Macron dans le piège Ferrand

Macron doit-il lâcher Ferrand? Jour après jour, la campagne contre le ministre redouble d’intensité. Les révélations, plus ou moins vérifiées se succèdent. Jour après jour la pression pour une démission du ministre s’accentue, bien que la justice ne trouve pour l’instant aucune raison de poursuivre l’intéressé. A cela on peut voir sans doute plusieurs raisons.

Primo Richard Ferrand est un proche parmi les proches du nouveau président. Il permet donc d’atteindre celui-ci sans l’attaquer de front. Au moment où journaux et télévisions n’en finissent plus de tresser les lauriers de ce nouveau président, capable d’écraser les doigts de Trump et de dire publiquement quelques vérités à Poutine, Ferrand fait office d’antidote à l’accusation de flagornerie. En soumettant le ministre à un feu nourri, les journalistes prouvent leur indépendance vis à vis du nouveau pouvoir, et donc peuvent complimenter à l’envie le-jeune-président-que-le-monde-entier-nous-envie, sans paraître complaisants.

Deuxio, Richard Ferrand incarne l’arroseur arrosé. Il est un donneur de leçons. Cheville ouvrière de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron, il n’a cessé d’appeler à une moralisation de la vie publique. A dénoncé les fourberies de Fillon… Le coincer la main dans le pot de confiture, c’est mettre en scène la fameuse image du gars victime de son tuyau d’arrosage. C’est jouissif, et le public comprend qu’il l’a bien cherché.

Tertio, Richard Ferrand permet justement de faire oublier Fillon. En mettant la même énergie à attaquer Ferrand qu’il en ont mis à démolir Fillon, les journalistes, qui ont largement contribué à la destruction de la campagne présidentielle de la droite -destruction dont Fillon reste bien sûr le premier responsable- peuvent avoir l’impression de rétablir un équilibre. Tant pis si les situations sont très différentes. Tant pis si l’un était mis en examen et si l’autre de l’est toujours pas… Du point de vue moral, on peut toujours affirmer que le problème est le même et donc afficher une symétrie parfaite dans la dénonciation.

Ensuite, Richard Ferrand fournit un bon angle d’attaque contre le gouvernement. Attaquer en bloc l’équipe d’Edouard Philippe est difficile, tant pour la gauche que pour la droite. Tout le monde a compris que les Français sont majoritairement preneurs de cette étrange alchimie qui réunit dans le même creuset, droite, gauche, centre et société civile. Attaquer la formule de front c’est s’exposer à passer pour un aigri, un ringard, un défenseur de l’ordre ancien. En faisant feu sur Ferrand on évite de se mettre en porte à faux avec l’opinion publique.

Enfin, Richard Ferrand est un entrepreneur. Avant d’entrer en politique, il a géré une entreprise, les Mutuelles de Bretagne, et apparemment l’a plutôt bien gérée. Le prendre en flagrant délit de conflit d’intérêt, c’est illustrer le fait que les patrons de toutes façon s’en mettent toujours plein les poches, et que si c’est pas illégal, c’est tout de même immoral! Et comme chacun sait que Macron est “le président des riches” comme dit Mélenchon… CQFD!

Tout cela fait de bonnes raisons pour que Macron se débarrasse en urgence de l’encombrant morceau de sparadrap qui colle à la campagne législative et pourrait l’empêcher de réaliser le grand-chelem espéré, une majorité absolue à l’Assemblée nationale. Mais les choses ne sont pas si simples!

Sanctionner Ferrand aujourd’hui au nom d’un comportement passé dont on peut estimer qu’il n’est pas vraiment conforme à l’idée qu’on peut se faire de la déontologie du chef d’entreprise, c’est ouvrir une porte vers l’abîme. C’est en effet entrer dans une ère où le jugement moral majoritaire, tel du moins qu’il est supposé s’exprimer à travers les médias, se substitue à la légalité. Les colonnes des journaux et les plateaux de télévision devenant les nouveaux prétoires où l’on jugerait non pas en droit, mais en morale. La moralisation de la vie publique voulue par le président tournerait alors à une normalisation morale des comportements individuels, présents et passés, des hommes publics, et dont les médias seraient les procureurs et les arbitres. Le cadre légal formel serait lui même supplanté par un cadre moral informel. Dérive qui déboucherait à une situation de chasse aux déviants, permanente, avec la déstabilisation de la vie publique que cela impliquerait.

La moralisation de la vie politique que l’on peut attendre et espérer n’est pas cela. Elle implique d’adapter nos lois à l’évolution des exigences du public à l’égard de leurs représentants, au besoin de transparence de la vie publique, et ensuite de les faire appliquer par tous! De faire appliquer la loi, toute la loi. Pas d’exiger de chaque personnage public, une adéquation permanente à la morale dominante telle que définie à l’instant T par les médias et les sondages.  A cet égard l’expression “transparence de la vie publique” serait sans doute plus juste que “moralisation de la vie publique”.

Pour l’heure, le président doit faire le dos rond. En attendant le jugement des urnes.

 

 

La campagne? Quelle campagne?

Décidément, en dépit des apparences, nous n’avons pas encore vraiment changé d’ère politique! Après les campagnes apocalyptiques de la présidentielle, nous voici dans le “troisième tour” législatif, et dans la démonstration qu’on peut faire toujours pire en matière de campagne électorale.

Macron est élu. On avait compris que l’enjeu des législatives était de lui donner ou pas une majorité pour appliquer son programme. On imaginait que les poids lourds de l’opposition, les partis qui ont été laminés par sa victoire, PS et LR en tête, allaient consacrer la campagne à expliquer sur quels points le programme de Macron est dangereux, et à proposer aux électeurs les correctifs nécessaires. Bref, faire campagne sur le fond, pour tenir compte des attentes formulées par les électeurs en faveur d’une remise en cause d’un fonctionnement politicien dépassé. De même on pouvait attendre de l’autre poids lourd du premier tour, Mélenchon, une critique très concrète et précise du programme du nouveau président, et une illustration de ce que Les Insoumis -dans l’hypothèse où les électeurs les enverrait en nombre au parlement- pourraient apporter à la vie démocratique, en infléchissant les choix du président élu, en faisant vivre des débats de fond dans l’intérêt du pays.

C’est raté! Médias et hommes politiques semblent s’être mis d’accord pour éviter tout débat de fond, une fois de plus. LR et PS semblent n’avoir qu’un thème de campagne: les éventuels possibles écarts de conduite de Richard Ferrand, le proche d’Emmanuel Macron. Côté France “insoumise”, on tente de suivre Mélenchon dans ses dérapages. Après une campagne présidentielle toute en douceur et en rondeurs, le leader du parti de gauche, a un important retard à rattraper au chapitre des invectives. Alors tout le monde en prend pour son grade. Les soutiens d’Emmanuel Macron sont un “ramassis” une “horde” ou encore une “meute”! Le parti communiste de Pierre Laurent, soutien de Mélenchon au premier tour, “la mort et le néant”! Quand au rival de gauche, ancien premier-ministre, Bernard Cazeneuve, c’est “celui qui s’est occupé de l’assassinat de Rémi Fraisse”.

S’ils avaient tous voulu donner raison à posteriori à Emmanuel Macron dans sa tentative de re-fondation de la vie politique, ils ne s’y seraient pas pris autrement. S’ils avaient choisi de démontrer par l’exemple que les partis traditionnels sont dépassés, ils auraient agi exactement ainsi. Tous semblent tétanisés par le vertige, au bord du vide. Incapables de retrouver leur souffle. Ce que résume assez bien Martine Aubry pour la gauche: “je ne sais pas comment parler aux Français aujourd’hui… j’ai l’impression que tout ce que j’ai fait dans ma vie est abîmé, cassé…”

Il faut dire que les médias dans leur ensemble ne font pas grand chose pour éclairer les enjeux de la campagne. Partagés qu’ils sont, pour la plupart, entre la volonté de ressasser sur tous les tons, “l’affaire Richard Ferrand”, qui n’en est pas vraiment une pour l’instant, et la fascination pour ce nouveau-président-si-jeune-que-le-monde-entier-nous-envie. Zéro recul sur un sujet comme sur l’autre. Un pseudo-équilibre, entre mise en cause et admiration, qui cache mal l’absence de travail de fond. Au point que ce que l’on retiendra sans doute de ces premières semaines de présidence Macron, est un éventuel scandale immobilier datant de 2011, et une poignée de main “virile” entre deux coqs dans la basse-cour de la politique internationale.

Vivement que cela s’arrête, et qu’on voit d’un peu plus près ce que Macron nous prépare.

 

L’improbable attelage de Macron

La chimère est donc là! Cette créature improbable née dans la pensée d’Emmanuel Macron. Un gouvernement qui rassemble des gens issus de la droite et de la gauche. Des politiciens professionnels et des amateurs sans expérience. Des libéraux indécrottables et des adeptes d’un changement de modèle économique. Des gamins et des vétérans, des groupies et des contempteurs invétérés d’Emmanuel Macron… Tous réunis autour du projet du plus inexpérimenté des présidents de la 5ème République. Les électeurs avaient dit: chiche! Il l’a fait.

On l’aura compris, il y en a pour tous les goûts, c’est le principe de base. Chacun pourra trouver un motif de satisfaction dans ce gouvernement, mais aussi une ou plusieurs raisons de frustration, voire de colère.

Macron avait promis un gouvernement ramassé? Il l’est. Mais du coup, tous ceux qui se plaignaient des pléthores ministérielles précédentes, ont tôt fait de constater que le compte n’y est pas: où est le ministre du logement, et celui de la fonction publique, et…

Il avait promis la parité? Elle est là! Mais en même temps la ministre de l’égalité hommes-femmes n’est qu’une secrétaire d’Etat, alors qu’il avait promis une vraie ministre… Et il n’y a qu’un ministère régalien occupé par une femme… et les trois ministres d’Etat sont des hommes…

Il s’était engagé à ignorer le clivage gauche-droite? Le premier ministre est de droite. Et le ministre de l’économie et celui des comptes publics… Oui, mais deux libéraux à l’économie, n’est ce pas trop? Le gouvernement de gauche et de droite, n’est-il pas de droite et de droite? A moins qu’il ne soit de gauche et de gauche? Cinq ministres venus de la gauche contre deux de la droite…

Bon OK pour les équilibres, mais alors les personnalités? Le ministre de l’éducation connait parfaitement le dossier, mais en même temps… il a travaillé sur le sujet sous Sarkozy… c’est donc un homme de droite! Le système éducatif pourrait être mis au service de l’entreprise… Et la ministre du travail, tout le monde, y compris les syndicats, loue ses compétences… Oui mais voilà en même temps, elle a travaillé à la direction de grandes entreprises… donc risque de défendre purement et simplement les intérêts du patronat! Et chacun exhume les déclarations passées des uns et des autres, où l’on découvre, que le ministre de l’économie disait pis que pendre du programme économique du nouveau président, que celui de l’intérieur, ex-maire de Lyon, avait pris la défense de l’archevêque de sa ville à propos des affaires de pédophilie… que Gérald Darmanin faisait encore il y a peu des déclarations hostiles au mariage pour tous… bref que les gens de droite sont de droite, que les politiciens professionnels sont souvent des cumulards, et ménagent parfois la chèvre et le chou de façon déraisonnable, que les gens de la société civile ont eu des activités professionnelles et qu’on risque donc les conflits d’intérêt…

Finalement, le seul qui fasse l’unanimité pour lui c’est le ministre de la transition écologique Nicolas Hulot, qui est adoré des français. Toutes les nuances de l’écologie se félicitent de son entrée au gouvernement. D’autant qu’il est troisième dans la hiérarchie du gouvernement. Oui mais en même temps… il va se trouver dans un gouvernement où tout le monde se fiche de l’écologie, et il va devoir composer avec des ministres de l’économie et des comptes publics de droite qui vont lui couper les vivres… Alors beaucoup prévoient déjà sa démission!

Bref, en réalisant ce qu’il avait annoncé, mais auquel personne ne croyait vraiment, Macron met tout le monde dans l’embarras. Et sans doute lui avec! Il se condamne à un arbitrage permanent. Sauf à savoir faire marcher tout le monde au pas, il devra gérer au quotidien contradictions et conflits pour faire avancer son attelage improbable sur le chemin qu’il a tracé et qui sera forcément semé d’embûches. Tout en évitant la synthèse molle qu’on reprochait à son prédécesseur… Un sacré défi! Mais après tout, le changement d’habitudes politiques était indispensable. Et le changement, c’est forcément l’aventure!

 

 

 

 

 

 

Philippe à Matignon: le grand chambardement continue

Depuis plusieurs jours, il faisait figure de favori. Toute la journée les journalistes des chaines continues avaient joué à cache-cache avec lui pour meubler le vide de leur antenne. On avait poursuivi son taxi en moto. Et puis, quand enfin la nouvelle attendue est tombée, il y avait tout de même une forme d’incrédulité. Macron l’a fait! Il a nommé un premier ministre de droite. Un vrai homme de droite!

A droite, les réactions sont sur les deux registres attendus. Les plus à droite excommunient le transfuge, tandis que les plus modérés lui souhaitent bonne chance. A gauche, c’est un peu la sidération. Même chez ceux qui avaient rallié Macron assez tôt, le malaise est souvent palpable. Même traître à Hollande, même allié à Bayrou, Macron restait quand-même de la famille. Mais Edouard Philippe… est vraiment un homme de droite, comme il l’a revendiqué lors de la cérémonie de passation de pouvoir à Matignon. Et l’on se souvient de toutes les fois où il a voté à l’assemblée contre la majorité socialiste, et de son abstention sur la loi Taubira… Et il travaillait chez Areva… En cherchant bien on trouverait sans doute d’autres preuves de son appartenance à l’autre camp …

En fait, les uns comme les autres n’y avaient pas vraiment cru. A droite on pensait que la vague macroniste ne dépasserait pas les rives du Modem. A gauche, on se disait que les promesses de recomposition de la vie politique resteraient une généreuse idée. Que le nouveau président prendrait son temps, qu’il ne braquerait pas dès le premier jour son électorat venu majoritairement de la gauche. Et pourtant, il suffisait de lire son programme, son livre, ses interviews dans la presse, de l’écouter dans ses meetings ou les médias, pour savoir qu’il voulait porter un coup brutal au clivage gauche-droite. Quel meilleur moyen d’entamer cette recomposition de la vie politique que de prendre un ministre de droite, et qui le revendique?

Si Macron avait choisi un ministre de gauche, du centre, ou de ses proches, c’est l’ensemble de son projet qui en aurait été décrédibilisé. Il fallait cette nomination pour que prenne corps sa rénovation de la vie politique. Comme il faudra que le gouvernement annoncé, démontre lui-aussi cette volonté de transgresser les clivages politiques habituels.

C’est bien sûr une question d’image et de crédibilité pour le nouveau président réformateur. Mais pas seulement. En associant des hommes de qualité issus de la gauche comme de la droite, rassemblés autour d’un projet pour la France, le président coupe l’alimentation en oxygène des deux partis qui se sont partagé le pouvoir depuis près de 40 ans. Pour perdurer l’un comme l’autre devaient incarner à chaque opportunité d’alternance le changement, et la rupture. Le message politique était toujours binaire: pour que le pays aille mieux, il fallait faire exactement le contraire de ce qu’avaient fait les autres, défaire tout ce qui avait été construit précédemment. En associant les progressistes des deux camps, Macron brouille les repères.

Il va falloir reprendre les choses à zéro. A quatre semaines du premier tour des législatives, il faut reconstruire un discours de campagne. Un casse-tête pour la droite. Il va falloir trouver un autre positionnement que celui de la campagne de Fillon. L’anti-hollandisme ne sera plus un argument suffisant. Se poser comme opposition principale à une politique menée par un premier ministre venu de la droite, demandera un peu plus de gymnastique sémantique, que l’habituelle dénonciation de la gauche. Ce sera d’autant plus difficile que les responsables de droite auront été nombreux à accepter la main tendue par Macron. Déjà hier soir, ils étaient une vingtaine à franchir le pas, parmi lesquels Nathalie Kosciusko Morizet, Christian Estrosi, ou Jean-Louis Borloo…

Pour le parti socialiste qui a déjà été atomisé par Macron, l’arrivée d’Edouard Philippe à Matignon serait en revanche plutôt une bonne chose. Alors qu’il était difficile de simplement traiter Macron comme un ennemi, il sera plus facile de dénoncer un gouvernement de droite, et donc de se retrouver en terrain connu. Mais il est déjà trop tard, la dénonciation du premier ministre de droite ne fera pas revenir les électeurs qui ont rejoint Macron ou Mélenchon à la présidentielle.

Restent les extrêmes, Le Pen et Mélenchon, qui sauront exploiter la situation, en dénonçant une alliance des forces du “système”, et tenteront de se se disputer le rôle de premier opposant au nouveau pouvoir. Marine Le Pen exhume son slogan sur l’UMPS qui fit les beaux jours du FN, et dont la nomination d’Edouard Philippe lui semble la démonstration absolue, mais son échec à la présidentielle semble avoir laissé son parti groggy. Le leader du Front de Gauche, de plus en plus agressif et insultant pour ses adversaires, s’autoproclamme seule opposition crédible au “bric à brac” politique d’ Emmanuel Macron, et appelle ses électeurs à “les dégager tous”. Avec pour les uns comme les autres, une crainte: que cette recomposition politique corresponde précisément aux attentes des électeurs qui ont envoyé Macron à l’Elysée.

 

Bayrou-Macron: 48 heures chrono, du divorce aux noces d’or!

Emmanuel Macron n’aura pas tardé à être rattrapé par la cuisine politicienne. Et ce n’est pas surprenant. Les difficultés rencontrées depuis deux jours sont à la mesure du défi: présenter un candidat dans chaque circonscription en réalisant la parité parfaite, hommes-femmes, en investissant au moins 50% de gens venus de la société civile, en tendant la main à la droite modérée comme ou parti socialiste, en repoussant toutes les candidatures d’élus ayant déjà effectué deux mandats, en s’assurant que chacun des candidats ait un casier judiciaire vierge… et en satisfaisant l’allié Bayrou! Les coéquipiers du président ont déjà bien du mérite d’être parvenu à sortir une liste de 428 candidats comportant 52% de candidats issus de la société civile, respectant la parité et de 42 ans de moyenne d’âge. Mais inévitablement, il y a eu quelques bavures. Mourad Boudjellal, le président du Rugby Club Toulonnais, avait repoussé l’offre de candidature et est resté sur la liste… Tel candidat aurait émis des tweets antisémites, tel autre aurait un casier judiciaire chargé… Et surtout, surtout, François Bayrou a piqué une colère.

Cela fait évidemment mauvais genre. Depuis le renoncement de Bayrou à être candidat à la présidentielle et son ralliement à Macron, c’était entre eux la véritable lune de miel. On les avait vu s’embrasser à l’issue du débat du second tour, le vétéran du centrisme semblait littéralement couver son cadet. Et puis patatras, c’est le psychodrame. Et l’on passe en quelques jours des fiançailles heureuses au divorce complet, puis aux … noces d’or, sonnantes et trébuchantes.

Pourtant, lors de son renoncement à la présidentielle, François Bayrou avait affirmé la main sur le cœur: “Je n’ai jamais discuté de circonscriptions avec Emmanuel Macron” et “je ne suis candidat à rien”… Mais le patron du Modem affirmait ces derniers jours que Macron avait pris un engagement auprès de lui pour 120 candidats de son mouvement. Or dans la liste présentée initialement, il n’y en a que 35. Dans l’équipe d’En Marche, on précise que l’on a retenu tous les candidats qui avaient les qualités requises, et que sur la liste proposée par Bayrou, un majorité des noms ne correspondaient pas aux critères de sélection de la commission d’investiture, en particulier elle comptait beaucoup de professionnels ou semi-professionnels de la politique ayant dépassé la limite des 3 mandats successifs. Evidemment, la déception de Bayrou était à la mesure de ses espérances folles. Passer, en s’évitant une course présidentielle perdue d’avance, d’un député à une centaine… Un véritable coup de casino! Et qui devait rapporter gros. A un peut plus de 40000 euros par député, c’est un pactole inespéré que pouvait engranger son parti le Modem, dans le cadre du financement des partis politiques.

Alors, excès de convoitise de François Bayrou? Première promesse trahie du Président de la République? Manque de professionnalisme de la commission d’investiture de la République En Marche? Pendant 48 heures, l’affaire a ramené brutalement la dynamique présidentielle au niveau du bitume. Mais les deux hommes ont trouvé une solution. “Un accord solide et équilibré”, selon les mots de Bayrou. En attendant d’en connaître le détail on peut imaginer que Macron a lâché quelques circonscriptions supplémentaires au Modem.

Bayrou, qui jurait être désintéressé, et ne rechercher que le bien du pays, en sort un peu mieux loti, mais pas forcément grandi. Son marchandage à l’ancienne fait un peu tâche sur l’ambition de renouveau de la vie politique qu’il affiche. Mais surtout, il annonce la couleur, et sans doute des lendemains difficiles pour la majorité présidentielle, si elle sort des urnes. Il veut un groupe parlementaire distinct de celui de Macron pour pouvoir peser demain sur les choix politiques de celui-ci. Pour le meilleur… comme pour le pire!

 

Dans la pétaudière post-présidentielle

Quel désordre! Où que l’on regarde, à gauche, à droite, à l’extrême-droite, à l’extrême-gauche, la classe politique est état de sidération. L’élection d’Emmanuel Macron a administré à tous comme un immense électro-choc.

A l’extrême-droite, c’est Marion Maréchal Le Pen qui annonce un retrait que son grand père Jean-Marie Le Pen qualifie de “désertion”, tandis qu’au sein du Front National le leadership familial commence à être contesté.

A gauche, le PS, déjà cul par dessus tête depuis la primaire, laminé à la présidentielle, ne trouve rien de plus urgent que de faire le procès de l’ancien premier-ministre Manuel Valls. Lequel, il faut bien dire, s’est lui-même mis dans l’embarras en annonçant qu’il roulerait pour Macron aux législatives, sans s’assurer apparemment au préalable que celui-ci était bien disposé à l’accueillir. Toujours chez les socialistes, comme pour ajouter à la confusion, Martine Aubry,  Christiane Taubira et Anne Hidalgo lancent un mouvement “Dès demain”… Ce n’est pas un parti politique mais cela ressemble furieusement à une chaloupe de sauvetage qu’on jette à la mer au moment du naufrage. Benoit Hamon, lui-même, qui semblait destiné depuis la primaire à prendre le contrôle du parti, va créer lui aussi son mouvement, au mois de juillet. Il faut dire que le programme officiel du parti socialiste pour les législatives n’est plus qu’une version largement édulcorée de son projet présidentiel perdant.

Et ce n’est qu’un début.

Dès qu’on connaîtra le nom du nouveau premier ministre, et si comme on peut le supposer il plonge ses racines dans la tradition politique de la droite, le parti Les Républicains devrait à son tour connaître l’effet de souffle. Après, la mise au rancart du programme de Fillon,voué lui-même aux oubliettes de l’histoire de la droite, après les premières promesses de ralliement à Macron, de Bruno Le Maire ou Edouard Philippe par exemple, on devrait passer à un stade carrément plus explosif. Un pan entier de la droite, centristes et juppéistes, pourrait rejoindre le camp présidentiel.

A l’extrême gauche où l’on ne s’est toujours pas remis de la défaite, Mélenchon et son acolyte Corbière, après avoir joué à la perfection pendant la campagne le rôle des réformateurs sereins ouverts à tous, en quête de paix, de justice, et de démocratie… retrouvent leurs accents d’origine pour dénoncer “l’illégitimité” du programme du président élu et menacer d’une explosion sociale imminente. En attendant ce troisième tour social, le leader des “insoumis” prépare son parachute législatif à Marseille, dans une des circonscriptions de France où le FN est le plus faible (14,3% au premier tour de la présidentielle pour Marine Le Pen). Fini le temps où le leader du parti de gauche allait directement toucher le cul du tigre et affronter Marine Le Pen à Hénin Beaumont. Pour les candidats du parti de gauche, et en dépit des fanfaronnades de leur leader réclamant déjà le poste de premier ministre… il va être compliqué de trouver des soutiens pour cette élection. Le refus du Mélenchon frustré de rendre public son vote du second tour de la présidentielle devrait en effet peser lourd au moment des désistements d’entre deux tours. Il sera difficile pour les “insoumis” d’en appeler au front républicain. Comme en plus leur leader est parvenu à se fâcher avec les communistes, et s’attaque à une circonscription tenue par un socialiste, tandis qu’Alexis Corbière a failli en venir aux mains avec le leader écolo Yannick Jadot le 7 mai au soir… ça sent le retour aux fondamentaux, donc à l’extrême marge, après une saison de fantasme majoritaire.

Bref le paysage politique de l’après-présidentielle est apocalyptique. Et si cet équilibre politique, fondé sur une bipolarité gauche-droite qui semblait aussi incontestable que les lois de la physique, se désintègre aussi brutalement après des années d’alternance tranquille, c’est bien parce qu’il était au bout du rouleau. Certes, il a fallu une conjonction de planètes exceptionnelle pour que l’édifice s’effondre: un président sortant déstabilisé par son propre camp qui doit renoncer à se présenter, une succession de primaires “ouvertes” assassines qui “dégagent” tous les favoris, un candidat de l’opposition de droite pris dans le collimateur de la justice, un jeune impétrant plein d’intuition qui avait subodoré le retournement et ne savait simplement pas qu’un tel bouleversement était impossible… Mais au delà des circonstances, Macron a gagné parce que le fruit était mûr. Le “système”, ce concept commode qui permet en général à chacun de désigner les autres, était à bout de souffle. La poussée populiste et abstentionniste révélait une exaspération des électeurs pour les politiciens professionnels, leurs passe-droit, leur égo démesuré, leur incapacité, droite comme gauche, à redonner de l’espoir, leurs querelles dogmatiques, leur coupure du monde réel… les Français étaient prêts pour un changement de logiciel politique. Macron a su se trouver, au bon moment, au bon endroit, et proposer un renouveau, qui reste à démontrer, mais régénère un peu d’espoir.

Face à ce changement, dans la classe politique traditionnelle, il y a deux catégories de responsables: ceux qui peuvent prétendre se fondre dans un mouvement de rénovation et donc tirer quelques marrons du feu, et ceux qui savent que pour eux c’est trop tard. Les premiers qu’ils soient de gauche ou de droite tentent de rallier Macron, les autres empilent les moellons pour protéger ce qui reste de leurs citadelles perdues, et instruisent les procès en trahison… Il est trop tôt pour dire de quoi cette élection présidentielle marque le début. Mais elle donne en spectacle l’effondrement brutal de l’ordre ancien.

 

Le double pari de Mélenchon

Oublions cinq minutes les enjeux du second tour. Imaginons, comme le fait Mélenchon, que tout soit joué, qu’il n’y ait pas de risque sur le résultat, que la défaite de l’extrême-droite le 7 mai soit d’ores et déjà assurée, et que donc le front républicain ne s’impose pas face à Marine Le Pen comme il s’imposait, toujours selon Mélenchon, en 2002.

Comme le répètent lui et ses partisans depuis le soir du premier tour, ils peuvent sans risque renvoyer Macron et Le Pen dos à dos, refuser de choisir Macron tout en précisant que “le vote pour Marine Le Pen n’est pas une option”. Soit! Si le présupposé ci-dessus est exact, le non-choix de Jean-Luc Mélenchon qui refuse de dire son vote, et sa conséquences probable, une abstention ou un vote blanc massif chez ses électeurs, ne mettent pas la République en péril. Tout au plus pourra-t-on constater que Mélenchon est le seul homme politique à faire publiquement le pari d’une défaite impossible de Macron.

Allons un peu plus loin, et entrons dans les motivation affichées par Jean-Luc Mélenchon pour justifier son choix. Primo, il risquerait de diviser son électorat du premier tour en rendant public son choix personnel. Logique, il est conscient du fait que cet électorat est dérouté par la situation, comme l’ensemble des Français. Les sondages montrent qu’il y a même 10 à 12 % des “insoumis” qui seraient disposés à voter Le Pen! En ne brusquant pas par une consigne de vote ses 7 millions d’électeurs du premier tour, il espère les retrouver lors des législatives.

C’est le deuxième point de son argumentation: en restant unis les “insoumis” peuvent espérer s’imposer demain comme première force d’opposition, et le conduire lui-même à Matignon, comme premier-ministre d’une cohabitation avec Emmanuel Macron. Et lui permettre ainsi d’appliquer son programme, malgré le rejet des Français au premier tour. Après tout, le rêve de la droite est le même, incarné par François Baroin. La législative offrirait ainsi une seconde chance aux battus du premier tour, en permettant aux électeurs de rectifier leur choix initial. Cela ne s’est jamais produit dans l’histoire de la 5ème république, mais cette élection est totalement atypique, c’est la première fois que celui qui est en tête n’appartient à aucun des partis représentés à l’Assemblée nationale.

Et c’est là qu’apparait le risque que sa stratégie se retourne doublement contre lui. D’abord parce qu’une défaite serrée de Marine Le Pen, genre 53-47, en ferait forcément aux yeux de l’opinion la leader incontestable de l’opposition au futur président. Comme elle a pris de vitesse Mélenchon sur le populisme, elle lui couperait la route et le renverrait à son score minoritaire du premier tour. Seule une défaite massive de Marine Le Pen, genre 65-35, permettrait à Jean-Luc Mélenchon de nourrir son espoir d’apparaître comme une force d’opposition principale à Emmanuel Macron. Par sa position d’entre-deux tours, il marque donc probablement un but contre son camp. Un soutien sans condition à Macron, pour réduire Marine Le Pen au score le plus bas, assorti d’une promesse de tout faire “à partir du 8 mai pour empêcher le nouveau président de mettre en œuvre de son programme”, comme l’a fait le Parti communiste, aurait sans doute été beaucoup plus efficace.

Mais ce n’est pas tout. En choisissant cette ligne de conduite, Mélenchon ne tient pas compte de la mécanique législative. On ne peut pas gagner une élection législative au scrutin majoritaire à deux tours, sans bénéficier entre le premier et le second du désistement des candidats non qualifiés, voire d’un retrait de ceux qui peuvent se maintenir en troisième position. Or il est évident que dans quelques semaines les candidats de Mélenchon seront en très mauvaise posture pour réclamer des désistements. On peut imaginer que les candidats macronistes ou socialistes, ne s’empresseront pas de les soutenir. Même lorsqu’ils seront opposés en duel ou en triangulaire à des candidats du Front national -forts du score de Marine Le Pen au second tour de la présidentielle- ils risquent de trouver porte close. Le défi de Mélenchon risque donc de se corser sérieusement. Pour être premier ministre de cohabitation, il ne suffira pas de rassembler 19% des voix sur son nom, mais bien 50% sur une majorité de candidats aux législatives…

Ses soutiens rétorqueront sans hésiter que Mélenchon peut le faire et qu’ils n’ont besoin du soutien de personne ! Mais Mélenchon pourrait se heurter à cette occasion aux limites de l’égotisme comme stratégie politique.

Tchétchénie: on laisse faire?

Bon d’accord, on est à cinq jours du deuxième tour de la présidentielle en France, et Marine Le Pen est aux portes du palais. Les Américains sont le nez dans le guidon, occupés à tenter d’empêcher leur président de nuire plus. Les Anglais sont en plein Brexit, et découvrent qu’ils ont fait une belle connerie… Mais tout de même, il devrait y avoir quelqu’un pour pousser un coup de gueule! Pour hurler qu’on ne peut pas laisser le président tchétchène, protégé de Poutine, “éliminer tous les homosexuels de son pays avant la fin du mois”. Car évidemment Poutine, qui vient de le confirmer dans ses fonctions, en attendant la prochaine élection, soutient le tyran Kadyrov.

Les accusations de Alan Duncan, député britannique, et ministre des Affaires étrangères et du Commonwealth, qui affirme que le régime Tchétchène multiplie mises en détentions, tortures, et éliminations des homosexuels, sont pourtant confirmées par plusieurs témoignages de victimes. Selon le député britannique, c’est un véritable plan d’élimination “préventive”, avant le début du ramadan, soit le 26 mai prochain qui est en train de se mettre en œuvre.

Et le cynisme révoltant du démenti opposé par le porte-parole de Kadyrov, expliquant qu’il est “impossible que des homosexuels aient été torturés, puisqu’il n’y a aucun homosexuel en Tchétchénie…”, sonne plutôt comme une confirmation.

Alors on fait quoi? Amnesty international a lancé une pétition. Le secrétaire d’Etat Américain, s’est dit préoccupé et a réclamé une enquête sur ces accusations, le gouvernement français a fait de même, ainsi que Benoit Hamon pendant sa campagne, et Emmanuel Macron qui a demandé une intervention de l’Europe. Et de fait le Conseil de l’Europe a appelé la semaine dernière Poutine à faire cesser ces exactions.

En réponse… le président russe a fait arrêter les militant gays qui protestaient dans les rues de Moscou.

Une fois de plus l’incapacité des pays occidentaux à se faire entendre de Poutine est patente. Comme en Ukraine, comme en Syrie! Pour l’heure, le patron du Kremlin a la main, et n’écoute personne, que son intérêt. Face à une Amérique dont le nouveau président a plutôt envie de regarder ailleurs, l’Europe va devoir d’urgence se réveiller. Et se faire entendre vigoureusement, pour essayer d’éviter que la loi du plus tyrannique ne devienne définitivement la règle sous toutes les latitudes. Et que revienne, ici ou là, dans l’indifférence générale, le temps des abominations.