Oublions cinq minutes les enjeux du second tour. Imaginons, comme le fait Mélenchon, que tout soit joué, qu’il n’y ait pas de risque sur le résultat, que la défaite de l’extrême-droite le 7 mai soit d’ores et déjà assurée, et que donc le front républicain ne s’impose pas face à Marine Le Pen comme il s’imposait, toujours selon Mélenchon, en 2002.
Comme le répètent lui et ses partisans depuis le soir du premier tour, ils peuvent sans risque renvoyer Macron et Le Pen dos à dos, refuser de choisir Macron tout en précisant que “le vote pour Marine Le Pen n’est pas une option”. Soit! Si le présupposé ci-dessus est exact, le non-choix de Jean-Luc Mélenchon qui refuse de dire son vote, et sa conséquences probable, une abstention ou un vote blanc massif chez ses électeurs, ne mettent pas la République en péril. Tout au plus pourra-t-on constater que Mélenchon est le seul homme politique à faire publiquement le pari d’une défaite impossible de Macron.
Allons un peu plus loin, et entrons dans les motivation affichées par Jean-Luc Mélenchon pour justifier son choix. Primo, il risquerait de diviser son électorat du premier tour en rendant public son choix personnel. Logique, il est conscient du fait que cet électorat est dérouté par la situation, comme l’ensemble des Français. Les sondages montrent qu’il y a même 10 à 12 % des “insoumis” qui seraient disposés à voter Le Pen! En ne brusquant pas par une consigne de vote ses 7 millions d’électeurs du premier tour, il espère les retrouver lors des législatives.
C’est le deuxième point de son argumentation: en restant unis les “insoumis” peuvent espérer s’imposer demain comme première force d’opposition, et le conduire lui-même à Matignon, comme premier-ministre d’une cohabitation avec Emmanuel Macron. Et lui permettre ainsi d’appliquer son programme, malgré le rejet des Français au premier tour. Après tout, le rêve de la droite est le même, incarné par François Baroin. La législative offrirait ainsi une seconde chance aux battus du premier tour, en permettant aux électeurs de rectifier leur choix initial. Cela ne s’est jamais produit dans l’histoire de la 5ème république, mais cette élection est totalement atypique, c’est la première fois que celui qui est en tête n’appartient à aucun des partis représentés à l’Assemblée nationale.
Et c’est là qu’apparait le risque que sa stratégie se retourne doublement contre lui. D’abord parce qu’une défaite serrée de Marine Le Pen, genre 53-47, en ferait forcément aux yeux de l’opinion la leader incontestable de l’opposition au futur président. Comme elle a pris de vitesse Mélenchon sur le populisme, elle lui couperait la route et le renverrait à son score minoritaire du premier tour. Seule une défaite massive de Marine Le Pen, genre 65-35, permettrait à Jean-Luc Mélenchon de nourrir son espoir d’apparaître comme une force d’opposition principale à Emmanuel Macron. Par sa position d’entre-deux tours, il marque donc probablement un but contre son camp. Un soutien sans condition à Macron, pour réduire Marine Le Pen au score le plus bas, assorti d’une promesse de tout faire “à partir du 8 mai pour empêcher le nouveau président de mettre en œuvre de son programme”, comme l’a fait le Parti communiste, aurait sans doute été beaucoup plus efficace.
Mais ce n’est pas tout. En choisissant cette ligne de conduite, Mélenchon ne tient pas compte de la mécanique législative. On ne peut pas gagner une élection législative au scrutin majoritaire à deux tours, sans bénéficier entre le premier et le second du désistement des candidats non qualifiés, voire d’un retrait de ceux qui peuvent se maintenir en troisième position. Or il est évident que dans quelques semaines les candidats de Mélenchon seront en très mauvaise posture pour réclamer des désistements. On peut imaginer que les candidats macronistes ou socialistes, ne s’empresseront pas de les soutenir. Même lorsqu’ils seront opposés en duel ou en triangulaire à des candidats du Front national -forts du score de Marine Le Pen au second tour de la présidentielle- ils risquent de trouver porte close. Le défi de Mélenchon risque donc de se corser sérieusement. Pour être premier ministre de cohabitation, il ne suffira pas de rassembler 19% des voix sur son nom, mais bien 50% sur une majorité de candidats aux législatives…
Ses soutiens rétorqueront sans hésiter que Mélenchon peut le faire et qu’ils n’ont besoin du soutien de personne ! Mais Mélenchon pourrait se heurter à cette occasion aux limites de l’égotisme comme stratégie politique.
Tout cela repose sur le postulat que l’électorat de Mélenchon constitue un groupe homogène et discipliné ? Peut-on exprimer un certain doute ?