Laurent Berger est en colère! Interrogé par Libération, le patron de la CFDT juge que dans le projet gouvernemental concernant l’assurance chômage tout est à jeter. Il ne lancera pas pour autant son syndicat dans un vaste mouvement de protestation, pour éviter de démonétiser un peu plus l’action syndicale. Mais la colère est bien là. Selon lui le plan du gouvernement n’est qu’un plan d’économies, dont les plus faibles, les plus précaires, feront les frais.
Les bouteilles à moitié vides étant souvent à moitié pleines, il est difficile de lui donner raison ou tort. C’est à l’usage qu’on verra si ces mesures, prises d’abord pour redresser les comptes de l’Unedic, mais qui sont aussi supposées lutter contre la précarité de l’emploi, se traduiront par une amélioration sur le front du chômage, ou simplement par une dégradation de la situation personnelle des chômeurs. On pourra toutefois d’ores et déjà observer, que l’allongement de la période de rechargement des droits de 4 à 6 mois, risque, si les mesures contre l’emploi précaire ne portent pas leurs fruits, d’enfoncer dans la pauvreté certaines personnes qui ne parviennent pas à décrocher mieux que des contrats ponctuels très courts. De même durcir les critères permettant de sanctionner un refus de poste de la part d’un chômeur, et renforcer les sanctions en question, apparaîtra comme une mesure parfaitement inique, si dans le même temps Pôle emploi n’est pas en mesure de proposer à chacun de réelles offres d’emploi ou de formation.
En attendant on peut faire un premier constat, qui s’impose comme une évidence: une fois de plus, le gouvernement réforme sans soutien de la société civile, même si les mesures sont, on peut l’imaginer, assez populaires chez les Français qui ont du travail. C’est la faute aux partenaires sociaux, répond-on du côté du pouvoir. Bien sûr. Les partenaires sociaux avaient la possibilité de parvenir à un accord entre eux que le gouvernement aurait entériné. Ils n’y sont pas parvenus. Mais le gouvernement n’est pas pour rien lui-même dans l’échec, puisqu’il exigeait que l’accord entre partenaires permette d’une part de réaliser des économies significatives -les syndicats n’étaient pas chauds- et prévoie d’autre part la mise en place un système de bonus-malus pour pénaliser les contrats courts -le patronat n’en voulait pas. Comme on dit dans ce cas là, face à l’échec de la négociation, l’Etat a pris ses responsabilités. C’est son rôle, mais ce faisant le pouvoir creuse un peu plus le fossé entre lui et la société réelle.
Sauf à imaginer que le choix ait été dès l’origine d’imposer cette réforme des conditions d’indemnisation du chômage juste pour rouler des mécaniques, et démontrer que malgré la crise des gilets jaunes, le pouvoir n’a peur de rien et impose sa volonté -on ne peut l’exclure alors que s’annonce l’autrement plus importante réforme des retraites- on aurait manifestement pu faire autrement.
Le déficit de l’assurance chomage prévu pour 2019 était, indépendamment des nouvelles mesures, de 1,9 milliards d’euros. Le retour à l’équilibre, toujours à législation constante, était prévu, selon l’Unedic pour la fin de l’année 2020. Même si le gouvernement estimait ces prévisions trop optimistes, il n’y avait donc pas d’urgence financière. On aurait donc sans doute pu tenter de négocier avec les partenaires sociaux un compromis acceptable, sinon par tous, du moins par une partie d’entre eux. De façon à éviter une fois de plus cet affichage déplorable d’un projet de réforme rejeté par toutes les parties prenantes, syndicats comme patronat.
Certes dans son interview Laurent Berger ne promet pas l’apocalypse. Il admet qu’il y a eu une vraie concertation sur le projet de réformes des retraites en préparation. Mais il alerte: “si le gouvernement a la même logique à l’égard de nos propositions que sur ce précédent dossier (celui de l’assurance chomage), c’est-à-dire d’en avoir rien à faire, évidemment, nous serons en opposition…”
Un avertissement que le gouvernement devrait entendre. Pour éviter que le projet de réformes des retraites à venir, qui est évidemment cardinal pour lui, ne contribue un peu plus à exacerber les tensions… Réformer est utile, et difficile, certes. Mais il serait absurde et dangereux de choisir à chaque fois pour le faire, la voie la plus clivante.