Progressisme ou barbarie?

Quand dans le monde entier des manifestants défilent pacifiquement pour une meilleure prise en compte par les états des défis du réchauffement climatique, à Paris, on casse des vitrines, on brûle des poubelles, on se bat avec la police qui noie la manifestation sous les gaz lacrymogènes, au point de décourager les manifestants les plus pacifiques. Pourquoi en sommes nous là? Pourquoi depuis près d’un an tous nos samedis après-midi sont-ils rythmés par cocktails molotovs, grenades de désencerclement et tirs de flash-balls? Evidemment à ces questions il est bien difficile de trouver une réponse unique et définitive.

Le plus simple, en première approche, serait de considérer que c’est une spécificité française. Un trait culturel propre à notre peuple, une sorte de fascination pour la résistance et la rébellion, qui ferait de nous des gens incapables de nous exprimer autrement que de façon conflictuelle, pour qui toute revendication portée pacifiquement serait vouée à l’échec. Un peuple qui serait, en toutes circonstances, et quels que soient ses dirigeants, destiné à l’insatisfaction, à la frustration et au déclin. Une sorte de mal français qui expliquerait que nous serions seuls au monde à savoir à quel point notre situation est désespérée, et nécessite le recours à la violence pour lutter contre une injustice suprême: être né français.

Evidemment, c’est un peu court, et cela ne permet pas vraiment de comprendre, tout au plus de se débarrasser d’une question encombrante. Tout comme une explication qui réduirait les violences du samedi à des excès des forces de l’ordre poussées par un pouvoir politique avide de violence, désireux d’imposer une dictature et incapable d’entendre les revendications légitimes du peuple, ne nous éloignerait pas non plus de la caricature, et ne faciliterait donc pas la compréhension.

On ne prouve pas le bonheur

On peut tout d’abord observer que la multiplication des manifestations violentes les samedi depuis près d’un an, est une nouveauté. Le pays avait connu des manifs violentes dans le passé, quand les blackblocs s’appelaient “autonomes” ou “anarchistes”, et tentaient de se greffer sur tous les cortèges pour y exprimer violemment leur rejet du “système”, quand les jeunes de banlieues “montaient” sur la capitale pour casser quelques vitrines ou abri-bus… Mais jamais sur un tel rythme, pendant aussi longtemps, et de façon aussi partagée.

Au delà de la fréquence et de l’intensité -même si le mouvement décline de façon accélérée, il ne faudra pas oublier que les premiers samedis, à l’automne dernier, mirent des dizaines de milliers de personnes dans la rue- ce qui fait la spécificité de la vague présente, c’est bien la diversité des participants. Avec les gilets jaunes on a découvert une violence non ou mal politisée, émanant de gens que rien ne prédestinait à se retrouver un jour dans la situation du lanceur de pavés ou de cocktails Molotov. Des retraités, des petits commerçants, des employés, des fonctionnaires, des étudiants… unis par un sentiment de déclassement, et convaincus de vivre dans un monde ou les nantis ne cessent de s’enrichir aux dépens des laissés pour compte, où les générations à venir seront forcément plus malheureuses que les précédentes. Un sentiment de déclassement polymorphe, plutôt incohérent, où se mêlent les colères et revendications les plus contradictoires. On exige plus de redistribution mais moins d’impôts. Plus de démocratie, mais le départ immédiat des responsables politiques démocratiquement élus. On dénonce pêle-mêle les riches, les hommes politiques, la police, la justice, mais aussi parfois les juifs ou les francs-maçons, le libre échange ou les immigrés, le libéralisme et l’overdose d’Etat… Tous responsables de la dégradation des conditions de vie du “Peuple” que l’on est convaincu de représenter.

Evidemment, opposer à ce mal-être diffus des statistiques sensées démontrer que tout ne va pas si mal, et que les choses vont même plutôt mieux, est tout à fait vain. On ne prouve pas le bonheur, on le ressent ou pas.

Un face à face mortifère

Deuxième constat, celui du vide politique. Jamais depuis un demi-siècle la vie politique n’avait été aussi déstructurée. Les partis politiques traditionnels ont été atomisés, décrédibilisés. Incapables pour l’instant de retrouver une dynamique, et donc condamnés dans l’immédiat, faute de leaders et de programmes crédibles, à une opposition systématique et stérile au gouvernement. Cette disqualification des oppositions s’est faite tout d’abord au profit d’un parti “neuf”, la République en Marche, qui ne dispose pour l’instant que d’une très faible assise populaire, et d’élus le plus souvent inexpérimentés. Un parti pas ou peu implanté dans les régions. Et donc en difficultés pour faire remonter les aspirations et frustrations, laissant donc le gouvernement sans sondes pour évaluer la réalité du climat social. Et cet effondrement s’est fait aussi au profit des populistes du Front National, pour qui l’exacerbation des tensions tient lieu de stratégie politique.

Nous voilà donc conduits à un face à face entre “progressistes” plutôt éloignés de la réalité quotidienne des Français, et “populistes” prêts à monter les uns contre les autres pour créer peu à peu le chaos qui pourrait les mener au pouvoir… Ce face à face, s’il persistait, serait mortifère pour la démocratie.

Face à cette implosion de la sphère politique, les autres corps intermédiaires, syndicats et associations, auraient pu incarner un nécessaire contre-pouvoir et assurer ainsi une continuité de la vie démocratique. Mais le gouvernement a semblé depuis deux ans chercher à affaiblir les uns et les autres. Chaque fois que l’occasion lui était offerte de les associer étroitement à l’élaboration de ses projets de réforme, Emmanuel Macron a choisi l’affirmation rigide de l’autorité, plutôt que la souplesse de la concertation. A cet égard, l’incapacité à mobiliser les associations de défense de l’environnement à ses côtés dans la mise en place de la politique de lutte contre le dérèglement climatique, a pesé bien lourd dans la naissance du mouvement des gilets jaunes. Faute d’influer sur la politique menée par le gouvernement, syndicats et associations se trouvent donc réduits aujourd’hui à multiplier les appels à la mobilisation de rue pour se faire entendre, avec évidemment, du fait de l’usure, un succès de plus en plus limité, et pour eux et elles aussi une perte de crédibilité accélérée.

Dès lors que les partis politiques semblent incapables de porter un espoir de changement, au moins dans l’immédiat, pour ceux qui s’estiment à tort ou à raison laissés pour compte… et en l’absence de corps intermédiaires influents susceptibles de faire aboutir des revendications… il était logique que la contestation s’installe dans la rue, et tourne à la rébellion. Lorsque les corps intermédiaires ne sont plus là pour le faire vivre, le consentement du peuple aux contraintes économiques et sociales se délite. Le sentiment d’être seul, abandonné, face à l’arbitraire de l’Etat, est destructeur, et conduit aux comportements les plus extrêmes. La multiplication des violences hebdomadaires en découle. Mais aussi la glorification de la désobéissance civile par des associations et syndicats privés de leur rôle d’influence.

La police, entre déni de l’Etat et accusations outrancières

A ce stade, la situation devient critique. Quand la violence devient routine, la rébellion titre de gloire, le consensus social est menacé. Des forces de police usées, excédées, de ce rôle répressif qui se substitue semaine après semaine à l’ensemble de leurs missions de protection de la société, perdent leur discernement. Soucieux de ne pas les décourager, alors que leurs conditions de travail se dégradent du fait de l’état de protestation permanente, le gouvernement évite de procéder aux recadrages nécessaires, et soutient ses policiers en toutes circonstances, laissant ainsi prospérer l’impression d’un usage abusif délibéré de la force, face auquel une solidarité des manifestants pacifiques avec les plus violents deviendrait légitime. Une spirale de la violence est enclenchée, qui conduit inévitablement à une aggravation du désordre et donc à la ruine de l’autorité de l’Etat.

Ce discrédit de l’Etat est accéléré par les prises de positions politiques des opposants. Qui oublient leur vocation à exercer un jour ou l’autre le pouvoir, pour joindre leur voix au choeur de la dénonciation hebdomadaire des violences policières. Entre déni d’un gouvernement qui sanctuarise la police en rejetant par avance toute critique de l’action policière, et dénonciation systématique d’opposants qui font mine de voir chaque samedi, sur les Champs Elysées, les prémices de la mise en place d’une dictature à la française, la voie est balisée pour toutes les provocations. Une mention spéciale à ce stade à Jean-Luc Mélenchon, qui en qualifiant les policiers de “barbares” et en faisant mine de croire qu’ils seraient prêts à attenter à sa vie, jette un peu plus d’huile sur le feu et brouille encore les repères démocratiques.

Comment sortir de cette mauvaise passe? Comment retrouver un peu de raison? Comment ne pas y perdre l’envie, voire le droit, de manifester pacifiquement? Sans doute pour le gouvernement, en remettant à plat les stratégies de maintien de l’ordre. Il n’est pas normal que l’intervention de la police, nécessaire lorsque l’ordre public est menacé, se solde de façon systématique par des blessures graves pour les manifestants. La gestion “au contact” des manifestants violents a montré ses limites. Dans le même temps, le pouvoir doit sortir de son impuissance à fabriquer du consensus autour de ses projets de réforme. L’absence durable et systématique de consentement à l’action qu’il mène le conduirait dans une impasse. Pour l’opposition politique, il est urgent de retrouver des repères, et de reprendre quelque distance vis à vis de l’action violente. Encourager des manifestants qui détruisent chaque samedi Abribus et vitrines est une voie sans issue. Et qui ne leur permettra ni de se refaire une crédibilité vis à vis des électeurs, ni de peser sur les réformes en cours. Les uns et les autres doivent retrouver le chemin du dialogue et de la confrontation pacifique et constructive des idées. C’est à cette condition que le niveau de violence diminuera, que les réformes auront une chance d’aboutir, et que revivront des alternatives politiques nous permettant de sortir du choix manichéen entre “progressisme” et barbarie.

Débattre de l’immigration? Oui, si…

La boite de Pandore est rouverte. Plus exactement elle ne fut jamais hermétiquement close, mais Emmanuel Macron vient de l’ouvrir en grand. “Il faut regarder le sujet de l’immigration en face” a-t-il déclaré devant les élus de la République en Marche. Avant de préciser qu’il ne fallait pas que LREM se comporte “comme un parti bourgeois” ignorant les préoccupations des “classe populaires”. Le Président évite les périphrase et les ellipses. Le propos est direct, assumé. Selon lui, “le droit d’asile est détourné… les demandes d’asile n’ont jamais été aussi hautes”… Et les habitants des quartiers les plus défavorisés en subissent les conséquences.

Evidemment, les réactions politiques n’ont pas tardé. Et pas surpris non plus par leur contenu. Pour la gauche, le jugement est sans nuances: Macron choisit d’oublier les principes républicains pour braconner sur les terres de Marine Le Pen… “A reprendre les angles du RN , le président Macron qui se posait en rempart est devenu une passerelle” commente sans attendre le premier secrétaire du PS, Olivier Faure. Pour l’intéressée, la patronne du Rassemblement National, les prises de position d’Emmanuel Macron sont “purement électoralistes”, et visent à piller son fonds de commerce.

Le creuset des migrations successives

Les arguments sont connus, et rodés depuis des années, ils resservent à l’identique à chaque fois qu’un politique rouvre la boite. Lorsque Michel Rocard explique que la France n’a pas vocation à accueillir toute la misère du monde, mais doit en prendre sa part… Lorsque Sarkozy tente de lancer son débat national sur “l’identité nationale”, ou encore lorsque François Hollande refuse son soutien à Angela Merkel qui ouvre en grand les frontières de son pays aux réfugiés, laissant son premier ministre Manuel Valls, condamner la politique d’ouverture allemande…

Premier élément de langage: l’immigration n’est pas un “problème”, c’est une “chance” pour notre pays, qui s’est constitué dans le creuset de vagues d’immigration successives. Au delà de la posture, facile, c’est évidemment vrai. Nul ne peut contester que la France ne serait pas ce qu’elle est sans les immigrations russes, sans les migrants des pays de l’Est, d’Italie ou d’Espagne. Jamais notre industrie automobile n’aurait pu se développer sans l’apport des travailleurs immigrés du Maghreb. C’est bien sûr sa grandeur d’avoir accueilli les juifs venus de l’Est fuyant le nazisme, ou les espagnols tentant d’échapper au sud à la dictature franquiste. On pourrait aussi parler de l’accueil des boat-people fuyant le communisme. Tout cela est vrai, mais le rappeler sert le plus souvent à empêcher le débat. Cela installe en quelque sorte un tabou. Un interdit absolu: poser la question de l’immigration, c’est nier l’héritage des lumières, de la déclaration universelle des droits de l’homme, de la tradition humaniste de la France…

Pire, ouvrir un débat sur l’immigration, c’est ouvrir la porte au racisme et à la xénophobie. Et il est bien vrai que le malaise provoqué par la présence d’immigrés en nombre, et partagé avec ou sans raisons, par les deux tiers des français nous disent les sondages (étude annuelle “Fractures françaises” Ipsos Sopra-Steria pour Le Monde), ce “malaise” affiché de plus en plus ouvertement, n’a pas rien à voir avec le rejet de l’autre. La gêne ressentie face à une famille affirmant par sa tenue vestimentaire sa différence culturelle, et son appartenance religieuse, ne peut être exonérée d’une forme de xénophobie. Là encore, on trouve des éléments de langage protecteurs. Le rejet du voile devrait tout au féminisme, et rien au rejet de la différence. C’est pour les défendre qu’on voudrait interdire le voile aux femmes musulmanes, nous disent les plus humanistes… Mais la volonté d’uniformiser les comportements, jusque dans la tenue vestimentaire, a du mal à passer pour du progressisme.

Le poids des images dramatiques

Ensuite, il y a le poids du drame, et des images. La première image qui vient à l’esprit quand l’on commence à parler des migrations, c’est celle de ces corps repêchés en Méditerranée. De ces exilés de la peur subissant viols et tortures dans des camps Lybiens. De ces hommes, femmes et enfants s’entassant sur des radeaux percés pour échapper à la misère et aux violences, et tenter de gagner l’Eldorado européen. Ouvrir le débat sur l’immigration c’est donc d’abord répondre du déni d’humanité que constitue le sort fait à ces migrants. Répondre de l’indifférence des pays riches face à la situation des migrants fuyant aujourd’hui des guerres qu’ils ont déclenchées ou tolérées, demain les conséquences d’un réchauffement climatique qu’ils ont provoqué.

Et puis il y a les statistiques. Celles que met en avant Emmanuel Macron: celle des demandes d’asile en France, 122 743 en 2018 en hausse de près de 22 % par rapport à 2017, et cela alors que les entrées en Europe diminuent. Ou encore, le nombre toujours croissant de mineurs isolés. Et puis il y a les autres: avec 2,4% d’européens et 4,6% de non-européens, la France se trouve en dessous de la moyenne de l’OCDE pour la générosité de son accueil (Chiffres 2017 – Eurostat). Et malgré la croissance des demandes d’asile, celles-ci restent inférieures à celles qu’enregistrait l’Allemagne l’an dernier. Pour reprendre la citation de Michel Rocard, nous n’avons apparemment pas tout à fait pris notre part.

Et surtout, il y a les conditions d’intégration des immigrés en France. Pas vraiment dignes, pour le coup, du pays des Lumières. Et c’est là que le débat mérite de s’installer. Comment faire pour garantir des conditions de vie décentes à tous les migrants, et en commençant par les demandeurs d’asile? Ceux-ci doivent être pris en charge du premier jour de leur arrivée au jour de la décision concernant leur asile. Comment éviter la multiplication des situations de clandestinité lorsqu’il y a refus de l’asile? Si la reconduite à la frontière des déboutés est nécessaire, comment éviter d’interminables séjours dans ces prisons qui n’osent pas dire leur nom que sont les centres de rétention? Comment respecter le droit à l’éducation des enfants de demandeurs d’asile sans créer des situations dramatiques et traumatisantes lorsque leurs parents sont déboutés, et qu’il faut les expulser?

Une immigration choisie ?

Mais évidemment les questions sont tout aussi cruciales pour les autres, les migrants économiques. Eux -aussi ont droit à des conditions de vie décentes. Comment décider qui a le droit de chercher un asile économique en France, et qui n’y a pas droit? Comment choisir? Uniquement de façon intéressée, c’est à dire en accueillant ceux qui peuvent être le plus utile au pays? C’est comme cela qu’on accueille à bras ouvert les médecins, qui viennent remédier à notre impéritie, en suppléant au manque de médecins français. Mais c’est comme cela aussi que l’on se livre à un véritable pillage dans les pays moins développés que le nôtre, qui forment des médecins pour nous, et n’en ont plus pour se soigner eux-mêmes. Ne devons nous pas accueillir aussi, au moins pour compenser ce que nous leur prenons, des gens qui ont plus besoin de nous que nous d’eux, et qui seraient sans doute prêts à rester dans leur pays s’ils y voyaient la moindre chance de vivre dignement?

Qu’avons nous fait jusqu’ici pour aider les pays qu’ils fuient à leur proposer une véritable alternative? Là encore les statistiques, celles de l’aide au développement, sont cruelles pour nous, comme pour les autres pays développés. Où sont passés les milliards promis? Combien d’instituts technologiques avons nous créé, ou contribué à créer, en Afrique pour permettre aux jeunes d’étudier chez eux, plutôt que de venir chez nous, où les entreprises européennes récupèrent les meilleurs, une fois formés, spoliant de fait leurs pays d’origine. Où en sont les engagements pris et repris par les pays développés pour aider au développement? Selon le rapport de l’ONU sur le développement durable 2018, un milliard de personnes n’ont pas encore l’électricité… Et le nombre de personnes sous alimentées dans le monde, après avoir régressé, s’est remis à augmenter de 777 millions en 2015 à 815 millions en 2016.

Toutes ces questions méritent d’être débattues sans tabou. D’accord pour réfléchir sur des quotas d’immigration dans notre pays, si dans le même temps nous faisons réellement ce que nous pouvons pour aider ceux que nous refusons à trouver un avenir digne chez eux. Si dans le même temps nous sommes capables d’accueillir dignement tous ceux qui sont sur notre territoire, et de leur donner une place à part entière au sein de la Nation. Si nous savons revenir sur la politique de ghettoïsation qui a été menée de fait pendant des décennies. Depuis cette époque où l’on trouvait normal que des cités soient réservées à la population d’origine étrangère, où les autobus ne circulaient plus après 21 heures, où l’on ne trouvait parfois pas un bistrot, où les équipements collectifs dépérissaient… Où, curieusement, le taux de chômage était le double de la moyenne. Où, sans surprise, se sont développés communautarisme et délinquance qui provoquent aujourd’hui le “malaise” qu’Emmanuel Macron voudrait prendre en compte. Enfin si nous savons parler de toutes ces questions sans stigmatisation, sans flatter les plus bas sentiments qui se trouvent on le sait au fond de la boite de Pandore et ne demandent hélas qu’à en sortir. Car cela, Marine Le Pen le fait très bien.

Ne tirez pas sur le juge !

C’est extraordinaire! A l’issue d’un de ces triples axels que l’actualité politique parfois nous réserve, on retrouve Jean-Luc Mélenchon défendant la présomption d’innocence de… Richard Ferrand. Soutenant même que le responsable la République en Marche n’a pas à démissionner de sa fonction de président de l’Assemblée Nationale malgré sa mise en examen pour “prise illégale d’intérêt”, qui pourrait résulter d’un “piège” qu’on lui aurait tendu. Pas facile à suivre mais on y arrive! L’objectif immédiat est de démontrer que le pouvoir judiciaire est au service de l’exécutif qui l’utilise pour imposer peu à peu une dictature de fait. Cela, afin de disqualifier par avance ce que les juges pourraient décider à l’issue de son propre procès (celui de Mélenchon) qui débute dans moins d’une semaine.

Pour préparer sa défense, dans un premier temps, Jean-Luc Mélenchon a fait un voyage en Amérique latine qui lui a permis de dénoncer aux côtés de l’ex-président Lula, et des différents partis de gauche de la région, la multiplication des “procès politiques”, assimilant son cas, contre toute raison, à celui de l’ex-président brésilien incarcéré pour corruption. La suite, on l’a découvert il y a quarante-huit heures, c’est la publication d’un livre “Et ainsi de suite… Un procès politique”. Le livre sera publié le jour même du procès des responsables de la France Insoumise et servira de réquisitoire contre la justice qui les poursuit pour débarrasser le pouvoir politique d’un adversaire dangereux. Comme au Brésil!

L’Internationale des juges

A Rio comme à Paris, les juges organiseraient des procès politiques. Mélenchon évoque même une véritable internationale des juges visant à écarter dans tous les pays du monde les oppositions aux pouvoirs en place. Et le président de la France Insoumise d’évoquer “l’opération Condor” qui vit dans les années 70 les services secrets de différents pays d’Amérique latine s’entendre pour assassiner les opposants aux régimes dictatoriaux de la région, avec le soutien de la CIA. Rien que ça!

Pour Lula, la question de l’acharnement judiciaire reste ouverte. Mais pour Mélenchon c’est plus compliqué. D’abord, il est toujours libre. Ensuite, lorsqu’il prétend que la justice pratique la règle du deux poids deux mesures, il a raison, mais cela a joué plutôt en sa faveur: on peut se demander quel justiciable pourrait plaquer au mur – comme on le voit sur les vidéos diffusées- un procureur de la République dans l’exercice de ses fonctions, sans finir la journée en garde à vue. Même si d’autres passages de l’enregistrement vidéo concerné montrent que les responsables de la France Insoumise ont par moment retrouvé leur lucidité et leur calme, le procès politique sera difficile à plaider. Mais surtout, il va lui être difficile de démontrer que la justice s’acharne particulièrement sur lui, au moment où l’on annonce le début du procès Fillon, pour le printemps, et surtout où les juges mettent en examen le Président de l’Assemblée Nationale, proche s’il en est, d’Emmanuel Macron, ou envoient Patrick Balkany en prison.

Du coup, La France Insoumise est contrainte au grand écart. Le cas de Jean-Luc Mélenchon serait comparable à certains égards à celui de François Fillon, affirme toute honte bue, Raquel Garrido l’ancienne porte-parole de la France Insoumise, ex-avocate de Jean-Luc Mélenchon, et actuelle chroniqueuse sur LCI: le procès Fillon serait programmé par les juges en pleine prochaine campagne pour les municipales, afin de nuire à l’opposition de droite… Hier, personne n’avait encore osé toutefois appeler Patrick Balkany, incarcéré dans l’après-midi, en renfort pour illustrer la multiplication des procès politiques par la justice française…

Dans la main du pouvoir judiciaire?

Il faut croire que Jean-Luc Mélenchon craint vraiment le résultat de son procès -qui pourrait se traduire par son inéligibilité à la prochaine présidentielle- pour en arriver à soutenir le très honni Richard Ferrand, dans le but d’en faire un argument de défense.

Campé sur ses positions, celui-ci n’en attendait sans doute pas tant. Ce renfort inattendu ne pourra que le convaincre un peu plus de nous jouer Fort Chabrol au Palais Bourbon. Pour lui, il ne s’agit évidemment pas de dénoncer un complot politique, mais d’invoquer l’indépendance du pouvoir législatif, qui aurait toute légitimité, du fait de l’élection à empêcher le pouvoir judiciaire d’empiéter sur ses prérogatives. Et donc, aussi longtemps qu’il n’est pas condamné, le président de l’Assemblée Nationale pourrait continuer à officier… En somme, à l’inverse de Jean-Luc Mélenchon, Richard Ferrand ne nous dit pas que les juges sont des “menteurs”, mais simplement qu’ils se trompent, lorsqu’au terme de 13 heures d’interrogatoire, ils le mettent en examen, et que surtout, leur doutes et leurs convictions n’ont pas à être pris en considération par la représentation nationale, tant que le procès n’aura pas eu lieu, car “les parlementaires n’ont pas à être dans la main de l’autorité judiciaire…”. Qu’en somme il est banal et sans réelle importance que des juges remettent en question l’honnêteté du quatrième personnage de l’Etat.

Certes, il n’est pas le premier à se maintenir à son perchoir envers et contre les juges. Avant lui Henri Emmanuelli et Laurent Fabius avaient été dans la même situation. Pour être exact on pourra préciser que le premier était mis en cause pour une affaire du financement du PS mais ne se voyait reprocher aucun enrichissement personnel, tandis que le second était mis en cause pour un retard dans la diffusion en France d’un test qui aurait permis d’éviter la contamination de nombreuses personnes par le biais de la transfusion sanguine. Dans le cas du président actuel de l’Assemblée, les faits que lui reprochent les juges – avoir organisé l’enrichissement de sa compagne aux dépens des Mutuelles de Bretagne, une société d’assurance dont il était le directeur général- reviennent clairement à remettre en cause son honnêteté. Bien sûr ses défenseurs invoqueront le fait qu’il ne s’agit pas d’argent public… Mais dès lors qu’il y a mise en examen, il y a bel et bien soupçon de malhonnêteté sur la personne qui est chargée de superviser la fabrication de la loi. Quelle que soit l’issue d’un procès futur, celui-ci devrait donc s’en mettre au moins temporairement à l’écart, par simple respect pour la fonction que la République lui a confiée.

Dans les deux cas, celui de Mélenchon comme celui de Ferrand, ce qui est en jeu c’est la possibilité pour les juges d’accomplir leur mission au service de la nation, dans la sérénité, même lorsqu’ils ont à s’intéresser à des personnages publics, à l’abri des accusations complotistes des uns, ou du simple mépris pour leurs décisions de la part des autres. Ce sont les fondements mêmes de notre système républicain qui sont en cause.