Migrants: le devoir ou le déshonneur?

Les questions aussi essentielles, complexes et douloureuses que celle des migrants méritent d’autres réponses que la caricature. Ces jours derniers Emmanuel Macron et Gérard Collomb nous ont offert une caricature de l’action politique. D’un côté l’un, le “bienveillant” à Bruxelles, le gant de velours, affiche sa solidarité avec Angela Merkel, et avec tous les opprimés du monde, en rappelant la tradition d’asile de l’Europe et le devoir d’accueillir les réfugiés. De l’autre, le méchant, la main de fer, à Calais, qui demande aux associations qui viennent en aide aux migrants de “déployer leur savoir faire ailleurs”. Et le ministre de l’intérieur d’en rajouter dans la formule qui blesse, parlant de situation “enkystée”, “d’abcès de fixation”, de “risque d’appel d’air”… à propos des quelque 600 migrants qui vivent dans des conditions inhumaines à Calais, et de promettre pour première réponse à leurs problèmes l’envoi de CRS supplémentaires, en justifiant la traque des réfugiés à laquelle se livrent ces derniers, et que dénonce le Défenseur des droits, Jacques Toubon. Bref “l’humanité” prônée par Macron à Bruxelles devient démonstration de force et d’intolérance à Calais.

Evidemment on n’imaginera pas une seconde que le président et son ministre de l’intérieur ne se soient pas mis d’accord avant de faire leurs interventions publiques parallèles. Personne ne pensera que Gérard Collomb a dépassé ses prérogatives, qu’il mérite simplement un recadrage. Non! Le hiatus est évidemment délibéré, et assumé. La partition jouée par les deux hommes est typiquement macronienne, l’illustration d’une contradiction assumée, face à la complexité du réel. D’une politique fondée en même temps sur l’humanité et sur la fermeté, sur la générosité et la brutalité. Et cela jusqu’à la caricature! Les propos de l’un étant sans doute supposés rassurer ceux qui pourraient être troublés par l’autre. Macron pour tous ceux qui réclament une approche plus humaine et plus solidaire de la question des migrants, Collomb pour les élus et habitants de Calais, et pour tous ceux qui n’ont retenu de Michel Rocard que son célèbre “la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde”… et qui ne voient pas de raison pour qu’elle en prenne réellement sa part.

Evidemment, il serait bien naïf, ou malveillant, de prétendre qu’il existe une ou des réponses simples et pleines d’humanité à la crise migratoire, telle qu’elle se focalise autour de Calais.

Au delà des intentions généreuses affichées par le Président à Bruxelles, qui restent pour l’heure des mots… dans les actes, le premier souci de ce gouvernement, comme de ses prédécesseurs, est d’éviter la reconstitution d’une “jungle” à Calais. Empêcher donc les migrants désireux de se rendre en Angleterre par tous les moyens de s’installer aux abords de la ville frontière, d’y recréer quelque chose qui ressemble à cette “jungle”, zone insalubre de non-droit que le gouvernement précédent a démantelé en transférant les gens qui s’y concentraient vers des centres d’accueil répartis sur le territoire. Pour cela il faut éviter tout ce qui pourrait conduire à une sédentarisation de ces exilés de la guerre ou de la faim.

C’est ainsi qu’au prétexte d’une “fermeté”, qui serait la contrepartie de  “l’humanité”, l’on peut en venir à empêcher des distributions de nourritures à des enfants par des associations humanitaires, à traquer les candidats au passage vers l’Angleterre jusque dans les bois, à confisquer les tentes où ils essayent de trouver abri… Au mépris des plus élémentaires droits de la personne humaine. Au risque de se faire accuser d’inhumanité par le défenseur des droits. Sans voir, apparemment, que cette politique que l’on qualifie de “fermeté”, mais qui est tout simplement un déni d’humanité, ne mène nulle part.

Aucun des mauvais traitements infligés aux migrants qui se trouvent à Calais, ne dissuadera ceux qui sont prêts à traverser la Méditerranée sur un canot pneumatique pour les rejoindre. Ceux pour qui le mirage britannique est tout simplement une question de vie ou de mort. Aussi longtemps que les individus ou les familles qui fuient la guerre et les persécutions en Syrie, en Irak, en Afghanistan ou en Erythrée penseront que le ciel est plus bleu en Grande-Bretagne, dans un pays où la tolérance multiculturelle peut leur faire espérer un accueil au sein d’une communauté où souvent ils retrouveront des proches ou des amis, exilés avant eux, ils tenteront leurs chance. Aussi longtemps que la situation qu’ils quittent ne sera que mort et désolation, rien ne les arrêtera. Et les privations endurées à Calais ne feront que s’ajouter aux violences subies tout au long d’un périple, qui leur fait affronter les passeurs sans foi ni loi, les miliciens libyens, et les tempêtes méditerranéennes.

Le drame insoluble de Calais, c’est simplement un effet d’entonnoir. Pour les migrants, le dernier barrage avant la terre promise, c’est la douane de Calais. Ce sont les CRS qui fouillent ces camions où ils espèrent pouvoir trouver une cachette pour traverser la Manche. Alors quoi qu’il advienne, quelles que soient les conditions, c’est là qu’il faut être, au plus près de l’Angleterre rêvée. Leur rendre la vie impossible ne les dissuadera pas de s’y masser.

Le seul moyen sans doute de les arrêter dans leur élan, est de les accueillir dans ce pays, maintenant qu’ils y sont, en les aidant à se loger décemment, à trouver un travail, bref à refaire leur vie. C’est aussi de revoir avec la Grande-Bretagne, à la faveur du brexit, les conditions dans lesquelles la côte française fait office de frontière intérieure à la Grande-Bretagne. C’est d’obtenir du gouvernement anglais qu’il prenne sa part de la résolution du problème en acceptant plus largement le regroupement familial. C’est aussi et surtout à plus long terme tout mettre en œuvre pour que les situations invivables qui chassent les migrants de chez eux soient résolues au plus tôt, que guerres et persécutions prennent fin, que les pays les plus riches fassent un effort sans précédent, un véritable “plan Marshall” aurait on dit à une autre époque, en direction de ces parties de notre monde commun qui ne connaissent que la faim, la misère, la guerre…

Utopie? Peut-être. Prise aux mots en tous cas de la “bienveillance humanitaire” prônée par Emmanuel Macron. Et pour ceux qui préfèrent le revers de la médaille, le discours de Collomb, et craignent un “raz de marée”, on pourra toujours rappeler, et là il s’agit de faits, pas de discours, que la France a accueilli moins de 30 000 demandeurs d’asile en 2016, contre près de 300 000 pour l’Allemagne, qui en avait déjà accueilli 850 000 en 2015…

Comme dirait Emmanuel Macron “C’est notre devoir et notre honneur”!

 

Le virage dangereux de Macron

Macron parle lui-même de son “aggiornamento”. Une mise à jour, littéralement, de sa pensée sur le conflit syrien. Et c’est un virage majeur, il est vrai. Jusqu’ici, le nouveau président était resté campé sur la ligne diplomatique française mise en musique par François Hollande: il ne peut y avoir de solution en Syrie sans un départ préalable du tyran Bachar Al Assad. Dans une entretien à plusieurs journaux européens, il change son fusil d’épaule: « je n’ai pas énoncé que la destitution de Bachar Al-Assad était un préalable à tout, car personne ne m’a présenté son successeur légitime ».

Evidemment ce virage diplomatique à 180° n’est pas sans conséquence. En premier lieu, on peut s’interroger sur la formule employée par le président elle-même. Si la destitution du tyran n’est plus un préalable, selon Emmanuel Macron, c’est parce qu’il n’a pas d’opposant crédible qui puisse reprendre les rênes du pays. Evidemment, on a envie de lui répondre que si le « successeur légitime » existe, ou plus précisément, s’il n’a pas encore été tué sous les bombes, il est probablement dans une prison du régime. En avançant cet argument, Macron se range à l’argumentation de Moscou: il n’y a pas aujourd’hui d’alternative à Bachar Al Assad, puisque celui-ci a fait en sorte de détruire toute possibilité de changement.

Evidemment c’est tout à fait cynique. Ou plutôt, comme on dit, c’est de la “realpolitik”! L’articulation de ce raisonnement est la suivante: l’ennemi principal c’est Daesh, c’est lui qu’il faut combattre en priorité, si Assad s’en va, il y a un risque de faillite d’un état qui est déjà fantomatique, Daesh pourrait en profiter pour reprendre du terrain, il faut donc préserver ce qu’il reste de l’Etat Syrien… et donc maintenir Bachar Al Assad. En essayant d’organiser au plus vite une cessation des hostilités qui ont déjà fait 350000 morts et 6 millions de réfugiés. Et tant pis si cela passe pour une absolution du tyran de Damas. Et Macron de faire référence à la Libye, où l’on a défait un tyran pour laisse à la place une situation totalement chaotique, propice au renforcement des mouvements terroristes.

 

Dire qu’il s’agit de réalisme politique, c’est poser le postulat qu’aucune voie alternative n’est praticable.

Première question: est-il possible de défaire militairement Assad pour permettre la victoire de ses opposants, si tant est qu’on la souhaite? Le créneau pour une intervention militaire anti-Assad est en fait refermé depuis 2013 et la dérobade d’Obama. A l’époque, la menace de Daesh semblait bien moins importante qu’aujourd’hui et il existait une opposition interne et laïque au dictateur syrien regroupée autour de l’Armée Syrienne Libre. Le président américain avait posé une “ligne rouge”, disait-il: l’utilisation d’armes chimiques par le régime devait déclencher une réaction militaire immédiate. Et puis il y eut l’attaque chimique de la Ghouta faisant des centaines de morts en majorité des civils. Hollande proposa à Obama une action militaire immédiate, mais le président américain tergiversa, avant finalement d’accepter la proposition russe d’organiser le démantèlement des armes chimiques syriennes. Depuis, les islamistes de Daesh et d’autres mouvements extrémistes ont pris le pas sur l’opposition laïque. La Russie est présente sur le terrain où elle soutient militairement le régime syrien. Une action militaire n’est plus de l’ordre du possible, même si Macron continue  à promettre une intervention militaire de la France en cas de nouvelle utilisation d’armes chimiques.

Deuxième question: est-il possible de convaincre Poutine de renoncer à soutenir Assad? Tant que la Russie soutient le tyran, celui-ci est inexpugnable. Ses opposants ne viendront pas à bout de lui sur le plan militaire, et la communauté internationale ne pourra pas imposer son retrait. Pour convaincre Poutine de changer son fusil d’épaule, il faudrait avoir du grain à moudre. Quelques arguments de poids à avancer. Or ce n’est pas le seul terrain de discorde avec Moscou. La crise ukrainienne n’est toujours pas réglée, et ne pourra l’être sans la collaboration du président russe. Sauf à abandonner définitivement l’Ukraine à la domination russe, et donc créer un précédent dangereux pour d’autres pays de l’ex-bloc soviétique, on voit mal quel argument les occidentaux pourraient mettre dans la balance pour obtenir un recul russe en Syrie. Quant à d’éventuelles sanctions contre Moscou dans le cadre du dossier syrien, on voit mal comment et pourquoi elles seraient plus efficaces que celles, déjà en vigueur, qui sont supposées le ramener à la raison sur le dossier ukrainien.

Du coup l’alternative pour la diplomatie occidentale, et donc la France, est assez basique. Première possibilité: on poursuit le bras de fer avec Moscou en exigeant le départ d’Assad comme préalable à toute solution en Syrie. Dans ce cas on reste bien fidèle à nos valeurs, et à l’opposition syrienne, mais l’on choisit de fait le statu-quo. Un statu quo qui se traduit par la poursuite de la guerre, des massacres, et de l’exode des réfugiés. Deuxième solution: on se dit que la priorité est l’arrêt des massacres en Syrie, la mise hors d’état de nuire des troupes de Daesh, et donc la recherche d’une solution politique au conflit. Et l’on tente de relancer, en partenariat avec Moscou, un processus de paix qui n’a pour l’instant pas débouché sur grand chose. Cela suppose de renoncer à tout préalable, et en particulier celui du départ du président syrien. Evidemment, dans ce cas on se heurte à l’incompréhension des opposants syriens qui depuis 6 ans donnent leur sang en espérant obtenir un soutien international dans leur combat. On prend le risque de ne pouvoir par la suite pousser au départ du tyran une fois la paix revenue. On dégrade un peu plus, auprès des peuples opprimés par des tyrans de tous bois, l’image d’une France championne de la défense intransigeante des droits de l’homme partout dans le monde. On choisit en outre d’entériner le nouveau leadership russe sur la scène moyen-orientale… Mais on permet à la France, qui en était écartée, de revenir dans le processus de négociation…

L’enjeu en vaut-il la chandelle? Le peuple syrien peut-il y gagner in fine un peu moins de malheur? C’est l’issue des négociations qui le dira. On saura alors si “l’aggiornamento” était du ressort du réalisme politique, ou du simple renoncement moral.

 

Qui a tué le PS?

Mais qui a tué le parti socialiste? Quel mécanisme peut expliquer que le PS soit passé de 30% des voix au premier tour de la législative de 2012 à 7,5% cinq ans après.

Bien sûr on a tout de suite envie d’invoquer le contexte. La percée fulgurante du macronisme, dont le PS a été la première victime. On peut imaginer en effet qu’En Marche a littéralement aspiré une grande partie des électeurs socialistes. Mais Macron n’est pas un magicien, et les électeurs pas des benêts. Si les électeurs traditionnels de la gauche ont lâché le PS c’est d’abord parce que celui-ci ne les faisait plus rêver.

Evidemment la première responsabilité incombe au premier des socialistes, l’ex-président de la République, celui qui se trouvait il y a cinq ans à la tête d’une majorité absolue à l’Assemblée, qui bénéficiait d’une majorité sénatoriale également acquise à sa cause. A l’époque la plupart des régions et départements de France étaient tenus par les amis et soutiens de François Hollande. Les grandes villes également… Bref, le président élu en 2012 avait tous les atouts dans son jeu. Il les a tous gâchés. Comment? Pourquoi?

Evidemment, chacun au PS voit midi à sa porte, et renvoie la faute sur les autres. Si l’on écoute les frondeurs, l’effondrement est la conséquence du changement de politique de François Hollande, qui, élu sur des idées de gauche, aurait mené ensuite une politique de droite, après avoir placé Valls à Matignon, l’apothéose de cette “trahison” étant bien sûr la loi travail. Les électeurs auraient ainsi déserté le PS qui n’était plus assez à gauche à leur goût… Et ils se seraient reportés sur Emmanuel Macron? Evidemment l’explication ne colle pas. Trop simpliste. Si cette raison était la bonne, c’est la France Insoumise qui se préparerait à gouverner… Non. S’il n’est pas douteux que Hollande ait déçu ses électeurs, l’explication est sans doute plus complexe que ce que veulent croire les Hamon, Filipetti et autre Gérard Filoche… Plus complexe aussi que celle qu’avancent les vallsistes et hollandais qui remettent toute la faute sur les frondeurs du PS.

En fait on peut assez bien imaginer que les électeurs conservés par le PS, les 6,35% de Hamon, que l’on retrouve, à peu près, dans les urnes de dimanche dernier, sont précisément ceux qui ne voulaient pas de la politique libérale du couple Hollande-Valls. L’éviction des deux chefs de l’éxécutif lors de  la primaire de la gauche a selon toute vraisemblance réduit le PS à sa fraction la plus anti-libérale, la plus hostile aux compromis qu’exige l’exercice du pouvoir, les plus radicaux ayant pu rallier la France Insoumise suite à l’excellente campagne présidentielle de Mélenchon. Quoi qu’il en soit, l’étiage actuel du PS est à quelque chose près, probablement représentatif de ce que pesaient les frondeurs dans le parti. La désignation d’Hamon à la primaire, et la campagne qu’il a menée, ont eu un effet de centrifugeuse, chassant vers l’extérieur une grande partie des militants et électeurs qui n’étaient pas sur une ligne de rupture.

Cela n’exonère pas pour autant Hollande. Comme patron de la gauche de gouvernement, il aurait dû veiller à l’unité de sa famille politique, à son soutien. Comme président “normal”, il a sans doute  imaginé qu’il devait s’en désintéresser. Il a laissé successivement Harlem Désir et Jean-Christophe Cambadélis en prendre la tête! Deux personnalités sans relief, incapables d’éviter que le PS ne devienne une pétaudière incontrôlable. Du coup Hollande qui disposait théoriquement d’une majorité écrasante, a été le premier président de la 5eme République à subir régulièrement pendant son mandat les attaques venues de son propre camp. Non seulement le PS n’a jamais cherché à expliquer l’action du gouvernement ni à fortiori à la promouvoir, mais en plus, les critiques les plus sévères, les attaques les plus définitives, sont venues de ses rangs. Jusqu’à ces invraisemblables ébauches de motions de censure venues de l’intérieur du parti.

A la décharge des responsables du PS, incapables de “vendre” l’action du gouvernement, on pourra noter qu’Hollande a tellement mal géré sa propre communication qu’il a contribué, de promesses irréalisables sur l’emploi en fiasco sur la déchéance de nationalité, de sorties nocturnes en scooter en confidences improbables livrées aux journalistes, à dégrader lui-même sa propre image.

Mais la politique n’est pas qu’affaire d’image. Si le partie socialiste en est où il en est, c’est aussi parce que Hollande a laissé passer les opportunités historiques qui se présentaient à lui. Relancer la construction européenne en la sortant de la logique punitive dans laquelle le ministre des finances allemand la maintient, et, surtout, apporter une réponse digne à la crise migratoire, en se plaçant résolument aux côtés d’Angela Merkel dans la défense du droit d’asile en Europe. Sur ces deux chapitres, il n’a pas été à la hauteur des valeurs dont son parti prétendait être dépositaire. Incapable de s’opposer à l’Allemagne lorsqu’elle se soustrayait au devoir de solidarité européenne, incapable aussi de la soutenir lorsque sa chancelière tentait de résister, au nom de valeurs communes, à la pression du populisme. Dans les deux cas il a renoncé, et ce double renoncement pèse sans doute lourd dans la perte de crédit de son parti.

Mais au delà des manquements de l’ex-président, ce qui explique sans doute, au fond, l’effondrement du parti socialiste, c’est une double incapacité.

Primo, son refus de fond d’assumer la conduite des affaires. Le parti socialiste ne s’est jamais véritablement transformé en parti de gouvernement, même si l’habileté politique de François Mitterrand a pu un certain temps donner le change. On l’a vu avec Jospin traité par une partie de son camp comme un traitre en 2002. Avec Ségolène Royal, seule ou presque dans son combat contre Sarkozy. On l’a vu plus encore au cours du quinquennat écoulé. Le fond culturel du parti socialiste, c’est l’opposition. Les compromis nécessaires pour exercer le pouvoir sont toujours très mal passés auprès des militants. Les socialistes ont du mal à accepter que la rue de gauche soit contre eux. Que les syndicats leur reprochent de collaborer avec le patronat. De ne plus être du “bon” côté de la barrière dans cette lutte des classes à laquelle au fond ils croient toujours. Or les électeurs attendent d’un parti politique qu’il puisse gouverner sans état d’âme avec la seule ambition de faire progresser le pays.

Deuxième problème: l’incapacité du PS à remettre en question son propre fonctionnement. Malgré toutes les alertes, les socialistes n’ont pas vu venir le ras le bol des électeurs. Ras le bol des petits arrangements entre amis, des carrières politiques à vie, du nombrilisme politicien, d’une certaine perte de sens moral chez les élus… Mais aussi d’un fonctionnement de plus en plus coupé de la réalité du pays, fondé sur l’entre soi, la cooptation, l’auto-reproduction des élites… Le PS n’a pas su donner lui-même le coup de balai nécessaire, il a donc été balayé.

Et maintenant? Ceux qui restent vont tenter de se refaire une santé dans l’opposition. Mais ils devront pour cela rivaliser avec le parti de Mélenchon, qui a maintenant une longueur d’avance. Ceux qui avaient commencé à s’éloigner d’un parti devenu le parti des frondeurs, vont sans doute rallier temporairement le camp du nouveau président pour reprendre des forces, et tenter de reconstituer un parti social démocrate… Mais le ni-droite ni-gauche de Macron va rendre bien difficile la renaissance d’une gauche de gouvernement crédible.

Hégémonie contre efficacité réformatrice?

Faut-il une majorité absolue pour Emmanuel Macron? La démocratie sera-t-elle en danger s’il l’obtient, comme le martèlent tous ses opposants du Front National à Mélenchon? En fait  la question n’est pas originale. Elle est posée à chaque élection législative ou presque. Et en particulier depuis que Lionel Jospin a eu cette idée de faire suivre chaque présidentielle d’un renouvellement du parlement.

Dès lors qu’elle vient de perdre l’élection présidentielle, et donc la bataille du programme, l’opposition, tous bords confondus, ne peut plus plaider qu’une cause: il faut éviter de donner au gagnant les pleins pouvoirs. Et c’est jusqu’ici toujours vain. Les électeurs qui viennent de se choisir un président ont plutôt envie de lui donner les moyens de gouverner. Et comme le mode de scrutin amplifie considérablement les mouvements d’opinion, le président fraichement élu, a toutes les chances de trouver une majorité absolue à l’assemblée, comme ce fut le cas pour Sarkozy ou Hollande pour ne citer que les deux derniers présidents.

C’est une faiblesse importante de notre système électoral, qui ne favorise évidemment pas la vie démocratique. Mais pas non plus, paradoxalement, l’action réformatrice.

Disposant d’une majorité absolue à l’assemblée, le président et son premier ministre peuvent gouverner sans partage. A condition bien sûr que leur majorité soit solide. Hollande et Valls ont démontré que la majorité absolue reste toute relative dès lors qu’on ne parvient plus à fédérer son camp. Mais si la majorité est bien tenue, elle doit permettre de mettre en œuvre toutes les réformes figurant au programme présidentiel, sans tenir compte des minorités souvent peu ou pas représentées au parlement. Et il y a là effectivement un risque de dérive autoritaire du pouvoir, les représentants d’une minorité de l’opinion, confortés par le mode de scrutin législatif, confondant majorité parlementaire et majorité d’opinion. Lorsque les représentants du Front de Gauche ou du Parti Socialiste font valoir que le programme de Macron n’a pas bénéficié d’une majorité absolue dans l’électorat au premier tour de la présidentielle, ils ont raison. On pourra juste leur faire remarquer que c’est encore plus vrai des idées dont ils étaient porteurs.

Mais ce risque d’une mise en œuvre autoritaire d’un programme est-il le bon argument pour faire obstacle à l’émergence d’une majorité absolue au parlement? Ce n’est pas certain! La présidentielle permet de se prononcer sur un projet. Aux législatives, il s’agit plutôt de décider si le pays sera demain gouvernable ou pas. Autrement dit, l’enjeu du scrutin d’aujourd’hui est: veut-on d’un président impuissant, par crainte d’une dérive autoritaire de celui-ci? La réponse est probablement dans la question.

Pourtant, la majorité absolue peut aussi être un obstacle à la mise en œuvre des réformes. Lorsqu’il n’y a pas d’examens contradictoire, de véritable négociation au niveau politique, toutes les oppositions peuvent se fédérer dans la rue. On l’a vu avec l’usage du 49-3 par Manuel Valls, la contestation de rue est d’autant plus légitime et importante que les citoyens ont le sentiment que les projets ne sont pas négociés, mais sont imposés par le pouvoir. Le risque pour un gouvernement profitant d’une majorité absolue à l’assemblée pour imposer ses vues, est donc de se voir paralysé par la contestation de la rue.

La réforme utile passe forcément par la capacité de créer du consensus. Pas de mettre tout le monde d’accord, mais de fédérer autour d’un projet une masse critique d’opinion capable de le porter, de contrebalancer les oppositions inévitables, et de garantir une pérennité de la réforme. Pour cela il faut négocier, en tenant compte de la contradiction. Avec la société civile, mais aussi avec les autres forces politiques. Or notre système électoral fabrique de l’hégémonie. Temporaire, souvent limitée à un mandat, mais de l’hégémonie tout de même.

La première des réformes à entreprendre, au delà de la nécessaire transparence de la vie politique, est donc d’assurer une représentation nationale équilibrée et diverse, où chaque courant de l’opinion soit représenté à sa mesure. Pour que l’Assemblée Nationale devienne le lieu du dialogue, de la négociation et de l’amendement des projets. Pour des réformes partagées, pour des consensus de progrès, autour de projets fédérant dans l’intérêt du pays des opinions diverses, pour assurer la pérennité de l’action publique. Il est urgent de changer de mode de scrutin.