Impuissance européenne

Evidemment, c’est un coup dur! Se faire souffler un contrat de ce montant par un allié et ami n’est évidemment pas anodin. Surtout cinq après une signature arrachée de haute lutte. C’est évidemment une trahison de la part du gouvernement australien qui renie sa parole, mais aussi une vraie entourloupe de la part de Joe Biden qui n’a pourtant pas assez de mots pour vanter sa fidélité aux alliances. Mais ce n’est pas vraiment une surprise!

La stratégie de “rebalancing” des Etats-Unis ne date pas de Joe Biden, loin s’en faut, ni même de Donald Trump. C’est Barack Obama lui-même qui en a été le vigoureux promoteur entre 2011 et 2016. L’alliance transatlantique restait primordiale dans les discours, mais on commençait à reprocher aux Européens la faiblesse de leur participation financière à l’Otan. On laissait les Russes annexer la Crimée puis occuper le Dombass, laissant planer la menace de Moscou sur les autres ex-républiques soviétiques russophones, en particulier les pays baltes. La volonté de ne plus jouer le rôle de gendarme du monde conduisait même Obama à céder le leadership à Vladimir Poutine dans la crise syrienne, avec les conséquences que l’on connait. Et dans le même temps on commençait à réorienter la diplomatie américaine sur l’axe trans-pacifique. Le sujet n’était plus comme sous George Bush: comment défendre la paix, une certaine vision de la démocratie, et le leadership des Etats-Unis, partout où ils pourraient être menacés, mais bien plutôt comment permettre aux Etats-Unis de résister à la montée en puissance du rival économique chinois, dans ce monde d’après guerre froide. Barack Obama voulait aller vite dans cette réorientation, mais il a été largement entravé par les scories de la stratégie américaine antérieure: maintien du bouclier antimissiles en Europe pour faire face à la menace iranienne éventuelle, enlisement en Afghanistan, essor du mouvement terroriste Etat Islamique, guerre civile confessionnelle en Irak…

Après le départ d’Afghanistan et le retrait des troupes américaines d’Irak, prévu pour la fin de l’année, l’Amérique va pouvoir se consacrer entièrement à son influence dans la zone pacifique. Face à cet enjeu, une ou plusieurs fâcheries plus ou moins durables avec l’un ou l’autre des alliés européens pèsent peu. Juste le poids de chacun de ces nains qui ont tant de mal à unir leurs forces pour peser sur le devenir de la planète. Après le Brexit, l’Europe paraît de plus en plus une mosaïque impossible à fédérer. Et la montée des périls pourrait bien ne pas pousser dans le sens de la cohésion: l’impérialisme chinois, la dégradation du climat, l’essor des migrations dictées par la radicalisation islamiste ou le réchauffement planétaire, et leur corollaire la paupérisation des pays du sud, vont alimenter la discorde et exacerber les différences de vues entre les différents états du vieux continent. Le quasi-silence de nos amis européens sur cette affaire de sous-marins, est assez révélateur de l’état de l’Union. Et il ne suffira pas de sauter sur sa chaise comme un cabri en parlant de défense européenne, pour aboutir à quelque chose.

Dans la recomposition du monde et l’affrontement qui s’annonce entre Chine et Etats-Unis, le poids de l’Europe reste théorique. Bien sûr, unis, les pays européens pourraient faire entendre leur voix, mais on est loin du compte. La France n’a toujours pas réussi à obtenir un soutien européen effectif et crédible de la part des autres pays de l’Union dans le combat qu’elle mène contre le terrorisme en Afrique. Ce devrait pourtant être un combat partagé. Comment imaginer que les européens puissent peser dans la bataille de la zone indo-pacifique ou se concentre déjà près de 60% de la production mondiale. Bloquée par la règle de l’unanimité qui s’impose au niveau du Conseil européen pour les décisions les plus importantes, entravée par la présence d’Etats qui ont tiré tous les bénéfices de l’élargissement de l’Union, et privilégient maintenant leurs intérêts nationaux et leurs choix idéologiques sur tous sujets, l’Union parait plus faible que jamais. Non seulement elle ne paraît pas être en mesure de faire entendre sa voix dans la zone pacifique, où pourtant, la France au moins est très présente, mais on peut se demander si dans l’état actuel des rapports de force elle serait capable de s’opposer à un nouveau coup d’éclat de Poutine dans sa tentation de reconquête des zones russophones du continent. Qui est prêt en Europe à mourir pour Riga, la capitale de la Lettonie, où près de 40% des habitants sont russes?

Sans un changement de braquet l’Europe restera un géant impuissant. Ce changement de braquet passe par une transformation profonde. Depuis le début de son mandat Emmanuel Macron plaide pour une Europe à deux voire trois vitesses, dans laquelle les pays les plus volontaires puissent avancer en éclaireurs sans être entravés par les plus frileux. En vain jusqu’ici. A partir du 1er janvier prochain la France prendra la présidence tournante et aura donc six mois pour faire bouger les choses avec, selon le président « la volonté de réformer nos institutions pour les rendre plus efficaces et plus rapides ». Ce n’est pas gagné car le rôle de la présidence tournante est assez restreint. Pour en faire un levier de changement des institutions, Emmanuel Macron devra pouvoir compter sur des soutiens. Et d’abord sur celui de l’Allemagne. Mais à une semaine des élections au Bundestag, l’incertitude plane sur l’évolution de la situation politique en Allemagne. Avec trois blocs autour de 20% dans les sondages (le SPD (gauche) la CDU-CSU (droite), et les Verts) les négociations pour la formation d’un gouvernement risquent d’être longues et difficiles. En 2017, il avait fallu 4 mois à Angela Merkel pour signer un accord de coalition pour gouverner. On ne peut donc exclure qu’Emmanuel Macron, lorsqu’il prendra la présidence de l’UE, se retrouve sans interlocuteur allemand…et donc sans levier pour faire bouger les institutions.

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