Le choix de Bayrou

Bien sûr on pourra ironiser. Railler l’homme qui n’en finit plus d’animer la vie politique sans jamais arriver au bout de ses ambitions. On pourra se moquer de ses fréquents changements de pied: ministre de Jacques Chirac puis soutien de Hollande en 2012, puis d’Alain Juppé en 2016, avant de rallier Emmanuel Macron, pour lequel il n’avait pas eu de mots assez durs ces derniers mois. On pourra aussi constater qu’il n’avait aucune chance d’être élu. Que le remboursement de ses frais de campagne, à partir de 5% des voix, était loin d’être acquis. Bref qu’il avait toutes les bonnes raisons de ne pas se présenter…

Son choix reste pourtant éminemment respectable. Parce qu’il est moins fréquent de voir un homme politique s’effacer que s’entêter. Parce que le camouflet infligé par François Hollande qui le méprisa souverainement, après avoir bénéficié de son ralliement, aurait justifié qu’il en garde quelque rancœur. Parce qu’il n’y aura sans doute aucun bénéfice législatif à attendre pour son mouvement le Modem, en cas d’échec d’Emmanuel Macron. Parce qu’en choisissant de s’opposer à François Fillon comme il le fit précédemment pour Nicolas Sarkozy, alors même qu’il doit sa mairie de Pau au retrait du candidat de l’UMP qui se dressait face à lui, il se condamne définitivement à être considéré comme un ennemi par le parti de droite. Parce qu’enfin, les quatre conditions qu’il a posé à son alliance avec Emmanuel Macron sont de pures évidences démocratiques, et sans doute des pré-requis d’un éventuel succès d’Emmanuel Macron.

L’adoption d’une “loi de moralisation de la vie politique”, est une condition absolue de restauration de l’image de nos hommes politiques. Les péripéties de l’affaire Pénélope Fillon, les chèques d’étrennes distribués généreusement par le groupe Les Républicains, aux sénateurs -dont François Fillon là encore- le mélange des genres qui transparait dans les liens entre un ex-premier ministre futur candidat à la présidence et un grand groupe d’assurances dont il est temporairement l’employé, le pantouflage de hauts fonctionnaires qui font profiter de grands groupes privés de réseaux forgés au cœur de l’Etat, d’informations glanées dans les ministères, cette connivence entre hommes politiques et groupes de pression ou puissances financières, mais aussi de façon plus triviale, les détestables habitudes prises par les députés qui font prendre en charge les déplacements de leurs familles par l’Assemblée Nationale, justifient l’adoption d’une loi stricte et implacable…

Plus encore que les petits arrangements entre amis, c’est l’arrogance de certains élus qui est devenue insupportable. Celle d’un Thévenoud, d’un Cahuzac ou d’un Morelle qui s’estiment au dessus des lois, et jugent insultant d’être attaqués sur leur moralité. Celle d’une Christine Lagarde trouvant normal d’être dispensée de peine après que sa “négligence” a coûté quelque 400 millions d’euros à la nation, et retournant sans vergogne reprendre son poste au FMI. Celle aussi de tous ces élus qui plaident depuis plusieurs semaines à propos de l’affaire Fillon, la séparation des pouvoirs, pour contester tout droit de regard de la justice dans leurs affaires. “C’est notre argent, pas de l’argent public”, entend-on à propos des sommes mises à leur disposition dans le cadre de leur mandat! L’arrogance enfin de Marine Le Pen estimant que la justice n’a pas à troubler la campagne présidentielle en mettant son nez dans les détournements de fonds publics dont se sont rendus coupables les élus européens du Front National, et qui refuse de répondre aux convocations.

Bayrou a cent fois raison, de demander “une véritable alternance, un vrai changement des pratiques et des orientations et non pas un recyclage des pratiques antérieures”. Ce n’est pas gagné, parce que pour y parvenir, il ne suffira pas de la volonté d’un président, mais il faudra que les élus du prochain parlement acceptent de voter le contrôle le plus strict de leurs activités, comme c’est le cas dans tant de pays d’Europe et d’ailleurs.

Le patron du Modem, réclame ensuite une introduction de la proportionnelle dans les scrutins législatifs, pour que deux partis dominants ne puissent plus s’assurer la quasi-exclusivité de la représentation des électeurs. C’est là encore une condition sine qua non, du retour de la confiance dans la politique. Il n’est évidemment pas normal que le Front National qui représente d’une élection à l’autre un bon quart, voire plus, des électeurs ne compte que deux députés au parlement. Ce système de représentation majoritaire, pensé pour assurer une stabilité des institutions, a finalement tué le débat politique lui-même, en condamnant les minoritaires à s’exprimer ailleurs qu’au parlement, ou à rechercher auprès des partis majoritaires, dans de pitoyables combines électorales, un droit d’expression publique, et de participation à la vie politique. Rendre un sens à la vie démocratique passera par là, et sans doute par l’imagination d’autres mécanismes institutionnels permettant enfin d’associer plus étroitement les citoyens à la réflexion et la décision politique.

Enfin Bayrou s’est fendu d’une mise en garde sociale à l’ex-banquier Macron, qu’il soupçonnait il y a peu de rouler pour “les forces de l’argent”: la France “doit résister à la pente universelle… à la réduction de la rémunération du travail…” On rétorquera du côté d'”En Marche”, que le projet de Macron prévoit déjà une revalorisation des salaires par transfert de charges sociales sur la CSG, et qu’on n’a pas attendu Bayrou pour être aussi un petit peu de gauche… Mais ce jalon posé par le maire de Pau, a le mérite de contribuer au cadrage de leur future campagne commune.

Au delà du coup de théâtre, le énième de la campagne, qui prend à revers tous les analystes et experts auto-déclarés, qui prévoyaient une quatrième campagne présidentielle de Bayrou, cette alliance peut elle profondément changer la donne? Difficile à anticiper. Tout au plus peut-on constater que le ralliement de Bayrou à sa candidature renforce la crédibilité de la volonté affichée par Macron de changer le logiciel politique du pays. De sortir enfin de l’alternance stérile entre les deux partis majoritaires pour donner un coup de jeune à notre démocratie. En privilégiant les majorités de projets plutôt que les majorités d’appareils, en renouvelant le personnel politique pour en finir avec un professionnalisme politique qui privilégie l’ancienneté sur l’innovation, et favorise toutes les dérives morales. En ré-impliquant les citoyens dans la vie publique… Pour que recule enfin le populisme!

 

 

1 réflexion sur « Le choix de Bayrou »

  1. Je souscris entièrement à vos propos. Bayrou aurait été un bon président, malheureusement en 2007 c’est Sarkozy et en 2012 Hollande qui ont été élus. D’autre part, les primaires ont laissé gagner le candidat le plus à droite, et le candidat le plus à gauche. Dans ces conditions, Bayrou, qui a refusé ce système ne pouvait plus être élu. Plutôt que de s’obstiner, il a choisi de se mettre au service du seul candidat capable de faire sortir ce pays du bipartisme sans passer par un parti extrémiste: Macron. La majorité des militants MODEM le suivront.

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