Convulsions anti-démocratiques

C’est une mise en garde sans précédent, et sans doute une grossière erreur de l’intéressée. Peut-être grisée par son avance dans les sondages, sans doute exaltée par l’engouement de ses militants, Marine Le Pen vient de faire un faux pas. Elle qui fait tout depuis des années pour dé-diaboliser son mouvement, pour faire oublier les dérapages de son père, pour la jouer championne de la démocratie et de la modération, qui tente de nous faire croire qu’avec elle au pouvoir nous connaîtrions enfin “La France Apaisée”, vient de tout envoyer balader sur un coup de colère. Et de lancer un avertissement solennel: les juges et fonctionnaires qui se permettent d’organiser à son encontre “persécutions, coups tordus ou cabales d’Etat” devront en répondre si elle arrive au pouvoir en mai prochain: “ils mettent en jeu leur propre responsabilité”.

C’est gravissime! On peut lire dans la menace l’annonce de la grande purge qui pourrait suivre son arrivée au pouvoir. Le “spoil system” américain, qui permet à une nouvelle administration de changer les plus haut responsables pour y placer des hommes de confiance, mais appliqué à l’ensemble des fonctionnaires, et décliné sur  le registre de la vengeance personnelle. Au delà du frisson que l’on peut ressentir à cette évocation, cela en dit long sur le malaise ressenti par la patronne du Front National face à la mise au jour des exactions dont son parti s’est rendu coupable au parlement européen. La faute des juges: ne pas avoir respecté une “trêve électorale” qui lui aurait permis de mener sa campagne électorale sans être troublée par les révélations sur les malversations diverses, auxquelles s’est livré le FN.

Soyons clair, l’idée de trêve judiciaire électorale, que réclame aussi François Fillon, pour ses propres malversations supposées, est totalement contraire à l’esprit de la constitution, au principe de séparation des pouvoirs, et à l’idée même de démocratie. Plaider pour une telle pause, revient à exiger que les électeurs se prononcent à l’aveugle. Qu’on leur cache, au moment du vote, des informations évidemment essentielles, puisque concernant l’honnêteté des candidats. Sachant qu’en plus, le vainqueur pourra ensuite bénéficier d’une immunité présidentielle que Hollande a oublié de supprimer comme il l’avait promis.

Concernant Marine Le Pen cette convulsion anti-démocratique est un simple révélateur de ce qu’est réellement son mouvement, et qu’illustre assez bien le film “Chez nous”, sorti récemment. Ce que cachent les élans populistes, c’est une vision totalitaire du monde, un monde qui devrait tout entier être dévoué aux projets de l’organisation qu’elle dirige. Dans laquelle,  ce qu’elle appelle “patriotisme”, et qui n’est que le commode cache-sexe de ses ambitions personnelles, devient le nouvel étalon des comportements humains en lieu et place des principes fondateurs de notre république. Concernant François Fillon, qui considère que les critiques et manifestations de rejets dont il est l’objet, ressortent d’une véritable “guerre civile”, la crispation anti-démocratique nous dit surtout l’ampleur de son désarroi. Il avait construit tout son projet présidentiel sur une image d’honnête homme mais en contestant son honnêteté les juges menacent de ruiner ses espoirs.

 

 

 

Le choix de Bayrou

Bien sûr on pourra ironiser. Railler l’homme qui n’en finit plus d’animer la vie politique sans jamais arriver au bout de ses ambitions. On pourra se moquer de ses fréquents changements de pied: ministre de Jacques Chirac puis soutien de Hollande en 2012, puis d’Alain Juppé en 2016, avant de rallier Emmanuel Macron, pour lequel il n’avait pas eu de mots assez durs ces derniers mois. On pourra aussi constater qu’il n’avait aucune chance d’être élu. Que le remboursement de ses frais de campagne, à partir de 5% des voix, était loin d’être acquis. Bref qu’il avait toutes les bonnes raisons de ne pas se présenter…

Son choix reste pourtant éminemment respectable. Parce qu’il est moins fréquent de voir un homme politique s’effacer que s’entêter. Parce que le camouflet infligé par François Hollande qui le méprisa souverainement, après avoir bénéficié de son ralliement, aurait justifié qu’il en garde quelque rancœur. Parce qu’il n’y aura sans doute aucun bénéfice législatif à attendre pour son mouvement le Modem, en cas d’échec d’Emmanuel Macron. Parce qu’en choisissant de s’opposer à François Fillon comme il le fit précédemment pour Nicolas Sarkozy, alors même qu’il doit sa mairie de Pau au retrait du candidat de l’UMP qui se dressait face à lui, il se condamne définitivement à être considéré comme un ennemi par le parti de droite. Parce qu’enfin, les quatre conditions qu’il a posé à son alliance avec Emmanuel Macron sont de pures évidences démocratiques, et sans doute des pré-requis d’un éventuel succès d’Emmanuel Macron.

L’adoption d’une “loi de moralisation de la vie politique”, est une condition absolue de restauration de l’image de nos hommes politiques. Les péripéties de l’affaire Pénélope Fillon, les chèques d’étrennes distribués généreusement par le groupe Les Républicains, aux sénateurs -dont François Fillon là encore- le mélange des genres qui transparait dans les liens entre un ex-premier ministre futur candidat à la présidence et un grand groupe d’assurances dont il est temporairement l’employé, le pantouflage de hauts fonctionnaires qui font profiter de grands groupes privés de réseaux forgés au cœur de l’Etat, d’informations glanées dans les ministères, cette connivence entre hommes politiques et groupes de pression ou puissances financières, mais aussi de façon plus triviale, les détestables habitudes prises par les députés qui font prendre en charge les déplacements de leurs familles par l’Assemblée Nationale, justifient l’adoption d’une loi stricte et implacable…

Plus encore que les petits arrangements entre amis, c’est l’arrogance de certains élus qui est devenue insupportable. Celle d’un Thévenoud, d’un Cahuzac ou d’un Morelle qui s’estiment au dessus des lois, et jugent insultant d’être attaqués sur leur moralité. Celle d’une Christine Lagarde trouvant normal d’être dispensée de peine après que sa “négligence” a coûté quelque 400 millions d’euros à la nation, et retournant sans vergogne reprendre son poste au FMI. Celle aussi de tous ces élus qui plaident depuis plusieurs semaines à propos de l’affaire Fillon, la séparation des pouvoirs, pour contester tout droit de regard de la justice dans leurs affaires. “C’est notre argent, pas de l’argent public”, entend-on à propos des sommes mises à leur disposition dans le cadre de leur mandat! L’arrogance enfin de Marine Le Pen estimant que la justice n’a pas à troubler la campagne présidentielle en mettant son nez dans les détournements de fonds publics dont se sont rendus coupables les élus européens du Front National, et qui refuse de répondre aux convocations.

Bayrou a cent fois raison, de demander “une véritable alternance, un vrai changement des pratiques et des orientations et non pas un recyclage des pratiques antérieures”. Ce n’est pas gagné, parce que pour y parvenir, il ne suffira pas de la volonté d’un président, mais il faudra que les élus du prochain parlement acceptent de voter le contrôle le plus strict de leurs activités, comme c’est le cas dans tant de pays d’Europe et d’ailleurs.

Le patron du Modem, réclame ensuite une introduction de la proportionnelle dans les scrutins législatifs, pour que deux partis dominants ne puissent plus s’assurer la quasi-exclusivité de la représentation des électeurs. C’est là encore une condition sine qua non, du retour de la confiance dans la politique. Il n’est évidemment pas normal que le Front National qui représente d’une élection à l’autre un bon quart, voire plus, des électeurs ne compte que deux députés au parlement. Ce système de représentation majoritaire, pensé pour assurer une stabilité des institutions, a finalement tué le débat politique lui-même, en condamnant les minoritaires à s’exprimer ailleurs qu’au parlement, ou à rechercher auprès des partis majoritaires, dans de pitoyables combines électorales, un droit d’expression publique, et de participation à la vie politique. Rendre un sens à la vie démocratique passera par là, et sans doute par l’imagination d’autres mécanismes institutionnels permettant enfin d’associer plus étroitement les citoyens à la réflexion et la décision politique.

Enfin Bayrou s’est fendu d’une mise en garde sociale à l’ex-banquier Macron, qu’il soupçonnait il y a peu de rouler pour “les forces de l’argent”: la France “doit résister à la pente universelle… à la réduction de la rémunération du travail…” On rétorquera du côté d'”En Marche”, que le projet de Macron prévoit déjà une revalorisation des salaires par transfert de charges sociales sur la CSG, et qu’on n’a pas attendu Bayrou pour être aussi un petit peu de gauche… Mais ce jalon posé par le maire de Pau, a le mérite de contribuer au cadrage de leur future campagne commune.

Au delà du coup de théâtre, le énième de la campagne, qui prend à revers tous les analystes et experts auto-déclarés, qui prévoyaient une quatrième campagne présidentielle de Bayrou, cette alliance peut elle profondément changer la donne? Difficile à anticiper. Tout au plus peut-on constater que le ralliement de Bayrou à sa candidature renforce la crédibilité de la volonté affichée par Macron de changer le logiciel politique du pays. De sortir enfin de l’alternance stérile entre les deux partis majoritaires pour donner un coup de jeune à notre démocratie. En privilégiant les majorités de projets plutôt que les majorités d’appareils, en renouvelant le personnel politique pour en finir avec un professionnalisme politique qui privilégie l’ancienneté sur l’innovation, et favorise toutes les dérives morales. En ré-impliquant les citoyens dans la vie publique… Pour que recule enfin le populisme!

 

 

Baston autour d’un “corbillard”

Donc Hamon et Mélenchon ne ressusciteront pas l’Union de la Gauche. Cela n’est pas vraiment une surprise. Ceux qui avaient cru pouvoir y croire avaient confondu l’effet et la cause. Parce que tous les deux voulaient à tout prix l’échec de François Hollande, incarnation d’un néo-libéralisme qu’ils exècrent, on pouvait imaginer que les deux hommes pourraient s’entendre sur un programme de gauche, remettant en question les principales mesures économiques et sociales adoptées par le PS d’Hollande, CICE, loi travail, par exemple, et promettant une revalorisation des bas salaires, une taxation supplémentaire des plus riches, une réduction du temps de travail, et un retour à la retraite à 60 ans… Bref, un bon gros programme de gauche, à l’ancienne, susceptible de rassembler tous les courants de la gauche anti-libérale.

Mais le combat contre le néo-libéralisme hollandais des deux hommes n’était que l’effet commun de stratégies totalement antagoniques.

Pour Mélenchon, l’objectif principal était et reste l’anéantissement du parti socialiste. La sortie de route du “corbillard” social-démocrate, voulue selon lui par l’Histoire, afin de permettre l’émergence d’une force d’opposition radicale, “insoumise”, c’est à dire soumise à la seule volonté de son leader. Ce mouvement, qui s’était déjà produit en Grèce avec la quasi-disparition du Pasok -compromis avec la troïka qui imposait l’austérité au pays- au profit de Siriza, le mouvement d’Alexis Tsipras, ou en Espagne avec l’émergence de Podemos, et de son leader Pablo Iglesias -rivalisant avec le PSOE et l’empêchant de gouverner- devrait nécessairement se produire en France avec son Front de Gauche. Pour cela il était nécessaire de consacrer toute l’énergie du parti de gauche et de son allié communiste, à la destruction du gouvernement de Hollande, afin de renvoyer le Parti Socialiste aux poubelles de l’Histoire, et de permettre l’avènement de la force nouvelle qui allait rendre le pouvoir au “Peuple”.

L’ambition d’Hamon était sans doute moins ronflante, moins tonitruante, mais tout aussi déterminée. Depuis sa sortie du gouvernement Valls, il y’a deux ans et demi, Hamon a compris qu’une opportunité s’ouvrait pour prendre le contrôle du parti dont il est un apparatchik depuis trente ans. Pour y parvenir, il y avait une condition: brûler la politesse à Manuel Valls qui nourrissait une ambition concurrente. Donc il fallait miner l’action du gouvernement, ruiner progressivement sa crédibilité, sans rompre avec la majorité du parti qui avait soutenu Hollande, mais en insufflant peu à peu l’idée que la politique du tandem Valls-Hollande était en rupture totale avec la vocation historique du parti socialiste, une trahison des idéaux de Jaurès, une compromission honteuse avec le grand capital, un asservissement au patronat tout puissant. Afin, le moment venu, de pouvoir apparaître comme le restaurateur du socialisme, le sauveur d’un parti conduit au bord du gouffre par la trahison de ses leaders. Avec sa victoire sur Valls à la primaire, il a franchi une première étape. Il lui reste maintenant à cautériser les plaies, apaiser les tensions qu’il a lui-même provoquées, afin de ressouder, de rassembler le parti que lui et ses amis frondeurs ont mis cul par dessus tête. Pour éviter de se retrouver capitaine d’un vaisseau fantôme à la dérive. Alors évidemment le bilan du quinquennat n’est plus si nul, la loi travail demande à être améliorée, Hollande, Valls ou El Khomri ne sont plus si méchants…

On comprend que l’éventualité d’une coopération entre les deux naufrageurs du quinquennat s’arrête là. Mélenchon est persuadé qu’il n’a plus qu’un dernier coup de boutoir à donner pour couler le PS et se retrouver maître absolu des terres de gauche, tandis qu’Hamon tente de colmater les brèches qu’il a ouvertes. Aucun des deux, à vrai dire, n’a vraiment la volonté de conduire la gauche au pouvoir en 2017. Tous deux se satisferaient d’une situation de leaders de l’opposition à un futur gouvernement de droite. C’est la raison pour laquelle depuis quelques jours le parti de gauche multiplie les attaques méprisantes à l’égard du “corbillard” et de son nouveau cocher, Benoit Hamon. L’enjeu entre eux est maintenant le score du premier tour. Qui l’emportera sur l’autre le 23 avril prochain? Qui sera en situation d’incarner l’opposition de gauche durant le prochain quinquennat?

 

 

 

Le pari Sarkozien de Fillon

“Qui imagine le Général De Gaulle mis en examen?” On se souvient de cette petite phrase assassine de François Fillon à l’intention de Nicolas Sarkozy. “Les ministres et le Président de la République ne doivent pas être mis en examen”, “on ne peut pas diriger la France si l’on est pas irréprochable” avait-il ajouté lors d’un débat de la primaire, visant Sarkozy comme Juppé. Ce même Fillon avait dû devant Nicolas Sarkozy répondre à une question sur la démarche que lui a prêté Jean-Pierre Jouyet, secrétaire général de l’Elysée, afin d’obtenir du pouvoir socialiste une accélération des procédures judiciaires visant Sarkozy. Démarche confirmée par François Hollande, mais niée par Fillon.

On imagine donc sans peine le niveau de détestation auquel ont ainsi pu en arriver l’ex-président et son ancien premier ministre, après la primaire de la droite, et l’élimination à plates coutures de Nicolas Sarkozy par celui qu’il qualifiait volontiers de “collaborateur” lorsqu’ils étaient au pouvoir ensemble. La visite rendue mercredi dernier par un Fillon en pleine tourmente, à son ex-mentor, avait quelque chose du voyage à Canossa, l’humiliation-reddition.

Pourquoi l’avoir fait? Parce que Fillon sent bien que sa campagne le conduit droit à l’échec, et qu’il ne pourra s’en sortir sans le soutien de chacun au sein du parti Les Républicains. Or le moins qu’on puisse dire c’est que les fidèles de Sarkozy lui ont plutôt savonné la planche jusqu’ici. On a pu remarquer le silence pesant des sarkozistes dans les jours qui suivirent la mise en cause de Fillon dans l’affaire des assistants parlementaires, et depuis, la façon dont ils distillent comme un poison les allusions à un éventuel “plan B” qui permettrait de tourner la page Fillon. Pour faire taire les critiques internes à son camp, Fillon avait besoin de celui qui, malgré ses échecs successifs, continue de peser de tout son poids sur le parti.

Sarkozy l’a donc reçu, en privé, lors d’un rendez-vous bien orchestré, où toutes les caméras de télévision et objectifs photo ont pu immortaliser la démarche de l’impétrant. Et Fillon a bu le calice jusqu’à la lie. Sitôt sorti, il a annoncé qu’il intégrait à son programme l’abaissement de la majorité pénale à 16 ans, mesure à laquelle il était hostile jusqu’ici, et marotte de l’ancien président. Ajoutez la déchéance de nationalité pour les coupables de terrorisme, le délai de deux ans de résidence en France pour les étrangers voulant bénéficier des prestations sociales, le rétablissement des peines plancher chères à Sarkozy, et quelques autres mesures figurant déjà au programme de Fillon, et l’on se retrouve en terrain connu. Sans doute amicalement conseillé par son ex-président, Fillon nous ressort la stratégie de surenchère avec le Front National supposée permettre de pomper les voix de Marine Le Pen. Et tente de se placer au dessus des lois, en prétendant qu’il n’acceptera que le jugement des électeurs, et pas celui des juges, qu’il fait huer dans ses meetings… Une stratégie sarkozienne pur jus, qui a fait ses preuves… à la présidentielle de 2012, et à la primaire de 2016.

Ce qui n’a pas marché à deux reprises pour Sarkozy peut-il assurer à Fillon une remontée dans les sondages? On peut évidemment en douter. Reprendre les thèmes de campagne du FN, voire copier les mesures du programme de Marine Le Pen, pour ce qui concerne par exemple le délai pour l’accès des étrangers aux prestations sociales, risque de lui faire perdre la partie la plus modérée de son électorat, du moins ce qu’il en reste, qui pourrait se laisser tenter par Emmanuel Macron. Sans lui garantir de pomper les voix du Front National. En fait cette réorientation de sa campagne sur les questions sécuritaires témoigne plutôt d’un mouvement de panique. Comme si le candidat de droite jouait déjà perdant face à Macron, et considérait que la bataille du centre, essentielle pour franchir l’obstacle du premier tout, était déjà perdue pour lui, en même temps que celle de l’irréprochabilité, qu’il avait placée au centre de son engagement politique en début de campagne. Alors il fonce tête baissée, comme Sarkozy en 2012 sous l’impulsion de Buisson, durcit ses discours, recherche les formules les plus clivantes, dans l’espoir de dépouiller Marine Le Pen avant le premier tour… avec le risque de parvenir au même résultat que l’ex-président.

 

Police de la pensée: l’état d’urgence

Il y avait urgence absolue! Le conseil constitutionnel avait censuré le premier texte. Les députés ont voté en quelques heures une nouvelle loi en utilisant un artifice de procédure. Quelle urgence? L’urgence de la police de la pensée. La consultation “régulière” de sites djihadistes sera dorénavant passible de deux ans d’emprisonnement et 30000 euros d’amende. A moins que le Conseil constitutionnel, qui a rejeté le premier texte au motif qu’il n’apparaissait pas que le danger potentiel justifiât l’atteinte aux libertés, ne récidive et censure la nouvelle loi.

Une loi qui crée selon la formule de Me François Sureau qui plaidait au nom de la Ligue des Droits de l’Homme devant le Conseil constitutionnel, le 31 janvier dernier, “le délit d’éventuelle intention terroriste”. Comme l’explique l’avocat, c’est la démarche cognitive elle-même, la volonté de savoir, qui fait naître la présomption d’intention criminelle. On était pas encore allé aussi loin dans la police de la pensée. Du moins sous la cinquième république.

Ce recul des libertés est d’autant plus inquiétant que, soucieux d’éviter les critiques, les législateurs ont choisi de préserver des foudres de la loi, ceux qui consultent de “bonne-foi”. Comprendre les journalistes, ou les chercheurs par exemple… Les membres d’associations de lutte contre le terrorisme? Ou simplement les internautes curieux? Ou ceux qui veulent se faire par eux-mêmes une opinion sur la menace terroriste? C’est selon. S’ils sont manifestement de bonne foi, ils ne seront pas poursuivis… C’est évidemment porte ouverte au délit de faciès. Il va de soi qu’un blanc catholique sera plus probablement “de bonne foi”, qu’un arabe musulman lorsqu’il consulte un site djihadiste…

Mais au delà, le fondement même de la démarche dit toute notre impuissance face au terrorisme. Imaginer que criminaliser l’accès aux sites djihadistes nous permettra de limiter les risques d’attentat, est d’une naïveté confondante. Ou plutôt, on doit bien penser que quoi qu’en dise le législateur, le projet de loi n’est pas destiné à cela. Ce qui et en jeu ce n’est pas la lutte contre les attentats terroristes. Ce qui est en jeu c’est l’idée que l’Etat nous protège. Le principal but des restrictions successives récentes des libertés, lois anti-terroristes, état d’urgence, loi sur la consultation des sites djihadistes, est simplement de créer un sentiment de sécurisation. La démarche pose le postulat que la réduction de nos libertés serait en soi rassurante pour les citoyens.

Pour prouver que le péril terroriste est pris en charge, quand bien même le caractère aléatoire des attaques, rend le résultat hasardeux, il faudrait renoncer à quelque chose d’important. En sacrifiant, un peu des libertés fondamentales, l’Etat prouverait qu’il a pris la mesure du problème. Comme à une autre époque l’achat de millions de doses de vaccins inutiles contre la grippe H1N1, prouvaient que l’Etat avait pris la mesure de notre besoin de sécurité. Comme l’Etat montre qu’il a pris en charge la gravité de la mortalité routière en imposant à chacun d’acheter un gilet jaune!

Evidemment c’est absurde. Etre capable de mettre nos libertés sous le boisseau ne prouve en rien que l’on a pris la mesure du terrorisme. Comme interdire la pensée révisionniste ne fait pas reculer le péril d’extrême-droite. Chaque fois que l’on se sent obligé d’interdire la pensée ou la parole, c’est simplement un aveu d’impuissance, une forme de démission intellectuelle. On combat les idées dangereuses par la pensée et la parole, pas par une illusoire et vaine interdiction.

 

 

Capharnaüm électoral

Quelle campagne! Après la séquence débarquement des favoris, qui avait vu successivement Sarkozy, Juppé, Hollande puis Valls prendre la porte de sortie, on pensait bien ne pas être forcément au bout des surprises. Mais depuis, le feuilleton devient haletant. A chaque jour, sa rumeur et sa contre-rumeur. “C’est fait”, nous jurent les rédactions, Fillon va renoncer dans la journée, 48 heures max, et Juppé va prendre la relève“NON, c’est NON” griffonne nerveusement ce dernier sur son compte Twitter… Il aurait fait connaître ses conditions, affirment pourtant les mieux informés, à qui on ne la fait pas, et qui savent qu’un démenti de Juppé vaut à peu près autant qu’une justification de Fillon sur un plateau de télévision.

Situation ubuesque à deux mois et demi du premier tour de l’élection présidentielle, le tableau est chaotique.

A droite, un candidat désigné, élu dans une élection primaire à laquelle participait qui voulait, qui peine à prouver qu’il n’a pas arrondi méthodiquement ses fins de mois pendant des années en puisant dans les caisses publiques. Qui balance sa femme en pâture à l’opinion publique, en refusant d’assumer publiquement ses malversations. Qui s’accroche  à sa candidature alors même qu’autour de lui les soutiens se défilent les uns après les autres, et préparent un plan B.

Pour remplacer éventuellement le candidat démonétisé tant par ses actes que par ses justifications maladroites, les Républicains pourraient ressortir le candidat qu’il a battu à la primaire, Alain Juppé. Alors même que celui-ci n’a cessé de ferrailler contre le programme de Fillon que les électeurs de droite ont validé. On s’apprêterait donc à échanger un candidat choisi par les électeurs de droite sur un programme, contre un autre candidat rejeté par ces mêmes électeurs et opposé au programme retenu. En outre, au nom du soupçon d’emploi fictif pesant sur leur candidat, les Républicains le remplaceraient par un candidat déjà condamné par le passé pour… emplois fictifs. En clair le message est: l’essentiel c’est de participer. Ou encore, qu’importe le candidat pourvu qu’on ait une chance à la fin ramasser la mise.

Evidemment, le désarroi à droite devrait faire le jeu de l’extrême-droite. Sauf que celle-ci est en butte à des problèmes de même nature.  L’Office européen de lutte anti-fraude (Olaf) réclame en effet 339000 euros à Marine Le Pen pour avoir financé avec des fonds du parlement européen deux emplois, un chauffeur et une assistante, qui sont en fait des salariés du Front National. Bref, des emplois fictifs. Mais à la différence de Fillon, Marine Le Pen assume, refuse de rembourser les sommes, puisque le Parlement européen, auquel elle s’est fait élire, est “illégitime”. Bref, c’est encore le “système” qui tente de la bâillonner. En quelque sorte Marine Le Pen tente de nous convaincre que les malversations qu’on lui reproche démontrent une fois de plus que la classe politique (comprendre: les autres) est pourrie. Rien de bien différent au fond de la défense de Fillon expliquant que ce sont “les castes bien établies” qui ont déclenché à son égard une “chasse à l’homme”.

C’est le postulat du discours populiste en France comme dans tous les pays, particulièrement aux Etats Unis en ce moment. Il y aurait une “caste” de nantis profiteurs du système qui détiendraient les leviers des différents pouvoirs, le politique bien sûr, mais aussi la finance, les médias… et qui spolieraient délibérément et systématiquement le PEUPLE à son profit. Faire campagne pour une élection consisterait donc à démontrer par tous moyens, y compris les plus malhonnetes intellectuellement, que les adversaires font partie de la caste en question. C’est ainsi que Fillon, aussi bien que Marine Le Pen ou même Mélenchon, peuvent se retrouver le temps d’un discours, dans une même défense du PEUPLE contre les castes politiques qui nous détroussent.

Ce week-end les “castes politiques” se bousculaient sur les estrades.

Chez Hamon, c’était la grande entrée en scène. L’intronisation par le parti socialiste du candidat qui vient de passer deux ans à dénoncer la politique menée par… le Parti Socialiste, et prétend aujourd’hui incarner l’union de la gauche depuis Valls, son adversaire à la primaire, jusqu’à Mélenchon, pour qui “Hollande, c’était pire que Sarkozy”. Et cela tout en promettant de mettre en place dès qu’il sera élu un revenu universel auquel personne ne croit… De ce point de vue au moins, il n’y a pas vraiment de différence entre gauche et droite. Les militants et électeurs ne sont pas épargnés! S’ils n’y comprennent plus rien, c’est leur problème.

A l’extrême gauche, le tribun Mélenchon, lui, faisait franchir au même moment un pas décisif au “socialisme scientifique”: grâce à la technologie holographique, les fans parisiens du candidat du Parti de Gauche, poing levé, pouvaient admirer leur idole, presque en chair et en os, à Aubervilliers, alors qu’il était au même moment en meeting à Lyon. De quoi rendre jaloux les défunts “leader massimo” ou Hugo Chavez… Voire Staline et ses immenses statues érigées dans tous les pays frères pour veiller sur la bonne mise en œuvre de la doctrine. Sur le fond, Mélenchon a déjà fait connaître ses exigences pour un rapprochement de l’autre gauche, celle de Hamon: que Manuel Valls et Myriam El Kohmri ne soient pas investis par le parti socialiste pour les législatives… Mais soient proprement “dégagés”! Vous avez-dit enjeu présidentiel?

A l’autre extrémité, mais au même endroit, Marine Le Pen présentait son programme, 140 mesures… mais pas de chiffrage. Ou plutôt si: ce sont les économies réalisées sur les immigrés qui financeront les nouvelles dépenses. Comme d’hab. Pas réaliste? Qu’importe? Si l’on en croit les sondages cela suffirait pour être en tête au premier tour.

Toujours à Lyon enfin, Macron faisait lui aussi son show ce week-end. Maintenant favori des sondages et des médias à la faveur de l’effondrement du candidat Fillon, et de la radicalisation du PS, il surfait sur la vague “en marche” qui continue à le porter. Mais sans sortir du flou qui entoure son programme. Au delà des grandes orientations générales et généreuses, il faudra bien pourtant qu’il commence à aligner les propositions concrètes, tangibles, pour permettre aux électeurs de droite ou de gauche qui ne savent plus vraiment où ils habitent, entre assistants parlementaires bidon et frondeurs repentis, de se faire une idée plus précise de l’endroit où il prétend les conduire. Etre le seul candidat à avoir vraiment pratiqué un métier autre que celui d’homme politique, et à ne pas avoir des décennies de vie d’apparatchik derrière lui, ne suffira pas à convaincre qu’il incarne une véritable alternative au capharnaüm politique actuel.

A 75 jours du premier tour, il va falloir penser à proposer aux électeurs une scène électorale en ordre, avec des candidats déterminés, des enjeux clairs, des alliances définies, des programmes précis. Pour éviter qu’ici aussi le vote populaire ne se retourne dans l’isoloir contre les supposées “castes”, qui n’en finissent plus de dénoncer le “système”, en s’en partageant les bénéfices.

 

 

 

 

 

 

Et pendant ce temps là, on exproprie en Palestine…

Pendant que l’affaire Fillon occupe tous les esprits, les colonnes des journaux, les plateaux radios et télés… pendant ce temps là, la vie continue. Tandis que Trump focalise l’attention de ceux qui ne s’intéressent pas au sort de Pénélope en mettant en œuvre, son programme, tout son programme, tel qu’il est né dans son esprit dérangé, pendant ce temps là, la droite extrême israélienne de Benjamin Netanyahu et Avigdor Lieberman, le ministre de l’intérieur, se déchaîne. Libérés de la -légère- contrainte du regard d’Obama, les deux hommes s’en donnent à cœur joie. 3000 logements de plus, annoncés ces derniers jours, seront construits par les israéliens, pour les colons, dans les territoires palestiniens qu’ils occupent illégalement du point de vue de la légalité internationale.

Une annonce qui intervient après celle de la construction de 566 logements à Jérusalem-Est, au prix comme toujours d’expropriations des Palestiniens. “Nous construisons et nous continuerons de construire”, s’est vanté Netanyahu qui continue méthodiquement à ruiner la possibilité de création d’un Etat Palestinien. Car il n’a plus rien à craindre de l’administration américaine, qui avait essayé jusqu’ici d’entraver les velléités colonisatrices de l’équipe gouvernementale actuelle, plombée par la présence des membres les plus extrémistes de la droite israélienne. En commençant par le ministre de l’intérieur Lieberman qui aime à dire qu’on devrait “décapiter” les citoyens arabes d’Israël qui refusent de se soumettre.

Prochaine étape sur cette voie dont la seule issue est la violence et l’insécurité éternelle pour Israéliens et Palestiniens: l’adoption d’une nouvelle loi qui légalisera les expropriations sauvages effectuées par les colons israéliens s’installant en Cisjordanie qui auraient pu ignorer que les terres avaient un autre propriétaire. En clair il s’agit de légitimer l’appropriation d’au moins 800 hectares de terres de Cisjordanie et de légaliser ainsi définitivement 55 colonies sauvages qui pour l’instant sont considérées comme illégales vis à vis de la loi israélienne, à l’instar de celle d’Amona, dont les juges viennent d’ordonner l’évacuation, déclenchant la colère de l’extrême droite.

Le mouvement israélien “La Paix Maintenant”, qui regroupe des militants de la paix, dénonce avec ce projet de loi une «vaste entreprise de maraudage foncier, qui assène «un coup dévastateur» à la possibilité de créer un jour un Etat palestinien coexistant avec Israël»… Mais les colons, comme les membres les plus extrémistes du gouvernement, espèrent bénéficier du soutien tacite de Trump qui avait annoncé avant son élection son intention d’installer l’ambassade des Etats-Unis à Jérusalem… ce qui serait considéré comme un véritable acte de guerre par les Palestiniens.

A croire qu’il n’y a pas un problème dans ce monde en crise, que Trump ne soit susceptible d’envenimer.

 

 

Vite, un seau d’eau froide pour Trump!

Finalement Trump  n’a pas que des défauts. Il est en train de nous prouver que le populisme n’est pas forcément soluble dans la démocratie, et que celle-ci sait se défendre lorsqu’elle est menacée. Depuis quelques jours, son décret sur la fermeture des frontières aux ressortissants de certains pays musulmans, au nom du terrorisme, a déclenché des réactions dans le monde entier et sonné le réveil de tous ceux qui étaient KO debout depuis l’élection du magnat de l’immobilier.

Aux Etats-Unis d’abord, où Obama est sorti de sa réserve pour soutenir ceux qui s’opposent au décret discriminatoire. Et ils sont nombreux. Des célébrités du show-bizz et de la politique, comme ces anonymes, qui ont fait le siège de l’aéroport JFK pour obtenir la libération des migrants qui y étaient coincés alors qu’ils disposaient d’un visa en règle pour rentrer aux Etats-Unis. Grâce à l’intervention d’un juge new-yorkais, les manifestants ont obtenu gain de cause et ont pu accueillir les migrants à bras ouverts. La Californie menace de faire sécession, le gouverneur de l’état de New-York, veut sécuriser le droit à l’avortement, menacé par Trump, en l’inscrivant dans la constitution de son Etat, tandis que le procureur de cette ville appelle les migrants placés en rétention à faire appel à ses services… Bref c’est une véritable rébellion anti-trump qui secoue les Etats-Unis.

A l’étranger, la réaction la plus remarquable a été celle du premier ministre canadien Justin Trudeau qui a invité les réfugiés à venir dans son pays. En Angleterre, celle de Theresa May a été plus tardive et timorée. Il faut dire que Trump a désigné la Grande-Bretagne comme principal allié des Etats-Unis et promis de l’aider à tirer le profit maximum de son Brexit. On se prépare d’ailleurs outre-Manche à accueillir Donald Trump cette année en grande pompe. Mais la visite est déjà contestée, puisqu’une pétition demandant son annulation a obtenu plus d’un million et demi de signatures et imposera donc un débat au Parlement. Même la famille royale ne semble pas très motivée pour recevoir le président américain. Comme d’habitude, dans la foulée de Merkel et Hollande, l’Union européenne a réagi avec toute la “mesure” qu’on lui connait: “La commission européenne s’assurera qu’aucun de ses ressortissants ne subisse de discrimination”... merci pour les autres.

Tout cela n’arrêtera sans doute pas la frénésie populiste du président américain. Il est plutôt adepte du coup de force et de la fuite en avant. D’ailleurs, il n’a pas tardé à limoger pour “trahison” la ministre de la justice intérimaire qui était chargée d’assurer la transition, et qui refusait de faire appliquer sa directive sur l’immigration. Trump est convaincu d’être l’Amérique, et il sera bien difficile de l’arrêter. Même les élus républicains, dont certains ne cachent plus leur désarroi, ont du mal à se faire entendre.

En fait le seau d’eau froide bénéfique pourrait venir des milieux d’affaires. Les patrons de Facebook, Apple, Twitter ou Microsoft ont dit leur désaccord. Pour des raisons de principes, mais aussi parce qu’une bonne partie des dirigeants de la Silicon Valley sont issus de l’immigration, à l’instar de Satya Nadella, le patron de Microsoft, d’origine indienne. On rappelle d’ailleurs à San Francisco que le gourou Steve Jobs était lui-même fils d’immigrés syriens qui n’auraient jamais pu entrer dans l’Amérique de Trump. Et l’on a même vu samedi au milieu des manifestants anti-Trump à l’aéroport de San Francisco, le co-fondateur de Google, Sergey Brin, treizième fortune des Etats-Unis, dont la famille a immigré aux USA pour fuir l’antisémitisme en Russie. Le PDG de Starbucks, qui estime que “le rêve américain est remis en cause”, s’engage quant à lui à embaucher 10000 réfugiés dans le monde ces cinq prochaines années… Celui d’Airbnb saute aussi sur l’occasion pour faire sa pub et promettre aux personnes bloquées à l’étranger du fait de la nouvelle réglementation un hébergement gratuit. Bref, les collègues milliardaires de Trump le rappellent au réalisme: se mettre à dos la moitié de la planète n’est pas bon pour le business. Même Wall Street, dont le Dow-Jones avait fêté l’arrivée de Trump par un record  absolu, clôturait hier à la baisse, craignant, d’après les analystes, les conséquences négatives des mesures anti-immigration sur la santé économique des entreprises américaines.

En une semaine Donald Trump aura donc eu le temps de mettre le feu dans son pays mais aura aussi “découvert” au moins une chose: la grandeur de “son” Amérique… doit beaucoup aux immigrés.