Chiche, on reconstruit la Gauche?

Un nouveau parti politique de gauche pour 2022? C’est l’ambition de Laurent Joffrin, le directeur démissionnaire de Libération, qui commence par créer une association « pour défendre des idées et définir une stratégie afin de refonder une gauche démocratique”. Et l’ex-patron de Libé précise au Figaro que “Cela débouchera sur la création d’un nouveau mouvement…” et que “cette initiative s’inscrit naturellement dans la perspective présidentielle».

Bonne idée ou énième remake sans avenir? On observera qu’avant lui, sur les mêmes bases ou à peu-près, Benoit Hamon a créé au lendemain de la présidentielle “Génération-s”, avant de se retirer lui-même de la vie politique laissant son mouvement dans une confidentialité dont il n’avait pu l’extraire. Au moment des européennes on a pu penser que Raphaël Glucksmann, avec son mouvement Place Publique, parviendrait à rafler la mise, et à donner un second souffle à la gauche non insoumise, lorsque le Parti socialiste lui confia la tête de sa liste. Glucksmann y a gagné un siège de député européen, et une vice- présidence de commission au Parlement de l’Union. Le tout après un score de 6%, qui consacrait l’effondrement électoral du Parti socialiste, mais ne lui donnait pas les arguments pour étayer son ambition de reconstruction de la Gauche. Les municipales sont ensuite venues, et ont semblé consacrer une reconstruction de la gauche autour du mouvement écologiste d’Yves Jadot, le patron du PS, Olivier Faure annonçant à cette occasion que son parti pourrait se ranger derrière le candidat des écologistes pour la présidentielle.

Certes la stratégie d’Olivier Faure s’est avérée gagnante pour un grand nombre d’élus socialistes. Dans un contexte de très faible participation, et grâce au soutien des écologistes, le parti a pu conserver un nombre inespéré de villes aux municipales, sans doute bien au delà de ce qu’il aurait pu sauver en partant seul à la bataille. En échange il a permis à EELV de conquérir plusieurs métropoles. Mais cet auto-effacement du Parti socialiste, se faisant hara-kiri au profit du mouvement écologiste, ne passe évidemment pas sans mal auprès de nombreux militants de gauche. D’autant que la colonne vertébrale idéologique d’EELV parait pour le moins inconsistante, entre adeptes de la décroissance, militants anti-nucléaires ou anti-vaccination, racialistes tentant d’introduire dans la réflexion de gauche le clivage racial comme déterminant des rapports sociaux, féministes extrémistes prêtes à jeter l’état de droit avec l’eau du bain de la prise de conscience des violences faites au femmes…

Ce week-end, cette relative inconsistance du message écologiste transparaissait de façon particulièrement criante, avec la grande manifestation commune organisée par EELV Ile de France et les comités Adama. Comment douter que certains militants socialistes, soucieux de rester dans une démarche de conquête légale, et d’exercice démocratique du pouvoir, vivent mal cette concession des écologistes au combat radical du clan Traoré contre l’Etat et sa police. D’autant que dans l’affaire Adama Traoré, l’éventuelle bavure policière, si cela en fut une, serait à mettre au bilan d’un gouvernement socialiste.

Le projet porté par l’ancien patron de Libération est sans doute le reflet de cette frustration d’une gauche qui n’accepte pas si facilement de passer aux oubliettes de l’histoire politique. Qui ne se résigne pas à l’avenir que trace pour elle le patron du Parti socialiste, comme force d’appoint des écologistes d’Yves Jadot. Et de fait, la démarche, quel que soit son devenir, paraît salutaire si elle permet de susciter un retour à la réflexion idéologique et programmatique, d’une gauche qui sous l’impulsion d’Olivier Faure s’est enfermée depuis 3 ans dans une critique systématique et stérile de toutes les initiatives gouvernementales, et la dénonciation fébrile de toutes les prises de parole d’Emmanuel Macron. Un peu de recul et de retour à la réflexion de fond ne peut qu’être fécond pour la gauche, et plus largement pour la vie politique. Ce serait en soi une ambition suffisante pour un projet politique! Mais Laurent Joffrin est un un homme pressé. Et donc il fixe d’entrée de jeu un objectif encore plus ambitieux: préparer un parti politique nouveau pour emporter la présidentielle.

De la précipitation naissent forcément les premiers soupçons. Comme on n’imagine pas une seconde que Laurent Joffrin s’imagine un destin personnel présidentiel, on est obligé de se demander de façon un peu triviale: mais pour qui roule-t-il? Et l’on pense évidemment à François Hollande, dont il fut, et reste dit-on, un proche. Sans faire de procès d’intention à l’ex-patron de Libération, on peut observer que la démarche adoptée par le Parti socialiste sous la houlette d’Olivier Faure correspond à un enterrement définitif de toute ambition nationale pour l’ancien président de la République. Celui-ci ne sera jamais en situation d’imposer aux écologistes de soutenir une nouvelle candidature à la présidentielle. On peut en revanche imaginer que la reconstruction d’une force social-démocrate crédible, autour d’intellectuels et membres de la société civile, pourrait à terme déboucher sur la naissance d’une force de gauche régénérée, mettant en avant un programme de réformes pour une meilleure prise en compte des exigences environnementales et sociales. Cette force, si elle parvenait à fédérer les électeurs de gauche, dispersés par l’avènement du macronisme, serait sans doute capable de porter un candidat vers l’Elysée. Miser sur cette voie, un peu comme une dernière chance inespérée de revenir au pouvoir, ne serait pas si sot de la part de François Hollande. A condition de prendre un peu de temps.

Partant du néant dans lequel se trouve le Parti socialiste, reconstruire une force de gauche crédible, capable d’accéder au pouvoir, et de proposer une politique environnementale et sociale plus hardie que celle menée par Emmanuel Macron, est sans doute nécessaire pour enrichir le débat, et permettre à la politique française de sortir d’une alternative fermée entre Lepénisme et macronisme. Mais cela demandera du temps. Sans doute plus que celui qui nous sépare de la prochaine élection présidentielle. A vouloir se précipiter, et brûler les étapes, l’initiative de reconstruction de la gauche de Laurent Joffrin risque fort de subir le même sort que celles qui l’ont précédée.

A peine nommés, et déjà dans la tourmente…

La logique aurait voulu que l’on attende le discours de politique générale du nouveau Premier ministre pour se faire une idée sur ce que veut ce nouveau gouvernement et du cap vers lequel il veut conduire le pays. Mais une fois de plus, c’est internet et les médias qui imposent le rythme. Et la patience n’est pas leur fort!

48 heures après l’annonce de la formation du gouvernement, on a déjà l’avis de Camelia Jordana! La chanteuse et actrice, qui avait déjà pu se faire une expertise sur la vie en banlieue, et “ces hommes et ces femmes qui se font massacrer pour nulle autre raison que leur couleur de peau“, depuis la villa de luxe où elle a été élevée sur la Côte d’Azur, avait aussi une autre spécialité qu’on ignorait: le droit français. Elle nous le dit tout de go: Darmanin n’aurait jamais dû être nommé, pas plus que Dupont-Moretti, c’est “cracher au visage de toutes les femmes” que de les nommer aux ministères de l’intérieur et de la Justice. Et elle ajoute: qu’on “devrait exiger un casier judiciaire vierge d’un ministre“, ce qui est pourtant le cas de l’un comme de l’autre… Mais passons, chacun gère sa communication comme il le peut, et la starlette a l’excuse de n’avoir pas mené sur le sujet une action solitaire mais bien coordonnée, avec l’ensemble des groupes de pression féministes, et du journal Libération qui cache à peine, comme d’habitude, son engagement partisan derrière un jeu de mots: “C’est Mâle parti” titre-t-il entre les photos des deux hommes à la Une.

“Vous me jugerez sur ce que j’ai fait, lorsque je l’aurai fait,” réclamait hier à l’assemblée nationale le nouveau Garde des Sceaux. On peut le comprendre. Et en tout cas convenir que juger un avocat sur les crimes des accusés dont il a assuré la défense est tout à fait absurde. On nous rétorquera que sa nomination est aussi vilipendée en raison de ses prises de position critiques, ou ironiques, à l’égard du mouvement Metoo. Là on est carrément dans le délit d’opinion. Que Maître Dupont Moretti, avocat de son métier, ait eu quelques critiques à faire sur les libertés prises par les militantes féministes, avec le droit à une justice contradictoire et à la présomption d’innocence, est après tout assez logique. Et le droit à l’irrespect s’applique même quand il s’agit d’un totem de la bonne conscience de gauche. Quant-à la forme… chacun pensera ce qu’il veut de l’esprit provocateur de l’homme, mais il n’y a là non plus pas de quoi fouetter un ministre.

Le cas du ministre de l’Intérieur est assez différent. Primo, il était déjà un ministre important il y a huit jours et personne alors ne semblait juger scandaleuse sa présence au gouvernement. C’est apparemment la relance de l’accusation de viol d’une femme contre lui qui a provoqué la colère des militantes féministes au lendemain de sa nomination. Une accusation portée au lendemain de son entrée au gouvernement, concernant des faits ayant eu lieu dix ans auparavant, en 2009. Depuis, les magistrats ont enquêté et conclu leurs recherches par un non-lieu. Mais un vice de procédure a convaincu la justice de relancer l’instruction, qui avait été close parce que la crédibilité de la plaignante était jugée limitée, compte-tenu entre autres de sa précédente condamnation pour chantage et extorsion de fonds aux dépends d’un autre homme.

Evidemment, on peut objecter que le fait d’avoir été condamnée préalablement pour avoir tenté de profiter d’un autre homme, ne suffit pas à discréditer la parole d’une femme. C’est vrai! Mais le précédent n’est pas non plus de nature à rendre caduc celle de l’homme qui revendique lui une relation librement consentie de part et d’autre. Les juges re-trancheront.

En attendant, fallait-il éviter de nommer Monsieur Darmanin au ministère de l’intérieur? D’un point de vue du droit, on peut observer que la présomption d’innocence du ministre n’est en rien remise en cause par le vice de procédure qui provoque la relance de l’instruction. En s’en tenant à un strict principe de précaution, on aurait pu temporiser. Au moins jusqu’à ce que l’enquête rouverte soit refermée, pour éviter tout conflit d’intérêt. Mais on imagine mal le Premier ministre nommer un Ministre de l’intérieur intérimaire en attendant la décision de justice. Le Premier Ministre et le Président ont donc choisi de se fier au premier jugement des magistrats instructeurs. Il faut évidemment souhaiter pour la sérénité ambiante, qu’ils ne se soient pas fourvoyés.