentés de voter Trump, dans le seul but de brouiller les cartes et voir ce qui arrivera”, écrivait le réalisateur Michaël Moore, en prédisant la victoire du milliardaire, il y a quelques semaines. Oui, cela peut se produire aussi en France, que des millions d’électeurs, pas forcément plus racistes ou xénophobes que la moyenne, pas forcément anti-européens, mais fatigués, las d’un système dont ils se sentent exclus, décident juste de casser la machine, juste pour voir si les choses changent enfin. Juste pour vérifier si ils ont une chance de peser un instant sur leur vie. Simplement pour savoir s’il n’existe réellement aucune autre voie que celle que choisissent pour eux leurs élus depuis des décennies. Pour changer enfin de têtes, pour se dire qu’il n’y a pas de fatalité à devoir toujours choisir entre les mêmes. Pour se donner l’illusion, une seconde, de peser.

Si nous ne changeons rien, si nous persistons à ne pas voir que les Français en ont assez de ce système qui semble organisé au profit exclusif des élites qui se cooptent pour prendre à leur tour les rênes du pays, et qui d’alternance en alternance, consacrent leur temps et leur énergie à défaire ce qu’ont fait leurs prédécesseurs… Si dans quelques mois dans l’isoloir, les électeurs doivent choisir, comme le prédisent sondeurs et observateurs, entre la représentante d’un parti populiste, xénophobe, qui vomit la classe politique, dont elle fait pourtant partie, et un candidat de 71 ans ayant quarante années de vie politique à son compteur et une condamnation pour détournement de fonds publics à son casier, bref un genre de Trump en féminin, et une espèce d’Hillary Clinton en masculin… il ne faudra pas s’étonner s’ils choisissent de tout casser. Et si d’aventure c’était le candidat issu de la primaire de la gauche qui s’y collait, ou même jean-Luc Mélenchon, et ses 40 ans de vie politique dans, puis contre, le parti socialiste… l’équation ne serait pas vraiment différente.

Il reste quelques mois, il est sans doute encore temps de proposer autre chose. De changer de têtes, de se poser la question du fonctionnement de la démocratie, de rendre un peu de droit de parole aux citoyens, d’apprendre à écouter… Bref de modifier les règles d’un jeu qui apparait de plus en plus comme un jeu fermé, dans lequel le citoyen n’a plus sa place.

 

Le populisme tempéré de Juppé

Le populisme c’est quoi? C’est répondre à toutes les aspirations supposées du peuple, par des propositions, fussent-elles absurdes, pour obtenir le maximum de suffrages. C’est puiser son inspiration aux comptoirs des bistrots, où les “yakafôkon” sont légion. Où, quand on ne refait pas la composition de l’équipe de France, on règle les problèmes économiques ou politiques en levant le coude. Où l’on se débarrasse tous les soirs, à l’heure de l’apéro, du chômage, du terrorisme, de l’immigration…

Les champions toutes catégories de l’exercice sont connus. Sur la première marche, incontestés, Marine Le Pen et ses amis. On doit reconnaître que Nicolas Sarkozy n’arrive pas loin. C’est en effet au zinc qu’il mène son combat acharné contre “la pensée unique”. Avec lui, le propos de bistrot devient l’antidote de la “bien-pensance” qui animerait les intellectuels bourgeois de gauche du microcosme parisien, incapables de comprendre les véritables aspirations du peuple. On doit pour être exhaustif accorder un accessit spécial à Jean-Luc  Mélenchon, qui sait faire tonner le propos de comptoir comme personne, lorsque l’essentiel est en jeu… c’est à dire le combat contre François Hollande et le parti socialiste.

Evidemment, médiatisation forcenée oblige, le zinc a maintenant quitté le bistrot pour trôner sur les plateaux de télévision. On n’y boit pas d’alcool, mais on y refait le monde jusqu’à plus soif. Et les Yaka succèdent aux Fôkon, pour le plus grand bonheur des chasseurs d’audimat, qui savent bien que plus le propos est caricatural, sans nuance, sans recul ni réflexion, provocateur voire outrancier, plus l’audience , et donc la pub, sont au rendez-vous.

En ce moment, le bistrot en vue, c’est le plateau des débats de la primaire de la droite. Au premier débat, on avait eu cet échange extraordinaire, cette superbe discussion théorique entre les participants, débouchant sur la conjecture suivante: pour réduire les déficits publics, il n’y a qu’à virer quelques centaines de milliers de fonctionnaires, et pour assurer le même service public avec quelques centaines de milliers de fonctionnaires en moins, comme ils ne font pas grand chose, il suffit d’augmenter leur temps de travail! Elémentaire! Digne de Pointcarré! Le mathématicien n’aurait pas renié l’exercice. Le zinc en vibrait! Tout comme à propos de l’aide médicale d’Etat qui fait qu’en France on soigne les gens parce qu’ils sont malades, sans vérifier leurs papiers… Y a pas de raison qu’on soigne le monde entier! Sur notre front, y a pas écrit pigeon, dirait-on au comptoir! Quant aux terroristes, il suffit de les enfermer préventivement… pour éviter les attentats!

On a pu tout de suite constater qu’Alain Juppé, le candidat favori des sondeurs et des médias, semblait plus raisonnable que les autres. Au moment de lever le coude, il savait tempérer son propos, suggérer au bistrot de raison garder, licenciait un peu moins de fonctionnaires que les autres, promettait de continuer à soigner les étrangers “victimes d’AVC dans la rue”…

Et puis il y a eu la grande colère des policiers. Sujet de prédilection pour tous les comptoirs de France. Nos policiers ne sont pas protégés, c’est la racaille qui fait la loi, les juges refusent d’emprisonner les délinquants qui s’en prennent à la police… Et en plus on leur refuse le droit de tirer! Là encore nos compétiteurs de la primaire avaient de quoi envoyer les décibels, chacun à son clavier faisait entendre sa propre musique… La solution? Donner à la police le droit de tirer sur les délinquants sans avoir à se justifier. Ou, dit de façon plus policée: élargir le droit à la légitime défense des gardiens de l’ordre.

Problème: accorder une présomption de légitime défense aux policiers, voire un droit de tirer sans être directement menacés, serait contraire à la Convention européenne des droits de l’homme… Mais au bistrot de la droite on a réponse à tout: “il suffit de réviser la Convention” nous dit Alain Juppé. Evident! Sauf qu’à peu près impossible. Pour modifier la dite convention il faudrait l’accord des 46 pays signataires… Bon courage aux négociateurs! Tout cela n’est donc pas très grave puisqu’on ne le fera pas, cela sert juste à attirer le chaland…

Mais quand des hommes politiques, pour faire plaisir au peuple des bistrots ou des commissariats, envisagent publiquement de jeter aux orties la Convention européenne des droits de l’homme, ou encore de remettre en question la présomption d’innocence qui fonde notre droit, comme le font certains concurrents de Juppé… Un Rubicon est franchi. Et on est en droit de s’interroger sur l’idée qu’ils se font du devenir de la République.

L’Europe dans le piège turc

Le piège se referme sur l’Europe! Le piège tendu par Erdogan, le potentat du Bosphore. Souvenez-vous, c’était il y a six mois à peine, au printemps dernier. La tête empourprée par la gêne, nos dirigeants nous annonçaient la conclusion d’un accord historique entre l’Europe et la Turquie. Ankara avait accepté que l’Europe refoule en Turquie les réfugiés désespérés débarquant sur ses côtes. L’Europe de son côté permettrait l’installation de migrants demandant légalement l’asile depuis la Turquie. Ainsi nos dirigeants bradaient-ils la tradition d’asile du continent, dans un marchandage indigne avec le régime islamiste d’Erdogan, devenu garde-frontières de l’Europe. En échange de sa bienveillance, Erdogan obtenait, officiellement, de l’argent pour les réfugiés qu’il bloquait dans son pays, la relance du processus de discussions pour une adhésion future de son pays à l’Union européenne, et la suppression, encore à venir, des visas pour les Turcs voyageant en Europe. Dans les faits, il obtenait aussi le feu vert des Etats-Unis et de l’Europe pour poursuivre sa sale guerre contre les Kurdes. Ainsi Ankara pouvait intensifier ses bombardements sur les combattants kurdes qui font pourtant la guerre à Daesh, dans l’intérêt de tous.

Honteux? Un peu, évidemment. Mais nos dirigeants européens, Hollande en tête, juraient qu’ils n’avaient rien bradé, et qu’ils restaient intransigeants sur leurs valeurs et en particulier les droits de l’homme. Et chacun de vanter la qualité de la prise en charge des réfugiés dans les camps de Turquie, et les promesses d’Erdogan en matière de respect des libertés. Nous étions en mars. Un peu plus de trois mois plus tard, c’était le prétendu coup d’Etat contre Erdogan. Une partie de l’armée tentait de le renverser. Au milieu de la crise, c’est en vidéo, sur son téléphone portable, que le héros s’adressait à son peuple. En quelques heures l’affaire était réglée, les militaires félons lynchés ou arrêtés, et le président turc déclenchait une répression impitoyable.

Depuis, il y a eu une grande purge dans l’armée et la police. Des journaux et télévisions ont été fermés, des journalistes emprisonnés. 10000 enseignants ont été licenciés. Erdogan parle de rétablir la peine de mort. Hier, sept députés du parti de la démocratie des peuples, pro-kurde, ont été placés en garde à vue. L’autocrate Erdogan se mue en dictateur sous les yeux de la communauté internationale qui reste coite, ou presque. Angela Merkel se dit “alarmée”. Federica Mogherini, la responsable de la diplomatie européenne, réunit ses ambassadeurs en Turquie.

Que faire? Comment faire pression sur Ankara? “Avec une extrême prudence”, répondent tous les experts. Il ne faut surtout pas rompre avec Ankara, menacer ne servirait à rien, sanctionner encore moins, il faut parler avec Erdogan, lui expliquer notre point de vue… Eviter surtout… qu’il rouvre les vannes des migrations clandestines vers l’Europe!

L’accord euro-turc du printemps était indigne, nous allons donc en boire le calice jusqu’à la lie. Sans garantie que la Turquie n’y mette pas fin elle-même. Notre peur des migrants nous a réduit au silence, tandis qu’Erdogan poursuit son entreprise de démolition.