Qui veut manger avec le diable prépare sa longue cuiller…

Donc, exit Marion Marechal Le Pen du carnet de bal de Geoffroy Roux de Bézieux. La nouvelle sainte-patronne de l’extrême droite et de la droite extrême réunies, ne foulera pas le parquet du bal annuel du patronat. L’honneur du Medef est sauf. En quelques heures la tempête soulevée sur internet a eu raison des velléités de son patron d’accorder à la nièce de Jean-Marie Le Pen un brevet de respectabilité économique. Marion Maréchal Le Pen, qui tente depuis quelques temps de faire oublier la fin de son patronyme, avait été dans un premier temps invitée à une table ronde sur le thème « La grande peur des mal-pensants, pourquoi les populistes sont populaires ? » Une polémique s’en était suivie, les élus LREM invités par le Medef ayant annoncé leur désistement, Laurence Parisot l’ancienne patronne du mouvement ayant elle-même condamné cette invitation. GRB a donc renoncé à inviter tout représentant de l’extrême-droite… comme de La France Insoumise, pour tenir compte de “l’interprétation politique qui est faite du projet de débat sur la montée des populismes”. Traduction libre des propos de GRB: les tenants de la pensée unique ont eu raison de sa volonté de dialogue et de réflexion.

Les républicains à la recherche de leur ancrage

L’affaire n’est évidemment pas anodine. Au delà des convictions personnelles du patron des patrons, sur lesquelles on se gardera de spéculer, la question de la légitimité du rejet des populismes est posée. Peut-on encore prétendre ériger un coupe-feu entre extrême droite et reste du monde politique, quand le Rassemblement National est en tête aux élections européennes, quand le populisme finit par concerner aussi l’extrême-gauche, et une partie de la droite traditionnellement modérée. Ce débat que voulait avoir le Medef au sein de son université d’été, d’autres l’ont déjà tranché, et c’est certainement beaucoup plus inquiétant que le débat lui-même et la liste de ses intervenants.

D’autres, c’est d’abord la quinzaine d’élus des Républicains qui ont diné avec Marion Maréchal Le Pen la semaine dernière. Pas de responsable du parti ex-gaulliste bien sûr, mais quelques seconds couteaux assez représentatifs: un sénateur Sébastien Meurant, et un député, Xavier Breton, membre du bureau politique de LR tout comme son collègue Sébastien Pilard, qui figurait sur la liste du parti aux européennes. Mais il ne faut pas voir le mal partout. Les intéressés certifient rester fidèles à la ligne de leur parti en échangeant des idées avec les membres du Front National, tout en excluant tout accord. Les sujets d’échange d’idées en question étaient ce soir là la privatisation d’Aéroports de Paris, le projet de loi sur la bioéthique, ou encore l’immigration. Malgré toutes les protestations de bonne foi des intéressés, le diner en question ne pouvait que susciter un certain malaise à la tête du parti. Si la porte-parole des LR, Laurence Saillet, a estimé “qu’on n’exclut pas pour un dîner”, le président du Sénat Gérard Larcher considère lui que les intéressés “se sont mis d’eux-mêmes en dehors de leur formation politique”.

Débat de fond au sein du parti Les Républicains que les dérives de Laurent Wauquiez, viennent de secouer sévèrement et qui ne sait plus tout à fait où est son ancrage? Oui, mais question d’opportunité aussi. A quelques mois des élections municipales il n’est pas certain que le parti, en déroute aux européennes ait quelque chose à gagner à un rapprochement de l’extrême-droite qui pourrait leur aliéner définitivement et complètement le centre-droit. Alors que les transferts pré-électoraux de la droite vers le centre macronien se multiplient, l’exode pourrait bien s’accélérer.

Mais à quoi joue Marion Maréchal Le Pen? Il semble acquis qu’elle n’entrera pas immédiatement en conflit avec sa tante, mais a annoncé un soi-disant “retrait” de la vie politique, pour se consacrer à la création d’une “grande école” dont le principal atout semble être de rassembler dans ses intervenants toutes les tendances de l’extrême-droite… Steve Bannon ne s’y est d’ailleurs par trompé qui tente de créer une école du populisme en Italie et promet de chercher des synergies avec l’institut de Marion Maréchal Le Pen. En fait, la nièce du patriarche xénophobe et antisémite semble se positionner pour le coup d’après. Comprendre d’après la présidentielle de 2022. Avec un projet ambitieux: réaliser la grande fédération de la droite extrême et de l’extrême droite afin de faire sauter le plafond de verre qui semble interdire pour l’instant au Front National de prendre le pouvoir. Thierry Mariani, ancien ministre de Jacques Chirac a montré la voie en rejoignant le parti de Marine Le Pen. Nul doute que d’autres suivront, parmi ceux qui revendiquent aujourd’hui simplement le droit de diner et d’échanger des idées avec l’une ou l’autre des Le Pen, ou au delà, parmi tous ceux qui commencent à craindre pour leur mandat dont le renouvellement ne parait plus être garanti par l’appartenance aux Républicains.

Coexistence désarmée aux extrêmes?

Dans le même temps, l’extrême droite déploie ses manœuvres vers une autre cible, l’extrême gauche de Jean-Luc Mélenchon. Alors qu’on vient d’apprendre que le patron de la France Insoumise et quelques uns de ses proches devraient comparaître à l’automne devant le tribunal correctionnel pour s’être opposés à la justice lors d’une perquisition de leurs locaux, le Front National vole à leur secours et dénonce le harcèlement dont ils seraient victimes. Et, surprise, Jean-Luc Mélenchon se félicite publiquement du soutien de Nicolas Bay, député européen du RN, et en profite pour dénoncer le manque de solidarité de la gauche!

Si la revendication de ce soutien est surprenante de la part du leader de la France Insoumise, l’attitude de l’élu d’extrême droite est en revanche claire. Dans la perspective des élections à venir, et tout d’abord des municipales, on va rechercher une forme de coexistence désarmée, sinon pacifique, avec la France Insoumise, afin de permettre aux électeurs d’extrême-gauche d’exprimer leur anti-macronisme viscéral en votant pour les candidats du Rassemblement national au second tour. Et ce report de voix n’est pas invraisemblable, loin s’en faut. Dans un sondage publié début juin, l’IFOP révélait que dans l’hypothèse d’un nouveau second tour de présidentielle entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron, 60% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon du premier tour seraient disposés à donner leur voix pour la candidate d’extrême-droite. Bien sûr l’hypothèse reste très théorique à 3 ans des élections présidentielles. Et les débats qui ne manqueront pas d’agiter d’ici là la vie politique, par exemple autour de la PMA, pourraient bien conduire chacun à réaffirmer plus fermement ses principes, et donc, espérons-le, mettre en évidence le fossé infranchissable qui sépare le populisme de la France Insoumise de celui de l’extrême-droite.

En attendant, la stratégie de diabolisation des populistes d’extrême-droite prend l’eau de toutes parts. Le patron des patrons Geoffroy Roux de Bézieux ne s’y était pas trompé. La montée des populismes dans la vie politique va nous occuper encore un certain temps, et la morale en politique risque de s’en trouver sérieusement mise à l’épreuve. Il a simplement eu le tort de se croire autorisé à jeter tout de suite le bébé avec l’eau du bain.

La République et les provocateurs voilés

C’est reparti pour un tour! L’été arrive et avec lui le burkini, ce maillot de bain intégral à l’usage de celles qui veulent se baigner en cachant leur corps. Depuis “l’affaire” de l’été 2016, la question resurgit régulièrement. A l’époque la polémique était partie d’une provocation d’une télévision australienne qui avait “organisé” le refoulement d’une jeune femme porteuse d’un burkini d’une plage de Villeneuve-Loubet, pour démontrer à ses auditeurs le racisme des Français. S’en était suivi une chasse au burkini sur les plages de France, de nombreux maires prenant des arrêtés municipaux pour l’interdire, avant d’être recadrés par les tribunaux. Cette année, le burkini rebondit à la piscine de Grenoble.

C’est un happening aquatique qui relance la machine. Un groupe de 7 jeunes femmes, militantes de l’islam politique, venant se baigner par surprise en burkini pour dénoncer une supposée discrimination à leur encontre. Depuis, la polémique est repartie, et internet résonne de l’écho des anathèmes, injures et excommunications diverses, prononcées par adeptes et ennemis du droit à porter le voile des femmes musulmanes. L’affaire est devenue en quelques heures une question politique majeure, déchaînant la passion de tous. Peut-on interdire à des femmes de se baigner sous prétexte qu’elles ne veulent le faire qu’en cachant leur corps? Doit-on accepter cette intrusion de l’islamisme politique dans nos piscines? Il faut préciser que l’ambiguïté du maire de Grenoble Eric Piolle, confirmant qu’il ferait appliquer le règlement qui interdit le burkini dans les piscines publiques de sa ville, mais précisant qu’il était ouvert à l’autorisation de tenues plus “couvrantes” que le simple maillot de bain, pour protéger la peau du soleil (sic), n’a pas contribué à clarifier le débat.

Liberté de s’habiller à son gré

Si l’on évite la polémique et qu’on essaye de revenir aux valeurs essentielles on peut relever quelques points. Primo au nom du principe de liberté, chacun doit pouvoir se vêtir comme il l’entend dans l’espace public, exception consensuelle étant faite d’une part pour la nudité intégrale, réservée à certaines plages dédiées à cet effet, d’autre part pour les tenues dissimulant le visage, qui sont réprimées par la loi. Les femmes ou hommes, quelles que soient leurs motivations, ont donc la liberté de se baigner habillés sur les plages de France. L’Etat n’a pas vocation a réglementer les tenues vestimentaires.

Mais attention, nous dit-on, certaines femmes ne sont pas libres mais sont contraintes par frères, maris, ou entourage à se couvrir dans la rue comme au bain. Interdire le port de ces tenues, voile ou burkini, serait donc un moyen de lutter contre l’oppression subie par ces femmes. Evidemment, cette pression existe, pour au moins une partie des femmes concernées, c’est une réalité que l’on ne peut nier, et que l’on est évidemment en droit de dénoncer. Mais il n’appartient pas à la société de légiférer dans ce domaine, privé, dès lors qu’il n’existe ni plainte de victimes, ni violences avérées. Que le voile soit une manifestation de l’aliénation des femmes sous prétexte religieux ne fait pas de doute, et le combat de femmes iraniennes pour leur liberté en témoigne. Mais le religieux est et doit rester dans une société laïque une sphère privée, et l’Etat n’a pas à prétendre légiférer sur les religions, fût-ce sur leurs dimensions les plus archaïques et répressives. A l’exception évidemment des violences exercées par les adultes sur les enfants. L’excision rituelle, véritable mutilation exercée par des adultes sur des enfants, est ainsi bannie à juste titre. Et l’on pourrait peut-être traiter à la même enseigne la circoncision rituelle.

La même loi pour tous

Deuxième principe: l’égalité face à la loi. S’il est interdit de se baigner en vêtement couvrant, short par exemple, dans les piscines au nom de l’hygiène, cela doit s’appliquer à tous et toutes sans distinctions d’origine ou de religion. Donc soit on démontre que le port de vêtements dans une eau de baignade commune et non renouvelée (eau de piscine vs eau de mer) ne pose plus, contrairement à ce qui était admis jusqu’ici, aucun problème d’hygiène (grâce aux progrès en matière de désinfectants?), et c’est valable pour tout type de vêtement… soit on en reste là.

Question subsidiaire: la République doit-elle contourner le problème en organisant des séances de baignade spécifiques, réservées à certaines femmes qui se baigneraient habillées sans que cela pose de problème d’hygiène… du fait de leur religion? La réponse est comprise dans la question. Lorsque le maire de Grenoble, écologiste de gauche, demande à l’Etat de s’emparer du problème, il ne fait que se défausser de ses responsabilités. L’Etat n’a pas à organiser des séances de baignade semi-publiques compatibles avec tel ou tel culte religieux, ou décréter un compromis sur certaines tenues plus conformes que d’autres aux règles d’hygiène… morale. Si la piscine est un lieu public, elle est ouverte à tous, avec les mêmes règles, sans prise en compte de considérations religieuses.

Cela dit, le maire de Grenoble et les autres élus ne sont pas débarrassés pour autant du problème. Il y a longtemps que l’on a compris, que la stratégie des islamistes politiques, et de leur bras armé le CCIF (Comité contre l’islamophobie en France), était de créer à intervalle régulier ce type d’incident dans le but de fédérer, communautariser, des musulmans, dont on peut imaginer que la plupart ne souhaitent rien d’autre que vivre est toute tranquillité, dans leur pays, en respectant les règles de la République. On se souvient de cette jeune femme voilée prétendant se faire embaucher comme vendeuse chez Etam, spécialiste du déshabillé et de la lingerie sexy, pour mieux dénoncer ensuite une discrimination à l’embauche… Il est évident que chaque polémique publique engendrée par ce type de provocations renforce la position de ces militants de la religion, qui peuvent trouver dans chaque appel à l’interdiction du voile islamique, dans chaque stigmatisation réelle ou supposée de l’islam, du grain à moudre pour leur chapelle. Pour renforcer un communautarisme religieux, il n’y a évidemment rien de plus efficace que le sentiment de persécution. Pour lutter contre, sans doute pas de meilleure attitude que l’application stricte et sans complaisance de la même loi pour tous sur le territoire de la République laïque.

La réforme aux forceps ?

Laurent Berger est en colère! Interrogé par Libération, le patron de la CFDT juge que dans le projet gouvernemental concernant l’assurance chômage tout est à jeter. Il ne lancera pas pour autant son syndicat dans un vaste mouvement de protestation, pour éviter de démonétiser un peu plus l’action syndicale. Mais la colère est bien là. Selon lui le plan du gouvernement n’est qu’un plan d’économies, dont les plus faibles, les plus précaires, feront les frais.

Les bouteilles à moitié vides étant souvent à moitié pleines, il est difficile de lui donner raison ou tort. C’est à l’usage qu’on verra si ces mesures, prises d’abord pour redresser les comptes de l’Unedic, mais qui sont aussi supposées lutter contre la précarité de l’emploi, se traduiront par une amélioration sur le front du chômage, ou simplement par une dégradation de la situation personnelle des chômeurs. On pourra toutefois d’ores et déjà observer, que l’allongement de la période de rechargement des droits de 4 à 6 mois, risque, si les mesures contre l’emploi précaire ne portent pas leurs fruits, d’enfoncer dans la pauvreté certaines personnes qui ne parviennent pas à décrocher mieux que des contrats ponctuels très courts. De même durcir les critères permettant de sanctionner un refus de poste de la part d’un chômeur, et renforcer les sanctions en question, apparaîtra comme une mesure parfaitement inique, si dans le même temps Pôle emploi n’est pas en mesure de proposer à chacun de réelles offres d’emploi ou de formation.

En attendant on peut faire un premier constat, qui s’impose comme une évidence: une fois de plus, le gouvernement réforme sans soutien de la société civile, même si les mesures sont, on peut l’imaginer, assez populaires chez les Français qui ont du travail. C’est la faute aux partenaires sociaux, répond-on du côté du pouvoir. Bien sûr. Les partenaires sociaux avaient la possibilité de parvenir à un accord entre eux que le gouvernement aurait entériné. Ils n’y sont pas parvenus. Mais le gouvernement n’est pas pour rien lui-même dans l’échec, puisqu’il exigeait que l’accord entre partenaires permette d’une part de réaliser des économies significatives -les syndicats n’étaient pas chauds- et prévoie d’autre part la mise en place un système de bonus-malus pour pénaliser les contrats courts -le patronat n’en voulait pas. Comme on dit dans ce cas là, face à l’échec de la négociation, l’Etat a pris ses responsabilités. C’est son rôle, mais ce faisant le pouvoir creuse un peu plus le fossé entre lui et la société réelle.

Sauf à imaginer que le choix ait été dès l’origine d’imposer cette réforme des conditions d’indemnisation du chômage juste pour rouler des mécaniques, et démontrer que malgré la crise des gilets jaunes, le pouvoir n’a peur de rien et impose sa volonté -on ne peut l’exclure alors que s’annonce l’autrement plus importante réforme des retraites- on aurait manifestement pu faire autrement.

Le déficit de l’assurance chomage prévu pour 2019 était, indépendamment des nouvelles mesures, de 1,9 milliards d’euros. Le retour à l’équilibre, toujours à législation constante, était prévu, selon l’Unedic pour la fin de l’année 2020. Même si le gouvernement estimait ces prévisions trop optimistes, il n’y avait donc pas d’urgence financière. On aurait donc sans doute pu tenter de négocier avec les partenaires sociaux un compromis acceptable, sinon par tous, du moins par une partie d’entre eux. De façon à éviter une fois de plus cet affichage déplorable d’un projet de réforme rejeté par toutes les parties prenantes, syndicats comme patronat.

Certes dans son interview Laurent Berger ne promet pas l’apocalypse. Il admet qu’il y a eu une vraie concertation sur le projet de réformes des retraites en préparation. Mais il alerte: “si le gouvernement a la même logique à l’égard de nos propositions que sur ce précédent dossier (celui de l’assurance chomage), c’est-à-dire d’en avoir rien à faire, évidemment, nous serons en opposition…”

Un avertissement que le gouvernement devrait entendre. Pour éviter que le projet de réformes des retraites à venir, qui est évidemment cardinal pour lui, ne contribue un peu plus à exacerber les tensions… Réformer est utile, et difficile, certes. Mais il serait absurde et dangereux de choisir à chaque fois pour le faire, la voie la plus clivante.

ADP: un référendum pour quoi faire?

Faut-il privatiser Aéroports de Paris? Chacun va forcément devoir se faire un avis sur le sujet puisque l’opposition, droite et gauche réunies, a décidé d’en faire un nouveau référendum anti-Macron. Le précédent, les élections européennes, n’ayant pas vraiment été une réussite, en dépit du succès du parti de Marine Le Pen.

A vrai dire, il n’est pas simple de se faire un point de vue catégorique sur le sujet. Un point de vue qui permette de répondre par oui ou par non à la question posée.

En premier lieu se pose un problème de principes. Selon qu’on est plutôt pour ou plutôt contre, on pourra opposer deux principes, contradictoires. Le premier, c’est la nécessité pour l’Etat de contrôler tout ce qui ressemble de près ou de loin à un service public. C’est le point de vue de la gauche. Seul l’Etat du fait de sa neutralité financière serait à même d’assurer une égalité d’accès des citoyens aux services essentiels, celui du transport par exemple. A ce principe, qui évidemment a du sens, mais a déjà largement été battu en brèche au fil des privatisations successives, on peut en opposer un autre: le rôle de l’Etat ne serait pas de gérer des entreprises fussent-elles en charge de services publics, mais simplement de réglementer et contrôler ces activités essentielles pour les citoyens. Un principe qui est en général plutôt défendu par la droite, à part dans le cas d’Aéroports De Paris, où visiblement l’envie de faire subir un échec à Macron, à travers le projet de Référendum d’Initiative Partagée l’a emporté pour les amis de Laurent Wauquiez sur les convictions habituelles.

Aucun de ces deux principes opposés n’a pleinement été appliqué jusqu’ici, ni par la gauche, qui n’a pas lésiné depuis quelques dizaines d’années sur les privatisations (30 milliards d’euros pour le seul Lionel Jospin, qui est en outre à l’origine du désengagement partiel de l’Etat d’Air France ou de France Télécom), ni par la droite qui a laissé l’Etat continuer à gérer plusieurs entreprises, dont l’intérêt public n’est pas tout à fait évident, comme lorsqu’il s’agit par exemple des jeux d’argent. S’agissant d’Aéroports de Paris, la dimension de service public est claire puisqu’on peut penser que sont en jeu plusieurs thèmes essentiels: l’accès de chacun aux moyens de transport, la sécurité du transport aérien, la sécurité des frontières ou encore le rayonnement de la France dans le monde… Mais on pourra constater aussi que gérer ADP c’est aussi et surtout gérer d’immenses galeries marchandes dont l’enjeu public n’est pas très évident.

Des aéroports plutôt rentables

Or seule l’activité commerciale serait concernée par le projet de privatisation, tout ce qui concerne la sécurité restant sous la responsabilité de l’Etat. S’il en était ainsi, les principes auxquels la gauche est attachée ne seraient donc pas particulièrement violentés. Reste à s’interroger sur l’opportunité du projet.

Car les galeries marchandes des aéroports sont aujourd’hui plutôt bien gérées, sous la houlette de l’Etat, puisque ADP réalise des profits importants.La question est donc: l’Etat doit-il renoncer à sa participation dans une entreprise rentable, qui contribue à alimenter ses caisses, au profit d’une société privée qui devrait, espère-t-on, investir pour développer les aéroports parisiens et les mettre au niveau de leurs grands rivaux internationaux, mais qui distribuera ses revenus à ses actionnaires et risque de n’agir que dans leur intérêt. N’est-on pas sur le point de brader une partie du patrimoine de la Nation, au profit d’intérêts privés?

Sur cette question de l’opportunité, on doit noter que le produit de la vente d’ADP, et de la Française des Jeux, qui est aussi concernée, est supposé alimenter un fonds d’investissement pour l’innovation. La question de l’opportunité peut donc être posée en ces termes: l’Etat doit-il privilégier une gestion de père de famille en utilisant au fil de l’eau dans son budget les ressources, bien utiles, générées par les titres d’ADP ou la Française des Jeux, ou plutôt renoncer à ces dividendes réguliers pour privilégier l’alimentation immédiate et massive d’un fonds qui permette à la France d’investir vite et fort dans les nouvelles technologies pour préparer l’avenir. Chacun peut avoir un avis, ou pas, sur le sujet. On peut remarquer toutefois que ceux qui protestent contre le fait que l’on “brade les bijoux de famille”, sont souvent les mêmes qui réclament un investissement massif de l’Etat dans l’innovation en particulier dans le domaine énergétique.

Quel enjeu pour le peuple souverain?

Reste la question du référendum d’initiative partagée et donc de la légitimité démocratique de la décision du parlement de privatiser ces entreprises. Sur ce plan, le Conseil Constitutionnel a tranché: bien que la loi interdise de remettre en question par cette procédure une loi promulguée depuis moins d’un an, la procédure ayant été engagée avant que la loi ait été promulguée a été jugée conforme. C’est évidemment un artifice juridique auquel le Conseil Constitutionnel s’est complaisamment rallié. L’esprit de la loi était d’empêcher que démocratie directe et démocratie représentative puissent entrer en conflit, en permettant à la minorité au parlement de bloquer par cette voie un texte adopté par la majorité. C’est bien ce qui se produit aujourd’hui, puisque, compte-tenu des délais de mise en œuvre, il s’écoulera au moins un an avant que le texte puisse être mis en œuvre, référendum ou pas.

Au delà de la polémique juridique, on peut enfin se demander quelle est la signification politique de ce projet de référendum. Dans la mesure où l’on admettra que le principe fondamental de défense des services publics n’est pas fondamentalement remis en cause par la commercialisation des activités commerciales d’ADP, est-il raisonnable de demander aux électeurs de décider de l’opportunité économique que représente cette privatisation? Y a-t-il un enjeu tel qu’il soit légitime d’en appeler au peuple souverain? Evidemment non. L’enjeu réel -qui fait que droite et gauche, malgré leurs positions opposées sur la question des privatisations, ont pu se retrouver dans cette affaire- c’est de porter un coup au chef de l’Etat.

De la part de la gauche on comprend que le coup tenté est à portée fortement symbolique. Attaquer Emmanuel Macron sur ce projet, c’est nourrir le procès en ultra-libéralisme qui lui est fait. C’est mettre en évidence sa volonté supposée de brader les intérêts de la France au profit d’intérêts privés. Bref, c’est poursuivre la campagne ininterrompue que mène la gauche depuis 2017 contre ce “président des riches élu par effraction”.

De la part de la droite, l’argumentaire est beaucoup plus réduit. D’autant que la reprise des privatisations figurait au programme présidentiel de François Fillon. Là il s’agit manifestement d’une démarche strictement politicienne visant à affaiblir le Président avant les prochaines échéances électorales, et sans doute d’une manifestation d’auto-défense des sénateurs, majoritairement de droite, qui se sentent menacés par les projets présidentiels de réforme constitutionnelle.

Du coup, avant même un éventuel référendum sur le sujet des privatisations, qui n’interviendra que si les oppositions parviennent à rassembler 4,7 millions de signatures sur leur projet, la campagne qui s’ouvre et qui va durer neuf mois pendant lesquels les promoteurs du projet vont tenter de convaincre le maximum de Français de signer, va focaliser une fois de plus les oppositions, gauche et droite confondues, sur un seul sujet: Emmanuel Macron. Et elles continueront sans doute dans le même temps à se plaindre de la présidentialisation du régime et de la polarisation de la vie politique sur le couple LREM-FN. Quel que soit le résultat, il n’est pas certain qu’à la fin PS, LR ou Insoumis en sortent gagnants.

Poison mortel!

A vouloir réduire la vie politique à la lutte entre elle-même et le Front National, la République en Marche ne met-elle pas en danger la démocratie elle-même, et ne préparerait elle pas finalement l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite? La question, formulée sous forme accusatoire par la gauche comme la droite, mérite discussion.

Premier indice, récent, une déclaration de Gilles Boyer député Européen ex-LR nouvellement LREM, prévenant ses anciens amis du parti de droite: “un maire élu avec l’aide de Lrem sera un allié du président de la République, un maire élu sans ce soutien sera un ennemi”. Des propos agressifs, excessifs, tellement éloignés de la ligne bienveillante défendue par Emanuel Macron en 2017. Un message destiné à intimider les élus de droite pour les pousser à renier leur parti, voire leurs convictions, pour rejoindre la majorité présidentielle.

Deuxième indice: une tribune de Marlène Schiappa, demandant à tous ceux qui “font passer leur pays avant leur parti à rejoindre LREM”. Une tentative ouverte de débauchage, dont l’objectif est clair: finir de détruire le PS et LR en appelant les plus modérés des deux partis d’opposition, ainsi que tous ceux qui pourraient craindre que leur formation ne les mène vers un échec certains aux prochaines échéances électorales, à rejoindre le parti majoritaire. C’est de bonne guerre pourrait-on dire. Et aucun des 72 élus locaux de droite qui l’ont fait, n’ont été forcés de répondre favorablement à l’appel. Mais le débauchage ne fait pas une politique. Et comment ne pas voir derrière ces propos se profiler le fantasme du parti unique. Ou plutôt d’une nouvelle forme de bipartisme. Une approche de la politique binaire: d’un côté les réformateurs, les modernistes, bref les bons, de gauche comme de droite… et de l’autre l’extrême-droite liberticide.

L’approche est évidemment dangereuse. Rêver d’un système dans lequel il n’y aurait que deux partis susceptibles d’emporter la majorité dans les scrutins et donc de gouverner, c’est nous condamner, soit au totalitarisme d’un parti qui deviendrait irremplaçable et définitivement installé au pouvoir, soit, de façon plus probable, à une alternance qui ferait tôt ou tard la place à l’extrême-droite. On peut imaginer, sans prétendre connaître les motivations d’un vote qui était évidemment multiforme, qu’une majorité de ceux qui ont voté pour Emmanuel Macron le 7 mai 2017, ne voyaient pas tout à fait les choses sous cet angle. Ni le parti unique, ni l’alternance LREM/Front National, ne figuraient au programme du président.

De toutes façons, le débauchage, cela ne marche pas! Nicolas Sarkozy l’avait tenté avec son gouvernement d’ouverture à gauche, qui avait offert des postes ministériels à des adversaires politiques affaiblis par une campagne menée tambour battant. Des adversaires tout de suite mis au ban par leurs anciens amis, pour trahison. Bernard Kouchner ou Jean-Marie Bockel n’ont fait que perdre une part importante de leur crédit politique, sans permettre un élargissement de la base électorale de Nicolas Sarkozy, sèchement battu en 2012.

Mais pour autant, crier au complot liberticide d’Emmanuel Macron et sa République en Marche, est un peu excessif, et en tout cas prématuré. Si la démarche politique d’Emmanuel Macron de dépassement du clivage gauche-droite, explique pour une part l’effondrement des partis traditionnels auquel on assiste depuis 2017, elle n’en est pas pour autant l’alpha et l’omega. L’effondrement du PS et des LR doit d’abord à leur propre discrédit. A leur incapacité depuis plusieurs années à moraliser la vie politique. A leur entre-soi auto reproductif, réservant la carrière politique à une élite “professionnelle” coupée des citoyens. A leur manque de courage pour mener des réformes audacieuses, au sectarisme qui leur a interdit de s’associer pour porter en commun des projets essentiels pour le pays, et les a conduit à détruire à chaque fois que l’un ou l’autre était au pouvoir, l’œuvre de ses prédécesseurs. C’est à tout cela que les électeurs ont dit non. Macron a su en profiter, point.

Maintenant, si une page a été tournée, c’est incontestable, ce n’est pas pour ouvrir la suivante sur n’importe quoi. Il n’y a pas de démocratie sans pluralisme politique. Et ce qui a conduit Macron à la victoire ce n’est pas la promesse de tout faire lui-même, tout seul, mais celle de surmonter les clivages partisans pour travailler avec tout le monde. Le renouvellement politique qu’il annonçait était l’avènement d’un monde plus consensuel. Pas un monde sans clivages politiques, mais un monde dans lequel des adversaires politiques pouvaient se mettre autour d’une table, et trouver des compromis permettant de faire progresser le pays. Certes La République en Marche n’est pas seule responsable de l’absence de dialogue constructif avec l’opposition, qui depuis deux ans s’est consacrée essentiellement à dénoncer plutôt qu’à proposer, et a probablement payé un lourd tribut de cette attitude dans les urnes européennes. Mais, en même temps, le président et son premier ministre ont fait montre jusqu’ici de bien peu d’esprit d’ouverture, incapables d’associer la société civile, syndicats et associations, à leur travail politique, surtout soucieux d’affaiblir le PS et les Républicains, pour tenter de se mettre à l’abri d’une alternance.

Alors qu’on nous annonce le début de l’Acte II du quinquennat, il serait temps de changer de braquet. Réduire à la portion congrue l’opposition de gauche comme de droite ne peut plus être un objectif pour le parti majoritaire. La bipolarisation LREM-FN est un poison mortel. La priorité du gouvernement et de la majorité devrait aller à la restauration d’un débat démocratique contradictoire. Décrocher le ralliement de tel ou tel maire de grande ville, inquiet de sa réélection, ne fera progresser en rien la cause des réformes. Ce qui permettra d’avancer c’est la recherche de compromis avec tous ceux qui sans être sur la ligne du président, recherchent le dialogue. En commençant par les syndicats et les associations. Combien de temps le pouvoir repoussera-t-il la main tendue par la CFDT? Le rejet du clivage gauche-droite qu’on nous a vendu en 2017, ne veut pas dire tous au centre derrière le président, mais tous autour d’une table, chacun avec ses convictions, ses contradictions, pour tenter d’œuvrer ensemble au progrès économique, social et sociétal.

Certes, il ne sera pas facile de convaincre l’opposition de jouer le jeu du dialogue et de l’échange, on l’a vu avec la maladroite “convocation” des partis d’opposition par le premier ministre pour discuter du message de la France en Europe. Le pouvoir n’a pas la possibilité de redonner un élan à des partis qui sont en perte de vitesse, à qui il appartient de sortir d’une opposition systématique stérile, pour rechercher une confrontation de projets dans l’intérêt du pays. Mais c’est à ceux qui ont le pouvoir de jeter les passerelles, c’est à eux de chercher sans relâche le consensus le plus large possible, sans lequel aucune réforme n’est efficace et durable. A condition de le vouloir, on doit pouvoir trouver un consensus minimal sur des mesures en faveur de l’environnement. Ou sur la prise en charge des questions migratoires, voire sur une réforme de la fiscalité ou sur l’éducation… Ce ne sera pas un consensus avec les mêmes sur tous les sujets, tantôt on fera avec les écologistes, tantôt avec la gauche, ou la droite, mais cela donnera une espérance de vie un peu supérieure aux réformes entreprises. Continuer à réformer seul contre tous, en faisant mine de croire que les ralliements sont un gage de pluralisme politique, conduirait inévitablement à une impasse.