Le chemin de croix de Hamon

Et pourtant, il avait fait un carton à la primaire! En débat d’abord, où les téléspectateurs avaient pu découvrir un homme agréable, cultivé, pondéré… Une nouvelle image pour un apparatchik (président des jeunesses socialistes en 1993 à l’âge de 26 ans) jusqu’alors plutôt méconnu, ayant fait un passage presque inaperçu au ministère de l’Education nationale, et dont les principaux titre de gloire restaient ses prises de position systématiques contre la politique menée par François Hollande. Et le résultat du vote s’en était ressenti, puisque contre toute attente il emportait haut la main la primaire de la Belle Alliance Populaire, dont on pouvait discuter le côté populaire, mais qui allait prouver rapidement qu’elle n’était qu’une alliance de circonstance. Et les sondages enregistraient ce succès, puisque Hamon devançait alors sensiblement Mélenchon et pouvait espérer accrocher Macron.

Depuis, chaque jour ou presque apporte à Benoit Hamon son lot de déconvenues. Ce qu’il avait pris pour un tremplin pour son destin national s’avère un marigot dans lequel il s’enlise.

Il y a d’abord eu ses contorsions pour tenter de se donner une image de rassembleur. Sitôt désigné, sans réaliser sans doute combien sa situation à l’intérieur de son parti était fragile, et donc combien l’urgence était là, auprès de tous ceux qui avaient soutenu Hollande pendant cinq ans, il s’est précipité vers… Yannick Jadot, 1% d’intentions de votes à ce moment là, pour signer à tout prix un accord avec les écologistes. Et quel prix! 40 circonscriptions réservées, 200 000 euros de frais de campagne écologiste remboursés par le part socialiste. Et feu vert tacite pour une candidature de Caroline De Haas égérie de la lutte contre la “loi travail”, dans la circonscription où les militants socialistes ont désigné Myriam El Kohmri pour les représenter. Après Jadot, Hamon s’est un peu occupé aussi de Jean-Luc Mélenchon. Pour la forme évidemment, tant un accord semblait improbable. Mais de rendez-vous manqués, en échange d’amabilités, il a perdu son temps, et terni encore un peu sa belle image de la primaire.

Pendant ce temps, au sein du parti socialiste, tous ceux qui trouvaient fort de café de devoir jurer fidélité à celui qui n’a cessé pendant 3 ans de mettre les bâtons dans les roues du gouvernement socialiste, et se voyaient moins considérés par lui qu’un candidat écologiste, ont commencé à lorgner vers le centre, et Emmanuel Macron.

Il y a eu ensuite le débat télévisé. Un moment de grande douleur pour Benoit Hamon, qu’on allait retrouver terne et confus, ramant comme un forcené pour défendre son revenu universel, auquel il ne semblait plus croire lui-même, tandis que face à lui dans la camp de la gauche se dressait un Jean-Luc Mélenchon, brillant, enjoué, clair et éminemment sympathique. Pour exister, Benoit Hamon n’avait plus qu’une stratégie, qui reste aujourd’hui valable: taper sur Emmanuel Macron. Qui n’en demandait pas tant. Chaque attaque du candidat du PS permettant au candidat du ni-gauche ni-droite, jouant l’indignation, de s’affranchir du soupçon récurrent d’être l’héritier du quinquennat Hollande.

Evidemment tant d’anti-jeu finit par se payer dans l’électorat. Dans les sondages, Hamon flirte maintenant avec la barre des 10%. Jean-Luc Mélenchon est passé devant lui, et menace de le lâcher avec trois points ou plus d’avance. Au sein même du parti socialiste, la campagne prend des allures de marche funèbre, et les ralliements à Macron se multiplient.

Dernier en date, celui de Manuel Valls, le rival du second tour de la primaire. Ce n’est évidemment pas inattendu. Rien d’étonnant à ce que l’ancien premier ministre ne puisse pas se retrouver dans le programme de celui qui lui a mené la guerre pendant trois ans, qui s’est associé à des tentatives de déstabilisation du gouvernement à travers une motion de censure avortée, et qui de plus n’a pas semblé depuis sa désignation se préoccuper vraiment de panser les plaies. En fait Valls a toujours considéré les deux hommes, Hamon et Macron, comme des rivaux et donc des adversaires. Il choisit aujourd’hui celui qui semble dominant, afin de se dissocier de la déroute annoncée par les sondages. Evidemment, ce n’est pas très glorieux. Avant la primaire, il s’était engagé, comme les autres candidats, à soutenir le vainqueur. Aujourd’hui, il trahit sa signature en annonçant qu’il votera Macron. Mais pouvait-il en être autrement. Cette primaire entre opposants résolus, s’étant combattu pied à pied pendant de longs mois, n’ayant pas eu de mots assez dur pour qualifier qui “les traitres à la gauche” qui “les frondeurs”, ne pouvait évidemment déboucher sur un consensus. Même au nom de la menace lepéniste. D’autant que dès avant la primaire, Emmanuel Macron avait, par intuition ou par chance, anticipé en préparant une offre anti-Le Pen alternative.

Que reste-t-il à Hamon? La perspective de prendre la tëte d’un PS démonétisé, vidé d’une partie de sa substance, minoritaire dans une opposition de gauche dominée par Jean-Luc Mélenchon ? Même pas sûr! En cas de grave déculotée son leadership temporaire pourrait être contesté. Par ceux là -même qui l’ont soutenu dans sa fronde…

 

Fillon fait son malheur tout seul!

Les jours se suivent et la campagne électorale continue à s’enliser dans les affaires. Chaque jour apporte sa nouvelle révélation, son nouveau couac. Avec une cible principale, François Fillon, qui commence à ressembler à une étude de cas pour étudiants en droit.

Mais y-a-t-il un chef d’orchestre derrière la cacophonie ? Pour Fillon et ses amis, pas de doute, c’est le pouvoir. La théorie du complot réapparait à chaque nouvelle révélation. Luc Chatel l’a resservie hier dans un communiqué d’une violence et d’une mauvaise foi rares. C’est évidemment peu crédible. Le “cabinet noir” de l’Elysée qui orchestre les attaques n’existe probablement que dans les fantasmes des Républicains. Ce n’est en tout cas pas lui qui tenait la main de Fillon lorsqu’il signait les contrats de son épouse ou ses enfants, ni qui lui fournissait des costumes de luxe en cadeau, qu’il s’empressait d’accepter, contre le bon sens le plus élémentaire, en pleine “affaire Pénélope”. Ni lui enfin qui versait des bakchichs à l’ancien premier-ministre, pour qu’il use de son influence politique. Le seul chef d’orchestre, c’est Fillon lui-même.

Reste une interrogation légitime du candidat sur les violations à répétition du secret de l’instruction. Il n’est pas contestable que l’enquête le concernant se déroule quasiment à ciel ouvert. Il est tout aussi exact que ce secret fait pourtant partie des droits fondamentaux qui protègent le justiciable, au même titre que la présomption d’innocence qui va avec. Et évidemment compte-tenu de la période, ce non-respect des règles d’équité concernant son candidat parait inadmissible à la droite qui se voit possiblement écartée de la course à l’Elysée dès le premier tour, et imagine déjà, ou feint d’imaginer, les agents secrets de Hollande fouillant la nuit dans les dossiers des magistrats, pour fournir les informations à la presse et nuire à son champion.

Mais imaginons un instant la situation inverse. Que dirait-on d’une justice qui cacherait à la nation que le candidat qu’elle se prépare à porter à sa tête pour cinq ans est suspecté d’être malhonnête? De magistrats qui, au nom du code de procédure pénale, dissimuleraient des informations aussi essentielles? Et conduiraient ainsi les électeurs à se prononcer à l’aveuglette. N’y a-t-il pas là un devoir bien supérieur au simple respect des règles de l’instruction: alerter le peuple de faits qu’il ne peut pas connaître et qui seraient susceptibles d’influer sur le destin de la Nation toute entière! Oui, on peut considérer, au nom de la démocratie, que particulièrement en période électorale la violation du secret de l’instruction, et donc de la présomption d’innocence, peut être légitime. De la part des magistrats. Comme évidemment de la part des journalistes qui accèdent à l’information. Les électeurs ont le droit de savoir avant de voter!

Bien sûr c’est dommageable pour celui qui est concerné. Incontestablement la campagne de Fillon aura été anéantie par les soupçons pesant sur lui. Il n’est pas douteux que s’il ne parvient pas à l’Elysée il le devra principalement aux malversations et autres tricheries et mensonges dont il est accusé.

Mais pas seulement! Il sait aussi faire son malheur tout seul sans l’aide de personne, comme on le voit dans sa déclaration de patrimoine -dont il est le seul auteur- et qui fait apparaître qu’il doit emprunter de l’argent à sa fille pour payer ses impôts! Un père, ayant un emploi très bien rémunéré, député, et qui fait payer ses impôts par ses enfants… Quelle image désastreuse pour un prétendant à la présidence de la Nation!

 

Jeu de rôles

C’est la loi du genre. Après le débat, les militants tentent de se rassurer en vérifiant que le vainqueur est bien leur poulain. Les Mélenchonistes invoquent une enquête Facebook donnant le patron du Parti de Gauche vainqueur à 53%, tandis que les macronistes convoquent les instituts de sondages, par ailleurs tellement décriés, pour prouver que leur candidat l’a emporté. Et les supporters des autres candidats ont aussi des arguments à faire valoir… Au final, comme après chaque débat politique il est impossible de déterminer de façon crédible un gagnant.

 

Il ne faut d’ailleurs pas attendre de ces grands débats devant des millions de téléspectateurs, 10 en l’occurrence, qu’ils changent en profondeur la perception des électeurs. Plus que d’en être le vainqueur, chacun des candidats essaie plutôt de ne pas en sortir affaibli, comme on l’a vu hier soir à travers les différentes stratégies mises en œuvre.

François Fillon était venu visiblement pour faire oublier ses affaires, sa mise en examen, ses emplois fictifs, costumes et chèques d’étrennes sénatoriaux, et se poser comme le plus compétent pour la gestion du pays. Pour cela, il avait choisi de se faire petit, insignifiant, effacé, pendant toute la partie du débat portant sur les sujets de société, susceptibles de le propulser en première ligne. Tout au plus a-t-il glissé sa promesse de créer une commission sur la moralisation de la vie publique. Et de fait le sujet n’a été quasiment pas abordé. Choix gagnant donc pour le candidat de la droite, le sujet qui fâche a été éclipsé, même si cette stratégie d’évitement l’a conduit à paraître terne et pour tout dire absent durant la première partie du débat, c’est à dire celle pendant laquelle l’audience télé était la meilleure. Il a pu ensuite, sur les sujets économiques, poser dans le rôle du plus expérimenté à qui on ne la fait pas, s’attirant au passage une répartie sèche du cadet de la soirée sur ses “plus de trente ans de carrière politique”.

On peut imaginer que l’objectif d’Emmanuel Macron était plus complexe. D’une part, il devait soigner son image de rénovateur, d’homme de la rupture avec “les visages et usages” en vigueur dans le monde politique, mais aussi de pacificateur capable de faire travailler gauche et droite ensemble, sans sembler pour autant mou, flou, inconsistant. D’autre part, il devait faire passer l’idée qu’il est le seul rempart efficace contre les folies nationalistes, populistes et xénophobes de Marine Le Pen. Pas simple comme partition! On l’a donc souvent vu hocher la tête, acquiesçant aux propos de l’un ou de l’autre. D’accord avec Fillon pour donner toute sa place à la négociation dans l’entreprise, avec Mélenchon sur la laïcité, avec Hamon à l’occasion… Au point parfois de paraître un peu indécis, inconsistant… Heureusement pour lui, ses adversaires l’ont aidé à contourner l’écueil en le prenant pour cible, lui permettant ainsi, en montant un peu les décibels, d’affirmer son caractère et sa détermination. Mais c’est surtout en réponse à Marine le Pen qu’il a lâché les chevaux, pour lui reprocher de monter les Français les uns contre les autres, ou de mener la France au chaos… Objectif donc probablement atteint pour lui. Pour son premier grand débat politique, il a évité que ses adversaires, tous professionnels de la politique aguerris, ne le mettent sous l’éteignoir.

Celui qui est apparu comme le plus professionnel est évidemment Jean-Luc Mélenchon. Son but au cours de cette soirée, était sans doute de prendre l’ascendant sur son rival de gauche, Benoit Hamon. Primo pour tuer l’idée selon laquelle c’est lui qui devrait se retirer au profit du candidat socialiste pour permettre à la gauche d’être au second tour de la présidentielle. Deuxio pour préparer la suite, et pouvoir, dans le cas où il réussirait à dépasser Hamon au premier tour de la primaire, s’imposer comme leader naturel de la gauche de rupture, que les deux candidats prétendent incarner, au lendemain de l’élection. Alors, Mélenchon a fait du Mélenchon. Brillant, plein d’humour, précis dans ses démonstrations, jusqu’à faire presque oublier le contenu de son programme, derrière l’habileté du discours. Avec une faiblesse toutefois. Lorsqu’il est question d’un sujet qui le pique au vif: sont combat éternel contre l’impérialisme américain… Un moment assez invraisemblable du débat où on l’a vu défendre, avec l’appui de François Fillon et Marine Le Pen, la nécessité d’avoir un discussion avec la Russie pour redessiner les frontières des pays en Europe… Poutine ne l’avait sans doute même pas rêvé!

Evidemment, Benoit Hamon aura souffert de la comparaison avec le leader du Parti de Gauche. Plus terne, souvent trop long, peinant à faire prendre au sérieux son projet de revenu universel, qui n’en est plus un, et qu’il s’obstine à présenter comme une immense innovation, il aura passé une soirée un peu laborieuse. Coincé entre sa fronde et son épuisette, incapable de répondre aux contre-vérités concernant le quinquennat qui vient de s’écouler et qu’il a largement contribué à dénigrer, mais soucieux de ramener dans ses filets les socialistes égarés du côté de chez Macron. Celui-ci est d’ailleurs la principale cible de ses attaques. Hamon avait sans doute pour objectif de décrédibiliser le candidat centriste auprès des indécis de gauche, il s’y est employé.

Reste le cas de Marine Le Pen. Que voulait-elle démontrer dans ce débat? Mystère. On aurait pu s’attendre à ce qu’elle joue la partition de la “France Apaisée”, son slogan de campagne, pour poursuivre son entreprise de “normalisation”. Qu’elle ait travaillé les questions économiques, suite à ses déconvenues sur ce plan dans d’autres émissions, qu’elle ait élaboré et étayé les scénarios qu’elle propose au pays… Mais l’illusion n’a pas tenu longtemps. Dès que ses sujets de prédilection sont sur le tapis, immigration, délinquance, islam… le naturel reprend le dessus. Et le discours de haine, d’exclusion, l’emporte, lui attirant les attaques de ses concurrents. Principalement celles de Macron, qui a besoin de se positionner face à elle pour donner une préfiguration du second tour dont il rêve. Alors elle s’énerve, se crispe, perd un peu de son sens de la répartie, mais sans se mettre vraiment en difficultés devant son électorat, qu’elle sait toujours prendre dans le sens du poil en se prétendant le rempart des pauvres -à condition qu’ils soient de “vrais” français – des laissés pour compte -qui ne se trompent pas de religion- bref, de toutes les victimes du “Système”.

Au final, chacun pourra sans doute se dire qu’il ne s’est pas trop mal sorti de cette épreuve. Pour les téléspectateurs extrêmement nombreux devant leurs écrans aussi la soirée aura été positive. Pendant trois heures on a parlé politique à la télévision sans s’appesantir sur les affaires. Il y en avait besoin. Il ne fallait pas attendre d’un débat à 5 des révélations, il n’y en a pas eu. Mais la campagne est lancée.

Présidentielle ou star academy?

Il ne faudrait pas confondre présidentielle et star academy! Non ce n’est pas TF1, ni Odoxa, ni Harris ou l’Ifop qui choisiront le futur président de la République. Nicolas Dupont-Aignan a cent fois raisons de dénoncer un déni de démocratie de la part de la chaîne de télévision. Et il aurait pu ajouter un délit de complicité de la part de ses concurrents à la présidence de la République.

La constitution a fixé des règles pour la sélection des candidats à la présidentielle. Tous les candidats ayant reçu l’aval du conseil constitutionnel sont donc, et doivent être, à égalité de chances face aux électeurs. Il appartient à ceux-ci, et eux seuls, de dire qui doit être le futur président. Quoi qu’ait pu estimer le Conseil d’Etat, quoi qu’en pense le CSA, la réunion en un débat télévisé unique et décisif des candidats ayant obtenu le meilleur score dans les sondages est une violation de cette égalité. Et donc une violation des principes qui gouvernent notre démocratie. Même si la chaîne rétablit l’égalité de temps d’antenne par des interviews interminables qui assommeront les téléspectateurs, ne pas être sélectionné pour le “grand débat”, c’est déjà être désigné comme un candidat bidon! Les exclus ont raison de protester.

On rétorquera qu’il n’est déjà pas simple d’organiser un débat entre 5 candidats, que cela aurait été encore plus impossible avec 11 participants. Certes. mais quel est l’enjeu? organiser un bon moment de télévision? Ou aider les électeurs à voter le 23 avril en toute connaissance de cause, sans chercher à prédéterminer leur choix? L’emprise des chaînes de télévision sur la vie démocratique a ici dépassé les bornes.

D’autant que le critère de sélection parmi les impétrants, est, si l’on a bien compris, la place dans les sondages d’opinion. Des sondages d’opinion qui nous annonçaient un Fillon battu à la primaire de la droite, une large victoire de Manuel Valls ou Montebourg à celle du PS, ou encore un plébiscite pour Alain Juppé… le président dont voulaient une large majorité de Français. Reprenons, juste pour le fun, la prévision de Harris Interactive dans un sondage effectué entre le 5 et le 7 décembre 2016, soit un mois et demi avant le premier tour de la primaire de la gauche: Valls, 45%, Montebourg, 28%, Hamon 11%… Et ces difficultés d’appréciation des intentions de votes ne sont pas que Françaises: d’autres instituts de sondage annonçaient jusqu’à la dernière minute la défaite des partisans du brexit, ou le fiasco de Donald Trump. Tant qu’à faire TF1 aurait aussi pu faire voter ses téléspectateurs pour choisir qui devait être éliminé du débat!

Alors une bonne fois pour toutes, disons nous qu’une estimation d’institut de sondage n’a pas la valeur d’un vote! Et laissons à tous les candidats les mêmes chances jusqu’au bout. Si l’on estime qu’il y a trop de candidats, qu’on amende la constitution pour durcir les règles de sélection! Si l’on ne peut pas faire débattre 11 candidats, qu’on organise des interviews ou des duels. Il n’est pas obligatoire d’organiser de grands débats dont on sait qu’ils laissent le plus souvent tout le monde sur sa faim…

Mais qu’on ne laisse pas Odoxa et TF1 décider à la place des Français qui sont les candidats crédibles!

 

 

 

Drôle de campagne à gauche

C’est une campagne dans la campagne, où tous les excès, toutes les calomnies sont permises. La bataille pour le leadership de la gauche. Entre Benoit Hamon et Jean-Luc Mélenchon, bien sûr, mais aussi et surtout contre Emmanuel Macron. Les deux premiers tapent comme des sourds sur le troisième. Tout est bon. Les procès d’intention (il veut prendre aux pauvres pour donner aux riches), la stigmatisation (haro sur le banquier de chez Rothschild), l’amalgame (c’est le candidat de l’UMPS)… Pour les deux candidats de gauche, c’est lui le danger, plus que la droite ou l’extrême-droite.  Pour Mélenchon, il n’y a rien de nouveau. Dès 2013 il expliquait que “Hollande est pire que Sarkozy”. Depuis, tous les ans, il recase sa formule comparant les deux derniers présidents, comme l’a noté Maxime Laurent, journaliste d’Europe 1. Et c’est toujours Hollande le véritable adversaire. Les attaques contre Macron mais aussi Hamon sont donc dans la continuité de celles dirigées contre le président.

C’est que Mélenchon se rêve en leader d’une opposition radicale qui parviendrait à déborder le parti socialiste, à l’image du mouvement Syriza en Grèce – du moins le Syriza initial qui avait fait rêver Mélenchon avant de mettre les mains dans le cambouis de l’exercice du pouvoir, et conséquemment de l’eau dans son vin- ou Podemos en Espagne, qui a préféré le retour de la droite au pouvoir, plutôt qu’une alliance avec les socialistes pour gouverner. C’est selon Mélenchon le sens de l’histoire: les socio-démocrates, faute d’avoir renoncé au libéralisme économique, doivent être balayés partout, par les mouvements populaires de rupture avec l’ordre libéral. Pour y parvenir il faut donc mener une guerre sans merci pour disqualifier partout la gauche libérale, la gauche de gouvernement, et devenir la seule véritable force d’opposition à un “système”, qui enferme, comme dans le discours des populistes d’extrême droite, socialistes et libéraux conservateurs dans le même panier.

Pour que Jean-Luc Mélenchon garde une chance de parvenir à ses fins, deux conditions doivent être réunies: primo, qu’il finisse au premier tour de la présidentielle devant Benoit Hamon pour affirmer son leadership sur la “vraie” gauche; deuxio, que la droite, c’est à dire Fillon, l’emporte sur Macron, pour éviter qu’apparaisse une autre alternative que la sienne à l’alternance LR-PS qui lasse manifestement les Français.

Evidemment Benoit Hamon l’entend différemment. Il a pu, grâce à sa victoire à la primaire, estime-t-il, amener le PS sur une voie de rupture avec la tentation du “neo-libéralisme”. Il doit impérativement transformer son essai pour pérenniser cette inflexion. Qu’il se trouve au dessous de Mélenchon, le 23 avril et son OPA sur le PS tournera en eau de boudin. Les partisans de Valls et de Hollande l’attendent au tournant. Un échec cuisant à la présidentielle lui ferait perdre tout le gain de la primaire et donc toute autorité sur le parti. Il doit impérativement passer devant Mélenchon. Et se trouve donc écartelé.

C’est à ses positions de rupture, et au rejet de Manuel Valls, qu’il doit sa victoire à la primaire. Mais pour faire mieux que Mélenchon, il devra rassembler tout le monde, Vallsistes et Hollandais compris, et donc dégauchir un peu son programme… au risque de trahir les engagements qui lui ont permis d’emporter la primaire. Car si l’exode des plus libéraux du PS vers la candidature Macron se poursuit, il ne parviendra jamais à supplanter Mélenchon, et donc perdra tout. C’est pour cela que lui et son entourage tapent de plus en plus fort sur Macron, tout en édulcorant un peu leur programme. Sans s’inquiéter d’un second tour dont ils savent qu’ils devraient être exclus, et qui pourrait conduire à une victoire de la droite. Hamon préfèrerait sans doute se retrouver leader d’un parti socialiste principale force d’opposition face à un président de droite, que responsable d’un parti dont les cadres seraient toujours tentés de coopérer avec un président ne se réclamant pas du socialisme, mais issu de leurs rangs.

Bref, l’intérêt bien compris de Mélenchon et Hamon, qui savent que la barre du second tour est placée trop haut pour eux, est que Fillon l’emporte au premier tour et les débarrasse du cauchemar Macron… Le niveau de la campagne ne devrait pas vraiment s’élever.

 

Le plan S de Fillon

Et Fillon repart à l’assaut. Renforcé par son pari gagnant du Trocadero. Débarrassé de l’ombre d’Alain Juppé, qui lui a même accordé son parrainage désabusé, il est maintenant seul en piste, il n’y a plus de plan B. Plus qu’un plan S. comme Sarkozy.

Il y avait déjà quelques semaines que l’on sentait bien que l’ex-président reprenait les choses en main. Il y avait eu la visite de Fillon à son mentor, et les petites confidences de Sarkozy à ce propos: “Il est complètement paumé… il m’a harcelé de questions sur ce qu’il devait faire, c’est tout juste s’il ne prenait pas des notes…” aurait-il alors raconté à ses proches selon le Canard Enchaîné. Ensuite il y a eu la période plan J comme Juppé. Répondant à la pression des cadres LR qui ne croyaient plus en Fillon, Sarkozy semblait se résoudre à lâcher ce dernier pour ouvrir la porte au maire de Bordeaux… Mais l’illusion n’a duré qu’un temps. En fait, si l’on en croit Alain Juppé lui-même, cité par le Canard Enchaîné, “Sarkozy a tenté de nous manipuler en cherchant à contrôler le parti et à caser Baroin”.

Vrai ou faux? En tout cas, depuis le renoncement de Juppé, Sarkozy s’occupe ouvertement de la campagne de Fillon. A sa façon!

Au lendemain du Trocadero quelle était la situation de Fillon au regard de l’élection? Il avait deux défis devant lui. En premier lieu, faire oublier  les soupçons de malhonnêteté pesant sur lui. Ensuite, reconquérir les plus modérés de son électorat que ses diverses déclarations contre la justice et la presse, appuyées sur sa conviction qu’il était victime d’un complot voire d’un “coup d’Etat”, avaient éloigné de sa campagne. Sur le premier point c’est déjà Sarkozy qui lui avait fourni sa solution: ne pas se soucier de l’agitation judiciaire et “saturer l’espace médiatique”, lui avait-il dit lors de leur entretien. Alors il en a rajouté pour “saturer”: proposition de majorité pénale à 16 ans… éloge de la “rébellion contre le système” dans ses meetings… Et pour s’assurer d’une résonance maximale il s’est appuyé pour l’organisation de ses meetings, en commençant par celui du Trocadero, sur “Sens Commun” le mouvement ultra-conservateur issu de la Manif pour tous! Au point de décourager même ses plus proches. Et surtout de dégrader encore son image auprès de son électorat le plus modéré.

Et c’est en effet le second, et sans doute le principal enjeu de ses dernières semaines de campagne. Pour devenir président de la République, il devra d’abord être présent au second tour, et donc faire mieux que Macron au premier. Et cela clairement se jouera sur sa capacité à reconquérir, juppéistes et centristes qui se sont éloignés de lui, et pour certains ont déjà rejoint le camp Macron, qui poursuit son OPA sur le centre droit, dont il a besoin lui-même pour l’emporter. D’autant qu’il lui faudra, s’il est présent au second tour, provoquer un réflexe républicain dans l’électorat modéré et celui de la gauche, pour l’emporter éventuellement face à Marine Le pen. En clair, pour le premier comme le second tour l’enjeu premier est pour lui la (re)conquête d’un électorat modéré qui s’est éloigné au fil de ses excès.

Et c’est là que l’expérience de son nouveau conseiller Sarkozy va jouer à plein. Contraint par les départ des juppéistes et lemairistes à recomposer son équipe de campagne, et soucieux de sanctionner “les traitres”, Fillon confie la maîtrise politique et organisationnelle de sa campagne à trois personnalités de premier plan: François Baroin l’homme que Sarkozy aurait bien vu à la place de François Fillon, Luc Chatel qui est un adversaire farouche du front républicain dont aura besoin le candidat de droite s’il accède au second tour, et enfin Christian Jacob le président du groupe Les Républicains à l’Assemblée. Trois membres de la garde rapprochée sarkoziste, qui encerclaient déjà Fillon lors de son meeting au Trocadero. Trois personnalités qui ne font pas vraiment l’unanimité chez les amis d’Alain Juppé et les centristes. Un contresens absolu! Alors que Fillon a besoin de se relancer dans le dernier virage de la campagne, serrer à droite est le meilleur moyen d’enliser sa candidature à un niveau qui ne lui permettra pas d’être au second tour.

Fillon et Sarkozy sont persuadés de savoir y faire avec les centristes. On promet quelques cadeaux et c’est emballé! Avec l’UDI, cela a toujours marché du temps de Sarkozy, et apparemment cela marche aussi pour Fillon. Du moins avec les responsables du mouvement centriste. Après avoir lâché Fillon pour des raisons de principe, Lagarde et les siens ont eu tôt fait de revenir au bercail en échange de quelques circonscriptions. Mais ce nouveau reniement des cadres de l’UDI, ne suffira probablement pas à ramener vers Fillon leurs électeurs potentiels rebutés par le climat judiciaire, et les élans populistes de  celui-ci.

Bref, le plan S de Fillon ressemble à une garantie d’échec. Comme si l’ex président n’avait pas vraiment envie de voir son ex-premier ministre réussir là où il échoua lui-même à deux reprises, en 2012 et 2016.

 

 

Auto-destruction collective

Il n’y aura donc pas de plan J comme Juppé. L’ex premier ministre a jeté l’éponge. En ayant des mots très durs pour François Fillon, qui, c’est vrai, ne s’était pas privé de rappeler la veille devant les caméras de France 2 que le maire de Bordeaux n’avait pas la légitimité suffisante pour réunifier la droite. Juppé en a effectivement pris date et a définitivement jeté l’éponge. Une position qui semble tout aussi définitive que celle qu’il avait adopté il y a quelques semaines en promettant qu’il ne serait jamais un plan B.

“Non c’est non!” disait-il alors pour convaincre du caractère déjà irrévocable de son choix… Sauf qu’entre temps il a remis un jeton dans la machine à plan B des Républicains. En faisant dire à son entourage qu’il était “maintenant prêt à y aller”, il y a quelques jours, Juppé a redonné un fol espoir à ses amis Les Républicains en quête d’une solution pour se débarrasser du forcené de la Sarthe. Et l’on peut parier qu’une partie de ceux qui ont lâché Fillon ces derniers jours l’ont fait pour se préparer à rejoindre le nouveau candidat Juppé. C’est évidemment le cas des centristes de l’UDI dont le président Lagarde citait le nom de Juppé dans l’annonce de son retrait de la campagne de Fillon.

Certes le choix final fait par Alain Juppé est respectable, certainement appuyé sur les meilleures des raisons éthiques. Sa lucidité lorsqu’il reconnaît “ne pas incarner le renouveau”, ni ne répondre “pleinement à l’exigence d’exemplarité”, inspire le respect. Mais on doit admettre que ses amis de la droite et du centre pourraient lui reprocher son indécision, les tergiversations affichées par son entourage, qui n’ont fait que compliquer un peu plus l’affaire.

Car maintenant que les responsables républicains et centristes ont “fui le navire” comme le leur reprochait leur candidat officiel, il va devenir très compliqué de faire à nouveau embarcation commune… La réunification de la droite, nécessaire pour qu’elle puisse se mettre en ordre de bataille avant l’échéance d’avril, est plus qu’hypothétique. Et ce n’est évidemment pas l’unanimité de façade du comité politique des Républicains “renouvelant son soutien à l’unanimité” à François Fillon après avoir tenté depuis des jours de lui trouver un remplaçant qui donnera le change: les électeurs du parti de droite doivent avoir le sentiment qu’on les prend pour des benêts!

C’est que François Fillon est de plus en plus difficile à déboulonner. Il est d’autant plus habilité à répéter qu’il n’y a pas d’alternative à sa candidature, que le seul qui paraissait en mesure de gagner la présidentielle à sa place n’est plus dans la course. S’effacer devant Juppé n’était pas simple, ni légitime pour lui, on l’a vu, et entendu. Alors on ne l’imagine pas céder la place à un second couteau, qu’il s’agisse de Baroin, ou d’un autre. Même si Baroin s’st donné le mal de poser aux côtés de Fillon au Trocadero pour ne pas hypothéquer ses chances. Sauf nouveau coup de théâtre, la droite est probablement condamnée à assister à l’échec de Fillon, alors même qu’elle semblait depuis des mois hyper-favorite de l’élection.

La faute d’abord à Fillon sans doute. Mais pas seulement. Nicolas Sarkozy, qui faisait semblant hier encore de croire qu’il pourrait tirer un compromis d’une rencontre avec Fillon et Juppé, s’y prend un peu tard. C’est lorsque l’alternative Juppé tenait la route qu’il aurait fallu s’en occuper. Mais l’ex-président n’avait probablement pas envie de remettre Juppé en selle. Et puis, il n’était peut être pas si fortement contrarié par le spectacle pathétique donné par son ancien premier-ministre en proie à la justice. Cet ex-“collaborateur” qui s’était permis de l’humilier publiquement, avant de le battre à plate couture à la primaire. Et de fait les proches de Sarkozy n’avaient pas été les derniers à savonner la planche à Fillon, lorsque l’affaire a éclaté, au point que Fillon doive se rendre à la table de Sarkozy pour lui demander de calmer ses troupes.

Bref, il y a un seul point sur lequel les Républicains auront montré leur esprit d’équipe, c’est pour marquer ensemble contre leur camp. Au final, c’est une démonstration de sabordage collectif que vient de donner la droite. Chacun à sa façon a apporté sa pierre à la destruction de l’édifice. Un peu comme, de façon symétrique, le parti socialiste est en train de s’autodétruire, en reniant sa propre action au gouvernement pendant cinq ans, pour donner tout le pouvoir à ceux qui avaient choisi d’entraver la politique du président Hollande et de son premier ministre Valls, écartés successivement de la compétition.

On pourrait appeler ça la malédiction des primaires à 1 ou 2 balles!

Le temps des reniements ?

Tout le monde à part lui en convient: Le candidature Fillon a du plomb dans l’aile. Sauf soulèvement populaire en sa faveur, il devrait être débranché dans la semaine qui vient, et probablement au profit d’Alain Juppé. Au nom de la nécessaire exemplarité des hommes politiques, la droite échangerait donc un candidat soupçonné d’emplois fictifs contre un autre, condamné lui-même pour emploi fictif il y a quelques années. Une confirmation de l’adage proposé par Alain Juppé lors de la campagne des primaires: “Il vaut mieux avoir un passé judiciaire qu’un avenir…” Belle anticipation de sa part!

On ne peut pas dire pour autant que Juppé fut aussi perspicace dans toutes ses interventions de campagne. Lorsqu’il dit et réaffirma par exemple que pour lui “non c’est non” il ne serait pas le plan B… Il n’y a que les idiots qui ne changent jamais d’avis. Mais du coup, on se demande qui va finalement se renier dans cette affaire. Alain Juppé défendait un programme qui fut rejeté sévèrement par les électeurs de la primaire de la droite. Au contraire, le programme de Fillon pour lequel il n’avait pas de mots assez durs a été plébiscité. Le plan B consistera-t-il en un changement de candidat pour un maintien du programme, au prix d’un reniement du nouveau candidat, ou à un ré-alignement de la droite sur un programme rejeté par ses militants, ou à l’adoption d’un pot-pourri de mesures voulues par les uns et les autres, pour que chacun se sente à l’aise dans ses baskets, et soutienne sans états d’âme le “nouveau” candidat de la droite.

Verra-t-on, comme on le laisse entendre, un tandem Juppé-Baroin se présenter aux électeurs, sachant qu’ils représentent deux extrémités de l’arc programmatique des Républicains, et qu’en plus leur inimitié mutuelle est connue? Ce serait, si l’on comprend bien une façon d’amadouer Nicolas Sarkozy qui ne souhaite pas jusqu’ici ouvrir une voie royale à Alain Juppé et permettrait donc à tous “Les Républicains” de marcher d’un même pas. Tout cela fait un peu tambouille à l’ancienne, on doit bien le reconnaître.

Mais ce n’est rien à côté de la situation dans laquelle vont se retrouver tous ceux qui ont déjà franchi le rubicon pour rejoindre Emmanuel Macron sans attendre le dénouement du psychodrame Fillon. On pense d’abord évidemment à François Bayrou, qui risque de se souvenir qu’avant de faire alliance avec “En Marche”, il marchait aux côtés de Juppé, à qui il doit sa mairie de Pau! Lui qui s’est fait traiter de girouette pour avoir rallié Macron, il peut difficilement refaire un demi-tour pour revenir à ses premières amours, genre “excusez-moi mais la situation n’est plus la même et j’ai une dette à régler du côté de Bordeaux”? D’autant qu’il a obtenu de Macron un projet de moralisation de la vie publique, qui prévoit d’écarter des responsabilités les gens ayant été condamnés par la justice. Pour l’instant Bayrou reste droit dans ses bottes au côtés de Macron.

Et il n’est pas le seul dans l’embarras. Tous les hommes politiques issus de la droite et du centre qui ont rejoint Macron en y voyant une opportunité pour changer la politique vont-ils se renier à leur tour, et revenir au bercail? Et les hommes d’influence qui se croient faiseurs de rois. Alain Minc par exemple… Qui lui aussi est passé de Juppé à Macron? Du coup, ce dernier pourrait se retrouver finalement entouré de soutiens… ni de droite ni de droite, ce qui dé-crédibiliserait sa candidature… Les seuls à s’en sortir sans trop de dégâts seraient alors les centristes de l’UDI, qui forts de leur hardiesse légendaire, ont simplement choisi d’attendre le dernier moment, pour choisir in extremis de laisser tomber Fillon… sans risque, ou presque !

Evidemment tout cela fait encore un peu tambouille, et pourrait renforcer un peu plus le camp du refus, celui du populisme. L’unité de la droite n’y résisterait qu’au prix d’une habile distribution des prix de la part du candidat minoritaire dans son camp, permettant de contenter toutes les tendances du parti. Juppé aurait de bonnes chances d’emporter l’élection nous disent les sondeurs. Et de pouvoir, comme il l’a promis au début de sa campagne pour la primaire… “poursuivre l’œuvre de Jacques Chirac”! Cela ne nous rajeunit pas non plus. Pour la rénovation de la vie politique, il faudrait alors repasser dans 5 ans.

 

Le dangereux pari d’une droite extrême

Certains évoquent 1934 et les manifestations d’extrême-droite contre le pouvoir qui tournèrent à l’émeute et au cours desquelles la police tira sur les manifestants faisant de nombreux morts… Le parallèle est évidemment excessif et déplacé. La situation n’est pas comparable. Ce que nous vivons est simplement la tentative d’un homme politique discrédité, au bord du gouffre, peu à peu lâché par les siens, de parvenir au pouvoir en jouant sur le rejet de l’autorité de l’Etat, toujours présent dans toutes les couches de la population à des degrés divers. Le mot d’ordre “Trop c’est trop…” résume la démarche. Le but de Fillon est de fédérer toutes les frustrations vis à vis de l’Etat, toutes les lassitudes, les sentiments d’exaspération, pour prouver aux élus de droite qui le lâchent un après l’autre que “le peuple” est avec lui.

Sombre plongée dans le populisme. Il joue les artificiers. Il crée une situation explosive qui le volatilisera en cas d’échec… mais dont il pense qu’elle peut encore le sauver.

Explosive parce que son appel à manifester contre la justice a un caractère indéniablement séditieux. Et ce n’est pas  anodin! Pour un candidat à la présidence de la République, attaquer ainsi ouvertement les institutions dont il prétend assurer demain la garde et la pérennité, est tout simplement inconcevable. En choisissant cette voie il se met à lui-même à l’écart de la République, et précipite le parti qui le soutient vers l’abîme. Aucun parti de gouvernement ne peut ainsi s’attaquer publiquement aux institutions, ne peut choisir la voie de la sédition, et prétendre rester dans le cadre républicain. Seule Marine Le Pen a clairement choisi cette voie, qui propose aux Français d’adhérer à un projet totalitaire anti-républicain. Le parti de Fillon n’avait pas vocation à emprunter ces chemins là.

Du coup, il se met lui même en grand danger. Si son parti l’abandonne et le contraint la semaine prochaine au retrait qu’il refuse d’envisager, il sortira de la séquence  carbonisé. Renié par ses proches. Renégat de la République. Traître à son parti comme au pays. Rejeté par ceux là même qui avaient été si nombreux et enthousiastes à le soutenir.

Mais lui, ne l’entend pas encore ainsi. S’il réussit son pari, si les frustrés de la République mobilisés par les ultra-conservateurs de la Manif pour tous et Sens commun, envahissent le Trocadero dimanche par dizaines de milliers, il sera difficile à déboulonner. S’il prend la parole dimanche devant une marée humaine, comparable à celle qui défila jadis pour défendre l’école libre, ou plus récemment pour s’opposer au mariage pour tous, il se sentira assez fort pour résister aux pression de ses anciens soutiens. Pour mener son aventure calamiteuse jusqu’au bout, c’est à dire jusqu’à son échec électoral et le déchirement probable de la droite.

Au delà des enjeux personnels de François Fillon, dimanche sera de toutes façons une journée sous haute tension. En réponse à l’appel du candidat de droite, un mot d’ordre est lancé pour une manifestation de défense des institutions. Sur internet, des militants appellent à amener les casseroles au Trocadero pour sonoriser le meeting anti-juges… Une tension extrême qui ne profitera sans doute qu’à ceux qui ont intérêt à ce climat délétère, c’est à dire les rivaux d’extrême-droite d’un candidat qui, après toutes les défections dans son entourage, apparait de plus en plus comme celui d’une droite extrême.