C’est par où la sortie? Comment échapper au piège qui est en train de se refermer sur notre démocratie? Après les émeutes du 1er décembre, la question est cruciale. Jean-Luc Mélenchon, le patron de la France Insoumise, ne s’y est pas trompé en glorifiant dès samedi soir “l’insurrection citoyenne” qui “fait trembler la macronie et le monde du fric”. Et pour ne pas être en reste dans ce qui ressemble à une compétition entre eux, son compère François Ruffin, dans une mise en scène grotesque s’installait dimanche face à l’Elysée pour demander au président de démissionner, en lui annonçant dans le cas contraire la même fin que John F. Kennedy.
Bien sûr il s’agit d’abord là de l’excitation révolutionnaire des insoumis qui ne se sont toujours pas remis de leur double échec à la présidentielle et aux législatives de 2017. Mais pour ceux qui auraient encore des doutes, les déclarations d’un des représentants des gilets jaunes, présenté par les médias comme “modéré” mais réclamant rien de moins que la remise du pouvoir au général De Villiers, sont venues confirmer qu’au delà des fantasmes révolutionnaires de l’extrême-gauche, nous sommes en train d’assister à une véritable tentative de déstabilisation de notre démocratie par des extrémistes ayant pour principal point commun leur détestation d’Emmanuel Macron.
L’heure est donc grave, et pour le pouvoir en place, chaque journée perdue compromet sans doute la sortie de crise. Mais comment trouver à coup sûr la sortie?
Bien sûr cela commence par le respect de l’ordre républicain. Mais qui le rétablira? Au train où vont les choses on peut s’attendre à de nouvelles violences lors de la prochaine manifestation. On peut aussi penser que l’effet d’aubaine va conduire tout ce que la France compte de voyous violents et autre blackblocs à mettre le feu là où ils le pourront, à détruire et piller, les uns pour améliorer leur ordinaire, les autres pour ne pas laisser passer “l’opportunité insurrectionnelle”. Sur les barrages de gilets jaunes, on peut s’attendre à un durcissement, et probablement à des incidents graves. La mise en place d’une logique fascisante, avec l’obligation faite aux automobilistes de signer des pétitions ou déclamer des slogans, pour recouvrer la liberté de circuler, finira forcément mal. Le peuple de France dans son ensemble n’est pas prêt à accepter la mise en place de pratiques totalitaires par une minorité insurgée. Mais pour ramener l’ordre sur l’ensemble du territoire il faudra bien plus que les milliers de CRS mobilisés samedi dernier.
Envoyer l’armée? Décréter l’état d’urgence, pour emprisonner préventivement les semeurs de trouble? Pas de solution à attendre de ce côté là évidemment, cela ne ferait qu’envenimer les choses sans aucune certitude de venir à bout des désordres. Et consacrerait le caractère insurrectionnel du mouvement, le danger qu’il représente, et donc sa capacité à obtenir la victoire en renversant le pouvoir en place. Cela pourrait nous plonger dans une dynamique de guerre civile, et reviendrait donc in fine à crédibiliser un mouvement que ne rassemble à ce jour “que” quelques dizaines de milliers d’irréductibles sans réel projet politique, avec le risque de radicaliser ceux qui les soutiennent sans s’engager directement dans les violences.
Cécité du gouvernement
Car évidemment la sympathie dont semblent bénéficier les gilets jaunes dans la population réduit considérablement la marge de manœuvre du pouvoir. Le sentiment d’injustice, dans une société où les écarts de richesse et de revenus, sont importants, est la chose la mieux partagée. Nombreux sont celles et ceux qui peuvent s’estimer plus ou moins laissés pour compte des politiques menées dans le pays depuis trente ans. Particulièrement dans certaines zones rurales ou périurbaines, qui ont connu la désertification des campagnes, la désindustrialisation de régions entières, mais aussi la gentrification des villes, et le rejet à la périphérie des plus modestes. Et cette sympathie dont semblent bénéficier les gilets jaunes doit aussi bien sûr beaucoup à la pression fiscale, directe et indirecte, exercée sur chacun par un Etat qui semble toujours plus gourmand. La multiplication des taxes et niches fiscales a conduit à un système dont la complexité et l’opacité justifient que chacun se sente lésé. Ceux qui payent l’impôt sur le revenu quand la moitié des Français en sont exonérés, ceux qui roulent beaucoup quand les taxes représentent plus de la moitié du prix du gasoil, ceux qui ont des biens immobiliers quand ceux qui ont des valeurs mobilières ont été débarrassés de l’impôt sur la fortune… En plaçant la baisse des taxes au centre de leur combat, les gilets jaunes ne pouvaient qu’obtenir l’indulgence de ceux qu’ils bloquent sur la route.
Ce constat fait, il est évident qu’il n’y aura pas de sortie de crise, sans prise en compte par le pouvoir de cette réalité des laissés pour compte. Le déclenchement de la crise est dû précisément à la cécité du gouvernement dans ce domaine. Qu’on l’explique par l’inexpérience, par l’insuffisance de relais sur le terrain, par la faiblesse du personnel politique qui l’entoure, ou par une relative arrogance qui l’a conduit à contourner les corps intermédiaires, Emmanuel Macron n’a pas su anticiper l’impact très négatif que pouvaient avoir certaines des mesures figurant à son programme, sur une partie de la population. Il n’a pas senti que cette taxe carbone, qu’il voyait comme un marqueur fort de son engagement pour sauver la planète, serait d’abord perçue comme un nouveau “racket” de l’Etat, par des populations contraintes à des déplacements quotidiens coûteux, sans doute pas moins écologistes que la moyenne des Français, mais exaspérées, par un sentiment croissant de paupérisation. D’autant que la mesure intervenait après la suppression de l’ISF sur les valeurs mobilières, présentée par tous ses opposants comme un “cadeau aux riches”. “On va crever” disent les gilets jaunes, l’expression est excessive mais elle dit bien l’exaspération de ces Français à moyen et bas revenu, qui ont l’impression que l’Etat se désintéresse de leur sort, et ne s’intéresse qu’aux riches habitants des grandes villes.
Cette erreur d’évaluation coûte très cher, puisqu’elle a conduit le pays dans cette impasse. Pour en sortir, en toute logique il faut revenir dessus. En faisant un travail d’explication bien sûr. La pédagogie qui n’a pas été faite avant l’annonce de la hausse de la taxe, intervenue à un moment où les prix du pétrole flambaient, il va falloir s’y coller à posteriori, sous la menace permanente d’une insurrection. Il faut recréer du dialogue, de la concertation, et ce ne sera pas le plus simple. Car en face, il n’y a pas d’interlocuteur avec négocier une sortie de crise.
Comment négocier sans interlocuteur?
C’est l’autre indicateur du caractère paroxystique de cette crise. Le mouvement des gilets jaunes refuse le dialogue. Quelques porte-paroles auto-proclamés ont proposé par presse interposée de négocier avec le premier ministre, mais ils ont dû dans l’heure qui suit demander la protection de la police car ils se disent menacés de mort par d’autres membres du mouvement qui refusent toute négociation. Et le Premier ministre est resté seul à sa table. On peut parier que ces gilets jaunes là, aux comportements fascisants, qui refusent de négocier et reconnaissent se battre d’abord pour renverser un pouvoir démocratique, feront tout pour éviter un apaisement. Alors de moratoire en vaines concessions, le pouvoir risque de se laisser entraîner dans une spirale du renoncement qui conduira à une décrédibilisation de notre système démocratique, sans pour autant garantir un retour à l’ordre républicain. Une voie sans issue. Les vaincus de l’affrontement démocratique de 2017 se trompent s’ils pensent trouver dans cette déstabilisation violente du pouvoir élu, par une minorité aux comportements totalitaires, une session de rattrapage électoral inespérée. Un effondrement du régime sous la pression de groupes factieux ne peut conduire qu’au chaos, et donc in fine à la victoire de ceux qui s’en nourrissent: les ennemis de la démocratie et des libertés.
Alors après la tentative, tardive et donc probablement vaine hélas, de désamorcer la crise en cédant sur la taxe carbone, comment le pouvoir pourra-t-il reprendre la main, sans détricoter une à une toutes les réformes mises en œuvre à marche forcée depuis 18 mois. La réponse est évidemment à l’Elysée. Seul Emmanuel Macron peut trouver la réponse. En se remettant en question, en trouvant l’énergie nécessaire pour redonner un cap clair à sa politique, qui désamorce le sentiment d’abandon des plus modestes, en montrant plus clairement que la réduction des inégalités est au cœur de son ambition pour la France, en introduisant, comme prévu dans son programme, de la démocratie directe, pour changer cette impression que tout vient d’en haut, en remettant à l’honneur les corps intermédiaires qu’il a souvent semblé mépriser, en prenant plus de temps pour se faire comprendre…
Il est toujours difficile de se remettre en question, mais c’est la seule façon de s’élever… lorsqu’on recherche une sortie par le haut.