Une campagne d’un nouveau type?

Dernière semaine d’une folle campagne. Où chacun des principaux candidats est rattrapé par ses vieux démons.

C’est d’abord Benoit Hamon qui lâche au détour d’une interview qu’il votera au second tour pour… Jean-Luc Mélenchon, si celui-ci y figure, et quel que soit son adversaire. Inutile en l’état, invraisemblable et pout tout dire irresponsable! Le candidat dépositaire des ambitions restantes du Parti Socialiste, qui annonce déjà que de toutes façons il est prêt à se rallier à celui qui a fait de la destruction du parti socialiste et de la social-démocratie, l’alpha et l’omega de son engagement politique. Quel pathétique sabordage! En prenant publiquement cette position, partagée sans doute secrètement par la plupart des “frondeurs” du PS, Hamon bafoue les électeurs qui l’ont choisi à la primaire, montre qu’il a déjà intégré la déculottée qui l’attend, et qu’au fond face à la défaite probable, il entend bien entraîner son parti dans la déconfiture. On pourra bien sûr rétorquer que cela ne change pas grand chose tant le Parti socialiste paraît d’ores et déjà potentiellement anéanti. Mais cet aveu du candidat est en quelque sorte le premier clou planté sur le cercueil.

C’est ensuite Jean-Luc Mélenchon qui se débat en ces derniers jours de campagne dans les conséquences de ses propres délires internationalistes. Alors qu’il avait tout fait depuis des semaines, pour lisser sa candidature, pour éliminer toutes les aspérités, faire oublier ses injures et coups de gueule, le voila obligé de prouver qu’il n’est plus le militant anti-impérialiste qu’il fut. Du coup, il s’en prend aux médias, et plus généralement au “Système” coupable de le calomnier pour le diaboliser mieux par simple peur de sa victoire à venir… Mais c’est d’abord à lui-même qu’il doit ce retour de flamme. Et plus précisément à son programme qui prévoit de faire entrer la France dans “l’alliance bolivarienne”, une improbable organisation internationale regroupant Cuba, le Vénézuela, ou encore le Nicaragua, sous la haute bienveillance de la Russie ou de l’Iran… Méluche l’anti-impérialiste est de retour. Et ce n’est pas tout, sa haine de l’Amérique l’a aussi conduit à introduire dans son programme le soutien de la France à… la volonté chinoise de substituer le yuan au dollar comme monnaie internationale. Et ne parlons pas de sa proposition de redessiner les frontières européennes, comme pour tenir compte des appétits croissants de Poutine. Le voilà contraint de se justifier de ses outrances, de sa vision manichéenne des relations internationales, comme il y a cinq ans, lorsqu’en fin de campagne les sondeurs lui promettaient, déjà, une percée historique. Et comme il y a cinq ans il dénonce l’acharnement de ceux qui ont peur de lui, et injurie les journalistes qui lui posent des questions qui le gênent… Mais le mal est fait. Le sympathique Mélenchon, écologiste, égalitariste et beau parleur, s’est une fois encore laissé emporter par “le bruit et la fureur”…

Et il n’est pas le seul à avoir raté son lifting sur la fin. Marine Le Pen, elle aussi, s’est pris les pieds dans le tapis. Alors qu’elle touchait au but, se préparait à accéder sans coup férir au second tour de la présidentielle, en partie grâce à un effort de tous les instants depuis cinq ans pour dé-diaboliser son parti, et prouver qu’il peut avoir vocation à gouverner la France… voilà qu’au dernier moment, elle dérape lamentablement. “La France n’est pas responsable de la rafle du Veld’hiv” selon elle. Chassez le paternel… il revient au galop. Comme avant elle son père, Marine Le Pen dérape sur la question de l’holocauste. Bien sûr elle n’est pas dans le même déni que son père pour qui les chambres à gaz étaient un détail de l’histoire, mais tout de même en contestant la responsabilité de la France dans le sort fait aux juifs de France, responsabilité reconnue officiellement à juste titre par Jacques Chirac lorsqu’il était président, elle renvoie le Front National à son histoire, à ses racines qui s’enfoncent dans la tradition de l’extrême droite autoritaire, xénophobe et antisémite française.

Quant à Fillon, on se demande s’il a une seconde de cette campagne échappé à ses démons. Depuis que l’affaire des emplois fictifs offerts à sa famille aux frais de l’Etat a été dévoilée, il ne cesse de trébucher jour après jour, pas après pas. Et s’enlise, mensonge après mensonge. Il a dû changer en hâte de slogan, pour se débarrasser de l’encombrant “Le courage de la vérité”, de plus en plus lourd à porter, et le remplacer par “Une volonté pour la France”; vite transformé par ses détracteurs en “Un vol pour la France. Pas un meeting où il ne soit accueilli par un concert de casseroles, impossible de rencontrer un journaliste sans être interrogé sur les affaires… Et toujours le mensonge. Quand il croit être parvenu à revenir sur le fond, à se concentrer sur son programme… les affaires le rattrapent. Et chaque semaine en ajoute une couche. Un jour on apprend que le premier emploi présumé fictif de son épouse remonte à 1982 voire 1980 et non 1986 comme le prétendait le candidat de la droite et du centre. Un autre c’est la PJ qui le soupçonne de ne pas avoir vraiment rendu les costumes de luxe qu’il jurait avoir restitué… C’est aussi le candidat Dupont Aignan qui laisse entendre que François Fillon a tenté d’acheter son retrait de la compétition… Alors les nerfs du candidat craquent, au point d’arriver à se brouiller publiquement avec Jean-Jacques Bourdin le journaliste de RMC, dont l’émission jouit d’une très grande écoute. Maladroit. De plus en plus maladroit.

Le palmarès ne serait pas complet si l’on n’évoquait pas le cinquième larron de cette élection, Emmanuel Macron. Ses démons à lui naissent plutôt de la volonté permanente de décrire le monde dans sa complexité, qui le conduit à refuser  les simplifications, les anathèmes, les clivages sommaires, mais qui confine parfois à l’envie de se montrer à tout prix consensuel, de ménager la chèvre et le chou, comme pour plaire au plus grand nombre. Alors, de temps en temps, avec la tension de la fin de campagne, sa dialectique finit par perdre en route ses auditeurs, et laisser la simple impression qu’il se contredit. C’est ainsi qu’il peut un jour inspiré lancer dans un meeting à Marseille un hymne à la diversité et au mélange des cultures, à travers une longue, et sonore anaphore “je vois les Comoriens, je vois les Sénégalais…. Je vois les Marseillais, je vois les Français”… Mais affirmer quelques jours plus tard interviewé par le site “causeur” dire sa volonté de lutter contre le “multiculturalisme et le communautarisme”. Dans son esprit il n’y a sans doute pas de contradiction, mais l’électeur moyen finit par s’y perdre. Comme lorsqu’il annonce -ce n’était pas dans son programme- que sa volonté de nous proposer “une démocratie rénovée”, passera par le fait de gouverner par ordonnances, c’est à dire sans laisser le parlement débattre de ses projets…

Bref cette fin de campagne indécise est bien difficile pour tous. La tension est palpable et sans doute supérieure à tout ce que l’on a connu jusqu’ici. A cause de l’indécision du résultat tel que le simulent les instituts de sondage, mais aussi à cause de la violence. L’effet amplificateur d’internet a joué comme jamais. Dans chaque camp les équipes lancent de véritables campagnes internet de dénigrement de leurs adversaires. Tout est bon pour la propagande: l’injure, la calomnie, le mensonge, les fausses nouvelles… L’omniprésence des sondages, quotidiens, renforce encore la tension, conduit les candidats à piloter leur campagne à vue, en s’adaptant aux relevés quotidiens de température… On ne peut pas dire que tout cela favorise le débat de fond, les échanges d’idées… Cela rappelle furieusement la campagne présidentielle américaine. Souhaitons juste que cela ne soit pas une préfiguration de ce que doit devenir la politique au 21ème siècle!

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