Et si on faisait une pause?

Et ça continue! Maintenant que la date de fin de confinement est connue, tous les observateurs de la vie sanitaire et politique ont mis à jour leur logiciel. Pour ceux qui réclamaient une date à cor et à cri, ça ne va évidemment pas. Pourquoi le 11 mai, et pas le 10 ou le 12? C’est trop tôt, ou alors trop tard, ou les deux à la fois. On en sait trop… ou pas assez! En annonçant une date, on prend le risque de démobiliser le public sur les mesures barrières. En ne prévoyant pas dans le détail comment les choses se passeront dans trois semaines, le gouvernement démontre son impréparation. Comment nos enfants pourraient-ils reprendre l’école sans danger? Qui portera un masque, quand, comment? Quel public aura accès aux tests? D’ailleurs où sont les tests, et les masques? Les spécialistes de tout crin se déchaînent sur les plateaux…

A cet égard l’attitude du premier ministre est suicidaire. En choisissant délibérément de ne dire que ce qu’il sait, et de confesser son ignorance chaque fois qu’il ne sait pas, il fournit les verges à tous les imprécateurs audiovisuels. Ceux qui savent tout sur tout, n’ont de doute sur rien, ceux qui pensent le doigt sur la gâchette, et qui trouvent donc son attitude inadmissible. Un premier-ministre qui dit “je ne sais pas”, c’est pour tout dire déloyal. Comment pourra-t-on chroniquer dans quelques semaines ses erreurs de jugement, s’il se retranche aujourd’hui derrière son ignorance, et les incertitudes des experts médicaux, s’il prétend manquer d’informations pour décider? Ce n’est pas du jeu! Il est là pour trancher, sur tout, tout de suite, sinon il est incompétent!

Heureusement pour les chroniqueurs, il reste les masques et les tests, et les comparaisons internationales. Comment se fait-il donc qu’il y ait plus de morts en France qu’en Allemagne? Je vous le demande bien! Puisqu’il s’agit du même virus, cela prouve bien que les uns savent faire et les autres sont nuls! Et pourquoi tous les marocains ont un masque à leur disposition, alors que nos pharmaciens refusent de nous en vendre? Ah bon! C’est pas les mêmes? Les uns sont des masques en tissus bricolés par des couturières, les autres des masques médicaux FFP2? Qu’importe, nos experts de plateaux ne sont pas à cela près. L’important à la télé, c’est, à la différence de la vraie vie, d’avoir un point de vue tranché sur tout. Alors on tranche! En oubliant de comparer ce qui est comparable, en dénonçant le projet français de recourir à des “masques grand-public” pour admirer les mêmes masques portés dans un autre pays. On attaque cet état français incapable de proposer dès maintenant un test à chaque Français, sans s’inquiéter une seconde de la fiabilité des tests en question.

Qu’on se comprenne bien, personne n’est parfait! Ce gouvernement a certainement commis des erreurs, mal apprécié sans doute au départ l’ampleur à venir de l’épidémie… peut-être pris des décisions à contre-temps, voire à contre-sens, mais enfin, il a fait face! Face à une situation inédite que personne n’avait vu venir. Où le hasard d’une imprévisible réunion évangéliste peut servir d’accélérateur à une épidémie en préparation. Où le choix posé aux gouvernants est sans doute la plus cruelle des épreuves imaginables: sacrifier l’économie, donc l’avenir de leur pays, ou laisser mourir les plus faibles, sans savoir où mènera le sacrifice. La plupart des gouvernements ont fait le choix de préserver la vie autant que possible, contre toute attente, et quel qu’en soit le coût. C’est un choix qui les honore, même si la pression médiatique l’a dicté pour partie, et qui honore notre société que l’on disait définitivement déshumanisée.

Alors, et si on laissait ceux qui ont pris cette lourde responsabilité gérer cette sortie de crise? Si on attendait la fin de la partie pour compter les points? Si nous nous laissions un maximum de chances de nous sortir de ce mauvais pas de la moins pire des manières? A quoi bon vivre dans une démocratie, si quand l’heure est la plus grave nous refusons de façon systématique la confiance à ceux que nous avons choisis. Sans parler d’une union sacrée, tellement étrangère à notre culture gauloise, ne pourrait-on demander à tous ceux dont le fonds de commerce est de faire parler d’eux sur les réseaux sociaux, à tous ceux qui veulent exploiter à leur, petit, profit politique, le coronavirus, et les inquiétudes qu’il génère, d’oublier leur ego quelques semaines, et de laisser agir ceux qui sont chargés de nous sortir de cette ornière. De tenter de les aider plutôt que de leur nuire. Nous sommes à deux ans des élections générales, nous aurons le temps nécessaire pour tirer tous les bilans, mener toutes les enquêtes, dénoncer toutes les erreurs, et prendre ensuite les sanctions démocratiques nécessaires. En attendant, cessons de compliquer les choses en plongeant les Français -qui ont déjà à subir une épreuve sans précédent- dans l’angoisse permanente.

Le jour d’après…

Certains l’auront trouvé lyrique. Ou trop long. Ou trop ampoulé. D’autres auront aimé la précision, l’humilité, le volontarisme… Certains regretteront l’emploi d’un mot, l’absence d’un autre… L’exégèse de discours présidentiel est une discipline très largement pratiquée dans notre pays.

Oublions en la forme et concentrons-nous sur le contenu. La première annonce concerne bien sûr la date de fin de confinement total. Ce sera le 11 mai, date à partir de laquelle, si tout se passe d’ici là pour le mieux, le pays pourrait peu à peu se remettre en marche normale.Tout le monde réclamait une date, elle est là! La plupart des experts préconisaient une reprise progressive, elle le sera. Progressive pour éviter un retour de flamme de l’épidémie, progressive aussi pour tenir compte des priorités. Les crèches, écoles et lycées, redémarreront donc, progressivement, avant les bars et les restaurants. Si les enseignants acceptent de jouer le jeu. Et ce n’est pas gagné! Depuis hier soir, les plus syndiqués hurlent déjà: “on nous prend pour de la chair à canon” (sic), ou encore “en quoi est-il moins dangereux de rassembler 30 enfants dans une classe que 20 personnes dans un bistrot”? Apparemment entre une partie des enseignants et les gouvernants l’incompréhension devrait s’avérer, si ces premières réactions sont confirmées, une fois encore, totale.

Et pourtant qui mieux que ceux-là devrait être sensible à l’argument de priorité. N’est-il pas urgent de permettre aux enfants, particulièrement les plus défavorisés, de retrouver l’école? Ces enfants qui sont confinés depuis un mois dans des appartements de cités déshéritées, où personne n’est en mesure de les aider à s’instruire à distance, où l’ordinateur, lorsqu’il y en a un, ne sert qu’aux jeux vidéo, où l’ambiance familiale est vite rendue irrespirable par le confinement, et la menace d’un chômage prochain… Y-a-t-il un enseignant pour estimer que cela n’est pas plus prioritaire que le pot du samedi soir avec les collègues à la terrasse d’un bar branché? Chacun sait que l’enseignement à distance profite surtout aux élèves issus de milieux favorisés.

“Chair à canon?” “Sacrifiés sur l’autel de l’économie!” (SNUIPP-FSU) Les syndicats d’enseignants dénoncent déjà une mise en danger de leurs adhérents, face au risque de contamination par les élèves… Et l’on sent pointer la menace du droit de retrait, voire de la grève, le 11 mai prochain. Et pourtant, parions que de nombreux enseignants sont sur leurs balcons tous les soirs pour applaudir les soignants qui partent depuis un mois tous les jours au contact du virus pour sauver des vies. S’il y a “chair à canon” dans cette guerre, c’est bien celle de tous les soignants qui ont été frappés par le virus. S’il y a des professions qui peuvent se sentir sacrifiées sur l’autel de l’intérêt commun, ce sont les éboueurs qui ramassent nos ordures, et les chauffeurs qui nous livrent, et les épiciers qui nous permettent de nous nourrir, et les caissières qui nous encaissent… Pas les enseignants. Qui retourneront progressivement dans les classes à partir du 11 mai, dans des conditions de sécurité qui auront été mises au point d’ici là, promet le gouvernement. Gageons que les quatre semaines qui restent avant la date fatidique permettront au gouvernement et aux syndicats d’enseignants d’organiser d’un commun accord une reprise profitable et sans danger pour tous.

Voilà pour la reprise des écoles, qui s’annonce donc difficile. Mais il y a d’autres annonces qui sonnent aussi déjà comme de véritables défis. Ne parlons pas du défi de disposer de la quantité nécessaires de tests ou de masques d’ici le déconfinement, tout et son contraire a déjà été dit sur le sujet. Ou de la nécessité de reprendre le contrôle national de certaines productions stratégiques, c’était attendu. Arrêtons-nous sur quelques annonces qui donnent un sens particulier à un discours du président qui avait été axé sur la nécessaire “solidarité” invoquée à 7 reprises. Il y a aura des aides nouvelles pour les plus défavorisés, familles nombreuses ou étudiants en difficultés, pour les secteurs économiques particulièrement sinistrés, le tourisme, la culture en particulier. Et surtout, Emmanuel Macron propose “d’annuler les dettes des pays africains”! Il n’est pas le premier, le pape François l’avait aussi réclamé dans son homélie pascale. Mais c’est évidemment une annonce qui peut s’avérer capitale, si elle est suivie d’effets.

Tous les économistes le disent et le répètent, la récession mondiale qui suivra l’épidémie sera gravissime. Et quand le monde développé entre en récession, le monde le moins développé s’effondre. L’Afrique va vers le gouffre, une fois encore, plus que jamais. Les restrictions de fins de mois au nord se traduiront par de la famine au sud. Les égoïsmes occidentaux l’emportant, particulièrement à un moment où l’Amérique peut même envisager de supprimer ses subventions à l’Organisation Mondiale de la Santé, l’aide au développement risque de devenir anecdotique. Les cours des matières premières qui font survivre les pays du continent africain vont s’effondrer avec la crise, et de plus en plus d’être humains seront contraints de choisir entre l’exode et la mort, le premier choix impliquant souvent la même issue que le second.

Alors oui, il faut une action massive en faveur de l’Afrique. Bien sûr il ne sera pas facile de convaincre tous les créanciers de renoncer, bien sûr il faudra s’assurer que l’annulation de la dette ne se traduit pas simplement par l’enrichissement des plus corrompus dans ces pays. C’est un immense défi qu’a lancé Emmanuel Macron lundi soir. Et c’est celui-là qu’on a envie de retenir, au delà de l’espoir de vaincre enfin cette épidémie et de se doter collectivement des moyens de mieux résister à la prochaine. Pour qu’effectivement le monde d’après ne soit plus tout à fait celui d’hier!

Un virus, tous docteurs, et vive la doctrine !

Le Cororonavirus est un virus exceptionnel, parce qu’il s’adresse à tous. Tous les pays sont touchés à des degrés divers, ou du moins selon des échéanciers différents. Toutes les catégories sociales sont concernées, là encore de façon différenciée en raison du confinement -il est évidemment plus facile de vivre sans contact extérieur à deux dans une villa à la campagne qu’à cinq dans un appartement de banlieue. En tout cas même les plus puissants peuvent être concernés comme nous le démontre Boris Johnson, le premier ministre anglais, après, il faut le reconnaître, avoir manifesté quelque insouciance sur le sujet.

Tous sont frappés ou presque, comme dans la fable de La Fontaine, le mal répand la terreur, et chacun en est amené à rechercher, quel “crime de la terre” vient punir cette “fureur du Ciel”. Et là, il faut reconnaître que notre ennemi Covid 19 est généreux en explications. Chacun peut y trouver le Graal recherché pendant toute une vie militante. La preuve absolue qu’il avait toujours eu raison, que le mal est bien là où on l’a tant cherché, la concrétisation de tous les fantasmes, la preuve ultime et définitive de la force d’un destin enfin dévoilé! Et cela tout en découvrant au passage que la médecine, c’est pas si sorcier… que chacun peut avoir un avis médical autorisé… sur les réseaux sociaux et les plateaux télé!

Commençons par les arguments les plus récents, et pas forcément les plus brillants: “c’est la faute de la Chine et de l’Organisation Mondiale de la Santé”, qui complotent contre l’humanité en général et les Etats-Unis en particulier, nous a expliqué la nuit dernière un Donald Trump au sommet de sa forme, en annonçant la suspension de la subvention de son pays à l’OMS, avant de changer d’avis dix minutes plus tard. On évoquera à peine, le pasteur proche du président américain, invoquant une punition divine contre l’homosexualité… Evidemment, il y a plus sophistiqué comme raisonnement.

Par exemple le principal argument de l’extrême-droite: le coronavirus est une épidémie mondiale, à cause de la mondialisation. Sans l’afflux d’étrangers qui submerge notre pays, nous aurions pu rester tranquillement à l’abri de la contagion. CQFD! Et il n’est pas un jour sans que Marine Le Pen ne réclame une fermeture totale et immédiate des frontières, avec chevaux de frise et miradors pour dissuader les virus baladeurs. Là encore on hésite à commenter l’argumentaire tant il paraît sommaire et purement fantasmatique.

A l’extrême-gauche, on fait un peu plus raffiné: nous assistons à la crise ultime de l’ultra-libéralisme. A force de privilégier l’accumulation du capital on a fini par faire sauter toutes les protections sociales, la recherche forcenée du profit s’est traduite par le démantèlement des services sociaux, et en particulier des services de santé, par la concentration dans les pays à bas coût de main d’œuvre de l’ensemble des productions vitales pour notre société. Les Etats se sont désarmés au profit des marchés, dérégulant à tour de bras et conduisant à cette situation sanitaire incontrôlable. Et comme il faut des noms, les coupables sont les patrons et leurs obligés, les pouvoirs politiques de droite comme de gauche qui ont conduit le monde où il est aujourd’hui. Les solutions? Nationaliser à tour de bras tout ce qui est stratégique, faire payer les riches pour financer la crise, augmenter massivement les salaires, bref appliquer le programme que Jean-Luc Mélenchon et sa France insoumise proposent vainement à chaque élection. Ou écouter le revenant Montebourg qui explique en Une de Libération que c’est “l’Austérité qui se paye aujourd’hui en morts dans nos hôpitaux”. Et tant pis si “l’austérité” et “l’ultra-libéralisme” dénoncés par les uns et les autres se traduisent par un record mondial de dépenses sociales et les milliards de déficits publics accumulés depuis vingt ans. Les faits sont têtus mais la quête de vérité ne craint pas la contradiction.

Pour les écologistes, l’aubaine (seulement d’un point de vue doctrinal) Covid 19, est tout aussi réelle. Cette crise est un rappel à l’ordre ultime: “la prochaine pandémie est prévisible” si nous ne rompons pas avec “le déni de la crise écologique”, explique encore Libération en s’appuyant sur une tribune de spécialistes de l’écologie. Seraient en cause plein-mêle, l’extension des terres cultivables, l’industrialisation, la régression des espèce sauvages… Toutes dérives qui promettraient des fléaux toujours plus inattendus, et pourquoi pas un équivalent de… la grippe espagnole de 1918. Sur ce plan des pandémies en tout cas, on notera que la crise écologique ne date pas vraiment du remembrement agricole, de l’extension des pesticides, ni même… des excès du libéralisme. Mais enfin il est plus que temps de se mettre à l’abri comme nous l’explique le collapsologue Yves Cochet, ancien ministre de l’environnement de Lionel Jospin, qui a déjà créé son refuge près de Rennes en espérant survivre à l’effondrement de notre civilisation.

Du côté des partis traditionnels c’est un peu plus compliqué. Bien sûr la gauche est tentée par l’argument de l’effondrement du modèle ultra-libéral, qu’est supposée encourager l’action du président Macron, l’ennemi N°1 du peuple. Mais côté affaiblissement des services publics… le dossier n’est pas bon. C’est Marisol Touraine, ministre de la santé de François Hollande, qui mit fin au stockage des masques sanitaires, elle-aussi qui assuma, après ses prédécesseurs de droite, la baisse du budget des hôpitaux… Alors même si l’amnésie est une vertu cardinale de l’homme ou la femme politique, il n’est pas si facile de dénoncer un désengagement de l’Etat dont on fut l’artisan. Mais cela n’empêche évidemment pas de trouver dans l’épidémie la preuve que le macronisme, cela ne marche pas.

A droite il n’est pas facile non plus de retomber sur ses pieds. La critique de l’ultra-libéralisme c’est pas vraiment un bon argument à défendre. Alors, après avoir prôné l’union nationale face au virus ennemi, on en revient aux fondamentaux. Quand tout va mal, c’est qu’il y a trop d’Etat, trop de fonctionnaires, trop de réglementations, trop de taxes. Et comme le gouvernement est d’un camp opposé l’Etat a évidemment tout faux. Exemple: Philippe Doute-Blazy appelle à signer une pétition pour imposer à l’Etat d’autoriser le recours à un médicament n’ayant pas fait ses preuves! Un comble pour une ancien ministre de la santé! Des élus locaux qui ont réussi à se procurer des masques sanitaires, et les réservent à leurs administrés, s’opposent à leur réquisition par l’Etat qui veut en réserver la priorité aux personnels médicaux et aux malades… Et si l’on a perdu la maîtrise de notre stock stratégique médical, à l’époque ou Xavier Bertrand était ministre de la santé de Nicolas Sarkozy (il dit qu’il n’y est pour rien), et successeur de Roselyne Bachelot qui avait constitué le stock en question sous la risée générale, c’est d’abord parce que les entreprises françaises sont ensevelies sous les charges et sont donc obligées de se délocaliser. Bref nos productions stratégiques partent à l’étranger… parce qu’il y a toujours trop d’Etat.

On l’aura compris, le Covid 19 dont chacun affirme bien haut qu’après lui “rien ne sera plus comme avant !”, est devenu l’argument ultime pour ne surtout pas remettre en question ses choix doctrinaires, et les assumer de façon encore plus dogmatique.

Pourtant il y a évidemment de quoi réfléchir et remettre nos modèles en question dans cette crise du coronavirus. Qui peut contester, qu’on y mesure les limites d’une mondialisation des échanges en mal de régulation sanitaire, sociale et environnementale. Qu’il est nécessaire de redéfinir le champ et les modalités de l’intervention de l’Etat dans le domaine économique, en sortant de la simple alternative: faire soi-même ou laisser-faire. On peut maintenir sur le territoire, au moins européen, les productions stratégiques en quantité suffisante, sans pour autant nationaliser les entreprises (par exemple en jouant sur les charges des entreprises). Et il ne suffira pas de s’assurer la disponibilité de masques et médicaments, ou d’obtenir que la Chine interdise de consommer pangolins et chauve-souris, pour éviter la prochaine crise. La nécessaire réorganisation de notre système hospitalier est elle-aussi, en premier lieu, mise en évidence par la crise.

Sur ce plan, il n’est pas contestable, et tous le reconnaissent, y compris les principaux artisans de la baisse du budget de l’hôpital, la question des moyens est réelle. On a vu à quel point les personnels indispensables aux soins d’urgence étaient en nombre insuffisant en cas d’afflux de patients. La question d’une rémunération attractive, à la hauteur de leur dévouement, est aussi posée, évidemment. Mais dans le même temps on a pu constater une baisse de la fréquentation des urgences parfois de moitié, y compris les week-ends, pendant la période d’épidémie, ce qui semble démontrer que le problème d’organisation du réseau de soins en amont de l’hôpital, avancé comme argument par l’ex-ministre Agnès Buzyn, est réel. Parmi tous ceux qui n’ont pas fréquenté les urgences, par crainte d’y rencontrer le virus, on peut supposer que la plupart auront, ou auraient, trouvé une réponse satisfaisante à leur problème en dehors du cadre hospitalier. C’est donc bien toute notre organisation de santé (privé-public, hôpital-médecine de ville, médecins- auxiliaires de santé…) qu’il faudra remettre à plat après la crise.

Mais pour que tout cela puisse se faire de façon constructive, et sans crise, il faudra que chacun tempère un peu les enthousiasmes idéologiques tirés d’une crise effectivement sans précédent. Et se souvienne que la médecine malgré ses incertitudes reste une science, qui demande pour être maîtrisée… un certain apprentissage.

Une nouvelle Europe après le virus?

Evidemment cela peut paraître indécent de parler de l’après-crise, alors que des milliers de personnes décèdent chaque jour du Coronavirus. Alors que personne n’est capable de prévoir la fin de l’épidémie, que l’on est même pas sûr de tout savoir sur son commencement, en Chine. Mais il faut en parler! Car parmi les certitudes que l’on peut partager aujourd’hui il y a celle de la crise économique sans précédent qui nous attend au sortir de l’épreuve. Jamais depuis la deuxième guerre mondiale l’économie mondiale n’avait été ainsi mise quasiment à l’arrêt pendant plusieurs semaines.

Le redémarrage économique sera difficile et coûteux. Pour la France bien sûr. La mise au chômage partiel de dizaines de milliers de salariés va annuler en quelques semaines des mois d’efforts de rigueur budgétaire de l’Etat. Les timides progrès obtenus face au chomage vont se trouver probablement neutralisés par les plans de licenciements, inévitables, ou opportuns, pour bien des entreprises après une telle période d’inactivité. Il faudra bien, le président l’a promis, revoir les rémunérations des professionnels de santé à la mesure de l’effort qu’ils auront accompli, au risque de leur propre vie, pour sauver celle des autres. Il faudra un plan d’ampleur pour relocaliser l’industrie pharmaceutique, pour moderniser les hôpitaux, il faudra aider les secteurs économiques qui auront été les plus sinistrés… Ce sont de véritables travaux d’Hercule qui attendent les dirigeants lorsque le virus aura été éradiqué. Pour les mener à bout il faudra un effort national historique. Mais cela ne suffira pas.

La bataille post épidémique passera forcément par l’Europe. Seule, la France aurait bien du mal à s’en sortir. Mais ce serait bien pire pour d’autres, les Italiens qui étaient déjà en crise avant l’arrivée du virus, et ont été les plus durement touchés en Europe, après avoir subi en première ligne aux côtés de la Grèce la crise migratoire générée par l’impuissance collective à mettre fin à la guerre en Syrie. Les Espagnols aussi qui ont d’ores et déjà payé un si lourd tribut en vies humaines. Le miraculeux redressement économique qu’avait connu le Portugal ces derniers mois ne devrait pas non plus résister à ce nouveau choc. Sans une réponse collective et solidaire, l’Europe connaîtra probablement une crise sans précédent.

Or l’Europe ne nous a pas habitués aux réponses collectives et solidaires. A l’exception du moment de la crise de 2008 où il a fallu sauver le système bancaire, les européens ont surtout démontré ces dernières années leur incapacité à prendre en charge collectivement les difficultés auxquelles ils font face. On pense évidemment à la crise migratoire, et au recul historique et honteux du droit d’asile en Europe, malgré la courageuse prise de position initiale d’Angela Merkel. Mais aussi à la crise sociale qui a durement éprouvé les peuples grec, espagnol ou portugais, et où le chacun pour soi s’est élevé au rang de devise européenne. Ou l’on a puni avant d’aider, sanctionné avant de soutenir, appauvri plutôt qu’assisté.

Demain tous les pays d’Europe seront face à un même défi: reconstruire d’abord leur système de santé, et plus généralement leur économie. Quel rôle jouera l’Union dans cette bataille qui devra mobiliser des milliards d’euros pour aboutir? Le même qu’hier? Le rôle du gendarme qui sanctionne les dépenses sociales jugées excessives? Du banquier qui profite de la faiblesse des plus atteints par la crise pour prélever des taux d’intérêt exorbitants? On a sans doute pas oublié à Athènes les visites éclair de ceux qu’on appelait “la Troïka” (FMI Banque centrale européenne et Commission) et qui venaient exiger de l’Etat grec une baisse des retraites ou du salaire minimum, en échange du droit de celui-ci à s’endetter un peu plus à des taux d’intérêt d’usuriers! Si les choses se déroulent à nouveau ainsi, si la crise économique qui s’annonce après la crise sanitaire, frappe une fois encore les pays les plus faibles et renforce les plus forts, alors les démocrates d’Europe ne pourront plus contenir les courants populistes. Alors, il sera impossible de maintenir l’illusion d’un destin commun du continent. Et l’on verra les dirigeants Chinois, Russes et Américains se disputer les dépouilles de l’Union européenne, à grand renfort de dollars.

Bien sûr le pire n’est pas certain! Mais la difficulté des discussions en cours peuvent laisser craindre que l’Union ne soit pas disposée à changer de paradigme, pour laisser un petit peu plus de place dans son modèle de pensée libéral, à la solidarité. Cette solidarité qu’on n’a pas manifesté, ou si peu, face à la crise économique et sociale dans les pays du Sud, face aux arrivées de centaines de milliers de réfugiés que leur exode dramatique conduisait inexorablement vers ces mêmes pays du sud européen, ou encore… face au virus venu de Chine.