Une crise institutionnelle sans précédent… La première grave erreur de Macron… Un clash historique jamais vu depuis 1962… Notre sécurité nationale mise en péril… Les commentateurs n’y vont pas avec le dos de la cuillère. La démission du général De Villiers serait une catastrophe absolue. Sur les radios et télés, les “experts” militaires se succèdent. En tête, deux généraux, Vincent Desportes et Bertrand Soubelet. Le premier, général de division, sanctionné en 2010 par le ministre Hervé Morin pour une prise de position sur la guerre en Afghanistan, le second ancien général de la gendarmerie sanctionné en 2014 pour être intervenu publiquement contre la politique du gouvernement en matière de sécurité… Tous les commentateurs soutiennent le général démissionnaire. Jusqu’à la gauche, Benoit Hamon, et l’extrême-gauche, Alexis Corbière, qui ne sont pas les derniers à clamer leur soutien à “un homme d’honneur” et à s’indigner d’un rabotage du budget de l’armée ! Ils ne nous avaient pas habitués à une telle frénésie militariste…
Très bien, mais de quoi parle-t-on? D’un gouvernement qui a décidé de réaliser un plan d’économies de 4,5 millions d’euros pour tenir dans la sacro-sainte règle des 3% de déficit, imposée par les accords européens signés par la France. Macron avait annoncé, avant son élection, sa volonté de se tenir dans les 3%, il tente de s’y tenir. Pour le ministère de la défense c’est 850 millions d’euros de moins, soit un retour au budget initial de 2017, malgré le surcoût des opérations extérieures.
Les choses auraient pu en rester là, et la ministre des armées répartir les économies de manière à ne pas pénaliser la capacité d’intervention des militaires, ni leur sécurité. Mais c’est là que les choses se corsent. Le chef d’état major des armées, un général qui a déjà manifesté avant la présidentielle sa défiance à l’égard d’Emmanuel Macron, prend le mords aux dents, et dénonce devant la commission ad-hoc de l’Assemblée Nationale le plan d’économies. Evidemment ses propos, supposés prononcés à huis-clos, se retrouvent le lendemain dans la presse. En toute logique institutionnelle, devant cet étalage public de son désaccord avec son supérieur direct, le Président, il aurait dû être amené à se soumettre ou se démettre sur le champ. Tout aurait pu et dû sans doute se régler dans le secret du bureau présidentiel. Emmanuel Macron en a décidé autrement.
Il faut dire que depuis plusieurs années, les généraux ont pris l’habitude de faire céder le pouvoir politique devant leurs exigences. Sous Hollande, et sans doute grâce à la force de persuasion de Jean-Yves Le Drian, le budget de la défense s’en était trouvé quasi-sanctuarisé. Au nom de la sécurité il était impossible de tailler dans les dépenses militaires. Le nouveau président a donc trouvé l’occasion trop belle de reprendre la main en montrant… qui est le chef. Pas de la façon la plus fine, c’est à dire en désavouant son chef d’état major devant ses troupes, et en éprouvant le besoin de mettre des mots sur ce qui aurait dû rester une évidence : “c’est moi le chef”! Réaction idiote! Mais à idiot, idiot et demi. Le général à son tour prend sa plume et explique à ses troupes sur Facebook le devoir de désobéissance aux ordres idiots. Le combat de coq ne pouvait évidemment déboucher que sur la démission du plus faible des deux. C’est fait! Le général De Villiers est remplacé.
Alors? Crise ou pas crise? Le budget militaire n’est pas plus sacré qu’un autre. Le Président s’est en outre engagé à l’augmenter en 2018 pour le porter à 2% du PIB en 2022, conformément à son programme. Il n’y a donc pas péril national. De même le changement de général à la tête des armées n’est pas non plus un cataclysme. On pourrait en revanche s’interroger sur l’unanimité soudaine des observateurs pour la défense du complexe militaro-industriel.
Car ce qui est en jeu derrière les économies budgétaires n’est pas le paiement des salaries des soldats. Ce qui est en jeu c’est l’équipement, son renouvellement, et donc les revenus de l’industrie de l’armement. Il suffit d’une visite au Bourget pour s’en rendre compte, l’armée française est aussi la vitrine de l’industrie de l’armement française. Diminuer les crédits c’est donc dégrader un peu la vitrine. Si les matériels sont un peu démodés, il est difficile d’en vendre à l’étranger. Si l’armée n’achète pas suffisamment d’avions, c’est Dassault qui est en péril.
Depuis le début de la crise des officiers ont aussi dénoncé le gaspillage. La maintenance du matériel est également en cause. Un rapport récent montrait la très faible disponibilité des avions et hélicoptères français. Est-ce une question de crédits? De choix d’équipements? Ou un problème d’organisation entre partenaires publics et privés, comme le suggèrent certains observateurs? (https://www.challenges.fr/entreprise/defense/peril-sur-l-armee-francaise-seul-un-tiers-des-helicopteres-est-en-etat-de-vol_436969) Or si l’on parle choix de matériels, organisation de la maintenance… évidemment la responsabilité du chef d’Etat Major des Armées est engagée…
De façon plus large, n’est-il pas nécessaire au moment où l’ensemble des ministères et des collectivités est appelé à diminuer les dépenses publiques, avec les conséquences inévitables que l’on peut imaginer pour les services offerts aux citoyens, de s’interroger sur la part des dépenses militaires. Le fait qu’elles augmentent dans d’autres pays suffit-il à justifier une fuite en avant, comme le suggérait l’ancien ministre de la Défense Hervé Morin, et comme semble l’avoir acté Emmanuel Macron? Ne devrait-on pas avoir un débat national sur la place de la dissuasion nucléaire par exemple. Faut-il maintenir deux forces nucléaires stratégiques, sous-marine et aérienne pour assurer sa crédibilité? Faut-il vraiment se lancer dans les études pour la construction d’un nouveau porte-avion? Ne faut-il pas revoir à la baisse le rythme de renouvellement de nos armements? Avons-nous absolument besoin de ces drones achetés aux Américains? On imagine sans peine que toutes ces questions sont posées entre militaires. Et ne font pas l’objet de publicité. Mais au moment où l’on veut redéployer les dépenses publiques en les réduisant, un audit public du budget de l’armée, et donc de son fonctionnement, ainsi qu’un débat national sur le sujet semblent indispensables, et ne nuiraient pas forcément à ce secret militaire, nécessaire à la sécurité du pays, mais pas forcément à cacher les insuffisances de gestion des militaires…
Lancer cet audit et ce débat serait une façon de rebondir de façon positive sur cette péripétie si mal conduite de part et d’autre.
D’autres réformes sont dans les tuyaux. Macron a prévenu ; il fera preuve d’autorité et n’a pas l’intention de reculer : Martinez et tous ceux – très nombreux – qui refusent de faire des efforts sont prévenus. En choisissant le 14 juillet qui a vu défiler l’armée sur les Champs Elysées pour faire son annonce, Macron a voulu montrer sa détermination à toutes les corporations assises sur la pédale de frein mais aussi aux allemands qui veulent des garanties et des preuves de la volonté de la France pour accepter des avancées au niveau européen. Il est fort probable que la décision de Macron ne soit pas une erreur mais un acte délibéré. J’admettrai mon erreur de jugement lorsque l’armée, les professions libérales et les syndicats opposés à la révision des règles de fonctionnement du marché du travail et à l’abolition des niches fiscales, défileront main dans la main de Bastille à République en chantant l’Internationale et Tiens, tiens voila du boudin !