Jérusalem: le péril religieux

Le gouvernement israélien a donc cédé et retiré les détecteurs de métaux à l’entrée de l’esplanade des mosquées. L’épisode aura tout de même été sanglant. Cinq morts côté palestinien, trois chez les Israéliens. Dans les rues de Jérusalem-est, où des prières de rues étaient organisées depuis quelques jours, les Palestiniens ont crié victoire. Côté israélien on a promis de mettre en œuvre des moyens de sécurisation plus sophistiqués que les détecteurs contestés.

La raison l’a donc emporté. On a peut-être évité une nouvelle intifada, un nouveau soulèvement dans les territoires occupés par Israël. Côté Israélien on faisait jusqu’ici semblant de ne pas comprendre où était le problème. Les responsables faisaient valoir qu’aucun catholique ne proteste contre les détecteurs de métaux placés à l’entrée du vatican, ni aucun musulman contre ceux qui surveillent l’accès des pèlerins à La Mecque. Evidemment, vu sous cet angle, on peut convenir que les détecteurs de métaux ne profanaient en rien les lieux saints musulmans. Mais dans la réalité le gouvernement israélien jouait avec des symboles explosifs.

Depuis 1967, et l’annexion par Israël de Jérusalem-est et de la Cisjordanie, c’est le Waqf (office des biens musulmans) jordanien qui est chargé de la sécurité du lieu de culte musulman. Le statu-quo qui y prévaut interdit aux autres religions de venir prier sur l’esplanade des mosquées, appelée Mont du Temple par les Juifs. La mosquée et son “dôme du rocher”, troisième lieu saint de l’Islam, est construite sur les ruines du temple de Jérusalem dont il ne reste que le mur des lamentations, lieu le plus sacré de la religion juive, à proximité immédiate de l’esplanade. On pourrait ajouter que les chrétiens ont aussi leurs raisons de s’intéresser au lieu puisque c’est ici que Jésus aurait chassé les marchands du temple… Bref, un emplacement qui est au point focal des trois religions monothéistes. Et pousse donc les extrémistes religieux juifs comme musulmans à vouloir en chasser les autres. C’est une visite d’Ariel Sharon, l’ex-ministre de la Défense et futur premier-ministre israélien, sur l’esplanade, en pleine campagne électorale, qui avait servi d’étincelle à la deuxième intifada en 2000.

Pour justifier ses portiques, le gouvernement israélien s’appuyait sur un attentat survenu le 14 juillet et perpétré, dit-il, avec des armes qui avaient été cachés sur l’esplanade. Un attentat ayant fait deux morts dans les rangs de la police israélienne. Un raisonnement logique en apparence, sauf que le gouvernement de Benjamin Netanyahu, ne pouvait ignorer qu’il jouait avec le feu en laissant supposer qu’il souhaitait revenir sur le statu-quo concernant la gestion des lieux saints de Jérusalem. Comme s’il y avait un enjeu à exciter les antagonismes religieux.

Depuis plusieurs années le gouvernement de droite israélien, sous la pression de ses extrémistes religieux, tente de faire passer ce qui est d’abord un conflit politique lié à la colonisation d’un territoire et à l’oppression d’un peuple par un autre, pour une guerre de religions. Le gouvernement n’a eu de cesse d’affaiblir et décrédibiliser l’Autorité palestinienne, laïque, comme s’il préférait n’avoir à faire qu’au Hamas, islamiste. D’exiger comme préalable à toute négociation avec les palestiniens, la reconnaissance d’Israël comme “état juif” alors même que 20% de la population d’Israël est arabe, pour l’essentiel de religion musulmane. D’encourager les intégristes juifs à poursuivre la colonisation sauvage des territoires palestiniens. En s’attaquant à ce lieu tellement symbolique pour les musulmans, le gouvernement israélien prenait une fois de plus le risque d’exacerber les tensions religieuses.

Et de fait, lors des incidents de ces derniers jours, ce ne sont pas les organisations politiques qui menaient la contestation, mais bien les imams qui organisaient des prières dans les rues de Jérusalem-est pour protester contre la tentative de contrôle des accès à la grande mosquée. Evidemment cette focalisation de la tension sur la question religieuse ne peut que renforcer la position des intégristes musulmans qui accusent les juifs de vouloir détruire la mosquée Al Aqsa pour reconstruire leur temple. Ceux du Hamas en particulier qui veulent la disparition de l’Etat d’Israël, et qui sont en conflit avec l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas. Mais elle peut aussi par ricochet justifier le discours du premier ministre israélien qui cherche à démontrer que les mouvements de résistance palestiniens sont simplement une autre forme du djihadisme islamiste, que l’opposition politique à la colonisation est en fait un combat contre la religion juive, et donc qu’Israël a le droit de s’opposer par tous moyens aux revendications palestiniennes.

Tout cela pour aller où? Lorsque la perspective de création d’un Etat Palestinien aura été définitivement enterrée, comme le revendiquait ces jours-ci la ministre déléguée des affaires étrangères israélienne Tzipi Hotovely, qui plaide pour une annexion pure et simple de la Cisjordanie, que deviendra la démocratie Israëlienne? Le pays, qui compte dans ses frontières actuelles 20% d’arabes, en arriverait après annexion à une situation de quasi parité démographique entre juifs et non-juifs. Les conditions d’une guerre civile seraient réunies, et le pouvoir s’enfoncerait dans une logique d’apartheid dont les prémisses sont déjà visibles dans certaines décisions du pouvoir actuel. Le “Grand Israël”, c’est la certitude de l’insécurité éternelle pour tous, juifs comme musulmans et chrétiens de Palestine, et la menace d’une explosion régionale. La solution politique à deux Etats est la seule évolution souhaitable pour les uns comme les autres… La seule façon de garantir à terme la sécurité, et la paix entre religions. Mais est-ce encore possible?

 

Affaire Villiers: comment rebondir?

Une crise institutionnelle sans précédent… La première grave erreur de Macron… Un clash historique jamais vu depuis 1962… Notre sécurité nationale mise en péril… Les commentateurs n’y vont pas avec le dos de la cuillère. La démission du général De Villiers serait une catastrophe absolue. Sur les radios et télés, les “experts” militaires se succèdent. En tête, deux généraux, Vincent Desportes et Bertrand Soubelet. Le premier, général de division, sanctionné en 2010 par le ministre Hervé Morin pour une prise de position sur la guerre en Afghanistan, le second ancien général de la gendarmerie sanctionné en 2014 pour être intervenu publiquement contre la politique du gouvernement en matière de sécurité… Tous les commentateurs soutiennent le général démissionnaire. Jusqu’à la gauche, Benoit Hamon, et l’extrême-gauche, Alexis Corbière, qui ne sont pas les derniers à clamer leur soutien à “un homme d’honneur” et à s’indigner d’un rabotage du budget de l’armée ! Ils ne nous avaient pas habitués à une telle frénésie militariste…

Très bien, mais de quoi parle-t-on? D’un gouvernement qui a décidé de réaliser un plan d’économies de 4,5 millions d’euros pour tenir dans la sacro-sainte règle des 3% de déficit, imposée par les accords européens signés par la France. Macron avait annoncé, avant son élection, sa volonté de se tenir dans les 3%, il tente de s’y tenir. Pour le ministère de la défense c’est 850 millions d’euros de moins, soit un retour au budget initial de 2017, malgré le surcoût des opérations extérieures.

Les choses auraient pu en rester là, et la ministre des armées répartir les économies de manière à ne pas pénaliser la capacité d’intervention des militaires, ni leur sécurité. Mais c’est là que les choses se corsent. Le chef d’état major des armées, un général qui a déjà manifesté avant la présidentielle sa défiance à l’égard d’Emmanuel Macron, prend le mords aux dents, et dénonce devant la commission ad-hoc de l’Assemblée Nationale le plan d’économies. Evidemment ses propos, supposés prononcés à huis-clos, se retrouvent le lendemain dans la presse. En toute logique institutionnelle, devant cet étalage public de son désaccord avec son supérieur direct, le Président, il aurait dû être amené à se soumettre ou se démettre sur le champ. Tout aurait pu et dû sans doute se régler dans le secret du bureau présidentiel. Emmanuel Macron en a décidé autrement.

Il faut dire que depuis plusieurs années, les généraux ont pris l’habitude de faire céder le pouvoir politique devant leurs exigences. Sous Hollande, et sans doute grâce à la force de persuasion de Jean-Yves Le Drian, le budget de la défense s’en était trouvé quasi-sanctuarisé. Au nom de la sécurité il était impossible de tailler dans les dépenses militaires.  Le nouveau président a donc trouvé l’occasion trop belle de reprendre la main en montrant… qui est le chef. Pas de la façon la plus fine, c’est à dire en désavouant son chef d’état major devant ses troupes, et en éprouvant le besoin de mettre des mots sur ce qui aurait dû rester une évidence : “c’est moi le chef”! Réaction idiote! Mais à idiot, idiot et demi. Le général à son tour prend sa plume et explique à ses troupes sur Facebook le devoir de désobéissance aux ordres idiots. Le combat de coq ne pouvait évidemment déboucher que sur la démission du plus faible des deux. C’est fait! Le général De Villiers est remplacé.

Alors? Crise ou pas crise? Le budget militaire n’est pas plus sacré qu’un autre. Le Président s’est en outre engagé à l’augmenter en 2018 pour le porter à 2% du PIB en 2022, conformément à son programme. Il n’y a donc pas péril national. De même le changement de général à la tête des armées n’est pas non plus un cataclysme. On pourrait en revanche s’interroger sur l’unanimité soudaine des observateurs pour la défense du complexe militaro-industriel.

Car ce qui est en jeu derrière les économies budgétaires n’est pas le paiement des salaries des soldats. Ce qui est en jeu c’est l’équipement, son renouvellement, et donc les revenus de l’industrie de l’armement. Il suffit d’une visite au Bourget pour s’en rendre compte, l’armée française est aussi la vitrine de l’industrie de l’armement française. Diminuer les crédits c’est donc dégrader un peu la vitrine. Si les matériels sont un peu démodés, il est difficile d’en vendre à l’étranger. Si l’armée n’achète pas suffisamment d’avions, c’est Dassault qui est en péril.

Depuis le début de la crise des officiers ont aussi dénoncé le gaspillage. La maintenance du matériel est également en cause. Un rapport récent montrait la très faible disponibilité des avions et hélicoptères français. Est-ce une question de crédits? De choix d’équipements? Ou un problème d’organisation entre partenaires publics et privés, comme le suggèrent certains observateurs? (https://www.challenges.fr/entreprise/defense/peril-sur-l-armee-francaise-seul-un-tiers-des-helicopteres-est-en-etat-de-vol_436969) Or si l’on parle choix de matériels, organisation de la maintenance… évidemment la responsabilité du chef d’Etat Major des Armées est engagée…

De façon plus large, n’est-il pas nécessaire au moment où l’ensemble des ministères et des collectivités est appelé à diminuer les dépenses publiques, avec les conséquences inévitables que l’on peut imaginer pour les services offerts aux citoyens, de s’interroger sur la part des dépenses militaires. Le fait qu’elles augmentent dans d’autres pays suffit-il à justifier une fuite en avant, comme le suggérait l’ancien ministre de la Défense Hervé Morin, et comme semble l’avoir acté Emmanuel Macron? Ne devrait-on pas avoir un débat national sur la place de la dissuasion nucléaire par exemple. Faut-il maintenir deux forces nucléaires stratégiques, sous-marine et aérienne pour assurer sa crédibilité? Faut-il vraiment se lancer dans les études pour la construction d’un nouveau porte-avion? Ne faut-il pas revoir à la baisse le rythme de renouvellement de nos armements? Avons-nous absolument besoin de ces drones achetés aux Américains? On imagine sans peine que toutes ces questions sont posées entre militaires. Et ne font pas l’objet de publicité. Mais au moment où l’on veut redéployer les dépenses publiques en les réduisant, un audit public du budget de l’armée, et donc de son fonctionnement, ainsi qu’un débat national sur le sujet semblent indispensables, et ne nuiraient pas forcément à ce secret militaire, nécessaire à la sécurité du pays, mais pas forcément à cacher les insuffisances de gestion des militaires…

Lancer cet audit et ce débat serait une façon de rebondir de façon positive sur cette péripétie si mal conduite de part et d’autre.

Misère du journalisme…

“Faut-il brûler les journalistes?” questionne de façon faussement iconoclaste Libération. La question est évidemment l’accroche d’un plaidoyer pro-domo. Et la réponse est bien sûr: “non… car la presse, (comprendre surtout Libération) a commencé à se réformer pour devenir meilleure…”. Vrai ou faux, concernant Libération, ses lecteurs jugeront…

Mais il n’est pas inintéressant de s’attarder un instant sur l’évolution de la place occupée par la presse et du rôle que jouent les journalistes dans le débat politique.

De fait, l’image des journalistes et de la presse est de moins en moins bonne. L’indice de confiance ne cesse de s’affaiblir d’année en année. A cela évidemment de multiples raisons. La multiplication des sources d’information, et son corollaire, la perte d’audience de la presse écrite, traditionnellement référente, en sont une cause structurelle. La multiplication des chaines d’information sans doute aussi. Les journalistes, par réflexe d’autodéfense, mettront sans doute en avant une cause plus conjoncturelle: leur diabolisation par les politiques.

Sur ce plan tous ont apporté leur contribution. Nicolas Sarkozy le premier a su s’appuyer sur une dénonciation de la presse supposée post soixante-huitarde et bobo pour justifier ses propres dangereuses dérives identitaires ou sécuritaires, contre la “pensée dominante, la bien-pensance droitsdel’hommiste” disait-il. Les populistes, Marine Le Pen puis Mélenchon et ses insoumis, ont transformé ce qui était défiance en véritable discours de haine. Les journalistes étant réduits au rôle d’exécutants des basses œuvres de leurs actionnaires, les “médiacrates”, et “oligarques”, caste dirigeante honnie, imposant la défense de ses intérêts financiers au corps social, jusqu’à, comme on l’explique chez Mélenchon, choisir pour lui le président de la République conforme à ses intérêts. Et cela en réduisant “le peuple” au silence, pour provoquer la défaite de ses représentants directs, Marine Le Pen à un extrême bord, Mélenchon à l’autre. Jusqu’à François Fillon qui, pris dans la tourmente, tenta lui aussi de faire endosser par la presse qui l’avait mise en cause, la culpabilité de ses propres turpitudes.

Un régime de faveur pour le pouvoir?

A ce point, il faut quand même rétablir quelques vérités. Primo, si l’on se réfère aux campagnes électorales récentes, on constate que les populistes, qui se prétendent victimes de l’ostracisme des médias, du harcèlement des journalistes, en ont été plutôt bien souvent les coqueluches. Pas un jour pendant la campagne présidentielle sans une intervention radio ou télé de Florian Philippot, appelé à donner son avis sur tous les sujets. Et depuis les législatives, pas un matin sans intervention d’un député insoumis sur les radios. Jusqu’au recrutement de Raquel Garrido porte-parole de Jean-Luc Mélenchon, par C8, une chaîne du “grand oligarque médiacrate” Bolloré, pour y faire le show aux côtés de Thierry Ardisson! Non les grands médias ne boycottent pas les populistes de l’extrême-droite ou de la gauche anti-capitaliste. Ce serait même plutôt le contraire.

Second constat, les médias qui sont sensés, par actionnaire interposé, être inféodés au pouvoir en place ne sont pas tous tendres pour ce dernier, loin s’en faut. La multiplication des articles, chroniques ou commentaires, tous types de presse confondus, sur les “affaires” Ferrand, Bayrou, Goulard, De Sarnez, Pénicaut… le démontre largement. De même que le traitement dont font l’objet les nouveaux députés de la République En Marche, dont la plupart des commentateurs ont décidé quelques heures après leur élection qu’ils étaient forcément inutiles, sans saveur, soumis à leur gourou, incapables de s’exprimer à l’Assemblée, quand leurs adversaires de la France Insoumise sont jugés si brillants par tous les observateurs… Enfin, chaque déclaration publique d’Emmanuel Macron, déclenche, à juste titre ou pas, une polémique dans les médias. Là aussi, on ne peut que faire ce constat: si les patrons qui sont détenteurs de la plupart des médias en France, sont, comme l’affirment Mélenchon ou Le Pen, favorables à Macron, on ne peut pas dire que cela se traduise par une indulgence coupable de l’ensemble de leurs journalistes pour le pouvoir en place. Et c’est évidemment tant mieux! Les journalistes français dans leur immense majorité restent indépendants, et cela ne nuit pas de le rappeler.

L’essentiel de la dérive qui se traduit par une décrédibilisation de la profession de journaliste réside sans doute ailleurs. Dans l’évolution même de l’exercice du métier. Depuis plusieurs années l’explosion numérique a eu un double effet sur la profession. Côté positif, elle a apporté de nouveaux outils qui bien utilisés, ont permis l’émergence du “facts-checking” systématique. Plus une intervention politique sans rubrique “Désintox” sur les médias. Aucun responsable ne peut plus affirmer de contre-vérités, sans être démenti dans la foulée par le travail de vérification des faits des journalistes… Ce qui n’empêche pas l’un ou l’autre de persévérer dans le mensonge, mais permet de maintenir une exigence de vérité dans le débat politique.

Tyrannie de l’urgence et exigence polémique

Mais au delà des nouveaux outils formidables, la révolution numérique a eu quelques effets extrêmement pervers. Elle a d’abord changé le rapport au temps du journalisme, en faisant quasi-disparaître celui de la vérification. Tous n’y ont pas succombé, mais beaucoup ont été frappés. L’urgence de la publication, devenue tyrannie, avec l’avènement des médias d’infos en temps réel, et le développement d’internet, a mangé le temps du croisement des sources, de l’interpellation des mis en cause avant publication, de la mise en perspective des informations… La dictature de l’info brute a généré une dérive terrible. Il n’est plus rare d’entendre ou lire des journalistes rendre compte de rumeurs en précisant qu’elles ne sont pas vérifiées à l’heure de leur publication, voire parfois sans même le préciser. Pire, supputations et informations sont imbriquées, de façon à rendre le lecteur incapable de juger. Un exemple, lorsqu’un article de médiapart sur l’affaire Ferrand précise que si l’ex ministre, qui a revendu sa permanence de député au parti socialiste (factuel), avait à l’époque acquis la dite permanence au moyen de ses indemnité de députés (supputation), alors on pourrait dire qu’il y a détournement de fonds publics (accusation)… Honnête… le journaliste précise que pour l’instant il n’a pas pu le vérifier.

La deuxième dérive est celle de la confusion absolue de l’information et de son commentaire. Il fut une époque, pas si éloignée, où l’on apprenait dans les écoles de journalistes, à séparer les faits de leur commentaire. Cet enseignement basique semble bien oublié. Le commentaire est devenu roi. Omniprésent, jusque dans la titraille des journaux d’information tous médias confondus. Et du coup volent en éclat, présomption d’innocence, secret de l’instruction, droit de réponse, et autres archaïsmes…

Jusqu’à la confusion totale, avec l’apparition d’une nouvelle classe de journalistes, les polémistes patentés. Ils se multiplient de plateaux télé en émissions de radio pour délivrer leur commentaire définitif sur tout et n’importe quoi. Forts de la garantie qu’avec internet, une information chasse l’autre, et que le commentaire est donc sans danger. Qui se souvient de Franz Olivier Giesbert garantissant sur le ton docte de l’expert en journalisme à qui on ne la fait pas que l’affaire Fillon serait oubliée en quelques jours et Fillon élu haut la main? Pour ne pas être trop cruel, on évitera de multiplier les exemples, mais c’est bien là un fait majeur de l’époque: l’impunité du commentaire.

Pire, s’est installée avec l’aide du réseau twitter une prime à la polémique. Plus le commentaire est polémique, donc excessif, injuste, calomniateur… plus il fait le buzz comme on dit. Là où une analyse élaborée, nuancée, argumentée, si elle est bonne, bénéficiera de quelques dizaines ou centaines de reprises sur le réseau social, un point de vue à l’emporte-pièce, assassin, outrancier, une “punchline” comme on dit en bon français, sera retweeté par plusieurs milliers d’internautes. Et ce rôle du réseau social est primordial. Car c’est là que se décrochent les nouvelles lettres de noblesse des journalistes.

A l’heure de la multiplication des chaines de télévision, où la production de programmes originaux, d’enquêtes et de reportages est devenue un luxe inabordable pour la plupart d’entre elles, c’est avec les plateaux garnis de polémistes que l’on fait le buzz, et donc le chiffre d’affaires publicitaires. Pour avoir de l’audimat, et donc de la publicité, il faut choquer, brusquer, secouer. Et donc des journalistes se spécialisent dans la fonction et écument les plateaux-radio-télé. En prenant garde à ne jamais laisser baisser leur coefficient de polémique, pour ne pas être remplacés par d’autres, plus doués qu’eux pour le buzz. Pas question ici d’être impartial, d’afficher son indépendance, son souci de la vérité… ces valeurs ne sont pas télévisuelles. Elles ne font pas entrer les ressources publicitaires. Et ce métier de journaliste-chroniqueur, finit pas se confondre avec celui d’animateur, en obéissant aux mêmes règles. Celles du marché publicitaire. Un Hanouna sans dérapages homophobes perdrait bien vite sa valeur marchande, de même qu’une Natacha Polony, un Eric Brunet ou une Françoise Degois qui soudain feraient une crise d’impartialité, de mesure ou de nuance.

Tout cela ne nous rapproche pas vraiment de la vérité.

Migrants: du discours aux actes?

Edouard Philippe vient de présenter le projet gouvernemental destiné à apporter une réponse à la question des migrations. La réponse en question tient en une phrase: contenir le flux migratoire. Pour cela, on commencera par accélérer le traitement des dossiers. Personne ne s’en plaindra. Le délai interminable pendant lequel chaque migrant demeure sur le territoire national, dans des conditions on ne peut plus précaires, en attendant une décision définitive concernant sa demande d’asile, ne pose que des problèmes. On reconduira aussi plus rapidement à la frontière les déboutés du droit d’asile. Légitime également! Il existe des lois, des recours juridiques, pour les demandeurs, une fois que la justice a tranché validant un refus d’asile, il est naturel que l’Etat prenne les moyens d’exécuter rapidement la décision. Alors on assignera un peu plus à résidence, on allongera la durée de période rétention, pour éviter que les expulsables passent entre les mailles… Et puis on protègera mieux les frontières européennes pour empêcher les candidats d’entrer…

Mais au fait le sujet c’est quoi? “Garantir le droit d’asile, mieux maîtriser les flux migratoires” nous dit la pancarte placée sur le pupitre du premier ministre. Mais elle est où la garantie du droit d’asile? Faut-il comprendre que garantir le droit d’asile, c’est faire en sorte qu’il y ait de moins en moins de demandes? Pourquoi pas, le raisonnement se tient! Mais on fait comment? On fait quoi des bateaux qui abordent les côtes italiennes?  On interdit aux ONG de recueillir les naufragés de la guerre ou de la misère? On laisse la Méditerranée se transformer en fosse commune?

On aide à stabiliser les pays d’où proviennent les migrants, explique le premier ministre. C’est effectivement nécessaire: aider à stabiliser les situations politiques, aider au développement des pays que fuient les migrants… Là encore on voudrait bien y croire, mais ça tombe bien mal… Le ministre des finances nous a expliqué il y a quarante-huit heures que pour réduire le déficit il était prévu entre autres mesures de réduire l’aide publique au développement. Les ONG n’ont pas tardé d’ailleurs sur ce point à ressortir les engagements du président Macron, qui promettait le soir de son élection de respecter « les engagements pris en matière de développement et de lutte contre le réchauffement climatique ». Bien sûr on pourra rétorquer que c’est l’application du principe de réalité, et les 3% de déficit et tout et tout! Mais on a du mal à croire que l’annonce de réduction des crédits permette de présager d’un renforcement de l’aide de la France au développement, et donc à la “stabilisation” des pays d’origine des migrants.

Mais ce n’est pas encore le plus gênant dans la communication du Premier ministre. Le plus embarrassant c’est le mutisme sur la situation intérieure actuelle. Que fait-on des milliers de migrants sans statut qui tentent de survivre dans des conditions indignes, à Calais, à Paris, où à la frontière italienne? Pas vraiment de réponse… Surtout pas des camps en tout cas, « ce sont des structures qui ne génèrent que des problèmes », explique le ministre de la cohésion des territoires Jacques Mézard! Oui, on avait compris que l’on ne veut pas recréer une ou des “jungles”… Donc on laisse les gens livrés à eux-mêmes? On continue à refuser d’obtempérer aux décisions de justice qui ordonnent aux pouvoirs publics de fournir les services vitaux minimums aux gens qui s’entassent à Calais dans l’espoir de passer la Manche? On s’entête à leur rendre la vie invivable pour “éviter les appels d’air” comme le dit le ministre de l’intérieur? On “couvre” les agissements indignes de certains policiers, qui leur interdisent un simple accès à l’eau potable?

“C’est notre devoir et notre honneur” dit Emmanuel Macron à propos de l’accueil des réfugiés… il va falloir un autre plan que celui annoncé par le Premier Ministre pour rester crédible sur ce sujet.

 

 

Y a encore du boulot!

C’est une législature qui démarre sur les chapeaux de roues. Pour ce qui est de la polémique en tout cas. En quelques jours, on aura eu droit à la rébellion des cravates, au réglement de compte entre Les Républicains canal historique et Les Républicains “constructifs”, au psychodrame de l’élection du bureau (puisque c’est ça j’irai pas!), et l’affaire du Congrès de Versailles avec le boycott remarqué du discours du président de la République par les anti-cravates. Le moins qu’on puisse dire c’est que ça fait désordre.

Evidemment il y a différentes façons de voir les choses. On peut d’abord se dire que le renouvellement a été tel au parlement, le dégagisme tellement puissant, que les élus qui ont survécu à la purge n’ont plus de repères, et se voient contraints de s’abimer dans des polémiques superflues. C’est sans doute un peu vrai. Pour le parti de Fillon et Baroin, l’éclatement en deux groupes rivaux prêts à se battre comme chiffonniers pour un poste de questeur, est une épreuve inédite et inimaginable il y a seulement quelques mois. D’autant plus douloureuse qu’au total ils sont déjà peu nombreux à l’Assemblée.

Une autre façon est de dire qu’il y a tellement de nouveaux arrivants à l’Assemblée qu’il va leur falloir un temps d’adaptation avant de saisir toutes les subtilités de l’exercice, et qu’en attendant c’est le bazar! C’est sans doute aussi vrai pour partie. Les règles et usages forgés par des décennies de 5eme République ne se domestiquent pas en un jour. Au milieu de la cohue, chacun tente donc d’attirer l’attention comme il le peut. Est-ce l’explication de la scène grand-guignolesque que nous ont offert les Insoumis en convoquant la presse pour expliquer, sérieux, qu’ils avaient décidé d’entrer en rébellion contre l’ordre établi, et ne porteraient donc pas la cravate? On peut imaginer que les amis de Mélenchon, avec le temps, finiront par trouver leur place dans l’hémicycle et parviendront à affirmer leur personnalité de façon moins dérisoire et ridicule, que Mélenchon cachant sa cravate dans sa poche pour entrer dans l’Hémicycle, ou Ruffin levant le poing l’air grave et combatif lorsque l’objectif d’une caméra s’attarde sur lui. Vivement la fin de la récré au parlement!

Mais il y a un autre angle pour analyser la situation. C’est l’angle élyséen. Tout ce tintamarre serait orchestré par un Emmanuel Macron omnipotent n’en finissant plus de contempler sa photo officielle, et son nombril, et soucieux de discréditer le parlement par tous moyens, pour mettre en scène en contrepoint une présidentialisation sans précédent de notre système politique. Et l’on n’est pas surpris du coup de voir un de ses plus proches, Richard Ferrand, jeter de l’huile sur le feu avec un malin plaisir, en faisant élire un dissident des Républicains à la questure pour représenter l’opposition. Comme s’il était nécessaire pour parachever la démonstration macronienne entamée il y a moins de deux ans, d’achever au parlement, la démolition des partis traditionnels. “Vae victis!” Comme si l’affirmation de la puissance élyséenne nécessitait que règne la confusion au Palais Bourbon… Le “maître des horloges” règlerait lui-même de sa main le plus modeste engrenage de celles du Palais Bourbon? Pourquoi pas? Après tout, on ne prête qu’aux riches.

Et la même analyse peut valoir pour la tenue du congrès de Versailles lundi prochain. Evidemment, en parlant devant le Congrès la veille du discours de politique générale du Premier ministre, Macron rappelle une fois encore qui est le patron. Ce faisant il démonétise certes un peu son premier-ministre en se renforçant? Guère plus toutefois que ses prédécesseurs ne le firent: on se souvient de Sarkozy parlant de son “collaborateur” Fillon.

Alors, Macron en fait-il trop? Est-il en voie de “pharaonisation” accélérée, comme beaucoup le suggèrent? Lorsque son entourage explique sans rire que sa pensée serait trop complexe pour se prêter aux questions-réponses des journalistes, on a envie de répondre “Oui!”. Ou alors de lui conseiller de virer “l’entourage” en question qui tient des propos aussi stupides!

On a surtout une envie plus globale de dire “STOP”! Stop à la macrobsession. Macron ne veut pas répondre aux journalistes? Qu’ils l’oublient cinq minutes! Qu’ils informent au lieu de commenter sans fin, souvent même le plus insignifiant. Assez d’émissions de commentaires sur le décodage de la photo officielle du Président! De pseudo-débats de soi-disant “informés” sur la place de Jupiter et Hermes dans la mythologie, ou le fantasme versaillais du nouveau roi. D’interviews “d’experts” sur l’importance d’une poignée de main. De dissection interminable de la petite phrase de 15 secondes échappée de la bouche du roi-soleil lors d’un de ses déplacements. De polémiques virtuelles autour d’un discours qu’on n’a pas encore entendu. D’exégèses approfondies de la dernière remarque d’un membre anonyme de l’entourage plus ou moins proche du président… De jugements définitifs sur un projet de réforme dont on connait déjà l’issue, mais dont la négociation débute à peine, et dont les premiers intéressés disent qu’elle se passe plutôt bien.

Y’en a marre! Après les campagnes électorales, on espérait en avoir fini avec le culte de l’inessentiel. Pouvoir enfin entrer dans les débats de fond. S’intéresser enfin à ce que Macron nous prépare en vrai… Le calendrier des réformes annoncées. La mise en pratique des grandes idées de campagne. La réalité du projet pour l’Europe, et la sincérité des négociations sociales en cours, et la traduction concrète de l’engagement humaniste en faveur des migrants… Il faudra encore attendre un peu. L’épisode de la présentation du prince au Congrès devrait sans doute encore nous valoir une avalanche de directs, d’articles, commentaires, analyses, vidéos, il y aura sans doute beaucoup à dire sur sa démarche, son costume, sa posture, les sourires échangés avec les uns ou les autres… Et puis la décomposition de la droite devrait aussi continuer à fournir un spectacle réjouissant, de même que les invectives d’un Mélenchon appelant à manifester contre la venue de Macron à Versailles (???) tout en réclamant une pause parlementaire pour permettre aux députés de profiter des congés payés pour se “reconstituer”!

Pour donner aux Français une meilleure image de la politique… il y a encore du boulot!