Front National: l’onde de choc

L’onde de choc de la présidentielle poursuit sa destruction du paysage politique. Après l’effondrement du PS, en ruines, la fracture des Républicains, déchirés entre progressistes et droite dure, c’est le tour du Front National de payer l’addition. Avec le départ de Florian Philippot, le parti de Marine Le Pen paye son tribut à la révolution Macron.

C’est l’effet retard du débat du second tour de la présidentielle. En deux heures de temps, les militants du parti d’extrême-droite découvraient que leur leader ne faisait pas la maille. Perdue dans d’inutiles fiches aide-mémoire, ne connaissant pas ses dossiers, incapable d’opposer à Emmanuel Macron plus que hargne et agressivité… Une désillusion terrible pour un parti qui se voyait déjà à l’Elysée, et pensait avoir enfin brisé ce plafond de verre qui le cantonne dans l’opposition. D’autant plus terrible que les médias n’avaient cessé depuis des années d’accréditer l’idée que Marine Le Pen, à la différence de son père, avait tous les atouts pour finir par l’emporter.

Dans toute autre parti, l’effondrement du leader aurait été dramatique. Au Front National, c’est un cataclysme. Parce que ce parti est d’abord un parti familial, dynastique. Pour accéder pleinement au pouvoir au sein du FN, Marine Le Pen a dû passer par l’étape du parricide. Dès lors son leadership devenait une évidence, à l’instar de ce que fut celui de son père. Et voilà qu’un soir de mai 2017, la reine se retrouvait nue. Humiliée devant la France entière. Rabaissée au rang d’opposante de pacotille. Avec la triple sanction qui suivit: un échec cuisant à la présidentielle, puis une double claque aux législatives. Evidemment, au Front National, chacun connaît la cause de l’échec: l’inconsistance de la cheffe. Son incompétence, son impréparation. En toute logique, le parti d’extrême populisme aurait dû se chercher un autre patron. Mais il n’a pas d’autre Le Pen sous la main. Le retour au père est impossible, et la nièce s’est -provisoirement?- retirée de la politique… Alors on soutient contre toute logique la présidente faillie. Et l’on dirige les poignards vers son plus proche conseiller. Puisqu’elle a trébuché, elle doit, pour sauver son pouvoir, sacrifier le plus cher de ses soutiens. C’est Philippot qui paye la note.

Il faut dire qu’il avait tout pour faire un bon bouc émissaire. Primo il jouissait depuis plusieurs années d’une influence sur la souveraine qui ne pouvait qu’ulcérer la cour. Elle ne perdait pas une occasion de vanter leur connivence, leur complète osmose… Deuxio c’est lui qui avait imaginé cette stratégie de sortie de l’euro que la patronne se montra incapable de défendre face à son rival. Tertio, Philippot est un énarque, et fait donc partie de cette “élite” haïe par les populistes. Last but not least, il n’a jamais caché son homosexualité, et ce n’est pas vraiment un atout lorsqu’on milite au Front National. Tout était réuni. Haro sur le conseiller de la reine! Et l’on mesure la frustration qu’avaient accumulée les cadres du front national, à la violence haineuse de leurs réactions après la démission de Florian le Maudit. Vivre dans l’ombre des princes n’est pas sans risque.

Philippot chassé, le FN va devoir maintenant se réinventer. Et l’on risque d’être dans la répétition. Philippot avait été le champion de la dé-diabolisation. Le FN ne pourrait accéder au pouvoir, pensait-il, que débarrassé des oripeaux dont l’avait affublé son fondateur, Le Pen père. Il fallait faire oublier l’antisémitisme, quand Marine Le Pen elle-même n’hésitait pas (en 2012 à Vienne) à parader avec des néo-nazis. Se débarrasser de l’étiquette d’extrême-droite, pour apparaître comme un parti modéré, simplement soucieux de défendre de façon intransigeante les Français. Avec lui la xénophobie et l’intolérance ne disparaissaient pas, mais étaient plus polies. On évitait les discours injurieux et vindicatif, pour leur préférer la froideur du rejet assumé des autres. Le “Nous d’abord” plutôt que “à mort les autres”.

Evidemment, on peut imaginer que marine Le Pen, dans la grande “refondation” qu’elle annonce -le parti devrait même changer de nom- devra faire des concessions aux plus extrémistes, qui n’ont jamais été convaincus par sa stratégie politique, et se sentent confortés par son échec. Les concessions probables à l’esprit du Front National historique, incarné par son père, devraient encore ébranler son parti. Déjà une dizaine d’élus a quitté le groupe FN au conseil régional Grand-Est pour rejoindre le groupe “Les Patriotes” fondé par Philippot. Un effritement, sinon une nouvelle scission, dans l’encadrement du FN est donc probable. A l’inverse, la nièce Marion Maréchal Le Pen, qui supportait assez mal le bras droit de sa tante, et lui reprochait de brader les valeurs traditionnelles du Front, pourrait faire son retour, avec la bénédiction du patriarche.

Est ce que la “refondation” en question peut remettre le FN sur les rails de l’accession au pouvoir? Est-ce qu’un retour aux fondamentaux -dont Marine Le Pen et Philippot ne s’étaient pas tant éloignés que cela-, xénophobie, délires identitaires, défense de la famille traditionnelle, de la tradition catholique, (Marion Marechal Le Pen manifestait contre le mariage pour tous, pas sa tante) peut suffire à relancer la dynamique? Dans l’immédiat, le coup porté par l’échec présidentiel a comme anesthésié le parti. Les quelques députés glanés aux législatives n’arrivent pas à se faire entendre dans un parlement où ce sont les Insoumis de Mélenchon qui tiennent la vedette. Ecarté sans gloire de la présidentielle, mis sous l’étouffoir au parlement, alors même qu’il dispose d’un nombre de député record pour lui avec le mode de scrutin majoritaire, le FN est en perdition. Pour peu que la France Insoumise, qui lui conteste son monopole du populisme, réussisse son OPA sur ses électeurs “fâchés mais pas fachos”, il pourrait avoir du mal à se relever.

Le grand jour de Mélenchon…

A 24 heures de sa grande manifestation contre le “coup d’Etat social du gouvernement”, (comprendre: le choix du gouvernement de mettre en œuvre les mesures qui figuraient au programme du candidat Macron), Jean-Luc Mélenchon a toutes les raisons de jubiler.

Primo, pour sa deuxième journée d’action, la CGT et le parti communiste n’ont pas fait le plein. Cela lui permet d’espérer que SA manifestation, prévue samedi, fasse mieux. Pour apparaître comme le principal opposant aux ordonnances sur la réforme du code du travail, il a besoin que sa mobilisation ne soit pas ridicule. Après la journée d’hier, la barre n’est pas placée trop haut.

Deuxio, à son corps défendant, Florian Philippot vient de lui apporter un sérieux coup de pouce. En rompant avec Marine Le Pen, il entérine l’affaiblissement profond et sans doute durable du Front National, et crédibilise d’autant l’ambition de Mélenchon de se poser en unique opposant d’Emmanuel Macron. A cet égard, la rapidité de réaction du leader de la France Insoumise, appelant, sitôt connue la nouvelle, le électeurs du Front National qui sont “fâchés, mais pas fachos” à le rejoindre, parle d’elle-même. La conjonction de planètes n’a sans doute pas été aussi favorable pour le leader “insoumis” depuis le premier tour de la présidentielle, où il avait réussi à engranger les voix, en se positionnant faussement en père-tranquille du changement. Une illusion qu’il avait levée lui-même dès le soir de premier tour en éructant sa frustration. Et qu’il a méthodiquement torpillée depuis en multipliant les déclarations agressives à propos de la totalité de ses rivaux, parti communiste compris. Au point que, selon les sondages, une large majorité de Français, le voit effectivement comme principal opposant à Macron, mais le juge dans le même temps incapable de gouverner.

Reste donc pour lui à résoudre une équation qui ressemble à la quadrature du cercle: comment arriver à attirer le maximum d’électeurs sensibles à son radical-populisme, y compris en provenance du FN, tout en démontrant qu’au delà de son statut d’opposant-matamore, il peut incarner une alternative de gouvernement crédible? Quel que soit le niveau de mobilisation  qu’il obtient de “la rue”, il faudra un peu plus pour convaincre “le Peuple”, dont il se prétend le porte-parole.

Macron face au défi de la rue

Pour Emmanuel Macron et le gouvernement, c’est la rentrée de tous les dangers. Le moment de vérité aussi. On devrait savoir assez vite si le nouveau président est en mesure ou pas d’administrer au pays la transformation promise. La première épreuve se déroule ce mardi, avec la mobilisation syndicale contre les ordonnances sur la réforme du code du travail.

Il ne fait pas de doute que la CGT parvienne à mobiliser massivement ses troupes. Le syndicat a le savoir-faire. Même si le pari stratégique est très risqué pour lui, car les mêmes causes pourraient produire les mêmes effets. La mobilisation sans faille contre la loi travail de 2016, animée par un Philippe Martinez intransigeant et souvent caricatural a conduit à un affaiblissement de son syndicat, dépassé pour la première fois dans le privé aux dernières élections professionnelles par la CFDT, dont l’attitude conciliante sur le dossier a apparemment été beaucoup plus payante, d’un point de vue électoral. En choisissant cet été la tactique de la chaise vide à la plupart des réunions de négociation; en annonçant sa volonté d’en découdre, avant même que les ordonnances aient été rendues publiques, Martinez a choisi une nouvelle épreuve de force, qui pourrait en cas d’échec, affaiblir encore son organisation.

Plus incertaine est la position des autres syndicats de salariés. Si la non-participation aux manifs de la CFDT n’est pas une surprise, la position de Force Ouvrière est plus étonnante. En 2016 Jean-Claude Mailly, le patron de FO, était en première ligne du combat. Cette fois-ci, il a décidé de ne pas y participer après avoir rendu un hommage appuyé à la qualité de la négociation proposée par le gouvernement. On imagine que la perte d’influence de la CGT aux dernières élections n’y est pas pour rien. Laisser la CFDT apparaître comme seul représentant d’un syndicalisme de progrès, serait risqué pour FO. La modération syndicale fait partie de son patrimoine génétique. Et se laisser enfermer dans un rôle de supplétif d’une CGT en perte de vitesse n’est évidemment pas une perspective d’avenir. Mais il n’est pas dit que Mailly soit suivi par l’ensemble de ses troupes. Certaines fédérations de FO ont annoncé qu’elles se joindraient au cortège de la CGT. L’ampleur de leur mobilisation, devrait permettre à la fois de mesurer l’ascendant réel de Jean-Claude Mailly sur son organisation, et de se faire une idée de la suite du processus. Si la CGT est seule, le gouvernement pourra rester sans trop de mal sur sa position de fermeté, en cas de mobilisation plus large ce sera sans doute plus compliqué.

Au delà des syndicats de salariés, l’inconnue de la mobilisation des jeunes devrait aussi peser. Comme en 2016, les opposants à la loi vont tenter de mobiliser la jeunesse. Mediapart a déjà prévenu: “les jeunes, premières victimes du macronisme”. Des collectifs lycéens appellent à bloquer les établissements le 12 septembre, des appels à la manifestation ont également été lancés dans les facs parisiennes. Si l’on peut reprocher à une organisation syndicale défendant ses acquis d’être rétrograde, il n’est jamais simple pour un gouvernement de faire face à la colère d’une jeunesse qui incarne forcément l’avenir.

D’autres acteurs pèseront sans doute sur la situation: les groupes violents spécialisés dans la transformation des manifestations en champs de bataille. Là aussi on surveillera les choix tactiques de la CGT. En 2016, le syndicat avait laissé les “casseurs” se placer en tête des cortèges et harceler les forces de l’ordre. Ce choix avait enclenché une spirale sans issue: affrontements violents puis dénonciation des violences policières, de manifestation en manifestation.

Cette problématique de tolérance à la violence se posera de façon encore plus cruciale pour la manifestation à venir de la France Insoumise. Mélenchon a dit et répété que “le peuple” s’exprimerait dans la rue, et serait plus légitime que le pouvoir issu du suffrage universel. Il a même fait miroiter à ses troupes l’hypothèse peu réaliste d’une “démission ou destitution” du président sous la poussée de la rue. Il a appelé, depuis la tribune de l’Assemblée nationale, les manifestants à mettre en échec dans la rue le recours aux ordonnances que venaient de valider ses collègues parlementaires. Presque un appel à l’insurrection! Ce n’est pas sans risque. Lorsqu’un élu de la nation, leader d’un parti politique, appelle à défaire dans la rue le résultat des urnes, le péril est réel. Même si les propos de Mélenchon tiennent plus du discours populiste, de l’outrance, et de la facilité de langage, que de la résolution politique, il a pris le risque d’être débordé par des militants, frustrés par sa défaite, et qui pourront confondre manifestation de rue et session de rattrapage électoral.

Difficile de prédire ce que pourrait donner une dérive violente des mobilisations contre la réforme du code du travail. Le pouvoir pourrait avoir la tentation, comme d’autres avant lui, de souffler sur les braises pour discréditer les oppositions. On entrerait alors dans un cycle violence-répression bien connu, mais dont l’issue est toujours incertaine.

Quoi qu’il advienne, cette réforme du code du travail reste pour Emmanuel Macron la mère de toutes les réformes. S’il ne mène pas celle-ci au bout, c’en sera vraisemblablement terminé de son programme de transformation de la France. Il a pris un coup d’avance en neutralisant deux des principaux syndicats sur trois, mais la bataille politique n’est pas encore gagnée!