La première surprise de ce scrutin, c’est évidemment la participation. On s’était habitué à l’idée de voir la participation des électeurs baisser de scrutin en scrutin, à voir les européennes reléguées au statut de préoccupation subalterne pour les Français… les sondeurs nous prévoyaient un taux de participation de 42%. C’est raté pour eux! Mais réussi pour l’Europe. Malgré une campagne focalisée sur les sujets nationaux, et plus particulièrement sur Emmanuel Macron, la moitié des électeurs se sont rendus aux urnes. Et ils n’ont pas fait le déplacement seulement pour dire Non au FN, ou au Président de la République. On va le voir plus loin.
La deuxième surprise est le succès de la liste écologiste de Yannick Jadot, qu’aucun institut de sondage n’avait prévu. Succès personnel bien sûr, pour celui qui avait refusé de se laisser phagocyter dans une alliance avec les autres listes de gauche et qui réalise un score égal au total des listes France-Insoumise et Parti socialiste, qui rêvaient pourtant en début de campagne d’annexer les écolos. Succès obtenu malgré quelques handicaps: la désunion traditionnelle des écologistes (deux écolos historiques, Daniel Cohn-Bendit ou Pascal Canfin s’étant ralliés à Macron), la présence à ses côtés de Michele Rivasi connue pour ses positions vaccino-sceptiques à un moment où le retour de la rougeole défraye la chronique, ou encore la volonté de toutes les listes de mettre l’écologie au centre de leurs programmes, au moins dans les mots. Comment expliquer ce succès inattendu? Sans doute en partie parce que Yannick Jadot -qui aura cédé, comme les autres, à la facilité de se positionner d’abord en adversaire d’Emmanuel Macron- aura pourtant su, en particulier en fin de campagne, élever son combat au niveau européen, en expliquant que “sauver l’Europe et le climat” devait passer avant la recherche d’un “référendum anti-Macron”. C’était apparemment le bon positionnement.
Mais surtout, l’exigence de protection de la planète, défendue par tous les candidats pendant la campagne, est devenue une préoccupation réelle pour les électeurs, et la liste verte en recueille les bénéfices, en France, comme plus largement en Europe. La conséquence de ce succès écologiste est double. Primo, le gouvernement actuel, et ceux qui viendront après, devront mettre l’écologie au cœur de leur action, et pas seulement de leurs discours, s’ils veulent être durablement compris. Et cela en évitant que cette lutte pour préserver la planète ne se fasse au prix de l’injustice sociale. Deuxio, pour la première fois, le mouvement écologiste se trouve au centre d’une éventuelle reconstruction de la gauche qui sort exsangue du scrutin européen, au plan national.
C’est la confirmation: la gauche comme la droite ont explosé. Cela concerne d’abord les deux formations qui ont dirigé le pays depuis des décennies et qui ont confirmé leurs mauvais résultats des législatives de 2017. PS et Républicains rassemblent à peine 15% des voix, moins de 10% des inscrits. C’est évidemment un enseignement essentiel de ce scrutin. La vague de “dégagisme” qui marquait la montée en puissance d’Emmanuel Macron, n’a pas connu de reflux. Deux ans après, droite et gauche n’ont pas trouvé de second souffle et restent anéantis, tandis que la bipolarisation Le Pen vs Macron semble avoir de beaux jours devant elle.
Bien sûr le vécu n’est pas le même chez les deux vaincus. Au Parti socialiste on tentait hier de se réjouir d’avoir fait mieux que les sondeurs ne l’avaient prédit (6,3% au lieu de 5%) tandis que chez Les Républicains, le score était beaucoup plus loin des espérances. Aucun sondeur n’avait prédit un résultat à un chiffre (8,5%) pour le parti de Laurent Wauquiez, les commentateurs politiques des différents médias ayant au contraire monté en exergue la prestation de leur tête de liste François Xavier Bellamy. Et c’est sans doute une autre similitude, au delà du résultat, entre les deux listes des ex-poids lourds de la politique: la tentative de renouvellement par le casting.
Fidèle à la doctrine qu’il affiche depuis qu’il a conquis la présidence des Républicains, Laurent Wauquiez avait choisi d’investir un jeune candidat très marqué à droite, catholique, issu de sens commun et la Manif pour Tous, opposé à l’avortement… Comme si la priorité du patron des Républicains était de reconquérir des électeurs étant passés chez Marine Le Pen en leur proposant une offre équivalente à celle du RN, l’odeur de souffre en moins l’odeur d’encens en plus. Echec total! Qu’il aurait dû voir venir avec les désertions de poids lourds comme Jean-Pierre Raffarin ou Xavier Bertrand, voire avec le silence parlant de Nicolas Sarkozy. Le choix stratégique de Laurent Wauquiez a sans doute accéléré la fuite d’une partie de ses électeurs vers La République en Marche, et probablement poussé les hésitants vers le parti de Marine le Pen en les décomplexant. Les 12,5 points de chute entre 2014 et 2019 viennent sanctionner ce choix.
Le coup du casting novateur n’a pas marché au PS non plus. En décidant de s’allier à un mouvement marginal, plus rassemblement d’intellectuels bien-pensants que parti politique, en confiant la tête de liste à Raphaël Glucksmann, connu pour la flexibilité de sa ligne politique, Libéral et anti-PS un jour, socialiste un autre, le nouveau premier secrétaire du PS Olivier Faure tentait un coup tenant plus de la communication d’image que du marketing politique. Redonner un second souffle à son parti en mettant en avant de nouvelles têtes, capables d’attirer de nouveaux adhérents pour remplacer ceux qui sont partis chez Macron ou chez Mélenchon en 2017. Pari largement perdu. Le PS retrouve exactement le score de Benoit Hamon à la présidentielle 2017, et n’a pas stoppé, malgré la gravité de sa situation (on a craint un résultat inférieur à 5% c’est à dire sans élu) l’hémorragie de son électorat historique. Et cette fois-ci, il sera difficile de prétendre que c’est la faute à Jean-Luc Mélenchon.
On le sentait venir depuis quelques mois, depuis même les législatives de 2017, Jean-Luc Mélenchon n’a pas su ou pu gérer son relatif succès du premier tour de la présidentielle. Les 19,58% du 23 avril 2017 débouchent sur un 6,3% équivalent au score du PS. C’est un coup dur personnel pour le patron de la France Insoumise. Un échec qui doit tout ou presque à sa gouvernance. D’accès de colère en déclarations caricaturales, il a plombé son mouvement. Les psychodrames internes ont peu à peu dégradé l’image de la France Insoumise apparaissant de plus en plus comme un mouvement en proie aux caprices autoritaires de son gourou. Mélenchon a sous-estimé l’intérêt des électeurs pour l’Europe. En faisant de ce scrutin délibérément un « référendum anti-Macron », il croyait fédérer les colères multiformes qu’exprimait le mouvement des gilets jaunes. Il y a probablement perdu une partie de son électorat pas vraiment disposé à passer sur le tropisme lepéniste d’une partie du mouvement du samedi. Le choix d’un populisme débridé a sans doute buté sur la conscience de gauche de ses propres troupes.
Dans ce chaos politique, ceux qui imaginaient que la chute des grandes formations étaient une opportunité pour proposer de nouvelles offres en sont pour leurs frais. Benoît Hamon, par exemple, malgré sa forte notoriété dans les sondages, a juste franchi la barre fatidique des 3%, quant aux gilets-jaunes qui ont évidemment énormément pesé sur le climat politique, la conversion de leur mouvement de protestation en force politique n’est pas à l’ordre du jour.
Au lendemain du scrutin européen, à quelques mois des élections municipales, et à trois ans des échéances nationales, le paysage politique n’est donc pas vraiment bouleversé par le résultat, la bipolarisation RN-LaRem en sort renforcée. L’urgence environnementale s’impose enfin, et les vieux partis essoufflés vont devoir imaginer autre chose que du relooking ou des combines d’appareil pour revenir dans la partie.