… Il fait de son mieux! Il incombe à Joe Biden la lourde tâche de mettre en musique les conséquences de décisions, ou de non décisions, prises avant lui par trois présidents des Etats-Unis, George W.Bush, Barack Obama, puis Donald Trump. Evidemment les deux décisions les plus lourdes dont il devait assumer les conséquences étaient l’entrée en guerre de la coalition en Afghanistan en 2001, à l’initiative de Bush junior, et l’accord de paix signé avec les Talibans en février 2020 à l’initiative de Donald Trump, pour stopper une “guerre sans fin”. Certes, la gestion du départ d’Afghanistan par le nouveau président prête à discussion. L’insuffisance d’anticipation de la part de l’administration américaine ne fait guère de doute. Mais on doit bien reconnaître qu’il était à peu près impossible pour lui d’extraire son pays de ce bourbier plus “proprement”.
Revenons en arrière un instant. Le 9 octobre 2009, à Oslo, le comité Nobel décide à la surprise générale d’attribuer le prix Nobel de la Paix à… Barack Obama, neuf mois après son élection à la tête des Etats-Unis. Une récompense anticipée, gage d’actions hypothétiques à venir, qui fait beaucoup railler, mais pourrait, se dit-on alors, enfermer le nouveau président des Etats-Unis dans une obligation de réussite. A l’époque, les Etats-Unis sont enferrés dans deux conflits inextricables en Afghanistan et en Irak. Obama, dans son discours du Caire en juin 2009, a tendu la main aux Iraniens, que son prédécesseur George W. Bush plaçait sur “l’axe du Mal”, et plus largement au monde musulman à qui il promet de “rompre le cycle de la méfiance et de la discorde”. Il a sévèrement reproché au gouvernement israélien sa politique de colonisation des territoires occupés. On s’est donc pris à rêver!
C’est le moment où Elie Barnavi, historien, ancien ambassadeur d’Israël en France, un des négociateurs des accords de paix d’Oslo, lance un appel solennel à Barack Obama dans un livre intitulé “Aujourd’hui ou peut-être jamais”. Selon lui la clef du conflit israélo-palestinien est entre les mains d’Obama qui peut et doit venir à Jérusalem et imposer une “paix américaine”. Une solution à deux Etats garantie par une force internationale d’interposition. Obama promet lui déjà un retrait des troupes américaines d’Irak, et une aide massive aux afghans, pour que la guerre débouche sur la construction d’une nation moderne qui puisse échapper à l’influence néfaste des Talibans. Des perspectives de nature à justifier a posteriori l’enthousiasme du jury d’Oslo.
12 ans plus tard, on ne peut pas parler d’un échec complet du premier président noir américain dans sa politique étrangère. Il a effectivement retiré les troupes américaines d’Irak, mais en laissant se mettre en place une domination chiite sur la minorité sunnite, un alignement de l’Irak et de l’Iran, ennemis de longue date, et a surtout, sinon provoqué, du moins favorisé le ralliement d’une part importante de la jeunesse sunnite irakienne frustrée à l’Etat Islamique. On doit lui reconnaître la paternité d’une détente avec la République Cubaine. Même si la promesse de démantèlement de la prison de Guantanamo, centre de détention pour terroristes ou supposés tels, installée à Cuba, pour que les détenus ne puissent profiter de la législation américaine, n’a pas été tenue. Il restait encore une quarantaine de détenus privés de droits dans la prison de haute sécurité, à son départ de la Maison Blanche, l’opposition républicaine s’étant opposée à leur transfert sur le sol américain.
Et puis il y a un vrai succès: l’accord sur le nucléaire iranien, prévoyant l’arrêt du programme nucléaire militaire iranien contre la suspension des sanctions internationales. Un succès que son successeur Donald Trump allait s’empresser de faire voler en éclats.
Mais aussi de graves déceptions. Celle des espoirs d’Elie Barnavi, et de tous ceux qui en Israël comme dans les territoires de Cisjordanie, comptaient sur lui pour donner enfin une impulsion décisive au processus de paix, qui espéraient a minima un gel de la colonisation de Jérusalem par les colons israéliens pour relancer la solution à deux Etats. Celle aussi de tous ceux qui avaient cru à sa promesse de s’opposer militairement à une utilisation d’armes chimiques contre son peuple par Bachar Al Assad. Cette fameuse “ligne rouge” définie par le président américain comme un rubicon infranchissable en 2012, à un moment ou le régime syrien reconnaissait posséder l’arme chimique, et superbement ignorée par lui en 2013 lorsque Assad bombarde au gaz sarin des villes tenues par ses ennemis de l’armée syrienne libre faisant près de 2000 morts, essentiellement des civils, et que la France de François Hollande lui propose de mettre en place une interdiction de l’espace aérien syrien pour empêcher les bombardements. Un double recul puisqu’il trahit son engagement et en même temps livre la Syrie sur un plateau à la Russie de Poutine, qui au prétexte, fallacieux, de contrôler et détruire les armes chimiques d’Assad prendra ensuite le contrôle du pays en maintenant de force le tyran au pouvoir.
Quant à l’Afghanistan, Obama n’a pas fait mieux que les autres. Les rêves d’édification d’un Etat moderne et démocratique se sont perdus dans la réalité des rivalités de chefs de guerre, des haines ethniques, de la corruption généralisée, du trafic de drogue, de la violence religieuse, et des influences étrangères. Faute de savoir, ou pouvoir, s’appuyer sur des forces démocratiques locales, il a transmis à ses successeurs après 8 ans de mandat et donc d’occupation du pays, un Etat incapable de faire face à son avenir, une situation déliquescente, dont la seule gestion possible pour l’Amérique restait le retrait, et donc la défaite. Donald Trump n’avait plus qu’à programmer le départ, il l’a fait à sa manière, en faisant semblant de croire aux promesses des talibans… Et Joe Biden n’avait plus qu’à mettre en œuvre la débâcle.