On est bien loin de 2002. Pas de grande manifestation de masse pour dénoncer la présence d’une candidate du Front National au second tour de la présidentielle. Le “Front Républicain” se lézarde. Alors qu’à l’époque il y avait une quasi-unanimité pour appeler à voter Chirac, on est aujourd’hui loin du compte. Sans doute parce que l’effet stupeur de 2002 n’existe pas. La défaite de Jospin était un coup de tonnerre. Rien de tel en 2017, il y a belle lurette que les instituts de sondage nous ont annoncé la présence de Marine Le Pen au second tour, la surprise étant plutôt de ne pas la retrouver en tête. D’ailleurs toute la campagne du premier tour a été de fait dominée par le Front National, chacun des principaux candidats se battant ouvertement, pour être l’heureux élu qui affronterait Marine le Pen le 7 mai. Au point qu’au soir du premier tour, Emmanuel Macron a pu donner l’impression de se comporter déjà en président, puisque les sondeurs ont aussi prédit depuis longtemps la défaite de la fille de Jean-Marie Le Pen au second tour.
Il y a aussi derrière cette relative faiblesse des réactions, et c’est le plus inquiétant, une certaine forme d’accoutumance à la présence d’une extrême-droite puissante dans ce pays, mais aussi à ses thèses. C’est au moins pour partie le résultat des vaines tentatives de la droite pour “aspirer” les électeurs de l’extrême droite. En reprenant à son compte certaines idées du Front National, au prétexte que celui-ci apporterait “de mauvaises réponses à de bonnes questions”, en labourant méthodiquement ses plates bandes, en mettant en avant les thématiques d’exclusion, d’enfermement, en se repliant sur une soi-disant “identité nationale”, la droite a largement contribué à banaliser le discours du Front National. Et loin d'”aspirer” ses électeurs, elle a contribué à l’essor du parti extrémiste d’une élection à l’autre.
Mais elle n’est pas seule en cause. Cette campagne présidentielle a aussi été marquée par une dérive idéologique nouvelle, à travers une véritable compétition des populismes. Une course permanente entre les extrêmes pour conquérir l’électorat populaire. Soyons clair, Jean-Luc Mélenchon n’est pas Marine Le Pen. Leurs idées sont diamétralement opposées, par contre leurs discours sont devenus politiquement compatibles. Dans cette OPA lancée sur ce “Peuple” dont l’une comme l’autre s’estiment les porte-parole, les deux candidats se sont retrouvés sur les thématiques “anti-européennes”, “anti-oligarchie”, “anti-système”, “anti-journalistes”… C’était auquel des deux dénoncerait le plus fort le “banquier” Macron, candidat de “l’oligarchie” et de la “médiacratie”. Et chacun y allait de sa condamnation sans appel des traités européens, et des licenciements boursiers, et de l’incurie de la “caste politique”… A la fin, il y a évidemment de quoi semer la confusion. Et lorsque Jean-Luc Mélenchon, qui nous avait plutôt habitués à avoir un avis péremptoire sur tous les sujets, refuse de donner une consigne de vote en faisant dire par son entourage que son choix de vote est “intime” (sic!) … la confusion est totale. Comment un homme politique qui vient de rassembler 20% des électeurs sur sa candidature, peut-il prétendre que son choix électoral est “intime”… et donc ne regarde pas les 7 millions de personnes qui ont voté pour lui?
Cette confusion on la retrouve derrière ces scènes surréalistes de lycéens parisiens bloquant leurs établissements ou incendiant du mobilier urbain pour dire leur refus du deuxième tour de la présidentielle entre Macron et Le Pen, et appelant à un soulèvement contre l’élection, c’est à dire contre la démocratie! Il n’est pas question d’accuser Mélenchon de tous les maux, mais son silence pèse gravement ici.
Evidemment le choix personnel de l’abstention lors d’un scrutin présidentiel, est tout à fait honorable. Même en présence de Marine Le Pen! Ceux qui ont le sentiment d’avoir été bernés en 2002, en votant pour Chirac, et ne veulent pas remettre ça, ne sont pas pour autant des alliés du Front National. Mais ceux qui, aujourd’hui, au nom d’une idéologie de gauche renvoient dos à dos Emmanuel Macron et Marine Le Pen, en les mettant publiquement dans l’équivalence, en prétendant que le libéralisme économique est une autre peste aussi nuisible et dangereuse que la prise du pouvoir par l’extrême-droite pétainiste et xénophobe… comme le fit Jean-Luc Mélenchon dans son discours de dimanche soir… nous disent tout simplement que pour eux, toute démarche politique différente de la leur est… un déni de démocratie.