Diplomatie ou complaisance?

Faut-il vendre des armes à un pays qui en fera forcément mauvais usage? Doit-on serrer la main de Mohamed Ben Salman, coupable d’avoir fait tuer et découper un journaliste dans le consulat de son pays à Istanbul? La réponse spontanée est évidemment, doublement non! Les armes vendues à un Etat non démocratique se retourneront fatalement contre les peuples. De même que rétablir le dialogue avec le prince saoudien MBS revient à le réhabiliter après trois ans de mise à l’écart par la communauté internationale. En un week-end Emmanuel Macron aura donc fait très fort pour dévaluer l’image de patrie des droits humains de la France. Les parangons de vertu de la gauche, Edwy Plenel, Anne Hidalgo, ou encore Yannick Jadot ne s’y sont pas trompés qui ont condamné fissa le contrat d’armement autant que le rapprochement diplomatique. L’écologiste rajoutant un critère d’immoralité personnel au sujet: on ne doit pas vendre d’armes à un pays “dont la richesse s’est bâtie sur les énergies fossiles…”

A vrai dire, on ne devrait jamais vendre d’armes de guerre à personne, car les armes de guerre ont évidemment vocation à… faire la guerre. On devrait également être intransigeants sur le respect par les autres des droits humains. Cette droiture nous conduirait d’une part à nous retirer définitivement du marché international de l’armement, en laissant toute la place aux autres puissances militaires -et du coup en perdant les moyens de financer notre propre recherche et développement dans le domaine militaire- et d’autre part à éliminer de notre liste de fréquentations la totalité des dictateurs, tyrans et autocrates de la planète. De Poutine à Maduro, de Xi Jinping à Viktor Orban, en passant bien sûr, par les dirigeants de la plupart des pays du monde arabe et une majorité de chefs d’état africains.

Mais fallait-il donc refuser de parler à Poutine pour tenter de mettre fin aux agissements de son complice Alexandre Loukachenko, qui utilisait les migrants comme moyen de pression politique sur l’Europe? En toute morale, le président russe coche toutes les cases pour être jugé infréquentable. Annexion par la force d’une partie d’un pays voisin indépendant, empoisonnement d’opposants politiques, internements psychiatriques arbitraires, blocage voire bombardement de convois humanitaires en Syrie… la liste des violations des droits de l’homme par le maitre du Kremlin est longue. Mais celle des sujets de préoccupation internationale qui dépendent de lui tout autant. Quelles que soient ses arrières pensées supposées, Poutine reste un passage obligé pour le traitement des crises présentes ou à venir aux frontières de l’Europe ou au Moyen-Orient. Comme le dialogue avec son collègue Xi Jinping, coupable de mille violations des droits de l’homme, est lui aussi incontournable, si l’on prétend peser -un peu- sur l’évolution du commerce international, et donc le devenir de la planète.

Evidemment MBS, le dictateur saoudien, n’est ni Poutine ni Xi Jinping. Mais peut-on rêver de jouer un rôle dans l’évolution des conflits et tensions qui secouent le monde arabe, sans parler avec l’Arabie saoudite, mais aussi avec les Iraniens, qui foulent aux pieds les droits humains, et dont l’action peut-être jugée comme criminelle à l’égard des populations, en particulier au Yémen, au Liban, ou en Libye, mais où les situations ne pourront s’améliorer sans leur aval? En ces temps de crises multiples, et alors que les Etats-Unis ont renoncé à leur rôle de gendarme du monde, l’action diplomatique suppose de jouer à la fois sur le dialogue et les sanctions. L’Arabie saoudite a été sanctionnée par les pays occidentaux pour les exactions de son prince. C’était juste et approprié. Mais à un moment il faudra reprendre le dialogue pour espérer aider les Libanais ou les Yémenites à sortir de l’enfer dans lequel ils vivent. Etait- ce le bon moment pour ce rapprochement qui prend des allures de “réhabilitation”? Macron devait-il se déplacer lui-même en Arabie Saoudite? N’était-il pas maladroit de coupler cette reprise de contact avec une vente d’armes qui crée la confusion entre la démarche diplomatique et la simple complaisance mercantile? C’est l’Histoire évidemment qui le dira.

C’est aux résultats, pas aux intentions, que l’on mesure la validité d’une démarche diplomatique. De passage au Qatar -coupable selon les ONG d’avoir conduit à la mort des centaines de travailleurs immigrés sur les chantiers de ses stades en vue du mondial de foot 2022- Emmanuel Macron a d’ores et déjà vanté, en guise de justification de sa diplomatie dans le Golfe, la coopération avec l’émirat qui aura permis de faciliter la sortie d’Afghanistan, en fin de semaine, de 258 nouveaux afghanes et afghans menacés par les Talibans. Mais si, in fine, le rapprochement avec l’Arabie Saoudite ne permet ni d’ouvrir une fenêtre d’espoir aux Libanais, ni de trouver enfin la voie vers un cessez le feu au Yémen ou la situation est qualifiée par les Nations unies de “pire désastre humanitaire au monde”, ni encore d’avancer sur la résolution de crise libyenne dans laquelle Emmanuel Macron s’est investi avec la conférence de Paris le mois dernier… Alors il ne restera de ce week-end dans le Golfe que la réhabilitation par le président français d’un prince saoudien coupable de persécuter les journalistes. Et… une vente d’armes bienvenue pour l’emploi et la balance des paiements!

.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *