Après la “pol-star Academy”

Le jeu de massacre continue. Après Sarkozy, Juppé, Hollande, Duflot, c’est au tour maintenant de Valls d’être viré de l’échiquier politique, chassé du jeu. Une sanction à causes multiples. Il paye sans doute pêle-mêle l’insuccès de la lutte contre le chômage durant le quinquennat,  les engagements hasardeux du candidat Hollande en 2012, la vaine tentative sur la déchéance de nationalité, la loi travail un peu, et le harcèlement des frondeurs depuis son arrivée à Matignon, beaucoup. Mais aussi son caractère psycho-rigide, ses coups de menton, ses déclarations à l’emporte-pièce sur les roms ou les migrants, sa laïcité punitive. Du coup les “frondeurs” reprennent le contrôle du parti socialiste, qui peut préparer tranquillement son retour dans l’opposition, situation beaucoup plus confortable pour affronter les défis de l’époque. On imagine mal en effet les trois partis de gauche -nouvelle majorité du PS, Mélenchonistes, et écolos de Yannick Jadot- trouver un terrain d’entente pour une candidature commune. Les égo sont les sabots de plombs des anti-libéraux de gauche.

En attendant d’en connaître le dénouement, avec le résultat de la présidentielle, on pourra toujours se réjouir de cette volonté de renouvellement manifestée par l’opinion. Du malin plaisir qu’elle semble prendre à démentir les prédictions des sondeurs et météorologistes politiques de plateaux télé. Mais cette soif de rénovation doit être relativisée. Si certains caciques en ont été  victimes, on ne peut pas dire que cela débouche jusqu’ici sur un véritable rajeunissement, encore moins sur une rupture avec un  fonctionnement décrié de la classe politique. Les politiciens professionnels Sarkozy et Juppé ont été certes chassés… mais au profit de François Fillon, ancien premier ministre de Sarkozy, élu député pour la première fois en 1981, déjà ministre il y a 25 ans. Hollande et Valls ont été dégagés… pour laisser la place à Benoit Hamon, apparatchik du parti socialiste depuis 25 ans. Et si le Front National a poussé sur la touche son vieux gourou aigri, c’est pour mettre à sa place une autre Le Pen. Le renouvellement de la vie politique reste à faire.

Jean-Luc Mélenchon, un des plus anciens crocodiles du marigot politique, entré au PS en 1976, sénateur pour la première fois en 1986 et élu national depuis, à l’exception d’un trou entre 2000 et 2004, pendant lequel il fut ministre de Lionel Jospin, résiste jusqu’ici à la vague qui a balayé les autres. Il sera sans doute, avec Marine Le Pen, et en attendant l’éventuelle candidature de l’insubmersible Bayrou, le seul candidat de la présidentielle de 2012 à se représenter devant les électeurs. Sans doute parce qu’il a su reprendre à son compte la soif de renouvellement en se faisant, contre toute évidence, le champion du renouveau, du “dégagement” de l’ancienne classe politique. Mais aussi et surtout parce qu’il a soigneusement évité de se soumettre à l’exercice de la “primaire”, innovation de l’époque, traduction politique de l’engouement pour les émissions de télé-réalité, qui permet aux électeurs de se débarrasser des têtes dont ils ne veulent plus dans le jeu, avant la véritable échéance qui désignera le vainqueur.

Que va-t-il se passer maintenant? Inquiets de sa progression dans les sondages d’opinion, droite et extrême gauche ont choisi pour cible Emmanuel Macron. Avec un même argument: il a été conseiller puis ministre de Hollande, donc il est dépositaire du bilan du quinquennat, et doit être “dégagé”, comme les autres. Mais là, il ne s’agira plus d’une primaire mais bien du premier tour d’une élection. Le but du jeu ne sera plus d’éliminer, mais de choisir. Dans la “star-pol académy” on peut voter juste pour faire partir un indésirable, de droite en étant de gauche, ou inversement, c’est à dire sans risque, juste pour jouer un mauvais tour aux adversaires. Au premier tour de la présidentielle, il s’agira bel et bien de choisir un candidat, entre les rescapés, pour diriger le pays et mettre en œuvre un programme. Nul doute que la “fraicheur” des candidats comptera, mais il faudra aussi avoir un programme convaincant… On n’est sans doute pas encore à l’abri des surprises.

 

 

Le naufrage du PS

C’est le bouquet! Non contents d’afficher comme jamais la fracture irréductible qui divise leur parti, les responsables du PS se seraient en plus laissés aller à truquer les chiffres de leur primaire à la faveur de la nuit. Pourquoi? Pas pour faire gagner l’un ou l’autre des candidats, puisque chacun a vu son décompte de voix augmenter exactement dans les mêmes proportions. Sans doute juste pour gonfler la participation qui s’avérait inférieure à ce qui avait été annoncé en début de soirée… Chez les organisateurs de la primaire, on parle d’une erreur humaine… Ce n’est vraiment pas glorieux, cela dévalorise un peu plus le processus même de primaires, et vient encore souligner le naufrage de cette direction qui sous la conduite de Harlem Désir puis de Jean-Christophe Cambadélis a conduit en cinq ans le parti socialiste à la ruine.

Evidemment on ne peut tout mettre sur le dos de ces deux dirigeants. Hollande a sa part de responsabilité, au premier chef, dans la dégringolade. Comme les frondeurs, Hamon en tête. Cinq ans de quinquennat Hollande ont réduit à zéro la crédibilité électorale du parti socialiste.

A cet égard le discours de la nuit de Manuel Valls était très clair. Le mépris affiché à l’égard de son adversaire du second tour qui représente “la certitude de la défaite”, la violence avec laquelle il s’est exprimé sous le coup du camouflet que lui ont infligé les électeurs, montre qu’il est évidemment sur un chemin sans retour. Une voie qu’il avait lui-même théorisé il y a quelques mois en parlant des “positions irréconciliables” à gauche. On ne peut imaginer maintenant une réconciliation au lendemain du second tour.

Le parti socialiste va donc vraisemblablement se scinder. Si le résultat d’hier se confirme, il devrait majoritairement choisir le retour à un socialisme à l’ancienne, version lutte des classes. Encore que la ligne représentée par Hamon manque un peu de clarté dans cette optique: le passage d’une logique de redistribution -prendre aux plus riches pour distribuer aux plus faibles- à une logique de distribution générale -le revenu universel pour tous- est un glissement théorique qui ne va pas vraiment de soi. En tout cas, si le second tour confirme le premier, le parti socialiste aura entériné son rejet du socialisme de gouvernement version Hollande et Valls. Ce qui ne tombe pas si mal, puisque c’est évidemment dans ce cas une cure d’opposition qui lui est promise.

Et après? On devrait assister à un retour en force de Martine Aubry, qui a déjà annoncé son soutien à Hamon et retrouvera ainsi, débarrassée de la contrainte d’une solidarité d’apparence avec le gouvernement, ce ministère de la parole où elle est si à l’aise. Le parti socialiste reviendrait chasser sur les terres du Front de Gauche de Mélenchon, tandis que les vallsiens et hollandais du PS devraient en toute logique rallier Emmanuel Macron, qui demeurerait la seule offre politique proche de leurs aspirations. A moins bien sûr que d’un tour à l’autre de la primaire le balancier change de côté, ce qui reste pour l’heure assez peu probable, malgré l’énergie du désespoir déployée par Manuel Valls, qui aura si le résultat d’hier se confirme poussé Hollande dehors… pour faire la place à Hamon et Aubry.

 

 

 

 

 

Primaire: le point d’orgue d’un quinquennat gâché

Après deux premiers débats pas vraiment convaincants, où aucun des candidats n’est arrivé à se glisser dans la peau d’un président potentiel, le parti socialiste se prépare à demander aux Français d’arbitrer ses différends internes. Sans mobiliser vraiment pour l’instant. Les audiences des débats sont faibles. Sauf sursaut des derniers jours, la gauche peut craindre le bide le jour du scrutin. Elle n’atteindra certainement pas l’étiage fixé par la primaire de la droite de 4 millions de participants. Probablement pas non plus le niveau de la primaire socialiste de 2012: 2,7 millions. Evidemment ce faible engouement, s’il est confirmé, se traduira par un déficit de crédibilité du futur vainqueur. Etre choisi par quelques centaines de milliers de militants socialistes pour les représenter à la présidentielle, n’est pas à proprement parler un tremplin vers la victoire…

Il faut dire que cette primaire a démarré sous les plus mauvais auspices. Il y a d’abord eu le retrait de celui qui était le candidat évident de la gauche de gouvernement, Hollande. Que ce retrait ait dû plus à sa volonté d’éviter une défaite en rase campagne, qu’à la volonté de Valls de le supplanter, ou l’inverse, ne change pas fondamentalement la donne. En se retirant le président actait le fait qu’il n’y avait plus rien à attendre de cette primaire de la gauche, et plus largement d’une candidature de gauche à la présidentielle. Le message matraqué par les sondeurs et les médias depuis des mois se voyait confirmé par le président lui-même: la bataille de la présidentielle de 2017 serait un combat entre droite extrême (celle de Fillon) et extrême droite (celle de Marine Le Pen).

Pour relever le niveau après la défection d’Hollande, il aurait fallu un candidat d’évidence, s’imposant à tous, par l’originalité de ses idées, son leadership naturel, sa légitimité auprès des électeurs de gauche. Manuel Valls rêvait d’être celui-là. Mais il était à contre emploi. Au terme d’un quinquennat consacré par la gauche à se déchirer sur la place publique, le plus mal placé pour rassembler sa famille écartelée, était évidemment le premier-ministre, dont la politique n’a cessé d’être contestée par les siens. On notera d’ailleurs que les premiers ministres sortants qui ont tenté l’aventure, Chirac, Balladur ou Jospin, ont toujours échoué à franchir le pas. Il n’y a apparemment pas de passerelle qui mène, directement, de Matignon à l’Elysée.

Et ce n’est pas en jouant la partition du changement personnel (“j’ai beaucoup muri aux affaires, j’ai énormément appris, et donc je me suis bonifié”), à la manière d’un Sarkozy, que Valls devrait inverser la logique. Les changements de pied, en particulier en ce qui concerne l’utilisation de l’article 49-3 dont il se montra virtuose, et qu’il prétend aujourd’hui limiter au vote du budget, ou sur l’exonération de charges des heures supplémentaires, peinent à convaincre, et contribuent au contraire à brouiller son image. Il emportera peut-être la primaire, mais on ne sent pas pour l’instant autour de sa candidature un élan de nature à le propulser à l’Elysée.

Les autres candidats jouent chacun sa partition. Ils ont leurs supporters, mais on peine à imaginer l’un d’entre eux à la tête de l’Etat. La primaire devrait donc déboucher sur une candidature de témoignage. Témoignage de la trace laissée dans la vie politique par un quinquennat gâché.

Gâché d’abord par la faute du président. Qui n’a pas su, au moment où l’Histoire frappait à la porte de son bureau, se montrer à la hauteur des enjeux. Elle a frappé trois fois. La première dès après l’élection.

Elu en partie grâce au soutien de François Bayrou et d’une partie des centristes, le nouveau président aurait pu tendre la main au maire de Pau, et plus généralement aux centristes pour sortir de cette alternance stérile entre formation de droite et parti socialiste, qui conduit tous les 5 ans à défaire tout ce qui a été fait précédemment. Il avait alors l’opportunité de changer la donne démocratique du pays, en ouvrant la porte au centre et à la droite modérée. En cherchant à constituer des majorités de projets sur les grands sujets de la politique, éducation, politique étrangère, sécurité… majorités qui auraient pu garantir la pérennité de l’action de l’Etat. Il aurait pu, comme il l’avait promis, ré-introduire une dose de proportionnelle dans la désignation des députés de façon à ce que tous les courants de pensée de la société puissent être associés à l’élaboration des grands chantiers de nécessaire modernisation du pays. En donnant un second souffle à nos institutions… Pour seule réponse à la main tendue de Bayrou, on envoya une candidate socialiste le battre aux législatives dans son fief de Pau.

Le deuxième tournant du quinquennat de Hollande a sans doute été la crise grecque. Alors qu’on ne parlait que de “grexit”, s’ouvrait pour Hollande une opportunité, dans l’intérêt même de la France et de la construction européenne, de donner un nouveau souffle à l’Union en s’opposant à la vision punitive et comptable de Wolfgang Schaüble, le tout puissant ministre des finances allemand. En imposant une renégociation de la dette grecque. En proposant une autre ambition à l’Europe, tournée vers le progrès et le développement partagé. Hollande n’était pas au rendez-vous. Il se borna à tenter d’arrondir les angles entre Allemands et Grecs, pour éviter une crise plus profonde.

La troisième occasion ratée, elle aussi européenne, est certainement le manquement le plus grave. Lorsque Angela Merkel se dressa seule, face à la majorité des autres européens, et une partie de ses propres soutiens politiques, pour défendre une position généreuse et digne dans la crise des réfugiés, se posant en dépositaire et rempart de la tradition d’asile en Europe, on aurait tant voulu voir Hollande s’envoler pour Berlin et donner au monde la vision d’un couple franco-allemand garant de nos valeurs, du droit d’asile, de l’accueil des réfugiés. La position généreuse d’Angela Merkel la mettait en difficultés dans son propre pays. On rêvait de voir Hollande main dans la main avec la chancelière, mettre en garde les autres pays -en particulier les nouveaux arrivés de l’est qui ont su profiter de la générosité européenne- contre toute velléité de claquer les portes de l’Europe au nez des damnés de la guerre. Au lieu de quoi nous eûmes la honteuse intervention de Manuel Valls signifiant à Angela Merkel -sur le territoire allemand- que l’Europe avait assez accueilli de réfugiés…

C’est d’abord ces manquements qui ont gâché le quinquennat. C’est aussi bien sûr l’absurde crise autour de la déchéance de nationalité, mais Hollande dit lui même qu’il regrette de l’avoir provoquée. C’est enfin et surtout l’impuissance du parti socialiste à exercer le pouvoir en se souciant d’abord de l’intérêt commun. Son goût pour les polémiques idéologiques d’un autre âge. Son incapacité à assumer les nécessaires compromis qu’impose la gestion du pays. Cette volonté de chacun des apparatchiks de se positionner pour les combats internes de demain, avant même que celui d’aujourd’hui, pour l’amélioration de la situation du pays, ait été mené à son terme. C’est tout cela qui a conduit à cette primaire , aboutissement de quatre années de déchirements, polémiques, procès en trahison. Cette primaire un peu dérisoire où chacun fait semblant de croire qu’il pourrait un jour faire un président de la République, quand il pense d’abord à se positionner pour le contrôle futur du parti. Du moins ceux qui en sont membres… Les autres, on se demande encore quel intérêt ils peuvent trouver à ce simulacre.