Sauve qui peut à Kaboul !

20 ans de guerre pour en arriver là! Au point de départ serait-on tenté de dire, même si dans l’intervalle beaucoup a changé, et pas toujours en mal pour les Afghans. Ces 20 ans se guerre ont aussi été, il faut le dire, une ère de progrès incontestable pour les femmes et fillettes du pays. 40% des enfants afghanes ont pu accéder à l’éducation ces dernières années. Des femmes ont pu travailler, comme les hommes ou presque, elles sont devenues maire de leur commune, ou cinéaste… Cela ne suffit pas à légitimer une guerre, mais c’est réel.

Aujourd’hui le rideau est retombé. Il est trop tôt pour dire si les talibans d’aujourd’hui sont exactement les mêmes que ceux d’hier, où si le temps a eu quelque effet sur eux. Ce qui est certain c’est que leur victoire annonce des années noires pour le peuple d’Afghanistan et principalement les femmes et fillettes du pays. Lorsqu’on en est à considérer que ne pas transformer des enfants d’une dizaine d’années en esclaves sexuels serait un progrès et une preuve d’humanité nouvelle chez ces soi-disant fous de dieu, on mesure la pénombre dans laquelle va s’enfoncer le pays. L’application de la Charia, la loi islamique, est en soi une promesse d’enfer pour tous les faibles, et en particulier les femmes et les enfants.

Sans surprise les premiers pays à tendre la main aux nouveaux maîtres de Kaboul on été la Russie, la Chine et la Turquie outre le Pakistan, l’allié historique. C’est une véritable internationale de la négation des droits humains, qui se constitue ainsi et se positionne fièrement face à l’Occident. Il faut dire que l’opportunité est formidable. Le retrait américain et le retour des talibans résonnent comme un échec cuisant des occidentaux, et d’abord et surtout de l’arrogante Amérique. C’est un peu de la cuisante défaite d’Obama en Syrie qui se rejoue. Lorsque le président américain avait dû laisser les Russes prendre la main dans la région, faute d’avoir respecté son engagement de sanctionner militairement l’usage d’armes chimiques contre son propre peuple par Bachar Al Assad. Depuis, l’armée russe règne sur le pays au grand bénéfice d’Assad, soutenu à bout de bras, et contrôle à son gré jusqu’à l’acheminement de l’aide humanitaire.

Evidemment Vladimir Poutine, Xi Jinping et Recep Erdogan, voient d’abord leurs intérêts dans la situation. Le départ des Américains d’Asie centrale, et de leur “suppôt” l’ancien président afghan, est une bonne nouvelle pour Poutine qui a le souci de stabiliser la situation aux limites de son empire, chez ses deux alliés, et obligés, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan. Une coopération avec les talibans devrait permettre à Poutine de garder le contrôle de cette zone. Pour les Chinois le grand projet de conquête de l’Ouest de Xi Jinping, au travers de ses nouvelles “routes de la soie”, ensemble d’infrastructures appelées à relier la Chine à l’Europe, sera évidemment facilité par la disparition d’un ancrage américain dans la région. Dans la bataille que se livrent les deux géants pour la suprématie économique, au moment où Washington tente d’accroitre son influence en Asie du sud-est, Pékin a tout à gagner à un renforcement de son hégémonie en Asie centrale. Quant à Erdogan, dont les troupes sécurisaient jusqu’à ces derniers jours l’aéroport de Kaboul, il est concerné à plusieurs titres. D’abord dans le cadre de son ambition de devenir le leader du monde islamique. L’Afghanistan est sunnite, et doit donc l’intéresser au premier chef. Ensuite en raison de la situation migratoire. Il y aurait déjà 300000 réfugiés afghans en Turquie. Un nouvel exode massif du pays des talibans, via l’Iran, pourrait créer une situation intenable en Turquie. Le leader turc qui est en train de construire un mur le long de sa frontière avec l’Iran pour bloquer l’afflux de réfugiés, recherche donc une coopération avec les nouveaux maitres de l’Afghanistan.

Comme pour la Syrie d’Assad, où Moscou avait organisé un simulacre de destruction d’armes chimiques pour donner le change et tenter de redonner un vernis de crédibilité au tyran de Bagdad, ces nouveaux potentiels “alliés” de Kaboul vont tenter de convaincre le monde que les talibans ont changé, qu’ils sont moins pires que leurs prédécesseurs, et que l’on peut dialoguer avec eux. Il pourrait en sortir une feuille de route vers la respectabilité pour les extrémistes afghans. Feuille de route dans laquelle les talibans s’engageraient à minima à ne pas servir de base arrière aux terroristes du monde entier, et en échange de laquelle, Moscou et Pékin pourraient afficher sans honte leur soutien à un régime tyrannique, un de plus. A condition bien sûr que les talibans jouent a minima le jeu de cette tutelle, et choisissent la voie de la “respectabilité” internationale au détriment d’un peu de leur outrance originelle… ce n’est pas gagné.

Il reste quand même que si Poutine et Xi Jinping sont -peut-être- en situation de tirer quelques marron du feu afghan, c’est d’abord en raison de l’échec pathétique des occidentaux. Echec d’une guerre par laquelle on prétendait créer de toutes pièces un état démocratique. Echec d’une politique qui n’a jamais su s’appuyer sur la société civile afghane, mais a au contraire nourri le pouvoir de chefs de guerre plus préoccupés de leurs intérêts particuliers que du devenir de leur pays. Echec à faire reculer la corruption, mais aussi la production et le trafic de drogue: malgré les efforts financiers des américains pour faire reculer la culture du pavot, l’économie de la drogue, contrôlée pour partie par les talibans, est restée le principal moyen de survie dans certaines régions, et l’Afghanistan est toujours à l’origine de l’essentiel de l’héroïne consommée dans le monde. Jamais les occidentaux n’ont pu, ou su, apporter aux paysans afghans une alternative crédible à la culture du pavot. Certes beaucoup a été fait pendant ces vingt ans pour moderniser le pays, mais faute d’avoir permis l’avènement d’un véritable pouvoir démocratique capable d’incarner l’avenir de ce peuple déchiré, usé, par 40 années de guerres, le soufflé est retombé d’un coup, ramenant brutalement le pays à ses démons anciens.

Ce n’est pas une surprise. Personne n’a la recette pour imposer la démocratie dans un pays qui en est privé. Pas plus en Amérique qu’en Europe. On l’a d’ailleurs vu de la même façon en Libye, ou faute d’alternative démocratique populaire, la guerre menée par la France contre Kadhafi, qui exerçait un pouvoir tyrannique que la région, n’a généré qu’un chaos dont ont profité les terroristes d’Al Qaeda au Maghreb islamique, et les trafiquants d’êtres humains.

Et l’on retombe sur l’éternelle question: que faire? Comment aider les peuples victimes d’oppression sans aller ajouter la guerre à leurs souffrances? Et l’on entre là sur le terrain des yakafokon! La France doit immédiatement accueillir toutes les femmes afghanes et leurs proches… nous dit la gauche la main sur le cœur. Ou encore, il faut armer le fils du commandant Massoud, le héros de la résistance contre les talibans assassiné en 2001. Ou exiger des talibans qu’ils respectent les droits de l’homme sous la pression de sanctions économiques. Ou… En fait, en dehors de ce qui est fait depuis quelques jours par la France et les autres pays occidentaux, c’est à dire essayer, tant que c’est possible, d’exfiltrer de Kaboul les personnes les plus menacées par les Talibans, en particulier parce qu’ils ont collaboré avec la coalition -cela concernera quelques centaines ou milliers de personnes- les moyens d’action sont à peu près inexistants. Il n’y a plus qu’à attendre pour mesurer ce que valent ces talibans là sur l’échelle de la barbarie, sans négliger bien sûr les sanctions et pressions internationales, qui ont déjà montré leur peu d’efficacité ici et ailleurs, mais sont le minimum exigible.

Pass sanitaire: c’est par où la sortie?

Il y avait du monde, il y a quelques jours, dans la file d’attente devant la boutique du club pour obtenir le pass PSG, à savoir un maillot floqué “Messi”, du nom du nouvel arrivant au club parisien. On ne sait pas encore si ce “pass PSG” pourra remplacer le pass sanitaire aux yeux des stadiers du Parc des Princes… mais certains supporters ont parait-il pris les devant et couru s’inscrire sur doctolib pour ne pas rater les premières apparitions du sauveur argentin. Si c’est bien le cas, s’il concourt directement ou indirectement à la campagne de vaccination contre le Covid 19, on pourra considérer que le footballeur a commencé à justifier une (petite) partie du salaire exorbitant que lui versent les représentants de l’émir du Qatar pour taper dans un ballon français.

Nos retraités de la présidence de la République ne peuvent pas en dire autant! Certes la rémunération est sans commune mesure, mais la responsabilité sociale en principe plus importante. Aux Etats-Unis, où pourtant on ne peut pas dire, depuis le passage de Trump au moins, que le climat politique soit très apaisé, quatre anciens présidents (Obama, Bush, Clinton et Carter) se sont retrouvés par vidéos interposées, pour appeler solennellement les Américains à se faire vacciner. On attend encore l’appel commun et solennel de Nicolas Sarkozy et François Hollande en faveur de la vaccination. Voire leur injonction aux soignants pour qu’ils courent se faire vacciner au nom d’un principe simple et consubstantiel de leur vocation médicale: ne jamais prendre le risque de nuire à leurs patients! Ou encore leur mobilisation aux Antilles où malgré la catastrophe sanitaire en marche, les Martiniquais continuent de bouder les centres de vaccination. Au lieu de quoi on entend le défilé de leurs anciens adjoints, ex-ministres, et thuriféraires obstinés dénonçant en toutes circonstances la politique sanitaire du gouvernement “trop tôt, trop tard, trop peu, trop autoritaire, pas assez énergique…”, et affichant une indifférence gênée devant les manifestations du samedi que cornaquent plus ou moins ouvertement les extrémistes.

Oui mais attention, nous dit-on, il ne faut pas tout confondre! On peut être pour la vaccination et contre le pass sanitaire! On peut s’insurger contre une restriction des libertés publiques, sans pour autant prôner l’irresponsabilité sanitaire collective. C’est en tout cas la position affichée par le Parti socialiste: non au pass sanitaire, oui à la vaccination obligatoire! Le raisonnement se tient: l’objectif ne devrait pas être de contrôler la population mais bien d’arriver à un taux de vaccination suffisant pour assurer, sinon la disparition totale de la maladie, du moins un contrôle de sa progression. Donc il n’y a qu’à imposer la vaccination obligatoire! Il suffisait d’y penser!

Mais comment fait-on? Personne ne s’avance… On peut bien décréter l’obligation vaccinale, mais c’est après que cela se complique. Comment faire respecter l’obligation? On envoie une escouade de policiers visiter tous les foyers français pour contrôler que chacun est vacciné? On convoque chaque “antivax” au centre de vaccination avec obligation de venir sous peine d’amende? De prison en cas de récidive? On fait un tatouage indélébile sur chaque personne vaccinée pour que la police puisse vérifier que personne n’y échappe? Personne n’a évidemment la solution efficace et à peu près respectueuse des libertés. Qui dit obligation dit contrôle, et l’on retombe inévitablement sur quelque chose qui ressemble à un pass sanitaire. On comprend donc la discrétion des adeptes de la vaccination obligatoire opposés au pass sanitaire.

Prenons exemple sur les vaccins déjà obligatoires… Pour les enfants par exemple, on contrôle le carnet de vaccination et ceux qui ne sont pas à jour ne sont pas admis dans les écoles… Pour les personnels de santé, qui ont l’obligation d’être vaccinés entre autres contre l’hépatite B, on demande un certificat de vaccination pour pouvoir travailler dans un centre médical… Pour partir en Afrique, on présente à l’aéroport son attestation de vaccination contre la fièvre jaune… sinon on ne prend pas l’avion. Et dans tous les cas le contrôle est fait par des gens qui ne sont ni policiers ni médecins, mais employés de l’éducation nationale, d’hôpitaux, de compagnies aériennes ou d’aéroports, sans parler des restaurateurs ou caissières de supermarché qui contrôlent les cartes d’identité, comme des policiers, pour s’assurer que les chèques seront honorés. Bref, le contrôle d’une partie de la population par une autre n’est pas une innovation du pass sanitaire, et encore moins un premier pas vers la dictature ou l’instauration d’une société de surveillance généralisée, de délation sanitaire, ou chaque français serait amené à contrôler son voisin et qui nous rappellerait les sombres heures du pétainisme… comme disent le craindre les antivax du samedi.

Reste l’évidente discrimination que le pass sanitaire introduit entre vaccinés et non-vaccinés, ces derniers étant contraints pour conserver une vie normale à se faire tester régulièrement. Une discrimination qui parait d’autant plus violente qu’elle s’applique dans la vie quotidienne, et en particulier dans ces lieux emblématiques de la convivialité à la française que sont le bar et le restaurant. Là, on manie de la symbolique, on déménage de l’identité française… Limiter l’accès au bistrot de ceux qui refusent de prendre leur part de l’immunisation collective contre la pandémie, qui ne veulent pas faire passer la solidarité avec les plus fragiles avant leur droit de refuser en bloc, sans véritable raison scientifique ou sanitaire, au nom de leur liberté individuelle sacrée, ce qui leur apparait comme une violation de leur intégrité physique, c’est s’attaquer frontalement à une certaine France. De Florian Philippot, qui rêve de se refaire une notoriété, à David Rachline le maire RN de Fréjus qui prétend ne pas appliquer la loi, en passant par Asselineau qu’on croyait perdu corps et bien depuis la dernière présidentielle, voire Dieudonné et Jean-Marie Bigard les humoristes nauséeux, l’extrême-droite et les populistes les plus médiocres ne s’y sont pas trompés. Avec l’interdiction d’aller au bistrot à ceux qui refusent la solidarité minimale aux plus fragiles, c’est leur fond de commerce fait d’égoïsme paranoïaque, de rejet de l’autre, d’individualisme forcené, qui est en cause.

Il reste qu’au delà des calculs sordides et manipulations des extrémistes, ces 200000 manifestants du samedi, antivax ou anti pass, existent bel et bien. Comme existaient les gilets jaunes des débuts du quinquennat. Et nous parlent d’une frustration, d’un sentiment d’appartenir à un monde qui en revanche ne leur appartient plus. Même noyés dans un flot de fausses nouvelles et vrais délires paranoïaques, même manipulés par ceux qui espèrent en tirer quelque bénéfice politique, ici ou ailleurs, les manifestants du samedi avec -ou sans- leurs pancartes antisémites, leur rejet parfois violent de ce qui ne leur ressemble pas assez, disent une lassitude, un sentiment de déclassement, dont il faudra bien tenir compte. Tout d’abord en mettant fin dès que possible à ces contrôles sanitaires qui ont pour vocation à pousser les gens vers le vaccin, et deviendront donc caducs dès que l’épidémie sera maîtrisée. A cet égard, on aurait aimé que le gouvernement définisse dès la mise en place du dispositif les conditions sanitaires -nombre de décès, circulation du virus, pourcentage de vaccinés…- de son retrait. Les intentions y auraient gagné en clarté.

Ensuite il faudra se remettre des délires complotistes et avalanches de fausses nouvelles qui ont inondé médias et réseaux sociaux depuis plusieurs mois. Tenter de recréer un consensus minimal autour de la démarche scientifique, tellement malmenée ces derniers mois… Redonner le goût de la solidarité nationale et internationale, battu en brèche sous les coups de boutoir des égoïsmes partagés. Bref un vrai programme de restauration d’une façon de vivre ensemble, en démocratie, dans la tradition de lumière qui est la nôtre. Ça tombe bien, on entre en campagne électorale. Alors, actuel et anciens présidents, majorité sortante et oppositions, au boulot!