Quelle époque! Dans quels temps sommes nous entrés? La République des Lumières est malade, gangrenée par les violences, rongée par les ambitions personnelles, menacée par les rancœurs.
Il y a d’abord les évènements qui alimentent sans fin la chronique politique et dont la logique n’est pas toujours lisible pour l’électeur moyen. Le renoncement de Benjamin Griveaux, fauché en plein vol par la publication de vidéos privées, par exemple, ou encore le dépôt par l’opposition de 41000 amendements au parlement pour tenter d’empêcher les députés de voter la réforme des retraites. Il y a la ministre de la Santé qui démissionne de son poste en pleine crise hospitalière, pour… voler au secours du parti du président, en déroute à Paris, tandis que le premier ministre lui-même se met en tête de liste au Havre, pour préparer sa piste d’atterrissage, alors qu’il est toujours aux commandes à Matignon.
Et puis il y a les micro-faits, les évènements plus ou moins anecdotiques, mais qui jettent une lumière crue sur la crise que nous traversons. Ces tags sur la permanence de campagne du même Edouard Philippe sur lesquels on peut lire “Dégage Doudou, Le Havre est à nous”, inscription “signée” par de nombreux autocollants de la CGT… Ces coupures de courant de quartiers entiers au nom d’un combat syndical qui est devenu politique. Ces sabotages ou destructions de biens publics ou privés que l’on pare d’un pompeux “désobéissance civile” quand il s’agit parfois simplement de vandalisme. Ou encore ces réunions publiques impossibles à tenir du fait de la présence d’opposants à la réforme des retraites ou à la dégradation climatique. Ou ces débats annulés dans les universités, sur la pression de minorités vindicatives. Et puis, il y a la marée de haine sur les réseaux sociaux, ou tout échange politique finit dans l’injure et/ou la menace, où des hommes politiques peuvent promettre à leurs adversaires d’un jour de les traduire demain devant des tribunaux populaires. Enfin, il y a aussi ces députés d’opposition qui se livrent à un simulacre de lynchage du président de la République sous les fenêtres de l’Assemblée Nationale, justifiant ainsi par avance toutes les formes de violence populaire… tandis que le ministre de l’intérieur en personne se livre à des allusions déplacées à la vie privée d’un responsable d’un parti politique.
Et pendant ce temps là, toutes les radios et télévisions donnent la parole à un individu dont les principaux faits de gloire, au delà d’une plainte pour violence sexuelle en Russie, sont de s’être exhibé cloué au sol par le scrotum sur la Place Rouge, et surtout, d’avoir mis en ligne les vidéos sexuelles privées d’un homme politique français pour provoquer sa chute. Et l’individu peut, devant les micros complaisants, dénoncer l’absence de liberté d’expression dans notre pays, et annoncer de prochaines exactions du même acabit.
Comment en est-on arrivé là?
On peut toujours dire que ce n’est pas nouveau. Que le débat politique en France a souvent été polémique, voire violent, qu’il y a déjà longtemps que presque tous les coups sont permis, que les dizaines de milliers d’amendements de la France Insoumise et du Parti communiste, ne constituent pas tout à fait un record, et qu’en 2006, l’opposition de l’époque avait fait mieux pour le projet de privatisation de GDF… Que Fillon lui aussi a été victime de “révélations” plus ou moins avérées, même si celles-ci concernaient sa vie publique plus que sa vie privée. Que la violence et la diffusion de fake-news sont au menu des réseaux sociaux depuis qu’ils existent. Certes, mais le sentiment que quelque chose de nouveau est en train de se jouer, demeure.
L’impression que tous les garde-fous ont finalement sauté. Que tous les principes peuvent être transgressés au nom d’un combat ultime et supérieur: la lutte pour le pouvoir. En prenant la place que se partageaient depuis des décennies la droite et le Parti socialiste, Emmanuel Macron pensait réconcilier droite et gauche, il a bouleversé les codes. En moins de trois années d’exercice du pouvoir, il s’est attiré la haine de l’ensemble de ses concurrents. L’enjeu principal de la vie politique pour les trois quarts de l’échiquier politique national, est maintenant d’abattre Macron, unique objet de leur ressentiment. C’est leur seul programme connu à cette heure! Mais notre République ne prévoit pas que l’on puisse planter la tête d’un président au bout d’une pique à l’issue d’une manifestation de rue. Elle prévoit tout au plus que prenne sa place celui qui saura convaincre une majorité d’électeurs à la prochaine présidentielle.
Alors on se rabat sur les symboles, les simulacres… les injures ou les menaces. Tous les coups sont permis pour ébranler l’édifice macronien. Mélenchon promet une “guerre de tranchée” contre la réforme des retraites. Certains de ses affidés manifestent en lynchant symboliquement une effigie du président, tandis que d’autres tentent de lui interdire l’accès à un théâtre… On ne compte plus les permanences politiques dégradées, ou les menaces de mort adressées à des élus. Et face à cette offensive, le quart de la classe politique qui soutient encore le parti du président, répond du tac au tac, jusqu’à l’outrance, atteinte par Christophe Castaner, ministre de l’intérieur, évoquant sur Twitter la vie privée du patron du PS Olivier Faure, par ailleurs son ancien ami. La crise institutionnelle est bien là.
Qui pourra stopper le massacre? Rétablir l’autorité, mais aussi l’impartialité, de l’Etat? Un ministre de l’intérieur n’a pas à se mêler de la vie privée de ses opposants politiques. Un premier ministre devrait consacrer tout son temps à sa charge nationale, et s’épargner les joutes électorales locales. Une députée, n’a pas à se livrer à un simulacre de lynchage d’un président de la République. Les élus de la République, doivent respecter les institutions au sein desquelles ils se sont fait élire, même s’ils y sont minoritaires. Les médias n’ont pas à offrir une tribune à un hors la loi qui prétend s’attaquer publiquement à la vie privée des élus de la République, et doivent se garder d’être simplement à la remorque des réseaux sociaux. En démocratie, les hommes politiques unanimes doivent défendre becs et ongles la liberté de réunion et d’expression de chacun d’entre eux. La violence doit être condamnée par tous, jamais encouragée, même par ceux qui n’ont que peu d’espoir de l’emporter dans les urnes. La politique ne doit pas tourner à la guerre civile…
Sinon… il ne faudra pas faire mine de s’étonner ou de chercher des coupables le jour où les populistes l’auront emporté sur les démocrates.