Les nuits se succèdent. Déjà cinq. Cinq nuits et jours de souffrances et de peur pour le peuple ukrainien. Cinq jours et nuits d’angoisse pour tous ceux qui suivent la situation d’heure en heure partout dans le monde, autour d’une question: “jusqu’où cela peut-il aller? C’est le temps des interrogations.
Poutine est-il assez fou pour faire sauter la planète? Doit-on craindre, s’il n’obtient pas très vite gain de cause, qu’il finisse par recourir à cette force de dissuasion nucléaire qu’il a lui-même mis en état d’alerte à la fin du week-end? Evidemment personne ne veut y croire, mais personne n’a non plus la réponse définitive à la question. Chaque expert a plutôt envie de décliner toutes les raisons logiques pour lesquelles le scénario du pire n’est pas réaliste. Mais peut-on miser sur la raison en toutes circonstances? C’est la rançon de ce logiciel absurde sur lequel nous avons fondé notre monde moderne: l’équilibre de la terreur. Chacun est sensé se retenir de commettre l’inévitable parce qu’il sait que l’autre peut en faire autant, et qu’il n’y aura pas de vainqueur. Mais ce système ne laisse pas de place à la folie. Qu’un esprit dérangé en vienne à souhaiter la destruction de tout, toutes, et tous, parce qu’il ne parvient plus à se projeter dans son propre avenir, ne fait pas partie des hypothèses. On a vu un Poutine paranoïaque cantonnant tout interlocuteur, étrangers comme proches, à une dizaine de mètres de lui; hystérique, promettant la “dénazification” de l’Ukraine; violent, menaçant ceux qui s’opposeraient à lui de conséquences qu’ils n’ont jamais connues; méprisant pour ses propres collaborateurs devant le monde entier… A-t-il pour autant basculé totalement dans l’irrationalité? Et si oui existe-t-il un garde-fou, quelqu’un pour l’empêcher d’aller trop loin?
Comme tous les chefs d’Etat des pays disposant de l’arme nucléaire, Poutine ne peut en principe pas déclencher seul l’apocalypse. A ses côtés, son ministre de La Défense et son chef des armées, ont aussi leur mot à dire. Peut-on imaginer qu’ils contiennent les délires de leur patron? Peu probable. On a vu sa façon de tenir ses collaborateurs à distance. Certes son ministre de La Défense et son chef des armées ne semblaient pas enthousiasmés par sa décision de mettre les forces de dissuasion en état d’alerte, lorsqu’il en a fait l’annonce télévisée. Mais de là à imaginer une révolution de palais qui neutraliserait le président russe, il y a un gouffre…
Des sanctions qui vont frapper durement les Russes
Il y a aussi la pression du pays. Du peuple de Russie contre une guerre dans laquelle il a tout à perdre. On a vu des manifestations contre la guerre dans plusieurs grandes villes de Russie. Qui se sont soldées par des milliers d’arrestations. Poutine n’en est pas à sa première répression, et son appareil policier semble bien tenir les choses en main. Il ne semble pas que l’on soit à la veille d’un soulèvement de nature à le déstabiliser. Mais bien sûr ce qui est vrai aujourd’hui ne le sera pas forcément demain. Les sanctions économiques et financières internationales, maintenant quasi-unanimes, vont évidemment rendre la vie dure aux russes. Aux plus riches, qui verront leurs avoirs gelés, mais aussi aux plus modestes qui subiront de plein fouet la dégradation de la situation économique russe. La popularité du tyran moscovite devrait sans doute en souffrir.
Il est trop tôt pour savoir si les sanctions auront ou pas un impact sur la guerre de Poutine, mais on peut d’ores et déjà noter que Poutine a lui-même, par son agression contre un peuple souverain, provoqué une prise de conscience inattendue et globale. Malgré quelques réticences de départ, balayées en quelques jours, tous les pays occidentaux ont répondu présent à l’appel du président ukrainien demandant des sanctions économiques et financières massives contre le président russe. Les allemands qui sont totalement dépendants du gaz russe, ont finalement accepté d’entrer dans la bataille, même la Suisse a oublié son éternelle neutralité pour reprendre -on l’a appris ce lundi- “l’intégralité des sanctions mises en place par l’Union européenne contre la Russie”. Et il y a plus. Le président ukrainien demandait armes et munitions pour se défendre contre l’envahisseur, les pays européens ont répondu d’accord. Y compris la Suède, l’Allemagne, qui prétendaient jusqu’ici ne jamais vendre d’armes à un pays en guerre et même la Finlande, qui a choisi le non-alignement. L’Union européenne a même décidé d’acheter elle-même des armes et munitions pour les fournir aux Ukrainiens. C’est un virage essentiel. En cinq jours, l’idée d’une Défense européenne qu’Emmanuel Macron essaye depuis 5 ans de mettre à l’ordre du jour de l’UE a peut-être fait un pas de géant… Grâce à Vladimir Poutine.
Poutine est donc à peu près seul contre tous. Seule la Chine soutient, du bout des lèvres, son opération militaire, en plus des pays satellites dirigés par des obligés de Poutine, Tchetchénie ou Belarus. Même le Kazahkstan, qui a pourtant bénéficié d’un soutien de la Russie pour réprimer des manifestations faisant plus de 200 morts en début d’année, a refusé d’engager des troupes aux côtés des russes, et de reconnaître les républiques autoproclamées du Donbass.
Poutine avait-il sous-estimé les réactions contre son invasion? Il faut dire que cette guerre ne correspond pas tout à fait à ce qu’il a connu précédemment, par exemple en Tchétchénie. Pour deux raisons: d’une part elle se déroule aux portes de l’Europe, d’autre part elle se passe à ciel ouvert grâce aux réseaux numériques. Heure après heure, Volodymyr Zelensky le président ukrainien peut informer le monde entier de l’évolution de la situation grâce aux réseaux sociaux. Il est en contact permanent avec les chefs d’Etat européen ou le président des Etats-Unis. La guerre de Poutine est le sujet principal d’actualité pour la planète entière. Le monde entier commente, condamne, craint les développements… Et chacun doit prendre position. Les avions russes se voient interdire l’espace aérien de la plupart des pays, des musiciens russes, connus pour leur proximité avec Poutine, voient déprogrammer leurs concerts. Jusqu’au président, russe, proche de Poutine, du club de foot de Chelsea, qui doit se mettre en retrait de son club et promet d’œuvrer pour faire arrêter la guerre. Et Poutine se voit retirer son titre d’ambassadeur du judo, les clubs russes sont suspendus de toutes compétitions internationales, et la Russe est exclue de la Coupe du Monde de foot…
De la guerre éclair à l’occupation
Poutine espérait une “opération militaire” éclair. Il pensait sans doute chasser en quelques heures les dirigeants ukrainiens et les remplacer par des hommes à sa solde, comme au Belarus ou en Tchétchénie. Il semble maintenant enlisé dans un conflit à ciel ouvert, sous la réprobation du monde entier. Certes, il prendra peut-être Kiev dans les heures ou les jours qui viennent. Mais même si c’est le cas, cela ne sera que le point de départ d’un long calvaire. D’abord pour les Ukrainiens bien sûr. Mais aussi sans doute pour l’armée de Poutine, qui ne parviendra pas si facilement à contrôler un pays de 44 millions d’habitants, qui a montré à quel point il tient à son drapeau. L’Ukraine n’est pas la Tchétchénie, il ne suffira pas d’y mener la “sale guerre” qu’il conduisit là bas pour s’assurer le contrôle du peuple ukrainien. A la guerre d’invasion succèdera une guerre d’occupation, et donc probablement une guerre de résistance pour le peuple ukrainien qui continuera sans doute de bénéficier de soutien à l’international. Calvaire pour Poutine lui-même, qui aura bien du mal à rétablir un semblant de crédibilité après cette invasion injustifiable. Calvaire enfin pour le peuple russe, qui va subir l’effet des sanctions.
Ce lundi, des négociations ont démarré à la frontière avec le Belarus. Quelles sont les chances de succès? Faibles évidemment. Les autorités ukrainiennes exigent le retrait des forces russes de leur territoire, tandis que Poutine s’obstine à réclamer un désarmement, une “dénazification” et une neutralisation de l’Ukraine. Il sera difficile de trouver un terrain de compromis. Pour les Ukrainiens, le pire est hélas encore à venir.