Hollande: le retour sur scène!

Et cent jours après… Hollande redescendit de la montagne. Première observation, de bon sens: 100 jours de jeune médiatique, cela n’est pas si mal! On imagine ce que l’intéressé a dû souffrir. Deuxième constat: il ne faut pas confondre pause et retraite. Hollande n’a visiblement pas l’intention de se ranger des voitures. Il n’est pas Fillon, et ne se voit pas rejoindre un organisme financier quelconque pour lui faire profiter de son carnet d’adresses. La finance n’est plus vraiment son ennemie, mais il y a des limites.

Non, l’avenir de Hollande passe évidemment par… la politique, et le parti socialiste. Mais, là, il y a du boulot! Pour écourter sa traversée du désert il va devoir cravacher pour reconquérir les cœurs de gauche. Car dans l’état, l’ex-président, qui est préoccupé comme ses prédécesseurs, par l’empreinte qu’il laissera dans les livres d’histoire, doit bien, dans ses moments de lucidité, se rendre à l’évidence: il est celui par qui, ou du moins avec qui, le parti socialiste a quasiment disparu de la scène politique. On doit reconnaître que c’est un peu lourd à porter.

Alors il parle. Aux journalistes bien-sûr, à tous les journalistes. Il en a été frustré pendant trois mois. D’abord pour faire lui-même le service après vente de son quinquennat. Le brave soldat Le Foll est bien seul dans le rôle! Et Il faut aller vite. Encore quelques semaines et il deviendra difficile de prétendre que les bonnes nouvelles économiques du moment sont le résultat de son magistère passé. La courbe du chômage a été inversée, certes à peine, et en nous laissant très loin des performances des meilleurs européens, mais c’est bien ce qu’il avait promis. Sans doute un peu trop tôt, puisqu’il l’imaginait ce résultat en 2013… mais enfin, les chiffres sont là. Pas question de laisser la bande à Macron s’en attribuer la paternité. Il faut rendre à César ce qui n’appartient pas à Jupiter, et il n’y a pas de temps à perdre.

Mais quelques bons indicateurs économiques ne suffiront pas à redorer le blason de Hollande. Il a tellement été critiqué dans son propre camp qu’il en faudra plus pour le remettre éventuellement en selle. C’est là que son talent de la petite phrase pourrait, estime-t-il sans doute, faire merveille. Et donc il lâche la première: “il ne faudrait pas demander aux Français des efforts qui ne sont pas utiles…” puis la seconde:”Il ne faudrait pas flexibiliser le marché du travail au-delà de ce que nous avons déjà fait”. En clair: les économies budgétaires ne servent à rien puisque grâce à lui la situation de la France a été assainie, et tout ce qui devait être fait pour moderniser le code du travail a déjà été fait, par lui-même. Fermez le ban, tout a été fait, il n’y a plus rien à faire! Sans doute pourrait-il ajouter à l’occasion que tout avait été fait de son temps en matière de moralisation de la vie politique, grâce à sa loi sur le non-cumul des mandats, dont on a pu voir, c’est vrai, les premiers effets spectaculaires. Bref, Macron n’aurait plus vraiment qu’à gérer les affaires courantes, tout le nécessaire pour réformer le pays ayant été fait pendant 5 ans…

Evidemment la ficelle est un peu grosse. Pas sûr que les Français se laissent convaincre par ces positions à contrepied de ses engagements précédents. Encore moins sûr que la gauche, dont une bonne partie l’a systématiquement combattu en raison de sa politique économique et sociale, en fasse aussi sec le champion de son renouveau. Evidemment, les réactions des plus à gauche sont les plus dures: “C’est l’hôpital qui se fout de la charité…” dit-on chez Mélenchon. Mais chez les soutiens de François Hollande qui n’ont jamais cédé à la tentation de la fronde, ont regretté qu’il ne se représente pas, et ont finalement voté Macron par défaut, on pourrait bien ne pas apprécier non plus ce savonnage en règle de la planche présidentielle. “C’est l’ex-premier secrétaire et pas l’ancien président qui s’exprime!”, peut-on lire ou entendre. Difficile en effet de ne pas interpréter la prise de parole de Hollande, comme une tentative de faire échouer la négociation qui débute autour de la loi travail.

On peut supposer que chez Macron on s’y attendait. Après avoir de façon répétée, et sans doute exagérée, mis en cause l’héritage hollandais, dérapage des comptes, dépenses non financées… le gouvernement pouvait bien imaginer que le principal intéressé finirait par répondre. Sans doute Hollande se serait-il grandi en répondant de front aux critiques en question, mais cela n’aurait pas été très “hollandais”. La petite phrase assassine de contre-attaque est plus dans le style du personnage.

En tout cas voilà Macron le dos au mur. Il ne disposera d’aucun soutien politique à gauche dans la bataille à venir sur la loi travail. Plus que jamais, tout va dépendre des qualités de négociatrice de la ministre Muriel Pénicaud. Malgré une majorité absolue à l’Assemblée nationale, sans un soutien partiel des syndicats, le projet sera bien difficile à porter dans un environnement politico-médiatique devenu presque unanimement hostile au nouveau pouvoir, et à ses projets.

100 jours après, il reste à convaincre!

Bilan des 100 jours: Macron moins populaire que Hollande! 36% de satisfaits contre 46% à son prédécesseur après 3 mois. C’est l’information importante de la semaine. Le sondage essentiel. Peut-être plus important même que celui de RTL demandant à ses auditeurs s’il est “choquant de ne pas connaître le lieu de vacances du président”. Les sondeurs ne précisent d’ailleurs pas si c’est la réponse au second qui explique le mauvais résultat au premier.

C’est ainsi. Le bilan de l’action publique se mesure d’abord à l’indice de popularité. On retiendra donc qu’après trois mois de présidence Macron, les Français dans leur majorité sont insatisfaits du président qu’ils ont choisi. Visiblement, celui-ci s’en accommode, et ne semble toujours pas décidé à intervenir publiquement pour défendre son action. C’est pourtant probablement une des explications du désamour qu’il subit. En décidant délibérément de ne pas s’adresser à la presse, de ne pas se livrer avec les journalistes au jeu si bien rodé par ses prédécesseurs des fausses vraies confidences qu’on peut citer sans vraiment les citer,  qui permettent de rédiger des papiers informés, en citant d’anonymes sources proches du pouvoir… Macron a sans aucun doute fâché la profession. Qui du coup doit bien se rabattre, pour parler du chef de l’Etat, sur les sondages en tout genre, et l’opinion des “experts” qui ont un avis sur tout. C’est ainsi que la politique de défense du président est largement commentée sur les télévisions par un général en retraite, sanctionné lorsqu’il était actif, par le ministre de la défense de l’époque Hervé Morin, et qui peut dénoncer à l’envi “l’incompétence et l’amateurisme du gouvernement”, sans risquer la contradiction. Ou que les députés de la France Insoumise font la queue à la porte des plateaux pour expliquer à quel point Macron est encore pire que Hollande… sans rencontrer de réelle contradiction, eux non plus… Puisque le président ne veut pas s’expliquer devant les journalistes, ceux-ci n’ont aucune raison de ne pas ouvrir grand leurs micros à ses opposants. Ainsi va l’égo du journaliste.

Et celui du président n’a rien à lui envier. Il ne déviera pas d’un iota. L’air est connu: ce qui compte c’est l’action, les Français jugeront sur la durée. Peu importent les commentaires… Macron s’y tient! Hollande avant lui ne disait pas autre chose, mais a dû constater, qu’à l’heure du tourbillon verbal qu’induisent les réseaux sociaux, les actes finissent par valoir moins que les paroles. Quand le directeur d’un grand média d’investigation en est à prendre la plume pour démontrer, copies d’écrans à l’appui, que c’est lui, le Journaliste, qui a contraint la présidence à publier un communiqué sur la tension en Corée du Nord en prenant la parole en premier… on peut légitimement se demander quelle est aujourd’hui la hiérarchie des valeurs d’un monde médiatique aveuglé par sa propre image, renvoyée par des réseaux sociaux dont il est totalement dépendant. C’est la réalité du moment, et l’orgueil d’un président décidé à n’y céder en rien, n’est probablement pas d’un bon conseil.

Ce qu’ont retenu les Français

Car l’échange avec les journalistes n’est pas que “bavardages”. Il est aussi pédagogie. Explication, justification de l’action publique. C’est indispensable à toute politique. La plus justifiée des actions ne vaut pas tripette, si elle reste incomprise. Tout pouvoir a besoin de se faire comprendre, Macron n’y échappera pas. Et c’est bien le rôle des médias de diffuser ces explications, justifications, mises en perspective, en les agrémentant bien sûr de leurs propres analyses critiques. Sevrer d’informations les journalistes, c’est priver d’explications les citoyens. Et tous les déplacements présidentiels sur le terrain ne compenseront jamais le déficit d’explication de l’action publique par les médias.

Qu’ont retenu finalement les médias, et donc les français de ces 100 premiers jours? Primo, “l’amateurisme” des députés de la majorité. Evidemment la critique était facile, puisqu’on a choisi délibérément des gens nouveaux pour occuper la place de vétérans ayant grandi et vieilli sous les ors de la République. Ils sont nouveaux, donc ils sont incompétents, a-t-on lu et entendu dans les médias. Ils n’ont pas d’expérience politique donc ils sont des godillots vassalisés par le président, ont expliqué ceux qui pourtant dénonçaient il n’y a pas si longtemps, le professionnalisme en politique, la perversion de la démocratie par les apparatchiks, ou encore le copinage des élus.

Deuxio, l’affrontement entre le président et le chef d’Etat-Major de l’armée. Là encore, faute d’explications suffisantes, la crise d’autoritarisme d’un président commettant la maladresse de mettre au pilori publiquement le chef des armées, a défrayé la chronique des jours entiers. Et comme le pouvoir ne fournissait pas d’explication, ce sont les généraux mis en retraite pour avoir défié le pouvoir politique qui ont occupé les antennes, pour expliquer peu ou prou que l’armée doit obéissance aux Français mais pas à leur président… Presque un appel à la sédition!

Les Français auront évidemment aussi retenu la baisse des allocations logements de 5 euros. La première véritable bévue du gouvernement. Là c’est un véritable tir nourri auquel ont eu droit le président et son gouvernement. Pour toute explication, une “indiscrétion” de l’entourage présidentiel, “à l’ancienne”, pour faire savoir que le Président aurait estimé que la mesure était “une connerie sans nom”. Encore plus destructeur! Pourquoi l’avoir laissé faire dans ce cas? Et chacun d’établir un évident parallèle entre la suppression de l’ISF pour les détenteurs d’actions, et la réduction des APL. Un parallèle assassin mais mérité. On reste confondu devant une mesure aussi stupide. Y avait-il une telle urgence à faire quelques dizaines de millions d’économies, qu’il faille pour cela faire voler en éclats le puzzle savamment assemblé pendant sa campagne par un président soucieux de marier en permanence libéralisme et progrès social? N’aurait-on pu attendre une réforme globale du système d’allocations logement, avant de toucher au montant des aides? A moins qu’il ait fallu envoyer d’urgence un message de bonne volonté à l’Allemagne, du genre “pour réduire le déficit, on est même prêts à réduire les aides publiques aux plus modestes…”??? Le gouvernement a beau annoncer simultanément la prime “culture” de 500 euros à chaque jeune, le mal est fait, et durablement. Et toujours sans véritable explication.

Une loi historique!

Pourtant, pendant ce temps là, sans beaucoup plus d’explications, des mesures ont été prises ou réformes entreprises. La loi sur la moralisation de la vie politique constitue bien sûr une avancée exceptionnelle… Il n’y aura plus d’emplois fictifs de femmes ou enfants de parlementaires, les députés et sénateurs devront fournir des justificatifs de frais comme tous les salariés, la réserve de poche des élus, destinée à leurs œuvres clientélistes, est passée à la trappe… Historique, et pourtant qu’en reste-t-il dans les médias et donc le public: le comportement brouillon des députés de la majorité, le recul sur l’exigence d’un casier vierge pour les élus, au motif d’inconstitutionnalité, dont personne ne s’est donné la peine de vérifier le bien fondé, et dont les commentateurs ont laissé entendre qu’il permettrait au leader des LREM de mettre son mandat à l’abri dans le cas où il serait condamné… Les leaders de droite ont pu parler sur les antennes de “loi inutile”, sans véritable contradiction. Allant même jusqu’à saisir le Conseil Constitutionnel contre l’interdiction des emplois familiaux jugée par eux “discriminatoire”. Les mélenchonistes ont pu continuer à entonner le refrain du “tous pourris sauf nous” en dénonçant les impasses d’une loi faite pour conforter les privilèges, sur laquelle ils se sont d’ailleurs abstenus de voter… Bref cette loi qui répondait incontestablement à une attente du public, qui avait été rendue absolument nécessaire par les errements de la classe politique, qui aurait dû consacrer le changement politique incarné par Emmanuel Macron, finit par passer inaperçue au crédit du bilan.

Et il en est de même du reste. Le renouvellement de la classe politique? La parité au parlement? Amateurisme et incompétence. Les crédits d’urgence débloqués pour les sans-abris ou l’augmentation de l’allocation adulte handicapé? Eclipsés par les 5 euros de l’allocation logement…

Evidemment, on ne peut pas faire porter toute la responsabilité du désamour du public pour le président sur sa relation conflictuelle avec les médias. On est obligé de constater que son quinquennat est en train de dériver sur la même pente que celui de son prédécesseur, et que sa perte de popularité n’en est que la conséquence. Comme Hollande avant lui, Macron est jusqu’ici incapable de capitaliser sur son action. Comme celle de son prédécesseur, sa politique reste illisible pour le public. Et pourtant Hollande, lui, parlait aux journalistes… à l’excès lui a-t-on reproché. Mais comme Jean-Marc Ayrault au début du quinquennat Hollande, Edouard Philippe ne parvient pas à “vendre” l’action du gouvernement, et prête le flan aux accusations d’amateurisme, donc se gargarisent ses opposants. Et à l’instar de son prédécesseur, qui ne pouvait compter sur le soutien d’un parti socialiste miné par les contradictions, Macron ne peut compter sur les débutants d’En-Marche pour assurer le service après-vente, pour promouvoir les réformes entreprises, pour aller faire la pédagogie nécessaire sur les plateaux et les antennes.

Or en face de lui, ses adversaires, certes peu nombreux au niveau de la représentation nationale, mais aguerris, s’emploient à saper son action. Avec la mauvaise foi de bon aloi dans le combat politique, et sans réelle opposition. Où sont les poids lourds de la majorité gouvernementale pour s’opposer à Mélenchon lorsqu’il fait son cirque à l’Assemblée? On se souvient comment à chaque polémique le concernant les grognards de Sarkozy montaient au créneau pour saturer l’espace médiatique d’arguments en défense de leur champion. Macron ne peut compter à peu près que sur Christophe Castaner le porte-parole du gouvernement pour défendre et illustrer son action. C’est bien sûr insuffisant. Et le sera d’autant plus lorsque va démarrer le combat autour de la loi travail.

Gagner la bataille de l’opinion pour pouvoir réformer

Bien sûr l’essentiel sera de parvenir à un bon accord avec les syndicats réformistes, ce à quoi s’emploie depuis le début de l’été la Ministre du travail. A minima avec la CFDT, depuis peu majoritaire dans le privé, si possible avec Force Ouvrière, pour isoler la CGT qui de toutes façons se battra contre le projet. Mais au delà des difficultés pour convaincre les syndicats, il faudra compter avec la guerre que vont mener sans relâche les Insoumis, le Parti communiste, et la CGT, avec le soutien peut-on supposer de ce qu’il reste du parti socialiste. La France Insoumise compte sur ce projet de loi pour s’imposer définitivement comme premier parti d’opposition au président, et faire oublier dans la rue la déception qu’elle à connu dans les urnes. La CGT qui est en recul aux élections professionnelles, tentera à travers la campagne contre la loi travail de reconquérir une légitimité dans les entreprises.

Il ne suffira pas d’avoir un bon projet pour les contrecarrer. Il faudra des voix fortes pour leur tenir tête publiquement. Pour les macronistes la victoire dans l’opinion passera par la capacité à faire front et à défendre le projet. Pour cela on ne pourra pas se contenter du mutisme habituel du président. Et des atermoiements d’une majorité peu rodée à la polémique politique. Il va falloir argumenter publiquement, aller sur les plateaux de télévision, rencontrer les journalistes, expliquer sans relâche, rassurer, répondre point par point aux critiques, mettre en perspective… A l’aune de ce qui nous a été donné à voir depuis trois mois, on peut avoir des doutes sur la capacité de l’équipe au pouvoir de gagner cette bataille de l’opinion.

Le président lui-même devra se mouiller, oublier les postures, pour venir expliquer son action. Pour convaincre. Car les syndicats ne prendront le risque de suivre Macron sur la réforme du code du travail, que s’il sentent autour d’eux un consensus minimum. Sinon, ils bloqueront, et la loi travail passera aux oubliettes. Bref en parallèle des négociations sociales, il faudra aussi convaincre directement les Français, et donc les salariés, du bien fondé de la loi. Cela supposera un changement de braquet dans la communication.