C’est une campagne dans la campagne, où tous les excès, toutes les calomnies sont permises. La bataille pour le leadership de la gauche. Entre Benoit Hamon et Jean-Luc Mélenchon, bien sûr, mais aussi et surtout contre Emmanuel Macron. Les deux premiers tapent comme des sourds sur le troisième. Tout est bon. Les procès d’intention (il veut prendre aux pauvres pour donner aux riches), la stigmatisation (haro sur le banquier de chez Rothschild), l’amalgame (c’est le candidat de l’UMPS)… Pour les deux candidats de gauche, c’est lui le danger, plus que la droite ou l’extrême-droite. Pour Mélenchon, il n’y a rien de nouveau. Dès 2013 il expliquait que “Hollande est pire que Sarkozy”. Depuis, tous les ans, il recase sa formule comparant les deux derniers présidents, comme l’a noté Maxime Laurent, journaliste d’Europe 1. Et c’est toujours Hollande le véritable adversaire. Les attaques contre Macron mais aussi Hamon sont donc dans la continuité de celles dirigées contre le président.
C’est que Mélenchon se rêve en leader d’une opposition radicale qui parviendrait à déborder le parti socialiste, à l’image du mouvement Syriza en Grèce – du moins le Syriza initial qui avait fait rêver Mélenchon avant de mettre les mains dans le cambouis de l’exercice du pouvoir, et conséquemment de l’eau dans son vin- ou Podemos en Espagne, qui a préféré le retour de la droite au pouvoir, plutôt qu’une alliance avec les socialistes pour gouverner. C’est selon Mélenchon le sens de l’histoire: les socio-démocrates, faute d’avoir renoncé au libéralisme économique, doivent être balayés partout, par les mouvements populaires de rupture avec l’ordre libéral. Pour y parvenir il faut donc mener une guerre sans merci pour disqualifier partout la gauche libérale, la gauche de gouvernement, et devenir la seule véritable force d’opposition à un “système”, qui enferme, comme dans le discours des populistes d’extrême droite, socialistes et libéraux conservateurs dans le même panier.
Pour que Jean-Luc Mélenchon garde une chance de parvenir à ses fins, deux conditions doivent être réunies: primo, qu’il finisse au premier tour de la présidentielle devant Benoit Hamon pour affirmer son leadership sur la “vraie” gauche; deuxio, que la droite, c’est à dire Fillon, l’emporte sur Macron, pour éviter qu’apparaisse une autre alternative que la sienne à l’alternance LR-PS qui lasse manifestement les Français.
Evidemment Benoit Hamon l’entend différemment. Il a pu, grâce à sa victoire à la primaire, estime-t-il, amener le PS sur une voie de rupture avec la tentation du “neo-libéralisme”. Il doit impérativement transformer son essai pour pérenniser cette inflexion. Qu’il se trouve au dessous de Mélenchon, le 23 avril et son OPA sur le PS tournera en eau de boudin. Les partisans de Valls et de Hollande l’attendent au tournant. Un échec cuisant à la présidentielle lui ferait perdre tout le gain de la primaire et donc toute autorité sur le parti. Il doit impérativement passer devant Mélenchon. Et se trouve donc écartelé.
C’est à ses positions de rupture, et au rejet de Manuel Valls, qu’il doit sa victoire à la primaire. Mais pour faire mieux que Mélenchon, il devra rassembler tout le monde, Vallsistes et Hollandais compris, et donc dégauchir un peu son programme… au risque de trahir les engagements qui lui ont permis d’emporter la primaire. Car si l’exode des plus libéraux du PS vers la candidature Macron se poursuit, il ne parviendra jamais à supplanter Mélenchon, et donc perdra tout. C’est pour cela que lui et son entourage tapent de plus en plus fort sur Macron, tout en édulcorant un peu leur programme. Sans s’inquiéter d’un second tour dont ils savent qu’ils devraient être exclus, et qui pourrait conduire à une victoire de la droite. Hamon préfèrerait sans doute se retrouver leader d’un parti socialiste principale force d’opposition face à un président de droite, que responsable d’un parti dont les cadres seraient toujours tentés de coopérer avec un président ne se réclamant pas du socialisme, mais issu de leurs rangs.
Bref, l’intérêt bien compris de Mélenchon et Hamon, qui savent que la barre du second tour est placée trop haut pour eux, est que Fillon l’emporte au premier tour et les débarrasse du cauchemar Macron… Le niveau de la campagne ne devrait pas vraiment s’élever.