Catalogne: le saut dans l’inconnu

Quelle tristesse! Et quel recul! La Catalogne est dorénavant sous tutelle de l’Etat espagnol, le gouvernement local destitué.  On a même échappé de peu à une mise sous contrôle de la télévision publique catalane, réclamée par le gouvernement, et heureusement refusée par le parlement espagnol. Fin de l’autonomie, au moins provisoirement. Et les vieux démons resurgissent. Quelques mois après que les indépendantistes basques ont restitué leurs dernières armes, renonçant définitivement à la lutte armée, en conclusion d’un processus de plusieurs années, l’Espagne se met à craindre le retour des années noires de la guerre entre indépendantistes et pouvoir central. En allant jusqu’au bout de sa volonté indépendantiste le président de la Generalitat de Catalogne, entraîne le région qu’il dirigeait, et le pays tout entier, vers un chaos imprévisible. L’étape suivante devrait être son arrestation, à l’instar de son prédécesseur, et héros, Louis Companys, qui proclama comme lui l’indépendance de la Catalogne en 1934, avant de finir sous les balles de l’armée franquiste.

La voie choisie par le premier ministre espagnol était sans doute la seule possible. Dès lors que l’indépendance était proclamée, en violation de la constitution espagnole, le pouvoir central ne pouvait que reprendre les rênes. On pourra bien sûr se demander si une autre gestion de la crise, moins autoritaire, n’aurait pu offrir une autre issue. Si l’épisode désastreux des gardes civils tentant d’empêcher par la force les catalans de voter, n’a pas contribué à envenimer les choses… Si Madrid n’a pas laissé passer la chance de trouver un compromis avant l’indépendance. Le constat reste là: la voie choisie par le président catalan était sans issue. Aucun pays d’Europe n’était susceptible de soutenir sa démarche, comme on l’a vu, car aucun pays d’Europe ne serait prêt à assumer la sécession d’une de ses régions.

Evidemment de part et d’autres on invoque la démocratie. Pour Madrid le respect de la constitution est un pré-requis incontournable de la vie démocratique. Pour les catalans le respect de la volonté des électeurs, fut-ce lors d’un vote jugé illégal par les institutions de l’Etat espagnol, en est la base… Les positions sont irréconciliables. Parce qu’elles sont évidemment toutes deux fondées.

Aucune démocratie ne peut ni ne doit accepter le viol de ses institutions. L’Etat de droit est un fondement de la vie nationale. Et de façon évidente la prise d’indépendance de la Catalogne viole les institutions. A l’inverse, on doit admettre en démocratie que le peuple doit avoir en toutes circonstances de dernier mot. Lorsqu’il donne son sentiment sur son sujet dans un référendum, pour peu que celui-ci offre toutes les garanties démocratiques, mais aussi lorsqu’il élit ses dirigeants.

Le référendum organisé par les indépendantistes était bien loin d’offrir toutes les garanties démocratiques, en partie il est vrai par la faute de Madrid et de l’intrusion de sa police dans le processus électoral. Mais c’est ainsi: personne ne peut affirmer aujourd’hui que le peuple catalan ait choisi l’indépendance de façon majoritaire. Ce qui est absolument certain, c’est qu’il sort déchiré de cette épreuve. Comme le démontrent la succession des manifestations pro et anti indépendance. Les dirigeants, légitimes, du peuple catalan l’ont mené dans une impasse. L’impasse d’un nationalisme étroit, d’un populisme flattant l’égoïsme des habitants d’une région qui estiment, en partie à raison, tirer le reste de l’Espagne derrière eux. Un nationalisme qui ne peut tirer sa légitimité d’une oppression de type “colonial”, comme le revendique son président Carles Puigdemont, puisque la Catalogne bénéficiait déjà au sein du royaume d’Espagne d’une large autonomie, que pourraient lui envier bien des régions d’Europe.

On l’a vu dans le passé au Pays-Basque, dans la guerre sans merci menée par ETA contre l’état espagnol, mais aussi en Irlande avec l’IRA, ou plus près de nous avec les terroristes corses, le nationalisme et la démocratie ne font pas bon ménage. Nationalisme et populisme, qui vont de pair, sont en eux-mêmes le plus souvent une menace pour la démocratie.

Alors maintenant, comment sortir de l’ornière? Au mois de décembre les catalans revoteront. S’ils le souhaitent! On ne peut exclure que les nationalistes refusent de participer à un scrutin qui consacre leur défaite, et ce qu’ils qualifient de coup d’Etat de Madrid. Il en résulterait alors une rupture radicale entre les centaines de milliers de catalans qui ont cru à cette indépendance qu’on leur faisait miroiter de façon irresponsable, et le reste du peuple d’Espagne. Qu’ils y participent ou pas, les indépendantistes pourraient bien perdre le prochain scrutin, et voir la voie de l’unité nationale l’emporter, c’est le pari de Madrid. Mais pour le gouvernement central ce serait une victoire à la Pyrrhus car il en resterait une fracture brutale entre les deux Espagne, dont on peut craindre qu’elle conduise à des années de guerre plus ou moins ouverte entre les indépendantistes et l’Etat. Pour l’instant le gouvernement catalan appelle à la résistance passive. Enfin, si d’aventure les indépendantistes l’emportaient au prochain scrutin, la crise institutionnelle serait totale, et le gouvernement madrilène définitivement déconsidéré.

Quelle que soit l’issue elle paraît donc par avance désastreuse pour la Catalogne, et plus largement pour l’Espagne. L’affaire aura inévitablement un coût, pour tous les Espagnols.

La leçon, pas très convaincante, de Macron

Alors? Macron est-il en définitive le président des riches? Est-il finalement de droite et… de droite, comme on le lui reproche à gauche? On ne peut pas dire que l’interview de lundi soir ait vraiment apporté un éclaircissement définitif sur son projet. Clair, lorsqu’il s’est agi de revendiquer une forme de franc-parler, de se justifier de ses saillies sur les “fainéants” et autre fouteurs de “bordel” -seul sujet qui semblait d’ailleurs vraiment intéresser les intervieweurs- il est beaucoup plus embrouillé lorsqu’il s’agit d’expliquer les tenants et aboutissants des réformes qu’il entend mener. Beaucoup d’actes de foi, une métaphore -celle de la cordée- qu’il déroule à l’envi sans vraiment convaincre de la dimension sociale de sa démarche, sans arriver vraiment à faire comprendre le distinguo qu’il fait -à juste titre- entre favoriser la réussite, et récompenser les riches. A cet égard il contribue lui-même à embrouiller l’auditeur en rappelant, on se demande pourquoi, aux journalistes sur le plateau qu’ils font partie des “riches”… Hors sujet!

C’est lorsqu’il renonce à disserter sur la “jalousie”, la réussite, et les vertus de l’escalade collective, qu’il redevient convaincant. Lorsqu’il aborde le sujet de la formation, et la nécessité de réorienter les budgets vers la formation des chômeurs, lorsqu’il énonce sa volonté d’aider les Français à s’adapter aux changements plutôt qu’à les en protéger… qu’il retrouve les accents de sa campagne victorieuse. Là, effectivement, le débat n’est plus entre droite et gauche, entre présidence des riches ou des pauvres, mais entre réformisme et protection du périmètre social existant. Entre pari d’avenir, et sacralisation des acquis sociaux, et syndicaux. C’est sur ce terrain, qu’il retrouve son souffle, et ne semble plus sur la défensive.

Malgré son appétence pour la philosophie, ce n’est pas sur le terrain de l’idéologie que Macron emportera la bataille. Il ne convaincra personne qu’il est juste que la répartition des fruits de son action profite, même temporairement, plus aux plus hauts revenus qu’aux plus modestes. Qu’il existe, entre la gauche et la droite, un espace politique cohérent et moderne dans lequel il évolue. Son espace politique c’est celui que lui ont donné ses électeurs de la présidentielle et il y en a sans doute là de tous les bords. Son espace politique c’est celui de son action réformatrice. C’est à cette aune qu’il sera jugé. L’histoire se moquera de savoir s’il fut plutôt de gauche-droite ou de droite-gauche.

Reste le boulet de l’ISF. C’est évidemment ce qui plombe l’image du président. Comment supprimer, en tout cas en partie, un impôt que ne payent que les plus fortunés, sans apparaître comme le président des riches. On ne peut pas dire que les arguments déployés dans l’interview, entre premier de cordée et risque de fuite des investisseurs, soient totalement convaincant. Peut-être aurait-il pu faire valoir plus simplement que la nécessaire harmonisation fiscale européenne, passe par la suppression de cet impôt, et que seuls les Hollandais, dans l’Union, prélèvent encore. Quoique l’Europe n’intéresse apparemment pas grand monde, en tout cas pas les interviewers de TF1 qui n’ont pas trouvé le temps en une heure de poser une seule question sur le sujet. Ou encore qu’il s’agit d’un impôt redondant puisque les revenus constitutifs de la fortune ont déjà été imposés une première fois… Mais là, on aurait retrouvé un argument traditionnel de la droite… Macron préfère la cote mal taillée qui consistera à surtaxer les yachts ou les voitures de luxe et lingots d’or -dont la participation au développement économique n’est pas flagrante- pour donner le change.

Bref, il faudra sans doute plus que cette interview télévisée à Macron pour clarifier son image. Mais il y aurait une certaine naïveté à s’en étonner… Venu de nulle part, il a mis en quelques mois le monde politique cul par dessus tête, en prenant un malin plaisir à afficher sa différence, teintée parfois de suffisance. De gauche à droite, des plus extrêmes aux plus modérés, tout le monde l’attend au tournant, et donc sur ses résultats.

 

 

L’OPA qatarie sur l’UNESCO en échec

Ainsi, la France a réussi à obtenir de haute lutte la direction générale d’une Unesco, amputée, il est vrai, de la participation des Etats-Unis et d’Israël. Contre toute attente! L’ex-ministre de l’éducation de François Hollande, Audrey Azoulay, n’était pas issue du sérail. La France a déjà le siège de l’organisation et il y aurait une tradition non écrite qui préconise qu’un pays ne cumule pas le siège d’une organisation internationale et sa direction générale. Enfin les pays arabes qui n’ont jamais assumé la fonction, estimaient que leur tour était venu. Pour que la française l’emporte, il a fallu que pèsent jusqu’au vote final les querelles qui agitent le monde arabe.

Car le candidat arabe restant dans la dernière ligne droite était le représentant du Qatar, Hamad Al-Kawari. Ancien ministre de la culture de son pays, et actuel conseiller de l’Emir au pouvoir. Pour le faire élire son pays avait depuis longtemps fait tout son possible. Par exemple en versant, en 2014, 10 millions de dollars au Fonds pour le Patrimoine de l’Unesco, ou en offrant plus récemment un voyage à Doha tous frais payés pour les membres du comité exécutif de l’Unesco… Cela n’a pas suffi! La rancœur des autres pays du Golfe ainsi que des pays arabes qui reprochent au Qatar un rapprochement avec l’ennemi chiite iranien, s’est révélée un barrage efficace. Bref, Audrey Azoulay doit pour une part non négligeable, au delà de ses talents personnels, son élection à la crise qui secoue les pays du golfe depuis plusieurs mois, dans un jeu de rôle où l’on a vu l’Arabie Saoudite, accuser le Qatar, de… financer le terrorisme. L’Hôpital qui se fout de la Charité!

On est donc passé à deux doigts d’une situation peu banale: la direction de l’organisation internationale pour la culture, l’éducation et la science confiée à un responsable d’un pays où le wahhabisme, dont prétendent se nourrir les extrémistes islamistes, est religion d’Etat, qui applique la charia, qui pratiquait encore à la fin de l’année dernière une forme d’esclavage, le “parrainage” (aboli depuis décembre 2016), qui reste pointé du doigt par Amnesty International pour sa discrimination envers les femmes, pour les limitations à la liberté d’expression, les conditions imposées aux travailleurs étrangers…

Le candidat du Qatar a été fair-play et a félicité la nouvelle directrice générale. Souhaitons que cette défaite de l’émirat soit entendue comme un rappel salutaire: on n’achète pas (encore?) une organisation internationale comme un joueur de foot, ou une coupe du Monde!

Catalogne: la violence au bout de l’impasse

Une fois de plus l’émotion générée par les images prend le pas sur le décryptage de l’actualité. Evidemment, il est choquant de voir, dans un pays européen, comme ailleurs, la police matraquer, bousculer, frapper des manifestants désarmés. Bien sûr c’est d’autant plus choquant que l’on sait que les manifestants en question voulaient simplement voter. Mettre un bulletin dans une urne que la police espagnole tentait par ailleurs de voler ou de détruire. Alors on s’indigne! Passons sur la déclaration surréaliste de Jean-Luc Mélenchon qui regrette que “la Catalogne ne soit pas au Vénézuela” (???), chacun y va de son communiqué de soutien aux indépendantistes Catalans en butte à un gouvernement violent, voire à ce que certains se plaisent à décrire, démontrant par là une connaissance de l’histoire bien approximative, un “retour du franquisme”.

Non, Rajoy n’est pas Franco. Il vient par contre de se discréditer gravement, comme chef d’un état démocratique. Primo, il a déclenché une épreuve de force qu’il ne pouvait pas gagner. La violence ne vient jamais à bout des idées dans une démocratie. Pire, dans nos sociétés, la violence de l’Etat finit par crédibiliser les causes les plus incertaines. Comment en effet ne pas se sentir solidaire des indépendantistes catalans lorsqu’on voit des policiers bardés de leurs casques et boucliers jeter une dame âgée à terre sans ménagement. Objectivement, les images ne sont pas pires que ce que l’on voit dans tous les pays, lorsque la police affronte des manifestants. Mais là, en tentant d’empêcher par la force des citoyens de voter, le pouvoir espagnol fournit une arme décisive aux indépendantistes: l’image d’une atteinte brutale et violente à la démocratie elle-même. Evidemment, les catalans vont en faire le meilleur usage.

Mais la principale faute de Rajoy n’est pas d’avoir envoyé sa police contre les électeurs catalans. Sa principale faute, et la plus grave, est d’avoir en temps que premier ministre, conduit son pays dans cette impasse. Car le pouvoir aura beau répéter sur tous les tons que toute la responsabilité de la crise revient aux indépendantistes qui ont violé la loi constitutionnelle… par son refus de prendre en compte le problème, il n’aura fait que renforcer la position des séparatistes catalans, et donc précipité son pays contre un mur.

C’est une impasse parce qu’évidemment, qu’on la juge légitime ou pas, l’ambition catalane parait peu réalisable. Du moins pas dans ces termes, c’est à dire par une séparation unilatérale. Or le gouvernement a sciemment choisi la politique du pire. En laissant les séparatistes s’enfoncer dans une logique sans issue, il a misé sur leur discrédit. Voire sur leur prochaine défaite électorale. Là où il aurait sans doute été possible et logique d’ouvrir des négociations, en prenant le risque de rediscuter de l’autonomie des régions espagnoles, Mariano Rajoy a préféré la tactique politicienne, il a misé sur le pourrissement de la situation, qui inévitablement devait démontrer la vanité de l’ambition catalane. Mais au final c’est bien son autorité qui est atteinte par l’exacerbation de la tension. Et cela alors même que son pouvoir est faible. Rajoy, il faut s’en souvenir, ne gouverne que parce que ses opposants de gauche, d’extrême-gauche et du centre, n’ont pu s’entendre pour le faire au lendemain des législatives. La situation de son gouvernement était fragile, et l’est sans doute encore plus au lendemain de l’opération coup de poing de Barcelone.

La revendication indépendantiste ne sera pas morte hier sous les coups de la Guardia civil. Au contraire, on peut imaginer que les catalans vont poursuivre sur la voie d’une très  improbable sécession. Mais leur combat pour l’indépendance n’en sera pas rendu plus crédible non plus. La revendication d’indépendance catalane reste une impasse pour l’Espagne, pour qui la Catalogne est un poumon économique, mais aussi pour l’Europe qui ne saurait comment en gérer les conséquences. De part et d’autre, à Madrid comme à Barcelone, l’obstination et le refus de négocier conduisent forcément au pire.